Document de synthèse présenté
en vue de l’obtention de
l’Habilitation à Diriger des Recherches
Volume I
---------------------------------------------------------------------------------------------------
Phonologies du temps et de l’espace
Vers une langue orale authentique
---------------------------------------------------------------------------------------------------
Lettres, Langues, Linguistique, Arts
Olivier GLAIN
HDR soutenue publiquement le 30-11-2018
Salle de la Rotonde, 18 rue Chevreul, 69007 LYON
Sous la direction de Manuel Jobert, Professeur des Universités
Université Jean Moulin - Lyon 3
MEMBRES DU JURY
Nicolas Ballier, Professeur des Universités, Université Paris 7 – Diderot
Sylvie Hanote, Professeur des Universités, Université de Poitiers
Sophie Herment, Professeur des Universités, Aix Marseille Université
Manuel Jobert, Professeur des Universités, Université Jean Moulin - Lyon 3
Sandrine Sorlin, Professeur des Universités, Université de Montpellier
1
Ce dossier de synthèse est composé de trois parties.
Le volume I est un document de synthèse qui fait état de mon parcours en tant qu’enseignant
et en tant que chercheur, de mon positionnement dans les domaines de l’enseignement et de la
recherche. Il aborde également quelques nouvelles perspectives que j’envisage pour les
prochaines années. Il est complété par un curriculum vitae détaillé.
Le volume II est composé des articles, des chapitres d’ouvrage et des principaux rapports de
jury que j’ai écrits à ce jour. Les chapitres extraits d’ouvrages que j’ai dirigés sont
consultables dans la troisième partie. Le volume II est accompagné du rapport établi par le
jury de ma thèse.
La troisième partie consiste en la reproduction, sous forme indépendante, des six ouvrages
que j’ai écrits à ce jour, dont un inédit. Elle est accompagnée de la reproduction des trois
ouvrages que j’ai dirigés ou codirigés. Elle est ainsi composée de neuf livres séparés.
2
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier très sincèrement Manuel Jobert pour avoir accepté de
parrainer mon Habilitation à Diriger des Recherches et pour avoir fait preuve d’une très
grande disponibilité. Merci pour son soutien constant et pour l’intérêt qu’il porte à mes
travaux depuis plusieurs années.
Mes remerciements vont également aux membres du jury : Nicolas Ballier, Sylvie Hanote,
Sophie Herment et Sandrine Sorlin. Merci pour la confiance dont ils font preuve à mon égard
en ayant accepté cette fonction ; j’en suis honoré.
Pour leur soutien et leurs encouragements, merci à Gaëlle, à Arthur, à Yann et à Éliott.
3
SOMMAIRE
Remerciements
3
Introduction
6
1. Approches actionnelles et théâtrales (« action et énaction »)
10
1.1. Découverte de la phonétique et découverte du théâtre
11
1.2. Premiers travaux de recherche : théâtre et langue orale
13
1.3. « Agir avec l’autre » : phonologie et approche actionnelle
18
1.3.1. Action-oriented tasks
18
1.3.2. Temps et objectifs de la phonologie en classe d’anglais
21
1.4. De l’action à l’énaction : l’apport du théâtre pour l’authenticité
27
1.4.1. L’espace, le corps et le sensoriel
27
1.4.2. L’apport des techniques théâtrales
30
1.4.3. L’énaction
34
2. Phonologie & phonétique : variations et changements
37
2.1. Démarche de reprise d’études et auto-formation en phonétique et phonologie
38
2.1.1. L’examen de l’Association Phonétique Internationale
38
2.1.2. Les variations spatiales : phonologies et espace
44
2.1.3. Évolutions temporelles et variations géographiques
49
2.2. L’apport de la sociolinguistique
52
2.2.1. L’approche variationniste labovienne
52
2.2.2. Interaction de paramètres sociolinguistiques et principe uniformitariste
59
2.2.3. Communauté linguistique ou communauté sociale ?
62
2.2.4. Contact, interactions et réseaux sociaux
65
2.2.5. Contact, accommodation et interaction au sein du monde anglophone
69
2.2.6. L’activation du changement
72
4
2.3. Positionnement épistémologique
75
3. Interdisciplinarité & ouvertures théoriques
79
3.1. Responsabilités d’un enseignant-chercheur dans la transmission de la recherche
80
3.2. Le rôle de l’auditeur ; la perception
83
3.3. Linguistique cognitive et modèle sociocognitif du changement des sons
88
3.4. Identité linguistique : normes collectives et normes individuelles
97
3.5. L’Imaginaire Linguistique
100
3.6. Langue orale et langue écrite
107
3.7. Inscription de ma recherche dans le CIEREC
112
3.8. Dialectologie française et « gaga »
116
Conclusion
123
Références
127
Index des auteurs
139
Annexe : Curriculum Vitae
142
5
INTRODUCTION
Il est toujours difficile de présenter la synthèse d’un parcours de recherche et
d’enseignement sous la forme d’un cheminement linéaire qui présenterait une cohérence
thématique absolue en tous ses points de passage. Cela est d’autant plus difficile pour
quelqu’un ayant exercé dans des établissements de l’enseignement secondaire durant plus de
la moitié de son parcours professionnel avant d’intégrer l’enseignement supérieur. Si cette
synthèse rédigée dans le cadre de l’habilitation à diriger des recherches s’inscrit résolument
dans le domaine de la linguistique anglaise, elle n’en comporte pas moins, de ce fait, une
partie à orientation didactique qui correspond essentiellement aux activités antérieures à mon
arrivée à l’université. Néanmoins, les réflexions didactiques proposées s’intègrent dans un
parcours pensé essentiellement en rapport avec l’anglais oral, notamment dans son aspect
phonologique. En effet, ma démarche et mon intérêt d’angliciste se sont toujours portés sur la
langue orale, dans une double perspective d’enseignement et de recherche. Au cours de mes
années d’études, la principale source d’intérêt de ma formation LLCER résidait dans les cours
de compréhension, de phonétique, de phonologie, voire de traduction orale. Il s’agissait des
cours qui attisaient le plus une forme de « curiosité créatrice » chez moi. Les autres
enseignements, dont ceux de littérature, qui me plaisaient pourtant beaucoup, ne parvenaient
pas à susciter le même paradoxe : j’étais à la fois fasciné par ce que je découvrais de l’anglais
oral et frustré parce que je comprenais qu’il existait une multitude d’autres choses à explorer,
notamment dans le domaine de la variation, et que celles-ci ne me seraient pas proposées en
classe. Dès lors, je ne pourrais approfondir ce sujet que par l’intermédiaire d’une recherche
personnelle.
Cette recherche a toujours été pensée en relation avec l’extrême diversité des locuteurs
de l’anglais, afin de ne pas réduire par synecdoque la réalité de l’anglais oral à un type
d’anglais qui ne serait utilisé que par une faible minorité de locuteurs natifs ou, pire, qui ne
serait utilisé qu’artificiellement en classe de langue. Ainsi, ma démarche a toujours été celle
de la recherche d’une langue orale authentique dans sa dimension humaine et sociale, en
accord avec l’identité de ses locuteurs. Mon intérêt principal résidant dans la phonologie de
l’anglais, l’enjeu de cette synthèse consiste à définir des phonologies authentiques (le pluriel
correspondant bien sûr aux multiples formes et structures que peut revêtir l’anglais) dans une
6
double perspective de recherche et d’enseignement. Dans quelle mesure peut-on qualifier
d’authentiques les activités pédagogiques en lien avec la phonologie ? Comment tenter de
rendre compte de la variation presque infinie qui caractérise des formes authentiques
d’anglais ? Comment mettre en contact de tels objectifs de recherche et d’enseignement ? Les
réponses à ces questions constitueront la ligne directrice de ce document de synthèse.
Si la théorie est nécessaire à la description et à l’analyse phonético-phonologique, la
quête de l’authenticité passe nécessairement par une prise en compte des pratiques à travers
des analyses de terrain et des études de corpus, afin de ne pas se cantonner aux analyses des
« linguistes de fauteuils » (armchair linguists ; cf. Fillmore 1992). On ne peut donc pas faire
l’économie de la sociolinguistique, en lien avec la variation et le changement, si l’on veut
observer la langue dans un contexte authentique. Outre l’étude de paramètres sociaux qu’elle
implique nécessairement, une approche sociolinguistique de type variationniste s’inscrit tout
d’abord dans les différences spatiales qui caractérisent les accents locaux et régionaux ; il
s’agit de la phonologie de l’espace. La variation spatiale pose d’ailleurs la question des
modèles de référence (en anglais britannique et américain, par exemple) à choisir pour
l’enseignement d’une langue authentique.
À quels types d’anglais peut-on exposer des apprenants aux profils variés pour leur
donner des outils permettant de mieux comprendre différents accents tout en leur proposant
un cadre de référence nécessaire à la production ? Comment contourner les problèmes liés à
l’interphonologie des élèves ? Comment mieux appréhender les formes fortes et repérer les
« marqueurs de saillance » (Hanote 2013) dans le flux sonore pour reconstituer le message ?
Comment transposer cela à la prise de parole ? Dans une perspective d’enseignement, le
temps et l’espace sont aussi ceux de la classe de langue. Le développement de compétences
phonologiques passe par différentes phases d’apprentissage, différents temps de la
phonologie, au service d’une communication aussi authentique que possible. Cette réalité
temporelle se double d’une réalité spatiale dans une vision plus globale de la communication
qui inclut le corps. Une approche en partie kinésique de la communication implique ainsi des
déplacements et des mouvements qui sont au service de l’expression et qui peuvent aider à un
développement des compétences phonologiques. Il s’agit là de la phonologie de l’espace, tel
que celui-ci se trouve matérialisé par la salle de classe. D’ailleurs, selon Benveniste (1966,
1974), les trois paramètres fondamentaux de tout acte d’énonciation sont, outre le sujet
parlant, l’espace et le temps (ici et maintenant). La situation d’énonciation se définit donc par
les données spatio-temporelles qui la caractérisent. Penser des activités de communication
7
authentiques en classe en faisant abstraction du temps et de l’espace revient donc à occulter
les deux tiers de ce que Joly et O’Kelly (1990 : 18) nomment la « triade énonciative » (ego,
hic, nunc), les trois shifters qui « constituent le fondement de toute énonciation » (Rotgé 1993
: 53). Le principal obstacle étant l’aspect artificiel que peut revêtir la communication en
anglais dans une classe française, la recherche de l’authenticité à l’oral en classe de langue
est double car elle implique des dimensions linguistique et communicative (Kramsch 1987).
La vision de la langue qui est certainement plus développée dans l’anglistique et les
études anglophones que dans d’autres filières est celle d’une langue qui n’est pas uniquement
fonctionnelle mais qui est intrinsèquement porteuse de cultures particulières, que celles-ci
soient contemporaines ou appartiennent à une époque révolue. Il s’agit là d’une forme
d’authenticité en lien avec l’identité culturelle et historique des locuteurs, ce qui implique une
recherche de l’authenticité s’inscrivant dans un paradigme interdisciplinaire qui place la
langue orale au cœur des humanités à partir de perspectives spatiales et temporelles, mais
aussi humaines et sociales. En lien avec la phonologie, cette conception d’une identité
linguistique authentique implique l’étude des conventions et des attitudes des locuteurs qui
permettent à ceux-ci de définir les normes de leur variété linguistique. Les espaces d’échange
qui favorisent les interactions entre les locuteurs et leurs réseaux sociaux peuvent mener à une
renégociation des normes de prononciation (J. Milroy 1992), participant ainsi à une
redéfinition de l’identité linguistique des locuteurs. Dans certains cas, celle-ci participe au
changement linguistique, ces évolutions pouvant entraîner dans le temps des changements
phonologiques, en ce qu’ils sont systémiques et relèvent de processus cognitifs.
Dans cette synthèse, les perspectives développées dans les paragraphes précédents se
veulent complémentaires dans le but de rendre compte de différentes formes d’authenticité
que peut revêtir la phonologie. Dans un premier chapitre, je reviens sur les considérations
pédagogiques et didactiques qui ont façonné mon parcours en rapport avec l’enseignement de
l’anglais oral. Je définis les grands principes qui sous-tendent mon enseignement, ainsi que les
objectifs phonologiques qui me paraissent importants, à la fois pour des étudiants non
spécialistes et pour des anglicistes. Je développe aussi l’intérêt que peuvent présenter des
tâches à visée actionnelle dans l’optique d’une plus grande authenticité des échanges oraux
en classe de langue. Je termine cette première partie en me concentrant sur l’apport du
langage corporel et des techniques théâtrales pour l’apprentissage de la langue orale et le
développement des compétences phonologiques. Cette synthèse n’ayant pas vocation à
présenter prioritairement un travail de didactique, ma démarche consiste à justifier sur le plan
8
théorique les avancées pédagogiques notées sur le terrain, ce qui me permet d’aborder des
notions de kinésique, ainsi que la théorie de l’énaction (Varela et al 1993).
Je me penche ensuite sur la vaste question de la variation et du changement dans les
domaines phonétique et phonologique. Après avoir expliqué la démarche de ma reprise
d’études, qui coïncide avec mon passage de l’enseignement secondaire à l’université, je
définis les grands principes de l’école britannique qui ont conditionné ma formation à la
phonétique et à la phonologie. Puis, j’expose progressivement les critères qui permettent
d’étudier la diversité de la langue orale en présentant une typologie des différences entre les
accents de l’anglais, en abordant la question des variations spatiales et temporelles, et en
insistant sur l’importance des facteurs sociolinguistiques, notamment en ce qui concerne la
question de l’activation du changement. Je propose ensuite une définition de différents types
de communautés de locuteurs et une typologie des variétés d’anglais. Je termine ce deuxième
chapitre en exposant mon positionnement épistémologique en ce qui concerne la langue orale.
Enfin, le troisième chapitre propose une ouverture à l’interdisciplinarité et à des
théories qui me permettent de mieux expliquer les changements phonologiques. J’expose ainsi
des considérations liées au rôle de l’auditeur dans le changement des sons et je reviens sur des
principes fondamentaux de la linguistique cognitive, ce qui me permet de proposer un modèle
sociocognitif de phonologie qui prend appui sur la variation et le changement des sons.
J’aborde ensuite la question des normes collectives et individuelles en mettant notamment
l’accent
sur
le
modèle
de
l’Imaginaire Linguistique
(Houdebine
1982,
2002).
L’interdisciplinarité qui caractérise mes travaux les plus récents est en lien avec l’inscription
de ma recherche dans le laboratoire du CIEREC (Centre Interdisciplinaire d' Études et de
Recherches sur l'Expression Contemporaine), de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne.
Je résume ainsi quelques travaux d’équipe portant sur la phonostylistique et sur l’axe de
recherche des « mémoires urbaines », qui prend en linguistique la forme de l’étude des
pratiques langagières contemporaines en milieu urbain. Ces recherches portent notamment sur
la ville de Londres et, dans le domaine des variétés du français, sur le français régional de
Saint-Étienne, connu localement sous l’appellation de gaga.
9
PREMIÈRE PARTIE
Approches actionnelles et théâtrales
(« action et énaction »)
10
1.1. Découverte de la phonétique et découverte du théâtre
En dépit des activités variées qui caractérisent mon parcours d’enseignant et de
chercheur, une certaine forme de cohérence trouve certainement ses origines au cours de mes
années de D.E.U.G. « études anglophones » à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Ces
deux premières années universitaires coïncident avec la découverte de deux champs
disciplinaires qui sont amenés à structurer mes années d’enseignement et de recherche : ceux
de la phonétique et du théâtre.
Après une initiation à la phonétique au cours de mes années de lycée (qui
correspondait essentiellement à une sensibilisation à l’opposition de longueur pour les
voyelles et au décodage du signe diacritique de cette longueur), le premier cours du premier
semestre de ma vie d’étudiant est une révélation. Il s’agit du cours de phonétique de RenéPierre Mondon. La séquence commence avec l’écoute de courts enregistrements et l’activité
est présentée sous forme de jeu : les étudiants doivent essayer d’identifier si les
enregistrements sont ceux de locuteurs anglophones ou d’apprenants étrangers. En cas
d’identification adéquate des locuteurs natifs, les étudiants doivent se risquer à une hypothèse
concernant une origine géographique plus particulière. L’exercice est périlleux pour des
apprenants qui viennent tout juste de passer leur baccalauréat. L’objectif pédagogique est
néanmoins atteint. En quelques dizaines de minutes à peine, et avec quelques échantillons
judicieusement choisis, l’enseignant nous fait prendre conscience de l’incroyable diversité de
prononciations qui existent au sein du monde anglophone. Le reste de la séance est consacré à
une seconde prise de conscience : face à une telle diversité, il est nécessaire pour les
apprenants de pays et de régions diverses d’avoir des références communes, l’une d’entre
elles pouvant être la Received Pronunciation (RP), l’accent britannique standard. La fin du
cours se fait de façon plus informelle et en français. Cette RP a-t-elle une origine
géographique quelconque ? Quelle serait notre politique si nous devions enseigner la
prononciation du français à des locuteurs étrangers ? Choisirions-nous un modèle de référence
standard ou exposerions-nous les apprenants à un fort accent stéphanois ? Le « vrai » travail
du semestre ne commence que la deuxième semaine, avec l’apprentissage systématique de
l’Alphabet Phonétique International (API) et celui de certaines règles et régularités dans le
domaine de la phonologie. Néanmoins, ce premier cours de phonétique est un moment
fondateur dans mon parcours. Pour en avoir discuté quelques années plus tard avec des
camarades de l’époque, je n’ai pas vraiment l’impression qu’il les ait marqués de la même
11
manière. Il développe pourtant mon intérêt pour des thèmes de recherche à venir : variation
spatiale et variétés d’anglais, accent standard vs. accent non standard. Le travail de la
première année porte ensuite exclusivement sur la RP. Il est complété en deuxième année par
un travail sur le General American (GA), même si l’appellation choisie est alors simplement
celle de US English, avec un travail sur les principales correspondances RP - GA. De plus, le
travail du cours de compréhension de deuxième année porte sur la RP au premier semestre et
sur le GA au second, avec un travail sur des enregistrements de la variété choisie pour chaque
semestre lors de l’examen. Pour avoir eu vent des débats qui ont entouré l’apparition de
l’anglais américain dans l’épreuve de phonologie de l’agrégation externe d’anglais dans les
années 2000, il me semble que l’approche développée à l’Université Jean Monnet lors de mes
deux années de D.E.U.G. (1989-1990 et 1990-1991) est assez novatrice pour l’époque.
Mon expérience des réalités de la communication en anglais dans des contextes
internationaux (et pas forcément exclusivement anglophones) m’ont convaincu de l’utilité des
variétés de référence pour la production en langue anglaise des apprenants étrangers, comme
de l’intérêt qu’il existe à avoir une certaine connaissance des principales variantes lexicales et
phonologiques qui caractérisent les variétés britannique et américaine standard, afin de
pouvoir s’adapter à ses interlocuteurs et à la situation de communication. Je reviendrai plus
tard (cf. section 1.3.2) sur le débat ayant opposé, par exemple, Jennifer Jenkins à Peter
Trudgill en ce qui concerne les modèles de prononciation à choisir pour l’apprentissage de
l’anglais. Je souhaiterais simplement indiquer que mes convictions m’ont toujours poussé à
enseigner les principales différences caractérisant l’anglais britannique et l’anglais américain
aux élèves et étudiants lors de mes années d’enseignement en lycée et à l’IUT. Cette
démarche pédagogique s’applique, outre à la phonologie, au domaine lexical, ainsi que, dans
une moindre mesure, au domaine grammatical. Je la mets aujourd’hui en pratique dans mes
cours de langue orale à l’université, et ce, dès les premiers semestres (en ce qui concerne la
L1 et la L2, j’ai jusqu’à présent enseigné dans des TD de S1 et de S3 et je suis responsable du
CM « langue orale : théorie » de L2). Dans le domaine de l’apprentissage de l’API, comme
dans celui des régularités phonologiques, mon enseignement se fait toujours en me référant
conjointement au système phonologique de la RP et à celui du GA1. Les différences entre RP
et GA sont aussi abordées dans le domaine des processus phonétiques. En ce qui concerne le
À titre d’exemple, on pourra consulter l’ouvrage écrit pour le CNED, CAPES et agrégations d'anglais : cours
de compréhension et d'expression (Paris, éditions CNED, 2014a), dans la troisième partie de ce dossier de
synthèse (ouvrage tiré à part).
1
12
développement des compétences de réception, je suis partisan d’une ouverture plus large que
la seule dualité RP – GA (cf. section 1.2).
Après une petite expérience d’atelier théâtre en Terminale, mes premières années
d’études universitaires coïncident aussi avec une volonté de faire du théâtre et de recevoir une
formation en art dramatique. Pendant deux ans, je suis les cours du soir de la Comédie de
Saint-Étienne, Centre dramatique national et école de théâtre. Il s’agit d’une formation
pratique, effectuée sur scène et destinée à apprendre les grands principes du jeu théâtral et à
acquérir des notions de mise en scène. Cette formation me permet de valider le diplôme du
Premier Degré de la Comédie de Saint-Étienne. Surtout, elle me fait prendre conscience de
l’importance dans la communication du corps en général et du langage corporel en particulier.
Dans mon parcours, les apprentissages de la comédie de Saint-Étienne ont une incidence
importante sur mon enseignement et sur mes pratiques de formateur d’enseignants. En effet, il
me semble que l’enseignant devrait pouvoir bénéficier de quelques techniques théâtrales
fondamentales en ce qui concerne par exemple l’occupation de l’espace et le placement de la
voix, voire, dans une certaine mesure, d’une forme de théâtralisation du cours. Les élèves et
étudiants ont également à gagner en développant leur expression à l’aide de quelques «
moyens dramatiques ». L’apport des techniques théâtrales dans la classe de langue sera
(brièvement) développé dans la section 1.4.2.
1.2. Premiers travaux de recherche : théâtre et langue orale
Si la phonétique et le théâtre ne semblent a priori pas avoir grand-chose en commun,
ils accordent tous deux une importance à la langue orale et à sa représentation, que celle-ci
soit technique (avec les symboles de l’Association Phonétique Internationale pour la
phonétique) ou artistique (avec les monologues et les dialogues du théâtre). La prise en
compte des réalités de la langue orale et, d’une certaine façon, la priorité que j’accorde à
celle-ci est un élément qui structure, non seulement mon travail de recherche, mais aussi mon
activité d’enseignement, me démarquant souvent de de mes collègues et de leurs priorités, que
ce soit dans le secondaire ou dans le supérieur.
Après ma licence, je m’inscris en maîtrise à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne
(1992-1993), avec un travail de mémoire en littérature américaine sur Tennessee Williams,
que j’effectue sous la direction de Patrick Badonnel, alors Professeur des Universités en
13
littérature américaine à l’Université Jean Monnet. L’une de mes motivations est liée au fait
que je joue alors le rôle de Stanley Kowalski dans A Streetcar Named Desire dans le cadre des
cours que je suis à la Comédie de Saint-Étienne. J’éprouve toutefois quelques difficultés à
cerner une thématique de recherche précise, ce qui se reflète certainement dans le titre de ce
mémoire : Tennessee Williams, A Story of Men and Women. Malgré ce défaut de
méthodologie, il est quand même possible de lire dans ce titre les prémices de l’importance
des relations humaines et sociales dans ma recherche (cf. section 2.3). Le mémoire porte sur
The Glass Menagerie (1944), A Streetcar Named Desire (1947) et Cat on a Hot Tin Roof
(1955). À travers les relations entre les personnages, je m’intéresse notamment à ce que
j’appelle la « perversion du langage » dans ces trois pièces, celui-ci étant paradoxalement lié à
une absence de communication en raison de personnages qui parlent soit trop soit trop peu,
ainsi que des tabous, des mensonges et du non-dit qui caractérise ces œuvres.
Parallèlement à mon année de maîtrise, j’effectue quelques remplacements en collège
en tant que maître auxiliaire. Ayant obtenu un poste d’assistant de français aux États-Unis
l’année suivante, j’enseigne le français à Hattiesburg, au sein de the University of Southern
Mississippi. Je travaille principalement le français oral avec des étudiants débutants de
première et deuxième année, tout en suivant des cours de didactique des langues une aprèsmidi par semaine, ce qui me permet de découvrir des stratégies pédagogiques transférables à
l’enseignement de l’anglais, notamment la méthode de la Total Physical Response (TPR, cf.
section 1.4.1). Je continue également de suivre des cours d’arts dramatiques, dans un module
intitulé advanced stage movement où nous travaillons principalement le langage du corps, le
positionnement, le déplacement et le combat sur scène. À la fin de mon séjour américain, je
reprends un poste de maître auxiliaire pour la totalité de l’année 1994-1995, avant d’effectuer
mon service national en 1995-1996, en qualité de formateur en anglais. Je m’inscris ensuite au
CAPES externe et le réussis en 1997, mais je demande de repousser à la rentrée suivante mon
année de stage en IUFM afin de vivre une deuxième expérience en pays anglophone. J’obtiens
un poste de lecteur de français à l’université de Hull, où je travaille le français à l’oral avec
des étudiants du département de français, ce qui permet de confirmer l’intérêt que peut
présenter l’enseignement de la langue orale auprès d’étudiants spécialistes. Au second
semestre, Claire Griffiths (professor of French and francophone studies) me propose de coenseigner avec elle un cours d’interprétariat de liaison dans le cadre d’un module de spécialité
pour les étudiants de quatrième année, ce qui me permet d’approfondir mes connaissances sur
la langue orale, dans une perspective à la fois différente et complémentaire. Mes deux années
14
en pays anglophone (Mississippi, Yorkshire) sont l’occasion de rencontrer des prononciations
très différentes de celles auxquelles j’avais été confronté au lycée et à l’université en France,
ce qui contribue à développer mon intérêt pour la variation phonético-phonologique.
Au cours de mon année de stage d’IUFM, je rédige un mémoire intitulé Quelle
authenticité à l’oral pour la classe d’anglais ?. Si le rôle social de l’apprenant y est mis en
avant, la démarche de ce mémoire relève davantage de l’approche communicative que d’une
perspective réellement actionnelle (cf. section 1.3). Mon travail porte sur la double question
de l’authenticité de la communication et de celle de la langue. L’authenticité revêt en effet
une double dimension sociale et linguistique, que Kramsch (1987 : 17) qualifie
respectivement d’internal et d’external context of language, et qu’il s’agit de réconcilier :
Learning takes place in a double context: on the one hand, students learn words and grammatical
structures that refer to an established distant culture, the external context of language. On the other
hand, they use these words and structures to communicate with others in the classroom. This internal
context of language brings about an interaction which is created anew by every group of teacher and
learners. It is through the interaction with this social group that the language is used and learned. In
turn, it is through the use of the language that the group is given a social identity and social reality.
Learning a language is a socially mediated process.
Ce premier travail en didactique est l’occasion de définir quelques grands principes
pédagogiques sur lesquels je m’appuie lors de mes années d’enseignement en lycée dans le
domaine de l’anglais oral, par exemple éviter un questionnement abusif en classe et
développer l’axe de communication élève(s) → élève(s). Par exemple, certaines des activités
que je propose dans l’article « Bend it like Beckham: class file » (2004, Ref 2) et un grand
nombre des activités de Mad for Ads 4 (2006, voir tiré à part) prennent appui sur des amorces
nominales afin de ne pas « verrouiller » l’expression des élèves2. Pour la rédaction de ces
travaux, j’utilise également beaucoup le déficit informationnel, qui s'oppose pédagogiquement
à des activités qui mettent en œuvre une communication factice, comme celle qui consiste à
utiliser des display questions, auxquelles l’élève concerné, voire la classe entière, connaît la
réponse. Ces réflexions didactiques autour d’une authenticité de la communication sont aussi
étayées par ma préparation de l’agrégation interne, que je réussis en avril 2000, et qui
comporte une épreuve de didactique.
Le questionnement présente l’inconvénient d’être associé dans l’esprit des élèves à une réponse juste, ce qui
implique forcément des réponses fausses et une prise de risque – et donc une prise de parole – minimale, ceci
afin d’éviter des erreurs potentielles (Julié 1995 : 67).
2
15
Dans le domaine de la compréhension de l’oral, il me semble important de sensibiliser
les élèves à l’importance de la modalité de la voix et de l’intonation3, en les faisant travailler
sur ces domaines dès les premières étapes de l’exploitation de documents sonores. D’après
Julié (1995 : 124), « moins on comprend la langue, plus on est sensible à sa musique, car il n'y
a qu'elle que l'on saisit [...] c'est elle qui nous touche en premier et c'est à elle que nous
réagissons d'abord ». Cette façon d’aborder la compréhension, qui implique aussi le langage
corporel dans le cas d’un document vidéo, relève du top-down language processing (Julié
1995 : 124).
Dans mon mémoire d’IUFM, j’explique également que, en matière de compréhension,
il me paraît important d’exposer les élèves à des variétés et des styles différents. Cela peut
être fait en intégrant des documents qui présentent des registres de langue différents et, bien
sûr, des accents variés. Sensibiliser les élèves à un maximum de variétés d'anglais revient à
les aider à faire face à des situations de vie extrascolaires. Cette variation accentuelle peut
également être appliquée à des variétés du « cercle extérieur », voire du « cercle en
expansion » (cf. section 2.2.5), le statut de l’anglais devenant de plus en plus international.
C’est le cas dans les activités que je propose dans l’article « Bend it like Beckham: class file »
(Ref 2), qui traite d’un film dans lequel un certain nombre de personnages ont un accent
indien. Par ailleurs, des enregistrements de locuteurs non anglophones peuvent être
intéressants, même s’il ne paraît pas judicieux qu’ils constituent la majorité des documents.
En effet, ils présentent un double avantage, notamment pour les élèves les plus en difficulté.
Tout d'abord, ils peuvent les débloquer en remettant en cause le mythe de la « perfection »
lorsqu’on parle une langue étrangère. Par ailleurs, ils montrent que l'anglais sert à
communiquer avec des anglophones et avec des gens d'autres horizons et montrent aux élèves
que communiquer en anglais avec d'autres locuteurs non natifs et en pays non anglophone ne
relève pas d’une situation artificielle ou marginale. D’ailleurs, la communication en classe
perd une partie de son artificialité et gagne en authenticité dès qu'on admet que l'anglais n'est
pas réservé aux seuls anglophones.
C’est cette reconnaissance du besoin de pouvoir aborder la diversité des accents qui
me pousse à écrire Prononciations du monde anglophone quelques années plus tard (cf.
section 2.1.2). Dans les cours de compréhension que je fais à l’université aujourd’hui
(principalement en L2), j’expose les étudiants à des accents variés de locuteurs anglophones
Bien sûr, on n’exige pas à ce niveau des élèves qu’ils puissent décrire l’intonation ou en avoir une connaissance
linguistique.
3
16
des cercles intérieur et extérieur, en leur faisant relever les caractéristiques principales de
chacun d’entre eux de façon à ce que celles-ci appartiennent à leurs compétences de
reconnaissance et enrichissent leur connaissances disciplinaires d’anglicistes. Dans mon cours
de traduction orale de L3, je fais progressivement la même chose, en commençant par des
accents relativement « faciles » à comprendre. Ma sensibilisation à la difficulté qu’il peut y
avoir à gérer la variation phonétique dans un but de traduction est due à une expérience
d’interprète au cours de la coupe du monde de rugby 2007. À cette occasion, je dois faire des
interprétations consécutives et simultanées de locuteurs anglais, argentins, australiens,
géorgiens, néo-zélandais, ainsi que de locuteurs originaires de diverses régions de Polynésie.
Afin de pouvoir m’habituer à l’accent de Jerry Collins, capitaine All Black lors du match
Nouvelle-Zélande - Portugal, je télécharge toutes ses interviews disponibles en ligne pour les
écouter en boucle pendant deux jours. Cette préparation me permet de comprendre la totalité
de ses propos le jour de la conférence de presse alors que je ne comprenais pas grand-chose au
départ, en raison de l’aspect extrêmement marqué de sa prononciation. Daniel Jones
préconisait d’ailleurs l’écoute répétée comme moyen d’affiner son oreille (Collins & Mees
1999).
Je préconise aussi un véritable travail de fond au lycée portant sur la phonologie et sur
les rapports graphie / phonie. Dans une double perspective d’amélioration des compétences
des apprenants en production et en compréhension, il me paraît de toute première importance
de travailler le rythme de l’anglais et le placement du noyau intonatif. Suite à un travail
d’analyse des erreurs des élèves, je remarque en effet qu’une mauvaise perception du rythme
entraîne des erreurs de compréhension et qu’un placement inadéquat du noyau peut mener à
une mauvaise interprétation de l’énoncé, notamment par des auditeurs anglophones.
Hormis les techniques théâtrales (cf. section 1.4.2), le dernier élément que je mets en
avant est l’utilisation de la vidéo, parce qu’elle reconstitue les situations d’énonciations les
plus authentiques possibles en classe d’anglais en fournissant un cadre spatio-temporel. Après
mon année de stage IUFM, je réussis l’agrégation interne et je suis donc inspecté en tant
qu’agrégé stagiaire au cours de l’année qui suit (2000-2001) pendant un cours qui porte sur
l’adaptation cinématographique de The Remains of the Day (film de James Ivory).
L’inspectrice me demande alors de faire de la formation d’enseignants dans le domaine de la
vidéo et de l’oral, ce que j’accepte, exerçant ainsi un travail de formateur, en plus de mon
travail au lycée, de 2003 à 2009. Après une tentative de publication avortée, en raison de
17
problèmes liés aux droits d’auteurs, d’un manuel portant sur l’utilisation du film de sciencefiction en classe d’anglais, j’écris deux articles portant sur des extraits de films, « Virtual
Worlds on Screens » (Ref . 1) et « Bend it like Beckham » (Ref. 2). J’écris ensuite deux
livrets pédagogiques accompagnant des DVD portant sur des publicités, Mad for Ads 4
(2006), et des émissions de Channel 4 Television destinées à présenter des métiers et des
secteurs d’activité, My Brilliant Career (2007, co-écrit avec Michelle Sommers). Ces deux
ouvrages, disponibles sous formes de tirés à part, sont déjà marqués par l’influence de
l’approche actionnelle.
1.3. « Agir avec l’autre » : phonologie et approche actionnelle
Après avoir découvert la référence à des échelles de compétences tirées d’un Cadre
européen commun de référence pour les langues (CECRL, 2001), ma curiosité me pousse à
lire le CECRL et le guide qui l’accompagne (Bailly et al 2001). Si la référence au CECRL ne
se substitue pas aux programmes de l’Éducation Nationale, qui restent fixés par les textes
officiels, elle détermine la perspective dans laquelle les apprentissages et leur évaluation sont
envisagés en milieu scolaire. Les programmes deviennent ainsi « adossés » au Cadre européen.
Suite à ces lectures, j’écris un court article destiné à expliquer aux enseignants ce qu’est le
CECRL (« An introduction to the CEFR », 2005, Ref 3). Le principal intérêt pédagogique que
je retire de ces lectures est la mention d’une « approche actionnelle », dont je cherche à
comprendre les principes à partir de cette courte définition :
The approach adopted here […] is an action-oriented one in so far as it views users and learners of a
language primarily as ‘social agents’, i.e. members of society who have tasks to accomplish in a given
set of circumstances, in a specific environment and within a particular field of action (…) We speak of
‘tasks’ in so far as the actions are performed by one or more individuals strategically using their own
specific competences to achieve a given result. (Common European Framework of Reference, 2001: 9)
1.3.1. Action-oriented tasks
Selon l’approche actionnelle, l’apprenant est donc un acteur social qui doit accomplir
des tâches. Celles-ci ne sont donc pas uniquement langagières ; elles revêtent également une
dimension d’ordre social. Ramené au sein du groupe classe, cela signifie qu’elles sont
intégrées à la réalité sociale que constitue l’existence du groupe. Il s’agit de faire avec les
autres puisque communiquer est conçu comme une façon d’agir avec l’autre. Dans cette
optique, c’est la tâche que l’on met en œuvre qui permet à l’apprenant de développer des
18
compétences qui relèvent du linguistique, du savoir-faire ou du savoir-être. Dès lors, la
séquence d’apprentissage est conçue comme un ensemble de tâches cohérentes qui
s’enchaînent les unes dans les autres suivant un fil conducteur défini par l’enseignant. Le
cours est donc piloté par la tâche. Dans les approches précédentes (y compris l’approche
communicative), le pilotage du cours était plutôt déterminé par les documents. Par ailleurs,
« il n’y a tâche que si l’action est motivée par un objectif ou un besoin, personnel ou suscité
par une situation d’apprentissage, si les élèves perçoivent clairement l’objectif poursuivi et si
cette action donne lieu à un résultat identifiable » (Goullier 2005 : 21). La tâche met donc en
avant le sens, contrairement à l’exercice qui est davantage centré sur la forme (ex.
« Conjuguez les phrases suivantes au prétérit »). Dans l’approche actionnelle telle qu’elle est
pensée en France, l’ensemble des compétences développées au cours de la séquence
pédagogique se trouvent mobilisées en un instant T, au cours de la « tâche finale ». En ce qui
concerne la langue orale et la phonologie, une tâche finale peut par exemple être un sketch
joué à plusieurs (ex. afin de reprendre la prononciation de certains mots et certains schémas
intonatifs) ou un concours de récitation de poèmes caractérisé par une forme de scansion (ex.
afin de reprendre des éléments liés à l’accentuation et au rythme). Les deux activités
proposent bien des résultats identifiables : le sketch est réussi, ou pas, et est joué à destination
du public-classe. En outre, il y a un vainqueur suite au concours de récitation de poèmes.
De telles perspectives actionnelles entraînent un réajustement de ma façon de faire
cours, en multipliant notamment les travaux s’inscrivant dans des dispositifs sociaux
différents et donnant lieu à des résultats identifiables, ce qui favorise une communication plus
authentique. Elles s’avèrent de bonnes sources de motivations pour les apprenants, ce qui
influence durablement mes pratiques pédagogiques, y compris dans certains TD de
phonétique que je fais aujourd’hui. En 2006, j’accepte de former les enseignants du privé sous
contrat de l’Académie de Nantes à l’approche actionnelle et à l’évaluation à partir des
descripteurs du CECRL. L’année suivante, mes fonctions de formateur au sein de l’Académie
de Lyon sont élargies puisque j’interviens dans des formations similaires pour toutes les
langues, tout en étant l’un des deux coordonnateurs académiques pour l’anglais dans le cadre
du « plan de rénovation des langues ». Si les articles écrits pour The New Standpoints (Ref 1,
Ref 2), s’inscrivaient plutôt dans le cadre d’une approche communicative, les activités que je
propose dans Mad for Ads 4 et My Brilliant Career (voir tirés à part) ont une teneur bien plus
actionnelle. Par exemple, je crée pour Mad for Ads 4 quelques tâches actionnelles (et parfois
19
ludiques) telles que the artist (p. 29), causes and consequences (p. 41-42), ou encore the
memory game (p. 43).
La lecture du CECRL me fait aussi prendre conscience de la richesse d’activités
relevant de la médiation, reconnue comme une activité langagière à part entière dans cet
ouvrage mais pas par l’Éducation Nationale (qui en retient cinq : compréhension de l’oral,
compréhension de l’écrit, production orale en continu, production orale en interaction,
production écrite). Est considérée comme activité de médiation toute activité rendant possible
la communication entre deux personnes qui ne peuvent communiquer directement :
Les activités écrites ou orales de médiation permettent […] de produire à l’intention d’un tiers une
(re)formulation accessible d’un texte4 premier auquel ce tiers n’a pas d’abord accès direct. Les activités
langagières de médiation […] tiennent une place considérable dans le fonctionnement langagier
ordinaire de nos sociétés. (CECRL 2001 : 18).
La médiation peut bien sûr relever d’une activité interlangues (traduction ou
interprétation), mais elle peut également être utilisée dans le cadre de tâches au sein d’une
même langue : paraphrase, résumé, reformulation d’un document pour un tiers qui n’y a pas
directement accès. De telles activités occupent effectivement une place importante dans les
échanges de nos sociétés. Elles sont donc le reflet d’actes de communication authentiques et
ont ainsi toute leur place dans le cadre d’un pilotage par la tâche. Bien sûr, le déficit
informationnel crée naturellement le besoin de médiation.
Dans le cadre de mes fonctions de membre du jury de l’agrégation interne (20082011), je constate que l’évolution des pratiques pédagogiques liée à l’adoption d’une
approche actionnelle peut être mal interprétée. En effet, sous prétexte de faire des élèves des
acteurs sociaux, certains candidats négligent le sens qui devrait caractériser tout acte de
communication. Mettre les élèves en groupe et leur demander d’échanger sans être
véritablement ancrés dans une situation d’énonciation, sans raison particulière de
communiquer et sans même de réel contenu à véhiculer ne me paraît pas relever d’une
approche actionnelle puisque celle-ci se caractérise essentiellement par la réalisation de tâches
communicatives au service du sens. À mon sens, il ne faut donc pas que le dispositif social
choisi (travail de groupe, travail en binôme, travail individuel, etc.) se substitue au contenu de
la séquence ou aux objectifs pédagogiques de l’enseignant. Il doit au contraire être un moyen
4
Dans la terminologie du CECRL, le mot texte désigne tout document contenant la langue étudiée. Il peut donc
également s’agir d’un document sonore ou vidéo.
20
par lequel l’accès au contenu et la réalisation des objectifs seront plus efficaces, à travers une
communication qui a du sens, qui véhicule un contenu et qui s’inscrit dans une progression
définie par l’enseignant. C’est le sens du message que je souhaite véhiculer dans les rapports
de jury de didactique de l’agrégation interne (Ref 18), dont j’assure une partie de la
coordination de 2009 à 20115. Je développe cette analyse et les réflexions menées autour de
l’approche actionnelle dans un ouvrage écrit pour le CNED, L'épreuve de didactique à
l'agrégation interne d'anglais : méthodologie (2012a, voir tiré à part).
1.3.2. Temps et objectifs de la phonologie en classe d’anglais
Le plan de rénovation des langues de 2005 est l’origine d’un changement dans les
salles de classe. Au lycée, les activités avaient jusque-là tendance à être essentiellement
centrées sur l’écrit, afin de préparer au baccalauréat, et les enseignants menaient souvent une
« chasse à l’erreur » dans les productions écrites et orales des élèves. Après 2005, on assiste à
un rééquilibrage progressif des activités concernant l’écrit et l’oral et à une volonté de faire
parler les élèves, développant ainsi la fluidité de leur expression en étant parallèlement moins
exigeant sur la correction grammaticale et phonologique. Si l’on suit cette logique, « ce qui
compte est de retenir l’attention des élèves, de les faire participer, de les motiver. Il n’y a pas
de place pour la phonétique dans un tel cadre. Et c’est vrai. Il ne peut être question
d’enseigner la phonétique en et pour elle-même » (Huart 2010 : 6). Dès lors, on pourrait
penser que la correction de la prononciation n’a plus sa place dans les classes du secondaire.
Toutefois, une position aussi extrême n’a que peu de chances de recueillir le soutien d’une
majorité d’enseignants dans la mesure où, « même si l'on considère que seule la
communication compte, il est indispensable de connaître les éléments essentiels de l'anglais
parlé, afin d'apprendre à les percevoir et, le cas échéant, de pouvoir les reproduire » (Diana
2010). D’ailleurs, le ministère juge bon d’expliquer, quelques années après la mise en place
du plan de rénovation des langues :
À l’heure où l’enseignement des langues met en avant la pratique orale des langues vivantes, il est
opportun de rappeler que la langue parlée, avec ses codes propres, est porteuse de sens jusque dans les
plus petites unités de son. C’est pourquoi il est essentiel de sensibiliser les élèves qui apprennent une
langue vivante à toutes les composantes phonologiques qui la caractérisent. En milieu scolaire, il est
important de faciliter l’intégration du système sonore par des exercices appropriés reliant son et sens.
(B.O. spécial n°4 du 29/04/2010).
5
Le rapport de didactique est en fait constitué de conseils et de plusieurs corrigés de sujets différents, raison
pour laquelle il doit être coordonné.
21
Il est possible de résoudre la problématique qui oppose une trop grande correction
phonologique, de nature à inhiber les élèves, à une absence totale de guidage phonologique,
qui pourrait donner lieu à des prononciations fantaisistes. Pour ce faire, il convient de
distinguer les phases du cours qui relèvent de l’acquisition de compétences (skill-getting) de
celles qui relèvent de l’utilisation de compétences (skill-using). Ainsi, au cours d’une phase
d’acquisition de compétence (ex. accentuation lexicale particulière en présence d’un suffixe
contraignant ; utilisation de formes réduites pour les auxiliaires dans le cadre de la modalité
passée), l’accent est mis sur la précision et le degré de correction attendu est élevé, voire
maximal, ce qui entraîne une correction systématique des erreurs. Au contraire, lors d’une
phase d’utilisation de compétence, telle qu’une phase de récapitulatif du cours, l’accent est
plutôt placé sur la fluidité de la langue et une correction absolue n’est alors plus une nécessité,
afin qu’il n’y ait pas d’entraves à la communication. Le professeur est alors en retrait et les
élèves peuvent occuper le devant de la scène. La répétition et l’interaction des phases
d’acquisition et d’utilisation privilégient une meilleure fixation des compétences à long terme,
respectant ainsi le temps de la phonologie en classe. Lors de la journée d’étude de l’ALOES
de 2015, je fais une communication destinée à réconcilier l’approche actionnelle et l’objectif
phonologique du cours d’anglais en présentant les différentes phases - les différents temps d’un cours de terminale dont les objectifs phonologiques portent sur le rythme et le placement
du noyau. Cette communication doit donner lieu à un article soumis pour publication dans Les
cahiers de l’APLIUT, sous la direction de Linda Terrier (Université Toulouse Jean Jaurès).
L’approche actionnelle n’est donc pas incompatible avec la recherche d’une certaine
correction phonologique, dès lors que les différents temps du cours sont respectés et que les
objectifs de l’enseignant sont clairs.
J’ai déjà exposé mes objectifs en ce qui concerne la compréhension de l’anglais et de
toutes les formes que la prononciation de cette langue peut revêtir (cf. section 1.2). Qu’en estil des objectifs phonologiques prioritaires pour la production orale6 ? Si j’ai beaucoup abordé
le suprasegmental dans les sections précédentes, c’est parce qu’un certain nombre de
spécialistes (ex. Kenworthy 1987, Collins & Mees 2003, Diana 2010, Huart 2010, Cruttenden
2014) s’accordent pour reconnaître que les objectifs les plus importants pour les francophones
concernent le rythme, le poids des différentes syllabes, les formes réduites et les formes
pleines, ainsi que les schémas intonatifs de base. Diana (2010) argumente comme suit :
6
Bien sûr, les compétences développées en compréhension ont une influence sur les compétences de production,
et vice versa.
22
Le dénominateur commun aux principaux accents du monde anglophone étant le système accentuel et
rythmique, la première étape consistera à faire prendre conscience du poids différent des syllabes en
anglais selon leur position dans le mot ou dans la phrase. Dans le même temps, il faut faire émerger la
notion fondamentale de « formes réduites » et de « formes pleines » (on peut prendre comme exemples
Japan et Japanese). De manière générale, les phénomènes prosodiques ou suprasegmentaux
(accentuation, rythme et, à un moindre degré, intonation) devraient être valorisés par rapport aux sons
eux-mêmes. Cela ne signifie pas qu'il faut négliger ces derniers, mais trop souvent l'apprentissage de la
phonétique se résume aux sons, rythme et intonation étant passés sous silence.
Aux objectifs déclinés ci-dessus, j’ajouterais les phénomènes de chaîne parlée comme
objectif important pour les étudiants spécialistes et une sensibilisation à ceux-ci pour les non
spécialistes. Cette dichotomie spécialistes / non spécialistes n’est pas entièrement satisfaisante
mais elle me permet de définir des objectifs différenciés en fonction de l’utilisation que
l’apprenant a ou aura de l’anglais, ce qui me paraît primordial. Bien sûr, il convient de définir
des objectifs plus ambitieux, et en cela plus proches de ceux d’un « spécialiste » pour, par
exemple, un élève de terminale souhaitant devenir professeur d’anglais ou pour un étudiant
d’IUT souhaitant se spécialiser dans le commerce international afin de travailler en GrandeBretagne.
En raison de l’existence de profils d’apprenants différents, Cruttenden (2014 : 326345) distingue plusieurs types de prononciations cibles, ainsi que des objectifs correspondant
à chacune d’entre elles :
- un modèle d’accent standard : la RP (qu’il rebaptise General British dans son édition de
2014) pour le modèle britannique et le GA pour le modèle américain ;
- un modèle d’accent standard régional (que d’autres appelleraient par exemple regional RP)
qui incorpore des traits de prononciation régionaux au modèle standard ;
- l’Amalgam English, qui incorpore des caractéristiques d’accents natifs différents et qui est
marqué par une certaine inter-phonologie avec des traces de transferts de la L1 ;
- l’International English, qui comporte le « mélange » typique de l’Amalgam English, mais
qui se caractérise également par une plus grande adaptation à des traits communs à d’autres
langues ; il sert typiquement de lingua franca entre locuteurs non anglophones ayant des
langues maternelles différentes.
Cruttenden (2014 : 326-327) dresse un bref historique des modèles de prononciation
pour les apprenants de l’anglais en tant que L2. Pendant de nombreuses années, seuls les
modèles standard ont servi de référence. Pour lui, de tels modèles continuent d’être pertinents,
23
comme le sont des modèles plus régionaux, dans l’optique d’une communication se faisant
essentiellement avec des locuteurs natifs. En revanche, acquérir une prononciation proche de
celle d’un locuteur natif ne semble que peu réaliste pour la très vaste majorité des apprenants,
qui peuvent certainement viser une prononciation de type Amalgam English et être
parfaitement compréhensibles. L’International English, quant à lui, semble plus adapté à une
communication se faisant majoritairement avec d’autres locuteurs non anglophones. Ainsi, la
référence est en lien avec les phonologies créées par les espaces d’échange des locuteursapprenants.
Jenkins (2000) s’intéresse précisément à l’anglais comme lingua franca (ELF). Elle
définit comme Lingua Franca Core (LFC) certains traits dont elle juge la maîtrise nécessaire
dans l’optique d’une communication internationale efficace. Ainsi, elle juge fondamentales
les oppositions consonantiques (à l’exception de l’opposition /θ/ vs. /ð/) et les oppositions
entre voyelles brèves / relâchées et longues / tendues, ainsi que le placement du noyau dans le
groupe intonatif. Elle considère en revanche comme non pertinents certains objectifs
phonologiques faisant traditionnellement partie intégrante de méthodes d’enseignement de
l’anglais plus traditionnelles. Voici la synthèse des objectifs du LFC (Jenkins 2008 : 201) :
24
Le LFC rencontre un certain nombre de résistances, dont certaines sont parfois
psychologiques. Ballier (2008 : 117) explique ainsi que
[…] la norme, si elle est décidée par les locuteurs non-natifs, majoritaires, tend à s’écarter de l’anglais
standard (travaux de J. Jenkins à Londres pour la phonologie, de B. Steidlhofer à Vienne pour la
grammaire). Les locuteurs natifs se sentent ainsi dépossédés, minoritaires dans leur propre langue,
perçue comme dévalorisée (Broken English).
Certaines critiques du LFC sont toutefois plus fonctionnelles. Trudgill (2008 : 213228) pose la question du choix modèle segmental, et donc de l’inventaire phonémique, à
proposer aux apprenants étrangers. Il admet tout d’abord qu’un inventaire phonémique réduit
serait plus facile à acquérir. De plus, certains accents natifs fonctionnent avec un nombre de
contrastes moindres que les variétés de référence RP et GA, sans que cela ne pose de
problème pour la communication. Ainsi, l’anglais de Tristan da Cunha ne comporte que 19
consonnes (contre 24 pour la RP) ; l’anglais écossais ne comporte que 12 voyelles (contre 20
pour la RP) et certaines variétés africaines de type ESL n’en comportent que 8, voire 6.
Trudgill reconnaît donc les avantages qu’il y aurait pour les apprenants à se donner pour
objectif la maîtrise de tels inventaires phonémiques réduits, comme l’est celui proposé par
25
Jenkins dans le cadre du LFC. Néanmoins, lorsqu’il considère les compétences phonologiques
de l’apprenant dans leur globalité, Trudgill argumente contre une réduction du nombre de
phonèmes à enseigner en raison des problèmes que cela pourrait causer pour la
compréhension. Même s’ils communiquent essentiellement avec d’autres locuteurs non
anglophones, il n’est pas exclus que les locuteurs de type International English soient exposés
à de l’anglais natif, ne serait-ce que par l’intermédiaire des médias. Or, les apprenants ont
besoin de plus d’informations phonologiques que les natifs en raison d’une connaissance
contextuelle moins développée sur les plans linguistique (ce qui réduit leur capacité à
anticiper en raison par exemple de leur moins grande connaissance des effets de fréquence
lexicale) et non linguistique. Dalton et Seidlhofer (1994 : 26) écrivent ainsi :
As native listeners we hear what seems plausible to us in a given context. Moreover, we prefer to hear
words which are frequent and therefore familiar to us. […] Just how much implicit knowledge feeds
into our communication with others becomes evident as soon as we enter a different dialect area […]
The situation is much more taxing, of course, when we are trying to understand a foreign language. […]
Second language learners have often not been able to develop intuitions and expectations about word
frequencies, the likelihood that a word will occur in a situation, or even what counts as a ‘standard
situation’. Non-native speakers make up for their lack of competence in these two respects by being
more analytical. They rely – often exclusively – on acoustic information alone.
Trudgill (2008 : 221) note que les apprenants ont donc besoin d’informations
segmentales pour reconnaître les mots, d’autant qu’ils ont naturellement tendance à réduire les
inventaires phonémiques de l’anglais en raison de leur inter-phonologie7. De plus, il existe
une corrélation entre la précision de la production d’une distinction phonémique et la
précision de la perception de celle-ci. On note une fois de plus que les compétences de
perception et de production se nourrissent en matière de phonologie. Pour ces raisons,
Trudgill se prononce contre une trop grande réduction de l’inventaire phonémique enseigné
aux apprenants, comme cela est le cas avec le LFC.
De tels arguments me semblent particulièrement convaincants. Pour les étudiants
spécialistes, je plaide pour le choix d’un modèle natif, que celui-ci soit un modèle d’accent
standard ou un modèle d’accent standard régional, l’essentiel étant de faire preuve de
cohérence. C’est la raison pour laquelle j’expose les étudiants de LLCER aux modèles de la
RP et du GA dans mes cours de phonologie à l’université. Je les sensibilise néanmoins à des
formes contemporaines de ces variétés, et notamment à la contemporary RP, que je développe
7
Les apprenants français ont par exemple tendance à réduire la distinction
présents dans leur système phonologique.
ɔ/,
26
/ɒ, ɔː, əʊ, aʊ/
au profit des seuls /o,
dans Prononciations du monde anglophone (2013, p. 22-27 ; voir tiré à part). Par exemple, je
n’insiste pas sur la réalisation diphtonguée de la voyelle de CURE, l’évolution de la RP
faisant que ce phonème est de plus en plus fréquemment réalisé [ɔː] (Wells 1982 parle de
CURE – FORCE merger). J’estime que le principe de fixer comme cible un accent cohérent
est important, même si les résultats de l’apprentissage peuvent donner lieu à une forme
d’Amalgam English, les étudiants étant exposés à des modèles variés.
En ce qui concerne les étudiants non spécialistes, la cohérence me paraît moins
importante et l’Amalgam English peut constituer un objectif plus pragmatique et plus
naturellement compatible avec une approche variationniste visant à développer les
compétences de compréhension et avec des étudiants qui n’ont pas des cours de phonologie
chaque semaine.
1.4. De l’action à l’énaction : l’apport du théâtre pour l’authenticité
1.4.1. L’espace, le corps et le sensoriel
J’ai utilisé des références théâtrales dans la section précédente (les élèves et / ou
l’enseignant occupent « le devant de de la scène ») afin d’insister sur l’importance que
revêtent le positionnement du locuteur et son langage corporel dans la qualité de sa
communication, y compris dans la composante phonétique de celle-ci. Plusieurs théories
permettent ainsi de rendre compte de la complémentarité du non linguistique et du
linguistique. Pour Winkin (1981 : 24), « la communication est […] un processus social
permanent intégrant de multiples modes de comportements : la parole, le geste, le regard, la
mimique, l’espace interindividuel, etc. Il ne s’agit pas de faire une opposition entre la
communication verbale et la ‘communication non verbale’. La communication est un tout
intégré ». Joly & O'Kelly (1990 : 26-27) vont dans le même sens : pour eux, il ne peut y avoir
« d'expression sans expressivité ». Ils proposent un schéma de communication qui indique
que le « non verbal » et le verbal possèdent un fonctionnement commun et jouent un rôle
d’égale importance dans la communication. Ils considèrent même que le non verbal est
fondamental, c'est-à-dire « premier », au sens guillaumien du terme. Son travail portant sur
divers aspects du langage et sur la psychanalyse, Fónagy s’intéresse « à l’ensemble de la
chaîne de la communication parlée, de la conception psychique du message à son
interprétation, en passant par les détails de sa production par le locuteur, le signal acoustique
27
produit, et sa perception par l’auditeur » (Vaissière 2012 : 57). Fónagy (1983 : 14) associe
phonétique et expressivité dans un « double encodage ». Il commente ainsi :
Il faudrait admettre [...] deux actes successifs d'encodage : un encodage linguistique qui transforme un
message global, une idée, en une séquence de phonèmes, et un deuxième codage -- qui coïncide
admirablement avec l'acte de mise en sons des phonèmes – au cours duquel le message secondaire,
gestuel, est greffé sur le message primaire.
L’étude du langage corporel en tant que moyen de communication relève de la
kinésique, que Crystal (2003 : 261) définit comme :
A term in semiotics for the systematic use of facial expression and body gesture to communicate
meaning, especially as this relates to the use of language (e.g. when a smile or a frown alters the
interpretation of a sentence).
Fondateur de la kinésique, Birdwhistell (1970) est très marqué par la rigueur
linguistique en raison de sa collaboration avec Trager, ce qui « explique le parallélisme
évident entre le cadre analytique de la linguistique et celui de la kinésique » (Jobert 2003 :
52). La terminologie de Birdwhistell est donc résolument linguistique, même si ce
rapprochement, dont l’auteur admet lui-même les limites, est sujet à controverse (Crystal
2003 : 261). Jobert (2003 : 52) résume ainsi :
[…] on peut dire que le « kine » correspond au phonème, « l’allokine » à l’allophone, le
« kinémorphème » au morphème, la « construction kinémorphique » au mot, les « constructions
kinémorphiques complexes » à la syntaxe et les « kinémorphèmes suprasegmentaux » à l’intonation. On
comprend immédiatement que l’objectif de Birdwhistell est de révéler le langage des gestes dans son
architecture ainsi que dans sa réalisation individuelle. Il a très tôt remarqué que les gestes d’un individu
changeaient en fonction de la langue qu’il utilisait.
Sans entrer forcément dans les différences qui caractérisent le langage corporel en
fonction des langues et des cultures, il me paraît important que les élèves développent un
langage corporel quelque peu spécifique lorsqu’ils parlent anglais8, la représentation de celuici pouvant les aider à se « projeter » plus facilement dans la langue. Par ailleurs, le rapport de
l’énonciateur à l’espace est central dans l’acte d’énonciation, qui « exige qu’on occupe
l’espace et qu’on le fasse signifier, qu’on articule son texte, qu’on le projette, qu’on exécute
un certain nombre de mouvements articulatoires visibles » (Lapaire 2014 : 26). Voici une
forme de phonologie de l’espace : la production phonétique consiste en la projection vers
Cela implique naturellement des considérations liées à la proxémique, qu’il est difficile de développer dans
cette synthèse.
8
28
l’espace extérieur d’une production de l’espace articulatoire interne. Les mouvements du
corps peuvent contribuer à une meilleure projection.
Utiliser le corps comme moyen d’apprentissage peut être au cœur de méthodes
pédagogiques. Au cours de mon expérience de l’enseignement du français dans le Mississippi,
j’ai l’occasion de travailler avec la méthode d’enseignement connue sous le nom de Total
Physical Response (TPR), développée par Asher (1969). J’en reprends d’ailleurs quelques
principes par la suite, lors de mes cours de collège en classe de sixième. Cette méthode,
utilisée par de nombreux enseignants à travers le monde depuis près de 50 ans, présente à mes
yeux des avantages en début d’apprentissage de la langue 2. Elle s’appuie sur des réponses
corporelles qui nécessitent des mouvements et un déplacement dans l’espace de la part des
apprenants, en réponse à un input dans la langue étrangère. À ce titre, elle est essentiellement
efficace dans une perspective de compréhension, ne nécessitant que peu d’expression autre
que corporelle. Asher développe cette méthode suite à l’observation de jeunes enfants au
cours de la période d’apprentissage de leur langue maternelle, en constatant que les
interactions sont souvent caractérisées par une production langagière des parents et une
réponse corporelle des enfants. Les apprenants américains et français avec qui j’ai utilisé cette
méthode déclarent souvent mieux se souvenir des expressions et des instructions vues en
classe car ils y associent un mouvement et une sensation corporelle. La mémoire corporelle
peut ainsi être un avantage pour l’apprentissage des langues, ce qui ne manque pas d’intérêt si
l’on pense au théâtre :
Les expériences [...] demeurent pour toujours gravées dans le corps de l’acteur. Elles se réveilleront en
lui au moment de l’interprétation. Lorsque parfois, plusieurs années après, l’acteur aura un texte à
interpréter ; ce texte fera résonner le corps et y rencontrera une matière riche et disponible à l’émission
expressive. [...] car la nature est notre premier langage. Et le corps se souvient. (Lecoq 1997 : 56)
Je reviendrai plus tard (cf. section 1.5) sur quelques expériences menées dans ce
domaine, mais il est évident qu’un travail portant sur le multi-sensoriel est de nature à
améliorer les performances des apprenants. À ce titre, Herment (2018) note que la
visualisation peut aider les apprenants francophones du secondaire à améliorer leur prosodie
en anglais. À partir d’outils comme le logiciel de traitement de la parole PRAAT, le logiciel
d'annotation automatique SPPAS et le corpus d'apprenants AixOx, elle propose des exemples
d’applications pédagogiques allant dans ce sens. Dans un autre domaine, la méthode
d’enseignement Silent Way permet de mettre en œuvre un apprentissage de la prononciation
qui repose sur le silence de l’enseignant et sur des stimuli visuels pour les apprenants.
29
Travailler sur le multi-sensoriel peut être fructueux car il existe trois styles d'apprenants : ceux
qui sont principalement visuels, auditifs ou kinesthésiques (Teasdale 2004). Il est donc
nécessaire pour les élèves d’avoir des stimuli de natures différentes, y compris de nature
kinesthésique.
1.4.2. L’apport des techniques théâtrales
Une description des différents projets et des différentes activités menés dans le cadre
des ateliers théâtre dont j’ai été responsable n’ont pas vraiment leur place dans le cadre de
cette synthèse. Néanmoins, je souhaiterais brièvement aborder les projets internationaux
menés respectivement dans le cadre d’un projet européen Comenius pour le lycée Albert
Thomas de Roanne et d’un projet Erasmus pour l’IUT de Roanne. Le projet Comenius
Families Live on Stage (2009-2011) réunit le lycée Albert Thomas de Roanne, le lycée
Besikdüzü Anadolu Ögretmen Lisesi de Besikdüzü (Turquie, province de Trabzon) et le lycée
Maria - Wächtler Gymnasium de Essen (Allemagne). L’objectif est de produire des spectacles
de théâtre multiculturels et plurilingues représentant diverses facettes de l’identité et de la
culture des partenaires, permettant ainsi aux élèves d’élargir leur perspective sur eux-mêmes
et sur le concept d’altérité en Europe, tout en développant des compétences
organisationnelles, linguistiques, culturelles et artistiques. Le thème traité est celui de la
famille moderne et traditionnelle dans les pays concernés, en mettant l’accent sur le
changement au sein de la famille et de ses problématiques, ce qui peut mener à une réflexion à
long terme sur mode du fonctionnement familial et sur la manière qu’ont les élèves
d’envisager leur propre rapport à la famille, tout en développant une forme de tolérance vis-àvis de cultures différentes. L’approche choisie est empirique et concrète : les élèves doivent
puiser dans des données culturelles européennes (films, littérature…), pour improviser sur le
thème de la famille européenne. À partir des idées, des situations, des contextes surgis au
cours de cette phase d’improvisation, ils écrivent, puis jouent, une pièce avec l’aide d’un
metteur en scène et des professeurs responsables de l’atelier théâtre (qui jouent notamment un
rôle important au niveau linguistique). Le projet débute par une longue phase de travail
nationale, puis évolue pour donner naissance à un spectacle international au cours des
périodes d’échange (trois fois dix jours, en France, en Turquie et finalement en Allemagne).
Ce dernier spectacle est la synthèse des trois spectacles « nationaux » et doit être
quadrilingue, en français, turc, allemand et anglais (la langue d’échange du groupe qui occupe
la majorité du temps de parole).
30
Le projet Erasmus auquel je participe ensuite est intitulé Effective communication in
multicultural teams (2011-2014). Il réunit l’IUT de Roanne et des universités d’Autriche,
d’Allemagne, d’Estonie, de Finlande et de République Tchèque. La langue de communication
du groupe est l’anglais. Toutes les activités pédagogiques, les réunions et les autres séances de
travail sont menées en anglais, ce qui permet aux étudiants de développer leurs compétences
linguistiques, en même temps que des compétences professionnelles et culturelles. Trois
stages intensifs de 10 jours ont lieu en France, en Autriche puis en Finlande. Voici un bref
descriptif de ce programme Erasmus, tiré du document officiel rédigé pour le Conseil de
l’Europe :
The Intensive Programme “Effective communication in multicultural teams” is aimed at providing a
hands-on experience over a ten-day period to enable students, professors and practitioners from
different countries to work together, develop and reflect on the necessary skills and strategies to achieve
effective intercultural communication. Important issues, such as group dynamics, verbal and nonverbal
communication, negotiating, meeting and presentation skills, cultural dimensions and European identity
and diversity will be addressed.
In line with the objectives of the Lifelong Learning Programme, the IP course aims at recognising and
acknowledging students’ prior learning and encouraging students to evaluate their own competences
and development.
Through case studies and process drama, students will put into practice the knowledge they have
gathered with the support of pedagogic and professional inputs and guidelines, which will enable them
to further develop their intercultural communication skills. Towards the end of the ten-day programme,
each team will create an artful representation of their concept of European identity.
Au cours de ces stages intensifs, je suis principalement responsable des ateliers
théâtre, au cours desquels nous travaillons beaucoup l’expression corporelle et la projection
de la voix pour améliorer la prise de parole en anglais. Ces ateliers sont aussi l’occasion de
découvrir le process drama grâce à une collègue tchèque. En voici un descriptif, tiré du
rapport d’activité du stage intensif de Salzbourg.
Process drama was created in the 1990’s for educational purposes. It is used to explore a problem, a
theme or a series of themes and ideas by using unscripted drama (O’Neill 1995). The aim is not to
create a play but to analyze the situation from different perspectives by using various drama techniques.
It is a form of experiential learning where learning takes place through personal experience.
Consequently, reflection, in the form of group discussions or learning diaries, is an essential part of the
learning process (Kolb 1984).
Process drama provides the students with opportunities to practice communication in different roles in a
safe environment. Learning of this kind is often found more relevant, effective and motivating. It
emphasizes the role of the students as they determine the outcome (Mäkinen 2002).
Ces expériences internationales, à l’instar des expériences menées en France dans le
cadre d’ateliers théâtre en anglais me confortent dans certaines convictions dans la mesure où
le théâtre, le jeu d’acteur et l’utilisation du corps pour mieux s’exprimer contribuent
31
indéniablement à une meilleure expression en anglais, et notamment à des performances bien
plus abouties au niveau de la prononciation des apprenants. Cette « plus-value théâtrale » peut
être en partie expliquée par les travaux de Constantin Stanislavski (ex. 1936, 1938),
comédien, metteur en scène, professeur d’art dramatique et auteur9. Stanislavski s’inscrit en
faux contre les méthodes traditionnelles, dans lesquelles l'acteur se contente de jouer de façon
mécanique pour se conformer au script ou à la volonté du metteur en scène. Il estime au
contraire que l'acteur se doit de s'élever au niveau de son personnage en se plongeant dans ce
qu’il appelle sa « mémoire affective » et en créant son personnage par une forme
d’intériorisation et en utilisant son intuition, de façon à produire ensuite une performance
émotionnelle et sincère.
Imprégné par ce personnage qu'il assimile à un être vivant, informé par surcroît de tous les antécédents
de son évolution et de son action dans la pièce, le comédien est amené à interpréter sa vie et ses
sentiments en les rapportant à sa propre personne. Il vit alors en quelque sorte son rôle sur la scène,
comme s'il n'avait plus d'existence propre, état que Stanislavski appelle ‘la solitude en public’, et que les
Américains connaissent sous le nom de private moment.
(https://www.universalis.fr/encyclopedie/stanislavski/2-une-methode-originale/)
Stanislavski développe sa méthode à partir des efforts menés pour lever les obstacles
dans son propre jeu d’acteur. Une partie importante de son approche est consacrée à
l’appréhension du rôle par les actions physiques. En effet, en constatant qu’un excès de
lecture et d’échanges verbaux sur la pièce et ses personnages contribue souvent à inhiber les
acteurs, Stanislavski encourage une « analyse active » de la pièce, dans laquelle les acteurs
improvisent des actions et des mouvements à partir de situations. D’après lui, l’acteur pourra
plus facilement générer des émotions authentiques par l’intermédiaire de telles actions et
mouvements. On voit à nouveau l’importance du corps dans la justesse de l’expression
théâtrale et on peut aisément en imaginer les implications didactiques. Intériorisation et
action sont les maîtres mots : « ‘la vie éprouvée’ et ‘l’incarnation scénique’ forment les deux
axes de la méthode [de Stanislavski] » (Poliakov 2015). En ce qui concerne la prononciation
de l’acteur, des exercices mécaniques ne sauraient non plus être satisfaisants pour
Stanislavski ; le kinesthésique et le sensoriel doivent également jouer un rôle. En effet, « le
travail de perfectionnement de la phonétique de la parole ne peut se contenter d’exercices
mécaniques de l’appareil verbal. Il vise l’apprentissage par l’acteur de la sensation de chaque
son isolé qui compose le mot, comme instrument d’expressivité artistique » (Poliakov 2015 :
45).
9
Son enseignement fondé sur la mémoire affective et le vécu propre des acteurs a notamment influencé le
célèbre cours new-yorkais de théâtre de l’Actors Studio.
32
S’il n’est peu vraisemblable que tous les apprenants soient disposés à utiliser, fût-ce
ponctuellement au cours de leur apprentissage de l’anglais, une méthode authentique comme
celle de Stanislavski, celle-ci peut néanmoins être un moyen de lever ce que j’appelle « le
paradoxe de l’authenticité en langue étrangère ». Pour améliorer sa production orale,
notamment du point de vue phonologique en se démarquant quelque peu de l’influence de sa
langue maternelle, il faut accepter « d’être autre », donc de jouer un rôle, ce qui peut poser le
problème de ne plus être soi-même, d’où les résistances de certains apprenants. D’un autre
côté, la pratique théâtrale peut aussi être une aide psychologique pour certains. Le fait de
parler une langue étrangère, a fortiori devant un groupe, crée souvent un sentiment
d'insécurité chez certains apprenants... sauf peut-être s'il est admis dès le départ que les
individus qui parlent ne sont pas vraiment eux-mêmes, c'est-à-dire s'ils jouent un rôle.
Leclercq et Pigearias (1990 : 230) écrivent que « des élèves timides s'expriment parfois
davantage en jouant des rôles, car ils n'assument pas la responsabilité des idées qu'ils doivent
développer ». Aden (2016 : 108) note que « l’utilisation d’activités théâtrales en classe va de
pair avec une désinhibition émotionnelle et corporelle des apprenants ». Rivers (1984 : 11-12)
insiste sur l'apport de la théâtralisation au niveau psychologique en lien avec la performance
phonétique des apprenants :
In identifying with a role, students approximate the pronunciation one would expect from a certain
character without the psychological trauma of appearing to be other than one's accustomed self.
En outre, l’interprétation théâtrale permet une forme d’accès au sens et de transmission
de celui-ci, ce qui peut libérer l’expression, ainsi que l’écrit Lapaire (2014 : 27) :
Livrer une interprétation scénique et sociale du sens, donner une représentation dramatique et
symbolique de l’expérience : voilà le jeu qui fonde et organise la parole. En apprenant à observer et à
rejouer ce jeu, le professeur de langue peut faire sauter les invisibles chaînes nouées autour du corps.
Les techniques théâtrales en classe de langue ne sont pas forcément synonymes de
création artistique. Bégot-Pronchéry, Gonin & Pignolet (1994 : 14) recommandent par
exemple l’utilisation du play-way (sorte de jeu dramatique), qui « n’a pas pour but d’exprimer
une œuvre d’art à travers la personnalité d’un interprète. Il ne vise qu’à l’utilisation du jeu en
tant que moyen pédagogique et technique culturelle : traduire des sentiments et des sensations
par des attitudes, des gestes ou des jeux de physionomie ». Au niveau supérieur, la pièce de
théâtre en langue étrangère peut être vue comme un projet final parfait dans le cadre de
l’approche actionnelle car elle intègre tous les participants dans un dispositif social clairement
défini, faisant d’eux des acteurs sociaux à part entière. En même temps, elle donne lieu à un
33
résultat identifiable, elle est centrée sur le sens et elle permet de remobiliser les compétences
linguistiques et pragmatiques développées en amont. Ainsi, l’apprenant devient véritablement
« acteur » de son apprentissage. Cependant, la pièce de théâtre dépasse le cadre de l’action ;
elle participe d’une forme d’énaction.
1.4.3. L’énaction
Lapaire (2014) plaide pour le développement des « potentialités du corps dans l’étude
et la pratique de la langue », en lien avec le cognitif. Il argumente dans le sens de
[…] l’intérêt qu’il y a de rendre au corps en mouvement la place qui est la sienne dans la coarticulation
verbo-gestuelle des formes orales. L’apprenant, dont la première « posture d’apprentissage » est celle
que prend son propre corps en salle de classe, doit percevoir que tout sujet parlant est un interprète
vivant et donc mouvant de l’expérience, engagé dans des actes de symbolisation dynamiques. Ces actes
sont joués sur la scène interlocutive, avec des degrés de conscience, de théâtralité et d’énergie variables,
mais ils sont toujours joués. Notre conviction est qu’il est non seulement souhaitable de prendre
conscience de ce jeu quand on étudie une langue vivante mais surtout bénéfique d’en rejouer certaines
scènes. Travailler les mouvements et les expressions du corps parlant en langue étrangère peut aussi
être l’occasion d’éduquer le corps apprenant, figé ou agité en cours, afin d’en développer les ressources
cognitives et sensori-motrices. (Lapaire 2014 : 25)
Une telle approche relève de l'énaction, un concept introduit par les biologistes
chiliens Francisco Varela et Humberto Maturana, qui se définit comme suit :
La cognition, loin d’être la représentation d’un monde prédonné, est l’avènement conjoint d’un monde
et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde. (Varela et al
1993 : 35).
Dans ce modèle, la cognition est donc en partie liée à l'émergence de l'expérience qui
est créée par les actions individuelles, mais aussi les interactions entre individus. Il s’ensuit
que l’énaction attribue au langage un rôle et un fonctionnement qui sont à la fois biologiques
et cognitifs, mais aussi sociaux.
Je souhaiterais brièvement résumer quelques travaux portant sur l’apprentissage de
l’anglais à partir d’approches énactives. Dans La grammaire anglaise en mouvement, Lapaire
(2006) propose un DVD qui aborde 14 points de terminologie et 35 questions de grammaire à
l’aide de postures et de mouvements exécutés par des danseurs professionnels, créant ainsi
des concepts à la fois visuels et kinesthésiques qui visent à développer des représentations
grammaticales chez les apprenants. Plus récemment, Lapaire (2014) mène quelques
expériences avec des collégiens et des étudiants non spécialistes à Bordeaux en leur
34
fournissant « les appuis gestuels dont ils [ont] besoin pour engager le corps dans le
questionnement » (2014 : 28). L’objectif linguistique est donc lié à la maîtrise opératoire du
questionnement en anglais (aspects grammaticaux et, surtout, phonologiques). Les résultats
sont convaincants dans la mesure où « les étudiants sont parvenus à une qualité d’articulation
et une authenticité remarquables tandis que les collégiens ont réussi à transférer certaines
postures et principes de coarticulation phonogestuelle de l’interrogation dans les scènes
d’interrogatoire policier qu’ils ont écrites puis jouées en anglais » (29). Le concept de
« coarticulation phonogestuelle » me paraît particulièrement intéressant dans une perspective
de développement des compétences phonologiques par les techniques théâtrales. Il rejoint un
certain nombre d’observations que j’ai pu mener de façon empirique dans les ateliers théâtre
ou à travers l’utilisation du théâtre en classe.
Dans sa thèse, Soulaine (2013) propose une étude sur « les effets du geste sur
l'apprentissage du rythme en anglais » qui s'appuie sur une approche énactive. À partir
d’expériences menées au collège, il montre qu’une approche corporelle est de nature à
faciliter l'apprentissage du rythme de l'anglais oral. Cet « apprentissage corporel » s’appuie
sur le geste comme point d'appui à la maîtrise des phénomènes liés à l’alternance des formes
pleines et réduites, au groupe rythmique, à l'intensité et à la hauteur. La démarche didactique
de Soulaine s’appuie aussi sur l'expression dramatique. Par la suite, il poursuit ses travaux en
montrant les effets positifs des gestes sur l’apprentissage des schémas intonatifs chez des
apprenants du secondaire et du supérieur (Soulaine 2015).
Pour Aden (2013 : 101-102), le théâtre est la manifestation la plus aboutie d’une
approche -énactive de l’enseignement des langues, ceci parce que :
Penser le théâtre dans l’apprentissage d’une ou des langues, c’est d’abord remettre les langues au cœur
du langage et de l’expérience conjointe, et c’est précisément ce qui relie langues et théâtre dans une
conception énactive du langage. H. R. Maturana et F. Varela (1994) décrivent le langage comme l’outil
d’organisation de l’interaction sociale. Pour ces chercheurs, communiquer c’est co-construire un monde
commun par l’action conjointe d’organismes autopoïétiques (qui s’autoproduisent dans l’interaction).
[…]
[L’] expression théâtrale réconcilie toutes les formes de langage en remontant à la source de nos
expériences sensorielles que cette forme artistique nous permet de revivre au travers de langues
différentes dans une conception varelienne de la communication.
Outre le fait qu’elle justifie sur le plan théorique un certain nombre de constatations
que j’ai pu faire de façon empirique en associant théâtre et anglais oral, l’énaction me paraît
fournir un cadre théorique fructueux pour continuer à développer un modèle de phonologie
sociocognitif sur lequel je travaille depuis quelques années (et que je développe en détail dans
35
la section 3.3). Si l’enactivisme est en lien direct avec la cognition, il se différencie du
cognitivisme par la participation active du sujet à l’émergence du sens et par une cognition en
partie incarnée. Barnabé (2015 : 1-2) explique en effet que le cognitivisme « renvoie à une
conception spectatorielle du langage » alors que « l’enactivisme en revanche, propose une
théorie actantielle du langage où l’émergence du sens et des faits de conscience du sujet
parlant est issue de coordinations corporelles incarnées, verbales et non verbales ».
36
DEUXIÈME PARTIE
Phonologie & phonétique :
variations et changements
37
2.1. Démarche de reprise d’études et auto-formation en phonétique et phonologie
Mon désir d’approfondir mes connaissances dans le domaine de la phonétique et de la
phonologie de l’anglais est au cœur de la démarche qui consiste à reprendre mes études en
2009, avec un master 2 en recherche à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. En
parallèle, ma participation au jury de l’agrégation interne confirme l’envie de continuer à
former des enseignants, mais en évoluant vers des formations davantage disciplinaires et
linguistiques que didactiques. Lors des épreuves orales du concours, je remarque en effet,
lorsque je passe du jury de didactique à celui de l’épreuve sur programme, que les candidats
ont souvent du mal à appréhender des accents autres que ceux de la RP ou du GA lors de
l’épreuve de compréhension - restitution. Cela confirme l’impression que j’avais eue en tant
que formateur lors des séances portant sur la compréhension auditive et l’expression orale.
Les enregistrements utilisés comme supports proposaient des accents différents et j’avais ainsi
pu constater un manque de connaissance des variétés d’anglais chez la plupart des enseignants
francophones, la majorité distinguant mal un accent australien d’un accent anglais, par
exemple. À une époque où l’anglais n’a jamais été aussi présent et varié à l’échelle de la
planète10, la recherche dans le domaine des variétés de l’anglais me semble importante, de
même que cette diffusion en direction de publics d’enseignants. Pour mon projet de mémoire
de master 2, j’aborde donc la vaste question des variétés de l’anglais. Si j’hésite un instant à
travailler sur cette question dans une perspective de traduction orale11, mon choix porte
rapidement sur ma première passion : celle de la phonologie.
2.1.1. L’examen de l’Association Phonétique Internationale
Néanmoins, pour pouvoir aborder la variation en matière de prononciation, il paraît
nécessaire de maîtriser les fondamentaux de la phonétique et de la phonologie. Dans cette
optique, je consacre une grande partie des années 2009 et 2010 à de l’autoformation, en lisant
et travaillant sur de nombreux ouvrages de référence de phonétique et phonologie de l’anglais
(ex. Ashby 2005, Cruttenden 2008, Handke 2001, Roach 2009). Je travaille également sur les
J’expose cet aspect de la diversité de l’anglais dans le quatrième chapitre de l’ouvrage Variations et
changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales, consultable dans
la troisième partie de ce dossier de synthèse, sous la forme d’un tiré à part.
11
Cet intérêt pour la recherche en traduction et son lien avec les variétés de l’anglais vient principalement de
mon expérience d’interprète lors de la coupe du monde de rugby 2007 (cf. section 1.2). Cette expérience
confirme mon intérêt pour la variation phonético-phonologique et pour les difficultés pratiques que celle-ci peut
constituer.
10
38
épreuves de phonologie de l’agrégation externe par l’intermédiaire des rapports de jury et
d’ouvrages de préparation (ex. Jobert 2009, Jobert & Mandon-Hunter 2009). Enfin, j’étudie
bien sûr des ouvrages abordant les variétés de l’anglais (ex. Burridge & Kortmann 2008,
Chevillet 1991, Kortmann & Upton 2008, Mesthrie 2008, Schneider 2008, Trudgill & Hannah
2008, Wells 1982). Je mène aussi un entraînement systématique dans le but de passer
l’examen de l’Association Phonétique Internationale, le Certificate of Proficiency in the
Phonetics of English, que je réussis à University College London (UCL) en août 2010. Ashby
(2013 : 2) présente cet examen et son importance comme suit :
While the examination has changed very little in content and structure, training and practice in practical
phonetic skills is rapidly disappearing in both post- and undergraduate courses. Numbers taking the
examination are dwindling. Nonetheless, the award is still coveted and holding the award is a badge of
phonetic ability. For some employers in both the public and private sectors, it has become a required
qualification (in the BBC Pronunciation Unit, for example, and an increasing number of private
language colleges). And even if not a formal requirement, it is a qualification that can make all the
difference, distinguishing otherwise equal applicants for speech-related jobs. The award is sought today
not only by language teachers but by accent coaches, speech and language therapists, educational
psychologists, actors, singers, and many others, and is appropriate for both native and non-native
speakers.
Cet examen n’est pas très connu en France et je souhaiterais en décrire les grandes
lignes à ce titre. Il est composé de quatre parties, passées au cours de la même journée et
comportant chacune plusieurs questions. La première partie est un examen écrit (written
theory paper) qui commence par la transcription en Alphabet Phonétique International (API)
d’un texte écrit (de 100 à 120 mots) dont les caractéristiques stylistiques sont aussi proches
que possible de celles d’un discours oral de type spontané. Si la transcription de la plupart des
mots lexicaux est apparentée à une transcription phonologique / phonémique, il convient
toutefois de rendre compte des principaux phénomènes de chaîne parlée (assimilation, élision,
etc.) et des formes faibles des mots grammaticaux. Les candidats peuvent choisir entre une
transcription en RP, en GA, ou dans tout accent de leur choix, à condition d’en préciser les
caractéristiques principales s’il s’agit d’un accent un peu moins connu.
Dans la deuxième question écrite, les candidats doivent donner des descriptions
articulatoires de quelques mots ou expressions. Cet exercice présente de nombreux intérêts, y
compris celui de pouvoir aborder la variation, ne serait-ce que de façon marginale :
Unfortunately, articulatory description (a widely taught and practiced skill in years gone by) is much
less widely taught today. Nonetheless, this still has value, homing in as it does on both the general
phonetic detail of the segments involved and on English pronunciation habits, and most importantly on
the understanding of coarticulation. Additionally, there is often scope for phonological variation (as in
39
in case you, where /- ju/ can become /-ʃju/ or even /-ʃu/) […] The question also provides an opportunity
for demonstrating the ability to produce more detailed phonetic transcription of the language and to
draw and label diagrams (the parametric representation of velum and vocal-fold action, a vowel
diagram, and an appropriate vocal tract drawing which will ideally also exemplify coarticulation).
(Ashby 2013 : 2)
Dans ma thèse de doctorat (2013), j’exploite ce type de descriptions articulatoires pour
rendre compte, pour un certain nombre de mots référence, du passage de formes
traditionnelles non palatalisées (description 1) à des formes plus contemporaines
et
palatalisées (description 2). Les deux descriptions associées à chaque mot m’aident à formuler
pour chacun d’entre eux une brève conclusion sur le relâchement articulatoire qui caractérise
le passage de la forme traditionnelle à la variante palatalisés. Voici un exemple (pp. 170-172),
dans lequel ce principe est associé au mot tune :
Tune : forme non palatalisée [ˈ]
La pointe de la langue entre en contact avec les alvéoles, provoquant ainsi une occlusion dans
la cavité orale. Le voile du palais se relève de façon à fermer l’accès de l’air à la cavité nasale et à
l’orienter vers la cavité orale. Les poumons sont comprimés et l’air s’accumule dans la cavité orale
(phase de compression). L’occlusion est relâchée et l’air accumulé lors de la phase de compression
s’échappe, provoquant ainsi une plosion sourde de type [t]. La langue se rétracte ensuite pour adopter
une position d’approximation au niveau du palais dur. Pendant ce temps, les lèvres s’arrondissent en
anticipation de la voyelle postérieure arrondie []. Suite au rapide relâchement de l’occlusion, l’air
s’échappe brusquement lors du mouvement de la langue vers le palais dur, ce qui entraîne le retard du
processus de phonation de la glissée [j]. Les cordes vocales se referment et se mettent à vibrer,
provoquant ainsi le voisement de la deuxième partie du [j]. Dans le même temps, la langue glisse du
palais en direction de l’articulation de la voyelle postérieure fermée, les cordes vocales continuent à
vibrer et un son de type [] est audible. Le voile du palais se rabaisse, ce qui permet à l’air de
s’échapper par la cavité nasale. La langue entre ensuite en contact avec les alvéoles, provoquant ainsi
une obstruction à l’avant de la bouche. Un son nasal de type [n] se fait entendre.
Les cordes vocales cessent de vibrer, le voile du palais reste en position basse et les
articulateurs adoptent à nouveau une position de repos.
Tune : forme palatalisée [ˈ]
La pointe et le plat de la langue entrent en contact avec la zone palato-alvéolaire, provoquant
ainsi une occlusion dans la cavité orale. Simultanément, le dos de la langue se rapproche du palais par
anticipation de la brève friction à venir. Le voile du palais se relève de façon à fermer l’accès de l’air à
la cavité nasale et à l’orienter vers la cavité orale. Les poumons sont comprimés et l’air s’accumule
dans la cavité orale (phase de compression). L’occlusion est relâchée de façon relativement lente (ce qui
permet une plus grande friction que lors du passage de [t] à [j]) et l’air accumulé lors de la phase de
compression s’échappe, provoquant ainsi une plosion audible de type [t], immédiatement suivie d’une
friction sourde de type [] (plus brève que la friction d’une non-affriquée de type []). Pendant ce temps,
les lèvres s’arrondissent en anticipation de la voyelle postérieure arrondie [] puis la langue se rétracte
en direction de l’articulation de cette voyelle. Les cordes vocales se mettent à vibrer et un son de type
[] est audible. Le voile du palais se rabaisse, ce qui permet à l’air de s’échapper par la cavité nasale.
La langue vient alors en contact avec les alvéoles, provoquant ainsi une obstruction à l’avant de la
bouche. Un son nasal de type [n] se fait entendre.
Les cordes vocales cessent de vibrer, le voile du palais reste en position basse et les
articulateurs adoptent à nouveau une position de repos.
40
Tune : quel relâchement articulatoire12 ?
Le [t] est palato-alvéolaire (ou peut-être post-alvéolaire, en fonction du locuteur), plutôt
qu’alvéolaire ; il est donc légèrement moins antérieur que lors de la production d’un [t] simple (ne
faisant pas partie d’une affriquée). Le [t] et le [] sont donc homorganiques dans l’affriquée [ce qui
contribue bien à réduire l’effort articulatoire : on passe de deux points d’articulation à un seul. Par
ailleurs, il y a également assimilation du mode d’articulation puisque l’on passe d’une plosive combinée
à une approximante à une seule affriquée. La simplification articulatoire prend donc deux formes : point
et mode d’articulation.
L’examen écrit de l’API se termine par deux questions qui amènent des réponses
argumentées (general essay questions). En général, l’une des questions porte sur la théorie
phonétique et sur le niveau segmental tandis que l’autre est liée à des considérations plus
phonologiques et aborde le suprasegmental.
La deuxième partie de l’examen est destinée à tester l’oreille des candidats (eartraining dictation test) en simulant un travail de terrain de nature phonétique (Ashby 2013 :
3). Elle commence par la dictée d’un texte de 100 à 150 mots en anglais, dans un accent
britannique non régional. Les candidats doivent écrire une transcription dans l’accent proposé,
qui inclut les accents lexicaux et l’identification des frontières entre les groupes intonatifs. Le
texte comporte des éléments supposés inconnus (tels que des toponymes peu connus), ainsi
que des processus de contraction « extrême » et d’assimilations peu courantes. L’exemple
suivant, tiré de la session 2012, est donné par Ashby (2013 : 3) :
The following example from the August 2012 examination is typical, including the American place
names Poughkeepsie and Ashtabula, as well as both incorrect and correct pronunciations of the British
Wymondham, contraction of for + example, assimilation of [m] to alveolar in sometimes, and r-liaison
after fibula (all highlighted):
1. /ˈlʌndənəz | ə ˈjuːs tə hɪərɪŋ ˈəʊvəsiːz ˈvɪzɪtəz |
2. ˈstrʌɡlɪŋ wɪð wɒʔ tu ˈʌs | ə ˈveri fəˈmɪljə ˈpleɪs
neɪmz ||
3. ˈlestə frɪɡˈzɑːmpl | ɔː ˈɡlɒstə ||
4. ˈsʌntaɪmz ˈðəʊ | ɪts wiː ˈbrɪts hu ə kɔːt ˈaʊt ||
5. teɪk əˈmerɪkən ˈneɪmz laɪk pəˈkɪpsi ||
6. əm ˈwɒt əbaʊt ði ˈɪrəkwɔɪ ˈrɪvər əv meni ˈfɪʃɪz|
æʃtəˈbjuːlə ||
7. ɡɪvən ˈæntipenˈʌltimət ˈstres | ɪn ˈnebjulə |
ˈfɪbjələr ͡| ən ˈtæbjəleɪt |
8. wi ˈmaɪt ɪkspek tə ˈfaɪn ðə stres ɒn ˈtæb ||
9. ˈiːvən hɪər ɪn ˈnɔːfək ðəʊ | ðə ˈpleɪs ðəʔ lʊks
laɪk ˈwaɪməndhæm |
10. ɔː waɪˈmɒndəmz ͡| ˈækʃli ˈwɪndəm
L’exercice suivant consiste en la dictée de logatomes polysyllabiques. Les candidats
12
Par relâchement, j’entends ici une moins grande tension musculaire des muscles de la langue.
41
sont amenés à utiliser dans leur transcription les voyelles cardinales, ainsi que toutes les
consonnes de l’API. L’exercice simule ainsi un travail de terrain pouvant être mené auprès de
locuteurs dont l’enquêteur ne maîtrise pas très bien la langue. Dans les exemples ci-dessous,
tirés de la session 2012, on peut noter l’utilisation du /s/ rétroflexe [ʂ], du /l/ fricatif latéral [ɬ],
du flapped /r/ (la battue alvéolaire voisée [ɾ]), de la fricative bilabiale [β], d’un /t/ éjectif [tʼ],
de l’occlusive palatale [c], d’un /r/ dévoisé [r̥ ], d’une affriquée alvéo-palatale [t͡ɕ], de la
voyelle postérieure fermée non arrondie [ɯ], du /r/ fricatif uvulaire [ʁ], de la nasale palatale
[ɲ], de la fricative vélaire [ɣ], ainsi que de consonnes non pulmonaires au sein de doubles
articulations : l’alvéolaire latérale [ǁ] et la postalvéolaire [!]).
1.
2.
3.
4.
5.
6.
[ʂoɬaɱfɛɾu]
[ n ͡tʃ i β ɔ ɡ ʒ]
[ tʼ e p l ɑ̃ c o ʔ]
[ x r̥ a ͡tɕ i k ]
[ ɡ͡ǁ ɯ ʋ ɔ k͡ǃ e ]
[ θ y ʁ ɛɑ ɲ oe ɣ]
Les autres épreuves sont consacrées à un oral individuel pour chaque candidat, en
présence de deux examinateurs. Dans un premier temps, le candidat doit lire à partir de
transcriptions en API qui n’indiquent aucune frontière intonative (reading from transcription).
Après un temps de préparation, il s’agit tout d’abord de lire un texte anglais transcrit en API.
L’évaluation porte sur la justesse phonétique et sur la fluidité de la lecture. Puis, le candidat
doit lire à voix haute, sans préparation au préalable, des phonèmes et des courtes séquences de
phonèmes dont certains n’appartiennent pas au système de l’anglais.
Ex. [ɑ̃] ; [ɯ] ; [ɔe] ; [ɑɥɑ] (avec une approximante labiale-palatale voisée) ; [ɑxɑ] (avec une
fricative vélaire) ; [ɑɓɑ] (avec une injective bilabiale voisée) ; [ɛ]̃ ; [y] ; [eɔ] ; [ɑɰɑ] (avec une
approximante vélaire) ; [ɑɬɑ] ; [ɑtʼɑ]).
Les examinateurs lisent ensuite des mots anglais en substituant volontairement un
phonème à un autre (sorte « d’erreur volontaire »). Par exemple, ils peuvent prononcer le mot
fighting avec [k] ou [ð] à la place de [t]. Le candidat doit identifier le phonème erroné en
termes de lieu et mode d’articulation et de l’opposition voisement / non-voisement. Il doit
ensuite donner le phonème adéquat avec les mêmes caractéristiques articulatoires (lieux,
mode, voix).
Le dernier exercice de l’examen de l’API porte sur l’intonation de l’anglais. Le
candidat doit tout d’abord lire à voix haute quatre unités intonatives comportant les mêmes
42
mots mais quatre schémas intonatifs différents, avec changement de noyau et de ton. Voici un
nouvel exemple tiré de la session 2012 ; on peut y noter l’utilisation d’une chute supérieure
(high fall), d’une montée inférieure (low rise), ainsi que de deux tons circonflexes (fall-rise) :
1. please \ call me ||
2. please call V me :||
3. please / call me ||
4. V please call me ||
Le candidat doit enfin lire à quatre reprise et à l’identique une unité intonative (ex. he
offered to buy me a new one). À partir de cette lecture, il doit ensuite décrire le choix du
noyau, le ton utilisé, l’avant-tête et la queue.
La préparation de cet examen constitue un excellent moyen de se former à divers
aspects de la phonétique et de la phonologie. En complément des lectures entreprises et de ma
formation universitaire française, elle me donne les outils fondamentaux de l’école
britannique, me permettant d’aborder les principaux enjeux de la phonétique et de la
phonologie de l’anglais, voire d’autres langues. L’esprit de l’examen de l’API a également eu
une influence sur ma façon d’aborder les cours de phonétique à l’Université Jean Monnet de
Saint-Étienne, et notamment sur l’importance des phénomènes de chaîne parlée dans la
compréhension auditive et dans la production orale en anglais. Dans les différents rapports sur
la langue orale que les présidents de jury du CAPES et de l’agrégation externe spéciale
docteurs me demandent de rédiger entre 2014 et 2017 (Ref 18), je développe une partie
importante sur ces phénomènes de chaîne parlée (ex. liaison, assimilation, élision, spécificités
des formes faibles). En effet, il s’agit d’un aspect fondamental de l’anglais oral qui me paraît
alors insuffisamment développé dans les rapports des années précédentes. L’ouvrage
« CAPES et agrégations d'anglais : cours de compréhension et d'expression » (2014a, voir tiré
à part) est conçu comme un cours dont le but est de proposer un cadre de travail pour les
candidats désireux d’aborder la période d’entraînement nécessaire à la préparation des oraux
des concours d’anglais avec les prérequis nécessaires en matière de compréhension auditive et
d’expression orale. J’y établis une typologie des phénomènes de chaîne parlée en fonction de
l’importance relative qu’il y aurait pour les candidats à les maîtriser. En effet, la connaissance
de certains des phénomènes décrits est uniquement utile en compréhension et il ne paraît pas
nécessaire, voire pas souhaitable, de les imiter dans le cadre d’une prise de parole formelle
devant des membres de jury. En revanche, la production d’autres phénomènes de chaîne
43
parlée permet indiscutablement de gagner en authenticité et de rapprocher en cela la
prononciation des candidats de celle de locuteurs natifs. Il me semble ainsi que certains de ces
phénomènes doivent constituer des priorités. S’il n’y a pas d’utilité absolue à utiliser toutes
les assimilations et élisions décrites dans cet ouvrage de préparation, leur emploi peut
toutefois conférer à l’anglais oral des candidats une dimension plus naturelle. Cruttenden
(2008 : 308) explique par exemple que les apprenants qui visent un niveau de performance
proche de celui de locuteurs natifs doivent absolument utiliser les formes faibles lorsque cela
est pertinent. Pour lui, cet apprentissage des formes faibles devrait constituer la plus
importante des priorités. Dans le domaine de la compréhension, cet ouvrage de préparation
rédigé pour le CNED a pour but de sensibiliser les candidats à l’existence d’un certain nombre
d’élisions et d’assimilations qui peuvent faire obstacle à la compréhension. Je distingue donc
trois catégories de phénomènes de chaîne parlée :
- Catégorie A : ceux dont il convient d’avoir une maîtrise opératoire en production ;
- Catégorie B : ceux qui doivent faire partie des compétences de reconnaissance des candidats
(il n’y a pas « d’obligation » à les produire mais ils sont communs à la plupart des variétés
d’anglais et doivent être assimilés dans l’optique de meilleures performances en
compréhension) ;
- Catégorie C : ceux qui sont typiques de certaines variétés d’anglais et dont la connaissance
ne peut qu’aider les candidats à aborder la variation dans le domaine de la compréhension.
2.1.2. Les variations spatiales : phonologies et espace
La première année de mon master 2 est consacrée à la validation d’une unité
d’enseignement en littérature et à la rédaction d’un document d’auto-apprentissage pour les
étudiants anglicistes de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Celui-ci consiste en
la description des principales caractéristiques phonétiques et phonologique de dix-sept
variétés d’anglais, sous la forme de dix-sept chapitres : Received Pronunciation, Londres et le
sud-est de l’Angleterre, le sud-ouest de l’Angleterre, L’East Anglia, le Nord de l’Angleterre,
le pays de Galles, l’Écosse, l’Irlande, le General American, la Nouvelle-Angleterre, les villes
du Inland North, New York et Philadelphie, le Sud des États-Unis, l’Australie, la NouvelleZélande, l’Afrique du Sud et l’Inde. Cette étude, intitulée Prononciations du monde
anglophone, comporte pour chacun des accents une introduction visant à replacer la variété
dans son contexte, ainsi qu’une description des principales caractéristiques du système
vocalique, du système consonantique et du niveau suprasegmental. Ces remarques plutôt
44
théoriques sont complétées par des cas pratiques qui permettent aux lecteurs d’écouter
activement des enregistrements de l’accent étudié par l’intermédiaire de liens hypertexte. Bien
sûr, un certain nombre des caractéristiques principales décrites dans le chapitre sont
manifestes dans les enregistrements proposés. Les syllabes ou les associations de phonèmes
dans lesquels le lecteur peut les retrouver sont clairement détachées dans le script de
l’enregistrement et le moment précis où elles apparaissent est indiqué et peut ainsi être
facilement localisé à l’aide du compteur du lecteur multimédia ayant permis d’ouvrir
l’enregistrement. Chaque chapitre propose ainsi un va-et-vient entre théorie et écoute
pratique. Après avoir été testé dans quelques universités grâce à plusieurs collègues, cet
ouvrage est publié en 2013 par les Presses Universitaires de Bordeaux sous la forme d’un ebook de 155 pages sous son titre original, Prononciations du monde anglophone (PDMA). Il
est disponible dans la troisième partie de ce dossier de synthèse, sous la forme d’un tiré à part.
Le format électronique est particulièrement adapté puisqu’il permet d’utiliser les liens
hypertexte pour avoir accès aux enregistrements. Voici quelques courts extraits qui permettent
de voir comment les parties théorique et pratique sont liées. L’accent décrit est celui du sud
des États-Unis.
3/ DRESS /e/ est prononcé [ɪ] par une vaste majorité des locuteurs du Sud, particulièrement devant les
nasales /n/ et /m/ (on parle de fusion entre pin et pen). Cette fusion n’est effective ni à la NouvelleOrléans ni dans la région de Savannah (Géorgie). Parfois la réalisation est intermédiaire entre [e] et [ɪ].
Pour la région du Deep South (la majeure partie des états de Louisiane, Mississippi, Alabama, Géorgie
et Caroline du Sud), Meier (2009 : 150) note une fréquente diphtongaison de type [ɛə], voire une
triphtongaison de type [ɛɪə].
Ex : pen [pɪn], them [ðɪm], ben [bɪn] …
step [stɛəp] / [stɛɪəp], ebb [ɛəb] / [ɛɪəb], bread [bɻɛəd] / [bɻɛɪəd] … (p. 112)
[…]
*n°3 : /e/ réalisé [ɪ] ou qui tend vers [ɪ] : and its two ends apparently beyond the horizon (00:27), his
friends say he is looking for the pot of gold at the end of the rainbow (00:47-00:50), Then I went to
Rockwell International (01:19), my brother had never went and I borrowed (02:45)…
légère diphtongaison de /e/ : And I, I was sick when I left there cause the job had
closed down (01:40) (p. 117)
PDMA n’est pas nécessairement conçu pour être lu in extenso. Le lecteur peut choisir
les pays ou régions sur lesquels il souhaite travailler et se reporter directement au chapitre
correspondant. Il a ainsi accès à des descriptions phonologiques et phonétiques qui lui
permettent d’améliorer sa connaissance théorique de la variété choisie, avant de passer à une
écoute attentive des enregistrements proposés et faire le lien entre la théorie et la pratique.
PDMA a été pensé pour répondre aux besoins identifiés en matière de connaissance des
variétés de l’anglais (même s’il n’aborde que le domaine de la prononciation). À ce titre, il
45
s’adresse principalement aux étudiants des filières LLCER et LEA, ainsi qu’aux enseignants
souhaitant développer leurs connaissances dans le domaine. Cet ouvrage a également été
pensé pour les candidats des examens et concours externes ou internes de l’Éducation
Nationale pour qui l’évaluation contient une épreuve de compréhension / restitution.
Ainsi que le montre l’extrait ci-dessus, PDMA s’intéresse aux niveaux phonologique
et phonétique des variétés étudiées. Pour sa rédaction, j’adopte donc les conventions de
transcriptions habituelles en distinguant les transcriptions phonologiques (ou phonémiques)
des transcriptions phonétiques (ou allophoniques). Si « la phonologie vise à décrire certains
types d’organisation mentale (catégories, représentations et généralisations) » (Brulard & Carr
2015 : 17), la phonétique s’intéresse de son côté aux sons effectivement produits ou perçus.
Plus qu’aux allophones les plus courants, qui sont valables pour un grand nombre
d’accents (par exemple l’aspiration des occlusives en début de syllabe accentuée), je mets
l’accent sur les spécificités allophoniques et réalisationnelles des variétés étudiées (par
exemple, l’absence d’une telle aspiration dans certains accents, comme c’est le cas pour
l’anglais indien). Afin de bien distinguer le niveau phonologique du niveau phonétique et le
phonème de référence de sa réalisation effective, PDMA adopte la transcription
conventionnelle entre barres obliques - / / - pour le phonème de référence et entre crochets [ ] - pour sa réalisation effective. Ainsi, /p/ désigne le phonème tandis que [ph] et [p]
désignent deux prononciations distinctes, respectivement avec et sans aspiration. Autre
exemple, la transcription phonologique /ˈbæθ/ fait allusion au système phonologique du Nord
de l’Angleterre tandis que la transcription phonétique [ˈbæθ] correspond à la réalisation
effective du mot bath par un locuteur nordiste. Pour se référer à la forme écrite d’un mot,
PDMA adopte la notation convenue, c'est-à-dire entre < >. Ainsi, <ough> désigne une
transcription orthographique.
Néanmoins, la transcription avec des symboles de l’API peut présenter des limites dès
lors que l'on commence à comparer les variétés d'anglais. En effet, le nombre de phonèmes
existant et leur distribution peuvent varier d’un accent à l’autre. Par exemple, le phonème /ɑː/
existe aussi bien en RP qu’en GA. Cependant, les mots et contextes dans lesquels /ɑː/
apparaît (sa distribution) ne sont pas forcément les mêmes en RP et en GA. À titre d’exemple,
on trouve /ɑː/ dans les mots hard et bath en RP mais uniquement dans hard en GA. Le
46
phonème /ɑː/ n’a pas le même statut dans le système phonologique de la RP que dans le
système du GA. C’est en particulier la très grande variété existant au niveau des voyelles qui
peut poser problème lorsqu’on étudie plusieurs accents de l’anglais. C’est la raison pour
laquelle, j’utilise pour PDMA le système des ensembles lexicaux (lexical sets), mis au point
par Wells (1982), afin de gagner en efficacité. Par exemple, une comparaison des mots
appartenant à l’ensemble lexical BATH permet de rendre compte, à travers les accents de
l'anglais, de la variation dans la prononciation de la voyelle des mots qui ont /ɑː/ en RP et
/æ/ en GA en syllabe accentuée. Le système des lexical sets permet ainsi de rendre compte au
mieux des variations phonético-phonologiques au sein du monde anglophone. Hormis PDMA,
les ensembles lexicaux ne sont guère utilisés dans les publications françaises portant sur les
variétés de l’anglais, jusqu’à la sortie de La prononciation de l’anglais contemporain dans le
monde. Variation et structure (Brulard, Carr & Durand 2015). C’est la raison pour laquelle je
fais le choix d’insister sur son utilité dans l’article « Variations et innovations phonétiques en
anglais américain (2015a, Ref 11), ainsi que dans Variations et changements en langue
anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales (voir tiré à part).
Mes travaux de recherche sur les variations spatiales me font prendre conscience de
l’importance de la typologie des différences de prononciation mise au point par Troubetzkoy
(1931). Le linguiste russe recense trois types de différences pouvant servir à comparer les
différents accents d’une même langue. Cette typologie a fréquemment été utilisée depuis dans
le domaine de la variation phonético-phonologique.
Selon Troubetzkoy, les différences peuvent concerner le système phonologique, la
réalisation des phonèmes ou la distribution lexicale de ceux-ci. Les différences au niveau du
système phonologique concernent l’inventaire des phonèmes du locuteur et / ou d’un accent.
Par exemple, les locuteurs du nord de l’Angleterre n’ont pas l’opposition FOOT – STRUT
dans leur système, contrairement à la plupart des locuteurs anglophones. Pour eux, cette
opposition est neutralisée au profit du seul /ʊ/. Deux accents de l’anglais peuvent se
différencier par des réalisations différentes de leurs phonèmes. On parle alors de différences
réalisationnelles. Par exemple, un locuteur RP et un locuteur de type General Australian ont
le même inventaire phonémique (même nombre de phonèmes et mêmes contrastes) mais leur
prononciation de FACE et de PRICE peut grandement différer, le premier prononçant [ˈfeɪs,
ˈpraɪs], tandis que le second prononce plutôt [ˈfaɪs, ˈprɔɪs]. Les spécificités réalisationnelles
relèvent bien sûr de considérations phonétiques (et non phonologiques). Le troisième type de
47
différence de prononciation, la distribution lexicale (ou incidence lexicale) consiste en la
présence dans des mots différents de phonèmes communs à deux accents. Par exemple, les
accents RP et GA ont tous deux le phonème /æ/. Néanmoins, celui-ci se rencontre dans le
seul ensemble lexical TRAP en RP, alors qu’on le retrouve dans les ensembles lexicaux
TRAP et BATH en GA. Les différences réalisationnelles peuvent toucher des mots isolés.
Ainsi, schedule se prononce [ˈʃedjuːl] dans une prononciation de type Conservative RP, alors
qu’il est réalisé [ˈskedʒuːl] en GA.
Au-delà de la typologie de Troubetzkoy, les différences entre les accents de l’anglais
peuvent également être suprasegmentales et opérer « à un niveau structurel supérieur à celui
des phonèmes individuels et à leurs réalisations » (Brulard & Carr 2015 : 32). Le rythme est
une composante essentielle du suprasegmental. Si le rythme des variétés d’anglais les plus
connues (ex. RP, GA, General Australian) et celui de la plupart des variétés du « cercle
intérieur » (cf. section 2.2.5) montrent une tendance à l’isochronie13, la majorité des variétés
du « cercle extérieur » (ex. anglais indien, anglais des Caraïbes, cf. section 2.2.5) ont un
rythme plus syllabique, ce qui entraîne moins de réductions des syllabes inaccentuées qu’en
RP ou en GA et donc davantage de voyelles pleines. Au niveau suprasegmental, la structure
intonative (découpage en unités intonatives, placement du noyau et nature du contour
intonatif) peut également différencier les accents de l’anglais. Par exemple, les variétés
urbaines du nord de la Grande-Bretagne et de l’Irlande présentent des intonations montantes
au niveau systémique alors que le contour intonatif non marqué consiste en un ton descendant
dans les systèmes de la RP et du GA.
Cette typologie des différences de prononciations est pleinement exploitée dans
PDMA, où j’aborde les spécificités des systèmes vocaliques et consonantiques de chaque
variété (c'est-à-dire ses spécificités phonologiques), avant de m’intéresser à la réalisation des
phonèmes (ses spécificités phonétiques), puis à ses spécificités suprasegmentales. Dans
l’article « British English & American English : convergences ou divergences phonétiques ? »
(2016, Ref 8), je recense les évolutions des dernières décennies dans la prononciation de
l’anglais britannique et de l’anglais américain afin de déterminer si ces deux variétés sont en
train de se rapprocher ou de s’éloigner l’une de l’autre sur les plans phonologiques et
Rappelons qu’il ne s’agit que de tendances et certainement pas d’absolus. Cruttenden (2014 : 271) s’inscrit
d’ailleurs en faux contre ce principe en expliquant que le rythme de l’anglais ne dépend pas des syllabes
accentuées mais des voyelles pleines.
13
48
phonétiques. Cet article me permet de lier phonologie du temps et phonologie de l’espace
puisque l’approche est à la fois spatiale et diachronique. La réponse à la question posée dans
le titre n’est bien sûr pas tranchée et je propose dans cet article une typologie des phénomènes
de convergence et de divergence. Parmi les premiers, je note une tendance à une forme de
rapprochement que l’on peut qualifier de lexico-phonétique, c'est-à-dire un rapprochement
des préférences concernant la prononciation d’un certain nombre d’items lexicaux (ex. Asia,
chance, mall, falcon, scallop, youths, necessary, schedule), la convergence opérant presque
systématiquement en direction de la variante américaine. Nous sommes là dans le domaine de
l’incidence lexicale / de la distribution lexicale si l’on se réfère à la typologie de
Troubetzkoy : les convergences opèrent au niveau de ce que Wells (1982 : 285-297) qualifie
de lexical-incidential variability. En fait, le rapprochement de ces prononciations est avant
tout lexical. En effet, il n’implique une convergence ni des accents des locuteurs, ni des
systèmes phonologiques de ceux-ci. Il s’agit plutôt d’emprunts de la prononciation de certains
mots, phénomène assez proche de l’emprunt lexical inter-variétal, la « forme phonologique »
d’un mot étant une véritable composante lexicale de cet item. Cet article me permet donc de
m’appuyer en partie sur la typologie de Troubetzkoy pour comparer les deux variétés. En
outre, je remarque une convergence opérant sur le plan suprasegmental avec une
multiplication dans les deux variétés de schémas intonatifs de type High Rising Terminal
(HRT), un ton ascendant employé en fin d’énoncé déclaratif (mais peut-être pas systémique,
contrairement à l’intonation urbaine des villes du nord de la Grande-Bretagne et de l’Ulster).
Je note aussi une utilisation de plus en plus fréquente de la voix craquée dans les deux
variétés, particulièrement chez les jeunes femmes (cf. section 2.2.1).
2.1.3. Évolutions temporelles et variations géographiques
Hormis le travail accompli pour Prononciations du monde anglophone (PDMA), la
période de mon master 2 est également consacrée à l’élaboration et à la rédaction de mon
mémoire, Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) en anglais, sous la direction de
Wendy Schottman, Maître de Conférences à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.
La période de mon master 2 coïncide également avec mon recrutement en tant que PRAG à
l’IUT de Roanne (Université Jean Monnet de Saint-Étienne), où je continue ma pratique
d’exposition des étudiants à des accents divers pour améliorer leurs compétences de réception.
À l’exception des quelques pages de « remarques préliminaires », la variation de nature
sociolinguistique est à peine abordée dans PDMA, les critères de comparaison des accents
49
étant essentiellement géographiques. Mon mémoire de master 2 est une première étude de ce
que je qualifie de « Cas de Palatalisation Contemporaine » (CPC). Dans les années 1990,
j’avais commencé à remarquer des prononciations de certains mots qui me paraissaient pour
le moins surprenantes. Ces prononciations particulières constituent l’objet d’étude de mon
mémoire de M2 et de ma thèse de doctorat : les CPC. Il s’agit de manifestations de fricatives
et d’affriquées palato-alvéolaires dans des environnements et des items lexicaux où elles
n’apparaissaient pas jusqu’à un passé récent et qui ont été créées par phénomène de
palatalisation, une forme d’assimilation. Quatre variables sont concernées :
1/ (tju, dju) en syllabe accentuée (ex. tune [ˈtʃuːn], dune [ˈdʒuːn]) ;
2/ (sju, zju) en syllabe accentuée (ex. assume [əˈʃuːm], presume [prɪˈʒuːm])
3/ (stj, str) (ex. student [ˈʃtjuːdənt], street [ˈʃtriːt])
4/ (sr) (ex. anniversary [ˌænɪˈvɜːʃ(ə)ri], grocery [ˈɡrəʊʃ(ə)ri], restaurant [ˈreʃt(ə)rɒnt],
classroom [ˈklɑːʃruːm]).
Les CPC sont des variantes principalement associées aux locuteurs les plus jeunes et
les formes palatalisées qu’elles impliquent sont fréquemment considérées comme
« incorrectes » par les locuteurs les plus conservateurs. La question de leur acceptabilité en
anglais au début du
XXIe
siècle est d’ailleurs sujette à controverse, ainsi que l’attestent les
différents dictionnaires de prononciation et les écrits de certains linguistes. Ce mémoire me
permet de travailler à la fois la phonologie du temps et la phonologie de l’espace puisque je
m’intéresse à l’évolution historique des palato-alvéolaires depuis les premières époques de
l’histoire de la langue anglaise, ainsi qu’à la portée géographique des CPC et à la diffusion de
ceux-ci dans le monde anglophone. À partir de ce moment, la plupart de mes travaux de
recherche s’inscrivent dans une double dimension temporelle et spatiale. Néanmoins, les
perspectives du changement linguistique que j’adopte pour la rédaction de ce mémoire
relèvent essentiellement de la linguistique interne. Elles ne font que très ponctuellement appel
à des critères de linguistique externe. Le changement interne est motivé par des principes de
structuration, de régularité, d’économie et de symétrie de la langue. Pour résumer, Deutscher
(2005 : 62) dresse la liste suivante de ces motivations :
[…] in essence, the motives for change can be encapsulated in the triad economy, expressiveness and
analogy. Economy refers to the tendency to save effort, and is behind the shortcuts speakers often take
in pronunciation […] Expressiveness relates to the speakers’ attempts to achieve greater effect for their
50
utterances and extend their range of meaning […] The third motive for change, analogy, is shorthand
for the mind’s craving for order, the instinctive need of speakers to find regularity in language.
Le principe d’économie (ou principe du moindre effort), est particulièrement pertinent
dans le domaine de la prononciation : il existe une tendance chez l’être humain à réduire
l’effort articulatoire dans la mesure du possible. Toutes les évolutions linguistiques qui ont été
créées par des processus d’assimilation relèvent du principe du moindre effort, ce qui permet
d’expliquer la raison pour laquelle je me concentre principalement sur le changement interne
dans mon mémoire de master 2, les CPC ayant pour origine des phénomènes d’assimilation14.
Dans l’article « The yod /j/: palatalise it or drop it- How Traditional Yod Forms are
Disappearing from Contemporary English » (2012b, Ref 4), écrit avant le travail de rédaction
de ma thèse, je retrace l’historique de la chute et de la palatalisation de /j/ dans les séquences
/Cju/ dans plusieurs variétés d’anglais. J’y utilise des principes de changement interne pour
expliquer les évolutions auxquelles je fais référence dans cet article, principalement le
principe du moindre effort. Je développe également l’idée selon laquelle l’élision ou la
palatalisation de /j/ obéissent à des principes de fréquence lexicale et de diffusion lexicale :
les mots les plus fréquents sont touchés en premier et les changements se propagent selon un
schéma qui va des items les plus fréquents aux items les moins fréquents. Dans l’article déjà
cité, « British English & American English : convergences ou divergences phonétiques ? »
(Ref 8), certaines explications concernant les évolutions sont liées à des facteurs internes. Par
exemple, je recense des évolutions parallèles pour les voyelles d’arrière mais une divergence
des voyelles d’avant. La convergence des voyelles d’arrière prend deux formes : celle d’une
tendance à la fusion de ces voyelles et celle de la multiplication des phénomènes
d’antériorisation dans la zone postérieure. Ces convergences peuvent s’expliquer par les
propriétés de l’appareil articulatoire, qui font que les voyelles postérieures disposent de moins
d’espace que les voyelles antérieures. Si le système s’accommode bien de quatre degrés
d’aperture pour les voyelles d’avant, cela est donc plus problématique pour les voyelles
d’arrière. Par conséquent, le manque d’espace articulatoire conduit à une plus grande
possibilité de superposition des zones de dispersion des voyelles postérieures. Puisqu’il est
difficile pour ces voyelles de se déplacer sur l’axe vertical, elles ont tendance à être
Si lors de mon travail de master 2, je mets principalement l’accent sur les facteurs internes du changement qui
mène à la palatalisation contemporaine, mon travail de recherche en sociolinguistique me permettra toutefois
d’évoluer et de tirer des conclusions radicalement différentes dans ma thèse (dans laquelle j’approfondis et
développe mon travail sur les CPC) et contribuera à définir mon positionnement épistémologique en linguistique
(cf. section 2.3).
14
51
antériorisées. Le phénomène est attesté dans bien des langues (Labov 1994 : 117) et
s’apparente même à une tendance universelle dans le changement des sons. En parallèle, la
difficulté du système à maintenir quatre degrés d’aperture pour les voyelles d’arrière explique
également les phénomènes de fusion (/oː/ et /ɔː/ ne sont plus distinctifs en anglais
contemporain, /ɔː/ et /ɑː/ ont tendance à être neutralisés en anglais américain, etc.). Le
raisonnement inverse peut expliquer la divergence entre l’anglais britannique et l’anglais
américain en ce qui concerne les voyelles antérieures : l’espace articulatoire étant plus grand,
il est plus propice à l’existence d’évolutions aux directions multiples, pouvant favoriser le
développement de changements en chaîne distincts ans les deux variétés. Ces changements
peuvent s’expliquer par des raisons d’équilibre du système vocalique. Ce sont également des
facteurs internes qui me permettent d’expliquer dans cet article, par exemple, la disparition de
/j/ des séquences /Cju/ ou la palatalisation de /s/ dans les deux variétés.
2.2. L’apport de la sociolinguistique
S’il n’est pas pleinement exploité dans PDMA et dans mon mémoire de master 2, le
travail entreprit à cette époque est toutefois l’occasion de véritablement rencontrer et de me
passionner pour la sociolinguistique, ce qui me permet de définir de nouveaux axes dans mon
parcours de recherche.
2.2.1. L’approche variationniste labovienne
La dimension externe du changement est d’origine sociale. L’évolution est alors le
produit de l’activité des locuteurs dans les contextes sociaux et culturels qui sont les leurs.
L’interaction entre les locuteurs et la notion de groupe sont d’une importance capitale si l’on
se penche sur la manière dont les innovations de certains sont adoptées par d’autres (la
question de l’activation du changement) et sur la façon dont elles se diffusent à travers la
communauté. Néanmoins, la linguistique externe ne concerne pas seulement les évolutions
linguistiques. Le principe de la variation a grandement bénéficié de l’apport des fondateurs de
la sociolinguistique moderne tels que Labov et Trudgill. Certaines différences et similitudes
linguistiques entre locuteurs sont en effet le reflet de différences ou de similitudes sociales.
Les travaux de la sociolinguistique de Labov montrent qu’il est possible d’établir des
corrélations entre variables sociales et variables linguistiques, et ce, de façon systématique.
52
Dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives
humaines et sociales (voir tiré à part), j’expose les principaux facteurs de la variation
sociolinguistique de type labovien : catégorie socio-économique, sexe, âge, groupes
ethniques. Je souhaiterais à présent résumer quelques corrélations associées à ces facteurs,
ainsi que quelques applications à ma recherche.
L’étude fondatrice de Labov (1966) sur la ville de New York reste un très bon
exemple de la corrélation entre la catégorie socio-économique des locuteurs et la langue qui
les caractérise puisque le linguiste démontre que la prononciation du /r/ post-vocalique à
New York est socialement stratifiée. Ce /r/ est donc un marqueur de catégorie socioéconomique, qui est porteur d’un certain prestige social15. Cette étude montre que les
catégories socio-économiques les plus favorisées ont fortement tendance à produire des
formes linguistiques parmi les plus standard. Au contraire, les formes non standard sont plus
susceptibles d’être rencontrées dans le parler des locuteurs des catégories socio-économiques
les moins favorisées. Le changement noté opère donc en direction de la variante préférée par
les locuteurs au statut social privilégié, qui se trouve être la forme qui paraît la plus
« correcte », une forme de prestige manifeste (overt prestige). Il s’agit donc d’un changement
par le haut (change from above), et non d’un changement par le bas (change from below),
c'est-à-dire en direction de formes non standard, suite à des phénomènes de prestige voilé
(covert prestige). En cela, l’étude new-yorkaise n’est pas spécialement révélatrice de la
direction que prennent généralement les changements linguistiques. En effet, Labov (1994 :
78) remarque que les changements par le bas sont plus nombreux que les changements par le
haut. Il y a une explication de nature sociolinguistique à cela. Certes, l’attrait que représentent
les classes socio-économiques dominantes peut paraître plus important que celui des classes
sociales les moins favorisées. Cependant, le comportement linguistique des classes
privilégiées est de type résolument conservateur, ce qui, par définition, ne peut aller dans le
sens du changement. Les classes sociales « inférieures » et, surtout, médianes (Labov 2001 :
31-32) sont donc statistiquement celles qui innovent le plus. Elles sont ainsi bien plus
susceptibles d’être à l’origine du changement linguistique (Baylon 2005 : 103-105). À la fin
du
XXe
siècle, le développement en Angleterre du Estuary English (EE) est intéressant car il
illustre les deux types d’évolutions. En effet, le EE se situant à mi-chemin entre la RP et une
prononciation populaire londonienne de type Cockney, son développement peut être vu
La prononciation effective du /r/ post-vocalique n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis, tant dans la ville de
New York que dans l’ensemble des États-Unis. Elle est résolument standard en anglais américain aujourd’hui.
15
53
comme le résultat d’une double accommodation : prestige manifeste et changement par le
haut pour des locuteurs de catégories socio-économique peu favorisées et à l’origine proches
du Cockney et prestige voilé et changement par le bas pour des locuteurs issus de catégories
plus favorisées et dont le profil est traditionnellement associé à la RP. Un raisonnement
similaire peut sans doute s’appliquer aux autres prononciations supra-locales qui s’inscrivent
dans une forme de nivellement urbain et qui émergent en Grande-Bretagne à la fin du
XXe
siècle. J’explique les facteurs qui mènent au développement de ces variétés dans Variations et
changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales
(voir tiré à part).
En ce qui concerne la variable du sexe et l’opposition entre le parler des femmes et le
parler des hommes, l’étude variationniste fondatrice est celle Trudgill (publiée en 1974). Le
linguiste britannique étudie un certain nombre de traits phonétiques dans la ville de Norwich,
en s’appuyant sur l’opposition entre les formes standard et les formes locales. Il étudie par
exemple l’opposition entre [ɪŋ] et [ɪn] dans les terminaisons en –ing (ex. singing). Il travaille
également sur l’opposition [t] vs. [ʔ] (coup de glotte) en ce qui concerne la réalisation de /t/ en
position non accentuée, ou encore sur l’opposition entre prononciations avec ou sans [j] dans
des mots tels que beautiful16. Les conclusions sont assez nettes : les femmes produisent plus
de formes standard tandis que les hommes produisent davantage de formes non standard. De
plus, les femmes ont tendance à déclarer qu’elles utilisent plus de formes standard que celles
qu’elles produisent en réalité. Au contraire, les hommes ont tendance à déclarer qu’ils
utilisent moins de formes standard que ce qu’il est effectivement possible de trouver dans leur
parler. Cette dichotomie a été depuis vérifiée à de maintes reprises, tant en anglais que dans
d’autres langues. Les femmes sont linguistiquement plus conservatrices que les hommes,
utilisent plus de variantes standard, moins de formes argotiques et, de façon générale,
s’expriment d’une façon qu’elles jugent plus « correcte ». Néanmoins, des recherches récentes
(ex. Gauthier 2013) tendent à prouver que cette opposition traditionnelle n’est peut-être plus
aussi valable aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. En ce qui concerne les évolutions
linguistiques, Labov (2001 : 323-408) note que les agents du changement sont en majorité des
femmes issues des classes moyennes. Cela peut sembler paradoxal puisqu’elles sont
linguistiquement plus proches de la norme et des formes standard. Labov (1990 : 205-215)
16
Dans la prononciation traditionnelle de la ville de Norwich et de toute la région East Anglia, [j] a en effet
disparu des séquences (Consonne initiale + /j/ + /u/), et ce, quelle que soit la consonne initiale. Beautiful se
prononce donc [ˈbuːtɪfəl]. Dans la quasi-totalité des autres accents de l’anglais, la glissée palatale n’a disparu
qu’après certaines consonnes initiales (Glain 2012b).
54
établit néanmoins des distinctions entre la variation stable, le changement par le haut et le
changement par le bas. Dans la variation sociolinguistique stable (lorsqu’il n’y a pas
changement), les femmes utilisent effectivement davantage de formes qui relèvent de la
norme. Dans le cadre de changements par le haut, elles privilégient les formes les plus
prestigieuses, qui correspondent à la norme. En revanche, si l’on considère les changements
par le bas, plus nombreux, elles sont souvent celles qui innovent le plus.
L’âge constitue une variable particulièrement importante en sociolinguistique. Dans
l’esprit des gens, l’évolution de la langue est souvent associée aux jeunes. Les personnes plus
âgées perçoivent en effet comme des changements les écarts par rapport à leurs normes de
communication. Cette impression est en réalité corroborée par la quasi-totalité des études de
terrain : les locuteurs les plus jeunes sont ceux qui sont à l’avant-garde des changements
linguistiques (Fridland 2015 : 80). Afin d’étudier au mieux les changements linguistiques
dans leur dimension temporelle, Labov (1994 : 43-112) en définit deux catégories distinctes,
qui relèvent respectivement du principe du temps réel (real time) ou de celui du temps
apparent (apparent time). Les observations nécessaires à un travail de terrain doivent être
différentes pour chacun de ces deux types d’évolution afin d’en rendre compte de façon
efficace. En partant de ce constat, Labov définit deux types d’observations : les observations
en temps réel et les observations en temps apparent. Les changements linguistiques qui
relèvent du principe du temps réel sont ceux qui voient le parler d’un locuteur se modifier au
fur et à mesure des années. Certaines de ces évolutions correspondent à des schémas qui se
répètent de génération en génération. Les jeunes gens ont ainsi tendance à s’exprimer comme
des jeunes gens et les locuteurs plus âgés à adapter leur parler à celui de personnes plus âgées.
De telles évolutions ne sont donc en rien typiques d’un réel changement linguistique mais
relèvent plutôt d’un phénomène de variation stable. Labov (1994 : 73) parle dans ce cas d’un
phénomène d’age-grading. À l’inverse, les changements linguistiques qui relèvent du
principe du temps apparent sont plus pertinents dans une perspective d’évolution réelle de la
langue. Ils sont caractérisés par des différences entre les générations. Les observations en
temps apparent permettent une meilleure étude des changements en cours (Labov 1994 : 4546). Il s’agit d’étudier, à un moment donné, le comportement des variables en comparant des
générations différentes.
La variation linguistique entretient également des rapports avec la question de
l’appartenance à un groupe ethnique, une notion particulièrement difficile à définir. Schilling
55
(2016 : 131) explique que l’on peut considérer que des locuteurs appartiennent à un même
groupe ethnique à condition qu’ils aient une origine ancestrale commune et / ou qu’ils
partagent des traditions, des valeurs, des systèmes de croyance, des convictions, ainsi que des
pratiques. Parmi ces dernières, on peut identifier des pratiques langagières. Fridland (2015 :
149) insiste sur la dimension identitaire de ce qu’elle appelle « l’ethnicité ». Par exemple, le
rapport aux origines au sein d’un groupe ethnique est en réalité souvent la représentation d’un
lieu d’origine commun et des racines culturelles qui y sont associées, en opposition avec le
lieu dans lequel les locuteurs évoluent à présent. Concrètement, ce lieu représenté peut même
leur être complètement inconnu (ex. l’Afrique pour les Afro-américains ou l’Italie pour les
Italian-Americans). Outre le fait d’avoir des origines à l’extérieur du pays où elle se construit,
l’ethnicité implique la construction d’une identité de groupe et un sentiment d’appartenance à
ce groupe, en contraste avec d’autres communautés. Cette dimension identitaire peut se
trouver marquée sur le plan linguistique. Dans le cas d’immigrés de première génération, la
variété d’anglais utilisée par un groupe ethnique particulier peut être influencée par des
caractéristiques de leur langue d’origine. Dans bien des cas, ces spécificités disparaissent en
partie ou en totalité avec les générations suivantes, dont le parler se rapproche de plus en plus
de la langue ou de la variété dominante. Il n’est cependant pas rare de voir certaines pratiques
langagières subsister et être alors porteuses d’une dimension identitaire relative au groupe
(Fridland 2015 : 151). Parfois, les générations suivantes contribuent à la création de nouveaux
traits linguistiques qui ne sont pas liés à une quelconque langue d’origine mais qui sont
pourtant marqueurs d’identité. Labov (1972a) entreprend une nouvelle fois l’un des travaux
fondateurs dans le domaine avec son étude sur le vernaculaire des Afro-Américains en milieu
urbain, et plus précisément à Harlem. Le but est de comprendre les raisons de l’échec scolaire
des jeunes Afro-Américains. Labov considère qu’il est vain de traiter ce type de vernaculaire
en termes d’écart avec les normes qui constituent la langue standard. Il démontre que
l’African American Vernacular English possède son propre système, avec ses propres règles.
Il conclut que les difficultés d’apprentissage de l’anglais chez les jeunes Afro-Américains est
la conséquence de conflits entre leur vernaculaire et la langue standard reconnue par le
système scolaire.
Au-delà de ces exemples, la découverte du principe d’une véritable corrélation entre
les variables sociales et les variables linguistiques au cours de la période de la reprise de mes
études est une véritable révélation pour moi. J’approfondis mes lectures sur ce sujet, que je
trouve passionnant et qui exerce dès lors une forte influence sur la façon dont je conçois mes
56
recherches à venir. Dans mon travail de thèse (2013), je montre que les CPC relèvent d’un
changement par le bas. En effet, ces variantes palatalisées trouvent leur origine dans des
prononciations non-standard, chez des locuteurs appartenant aux catégories socioéconomiques les moins favorisées. Le prestige voilé peut expliquer l’attrait que représentent
les formes palatalisées non-standard que constituent les CPC, ainsi que la raison pour laquelle
certains locuteurs les adoptent. Ces locuteurs peuvent en effet paraître plus généreux, plus
sympathiques, plus sincères, moins snobs, voire moins arrogants, particulièrement dans le
contexte britannique, ainsi que le montre l’étude de Giles et al (1990 : 191-211). Le but de
celle-ci est de déterminer quelles sont les réactions des gens face à la RP. Les résultats
montrent que les locuteurs de type RP sont considérés comme les plus compétents et que leur
accent est jugé comme le plus prestigieux. En revanche, les mêmes locuteurs ne sont perçus ni
comme dignes de confiance, ni comme généreux, sympathiques, voire même sincères.
Certains vont jusqu’à considérer les locuteurs RP comme snobs, voire arrogants. Garrett,
Coupland et Williams (2003) tirent des conclusions similaires d’une étude portant sur des
enseignants au pays de Galles. Dans le contexte britannique, ce sont donc parfois les locuteurs
RP qui incorporent des traits non-standard à leur prononciation afin de ne pas être taxés de
snobs et de ne pas se trouver confrontés à une attitude négative de la part de leurs
interlocuteurs. À ce titre, Wells (1982 : 106) explique que, depuis les années 1960, les
Britanniques imitent plus volontiers la façon de parler des catégories socio-économiques les
moins favorisées que celle des catégories de population les plus privilégiées. Les CPC s’étant
développées de façon importante depuis la fin du
XXe
siècle, on peut voir dans ces
phénomènes de prestige une cause majeure de leur essor, au moins dans le contexte
britannique.
Dans ma thèse, une étude de 531 enregistrements figurant sur le site IDEA17 me
permet de montrer que l’évolution qui mène vers la production croissante des CPC relève
typiquement d’un changement en cours : les locuteurs sont d’autant plus susceptibles
d’utiliser les formes palatalisées qu’ils sont jeunes. Cela constituait mon hypothèse de départ,
que seul un travail d’analyse mené en temps apparent, en comparant plusieurs générations de
locuteurs, me permet de confirmer. Le travail mené à partir du corpus IDEA montre
également que, de façon surprenante si l’on tient compte des schémas sociolinguistiques
précédemment décrits, la palatalisation contemporaine constitue un changement qui est
17
Un grand merci à IDEA (International Dialects of English Archive, http://dialectsarchive.com)
57
davantage porté par les hommes que par les femmes. Au contraire, dans les phénomènes de
convergence entre anglais britannique et anglais américain (Ref 8), je note que les femmes
sont à l’avant-garde d’évolutions parallèles concernant le niveau suprasegmental des deux
variétés. Il en est de même dans un travail de synthèse de plus grande ampleur, mené pour la
rédaction de Variations et changements en langue anglaise : événements historiques ;
perspectives humaines et sociales (voir tiré à part), dans lequel j’observe que la convergence
suprasegmentale opère à une plus grande échelle et concerne un nombre plus important de
variétés. Sa première caractéristique est celle du développement exponentiel du High Rising
Terminal (HRT). Or, plusieurs études (ex. Bolinger 1978, Britain 1992, Ritchart & Arvaniti
2014) montrent que le HRT est particulièrement fréquent chez les jeunes femmes, qui
semblent avoir été les premières à utiliser ce schéma intonatif de façon régulière. Par ailleurs,
on peut noter une certaine corrélation entre l’utilisation de la qualité de voix connu sous le
nom de vocal fry et celle du HRT (Wilhelm 2015a). Le vocal fry est le terme populaire qui
désigne l’utilisation d’une voix craquée (ou laryngalisation). Une définition plus technique en
est donnée dans Raitio et al (2013 : 2316), qui en analysent les spécificités acoustiques afin de
recréer cette qualité de voix dans un système de synthèse vocale :
Creaky voice, also called vocal fry, is a voice quality brought about by a distinctive phonation type
involving low-frequency vocal fold vibration.
Le vocal fry concerne les locuteurs des mêmes tranches d’âge que ceux produisant le
HRT et ce sont également les jeunes femmes qui l’utilisent le plus. L’explication de telles
convergences au niveau suprasegmental se trouve peut-être dans des phénomènes identitaires,
à la croisée du psycholinguistique et du sociolinguistique. Ces deux évolutions étant
principalement adoptées par les jeunes, et notamment par les jeunes femmes, elles paraissent
être le signe d’une dimension identitaire particulièrement forte.
Dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ;
perspectives humaines et sociales (voir tiré à part), j’étudie un certain nombre de variétés
ayant une forte composante ethnique, telles que l’African American Vernacular English, le
Jewish American English, le Chicano English (CE) / Hispanic American English, le Cajun
English, ou encore le Multicultural London English. Si les processus ayant mené au
développement de ces variétés diffèrent, toutes portent en elles une forte dimension identitaire
en lien avec des paramètres relevant de l’ethnicité.
58
Enfin, les principes de la sociolinguistique labovienne me sont extrêmement utile pour
un mener un autre type de travail consistant en une enquête de terrain dans la ville de SaintÉtienne afin de dresser un panorama de la prononciation stéphanoise contemporaine (cf.
section 3.8).
2.2.2. Interaction de paramètres sociolinguistiques et principe uniformitariste
Je reviendrai plus tard sur le concept d’identité linguistique des locuteurs (cf. section
3.4). En me risquant toutefois à une première définition s’inscrivant dans le cadre de la
sociolinguistique variationniste, il semblerait que cette forme d’identité soit en grande partie
socialement construite à partir d’une interaction de paramètres sociaux tels que la catégorie
socio-économique à laquelle le locuteur appartient, son sexe, son âge ou son appartenance à
un groupe18. En raison des interactions entre ces différentes variables sociales, des analyses
multi-paramètres peuvent davantage éclairer la réalité de la variation sociolinguistique que
des analyses ne reposant par exemple que sur la seule catégorie socio-économique ou le seul
âge des locuteurs. Avec l’enquête sur l’anglais parlé sur l’île de Martha’s Vineyard, Labov
(1972a) se montre une nouvelle fois précurseur de ce genre d’étude multi-catégorielle, qui
peuvent être davantage en lien avec l’identité des locuteurs. Étudiant la prononciation de ce
que Wells définira plus tard comme les ensembles lexicaux MOUTH et PRICE, Labov
parvient à identifier un groupe particulier de locuteurs pour qui des prononciations non
standard avec [əʊ] et [əɪ] sont quasi systématiques. Il s’agit très majoritairement d’hommes
âgés de 30 à 45 ans, exerçant comme pêcheurs dans la partie occidentale – et moins
touristique – de l’île. Ils utilisent ces prononciations anciennes et en théorie disparues de l’île
et sont majoritairement hostiles à la forte présence de touristes sur leurs terres. L’enquête de
Labov lui permet de montrer qu’il s’agit d’un véritable acte identitaire de la part de ces
locuteurs, qui expriment ainsi leur solidarité envers l’île et sa culture, comme pour « remonter
le temps » vers une période moins touristique qui serait meilleure. Les prononciations
standard sont au contraire principalement associées aux personnes soucieuses de quitter l’île
pour le continent, comme s’il s’agissait pour elles de signaler une forme de rejet du mode de
vie insulaire. Dans cette étude sur Martha’s Vineyard, la variation sociolinguistique est en
N’étant pas seulement un sujet social, le locuteur garde tout de même une certaine individualité et peut donc
présenter des caractéristiques linguistiques personnelles (ex. tics de langue, prononciations particulières,
utilisation fréquente de certaines expressions ou de certains connecteurs, etc.).
18
59
partie liée à l’attitude positive ou négative des locuteurs vis-à-vis du milieu dans lequel ils
évoluent.
À partir de l’étude du corpus IDEA, j’essaie de mener une analyse multi-paramètre de
la palatalisation contemporaine pour mon travail de thèse en croisant les paramètres de l’âge,
du sexe (voir précédemment) de l’origine géographique, voire de l’ethnicité (les informations
concernant la catégorie socio-économique des locuteurs ne sont malheureusement pas
suffisante sur le site IDEA pour que cela constitue un paramètre d’étude stable). Les résultats
de cette analyse pluri-catégorielle sont résumés comme suit dans l’article « Introducing
Contemporary palatalisation » (2014b : 23, Ref 6) pour ce qui est de la partie du corpus
concernant l’anglais britannique et l’anglais américain.
In Britain Scottish speakers display a higher rate of overall contemporary palatalisation than English
speakers (93% vs. 75%). Within England, the only speakers who do not display any contemporary
palatalisation in their speech are those from the north-east. Indeed, I could not find a single ICP in the
speech of speakers from the following counties/regions: Northumberland, Tyne and Wear, County
Durham, Yorkshire. London and south-eastern speakers do not seem to palatalise any more than their
counterparts from other regions. Men palatalise a little more than women (84% vs. 74%).
In the USA, the speakers who display the highest rate of contemporary palatalisation are those
associated with the varieties known as Southern American English and African American Vernacular
English (AAVE). As regards Southern speakers, 63% of them display some degree of contemporary
palatalisation (vs. 53% for the national average). A massive 82% of AAVE speakers display
contemporary palatalisation (vs. 53% for speakers of other varieties). That those two varieties should
exhibit similar patterns is not really surprising as it is well-known that AAVE shares a number of
features with Southern varieties of US English (Edwards 2008: 182). As was the case with Britain, men
palatalise more than women (64% of men display overall palatalisation vs. 45% of women). This might
seem a little surprising as women are typically viewed as the leaders of linguistic change when we are
dealing with supra-regional innovations (Labov 2001: 516).
Dans l’article « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive
Model » (2015b, Ref 7), j’émets l’hypothèse selon laquelle la palatalisation contemporaine est
absente du nord-est de l’Angleterre en raison d’une continuité linguistique avec des formes
héritées de l’époque du Danelaw, la zone qui est contrôlée par les Vikings après une victoire
importante du roi anglo-saxon Alfred en 878 dans le conflit qui oppose les Anglo-Saxons aux
envahisseurs scandinaves à l’époque vieil-anglaise. Il peut paraître surprenant qu’une
situation de variation contemporaine puisse avoir un lien avec une situation sociolinguistique
et une interaction entre locuteurs scandinaves et locuteurs anglo-saxons qui datent de plus de
mille ans. Néanmoins, il existe des milliers de mots scandinaves qui sont encore utilisés au
début du
XXe
siècle dans les dialectes du nord et de l’est de l’Angleterre (Wright : 1905).
60
Aujourd’hui encore, le lexique scandinave est plus influent dans le Nord. Des formes telles
que kirk (« church »), steg (« gander »), laik (« play ») font toujours partie de l’usage
traditionnel dans ces régions (ou en ont tout au moins fait partie jusqu’à un passé récent ; cf.
Leith 1983 : 24). L’importance de l’influence linguistique des Scandinaves sur l’anglais
contemporain du nord-est de l’Angleterre est donc établie. Je développe mon argument dans
Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives
humaines et sociales. L’absence d’une forme de palatalisation dans les langues scandinaves à
l’époque du Danelaw est avérée. En effet, /sk/ et /k/ sont respectivement palatalisés en /ʃ/ et
/tʃ/ au début de l’époque vieil-anglaise. C’est pourquoi des mots comme fish, ship
(respectivement fisc et scip en vieil-anglais ; la graphie est alors <sc>) ont /ʃ/ en anglais
contemporain. Il se trouve que cette palatalisation ne se produit pas dans les langues
scandinaves (Stévanovitch 2008 : 23). En d’autres termes, le /sk/ et le /k/ scandinaves
correspondent au vieil-anglais /ʃ/ et /tʃ/. C’est la raison pour laquelle les mots empruntés aux
envahisseurs nordiques sont encore prononcés avec /k/ aujourd’hui (ex. sky, skin, skirt, skill,
scrape, scrub, bask, whisk). Les langues scandinaves possèdent également l’occlusive vélaire
/g/ dans leur système, contrairement au vieil-anglais (Lerer 2008 : 36). En revanche, elles ne
possèdent pas d’affriquées (Crystal 2004 : 69). Dans certains cas, le mot anglais se trouve
même phonétiquement influencé par la prononciation scandinave et une vélaire est ainsi
rétablie. C’est la raison pour laquelle give, get, again et egg sont aujourd’hui prononcés avec
/g/ et skirt, cold et speak avec /k/ (Stévanovitch 2008 : 23). Un mot comme scatter /ˈskætə/,
d’influence scandinave, coexiste avec shatter /ˈʃætə/. À ce sujet, Baugh et Cable (2002 : 102)
font état d’une confusion probable entre les formes anglaise et scandinave pour un certain
nombre de mots, ainsi que l’atteste la survivance de formes hybrides telles dyke et ditch, scrub
et shrub, shriek et screech, skirt et shirt (avec parfois des spécialisations sémantiques qui
entraînent des usages différents pour les deux termes).
Phonologie de l’espace et phonologie du temps peuvent ainsi se rencontrer de façon
surprenante. Compte tenu de l’aspect cyclique que revêt la palatalisation en anglais, point de
vue que je développe dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive
Model » (Ref 7), il est possible qu’une interaction de phénomènes sociolinguistiques produise
des effets similaires (ex. palatalisation ou non-palatalisation) à une époque ancienne et à
l’époque contemporaine. Diachronie et synchronie sont donc liées. Cet aspect de la
linguistique historique fait consensus chez les linguistes : les processus qui ont produit les
61
grands changements du passé sont encore à l’œuvre aujourd’hui. Il s’agit là du principe
uniformitariste (uniformitarian principle) dont les origines résident dans l'étude de la géologie
(Labov 1994 : 21). Ce principe est tout d’abord formulé en 1785 par un géologue écossais du
nom de James Hutton et sert ensuite de base à la création de la géologie moderne par Charles
Lyell en 1833. Selon les géologues, les processus historiques qui ont opéré par le passé
peuvent être inférés à partir de l’observation des processus à l’œuvre dans le présent. Le
principe uniformitariste est adopté par les philologues du
XIXe
siècle pour expliquer le
changement linguistique suite à la constatation selon laquelle les facteurs qui créent la
variation aujourd’hui sont les mêmes que ceux qui étaient à l’œuvre par le passé. Il est ainsi
possible d’utiliser un raisonnement qui s’appuie sur des observations contemporaines pour
analyser les états et les évolutions passées d’une langue. À l’inverse, les processus
diachroniques peuvent expliquer la variation et le changement en synchronie (Blevins 2004).
2.2.3. Communauté linguistique ou communauté sociale ?
L’un des termes qui me posent problème sur le plan théorique depuis quelques années
est celui de communauté linguistique, qui est pourtant pratique mais dont l’utilisation me
paraît varier en fonction des auteurs. Il s’agit pourtant d’un concept fondamental pour ma
recherche sur la variation et le changement. Trois de mes travaux liés à la recherche me
poussent d’ailleurs à clarifier ma position sur ce sujet de façon à bénéficier d’un cadre
théorique clair, s’inscrivant dans une plus grande cohérence scientifique. Le premier est
l’organisation du colloque international English-Speaking Towns & Cities: Memoirs and
Narratives à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne les 20 et 21 octobre 2016 (l’ouvrage
du même nom que je dirige suite à ce colloque est disponible sous forme de tiré à part). Le
deuxième correspond au long travail de gestation qui mène à la rédaction de Variations et
changements… (voir également tiré à part). Le troisième est le projet d’enquête sur la ville de
Saint-Étienne (cf. section 3.8) dont le résultat est la publication de l’ouvrage Vous avez dit
gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois (2017c, voir tiré à part).
Les linguistes utilisent habituellement le terme communauté linguistique pour définir un
groupe de personnes qui interagissent au niveau linguistique. Martinet (1960 : 148) considère
que l’on peut parler de communauté linguistique dès lors que l’on a affaire à une seule et
même langue
et que la communication est assurée. Labov (1972a : 120) propose une
définition plus large. Il considère la communauté linguistique comme un groupe de personnes
qui partagent des conventions, des normes et des attitudes sociales envers la langue.
62
Néanmoins, la portée de ce terme manque encore de clarté. En effet, on peut parler de
communauté linguistique au sens large lorsqu’on se réfère par exemple à tous les locuteurs
qui parlent l’anglais américain. On peut également restreindre le terme à une communauté
bien plus petite (les locuteurs de type African American Vernacular English d’une certaine
ville ou d’une certaine banlieue, par exemple). Fridland (2015 : 23) explique que le terme est
plus fréquemment utilisé pour désigner un consensus plus local envers des normes partagées
qui confèrent une unité linguistique (fût-elle symbolique) aux locuteurs qui font partie de cette
communauté et qui interagissent fréquemment entre eux. En outre, les normes
sociolinguistiques de ce groupe contrastent avec celles des locuteurs appartenant à d’autres
groupes. Les communautés linguistiques sont donc également définies par leur opposition.
Ainsi, l’idée même de communauté linguistique est une notion complexe, qui combine des
aspects à la fois linguistiques, identitaires et sociaux.
La définition peut être particulièrement problématique lorsqu’on considère des
situations de multilinguisme et d’appartenance à des groupes divers. Dans le but d’en établir
une synthèse, Calvet (2011 : 82-85) soulève quelques questions. Pour délimiter une
communauté linguistique donnée, ne tient-on compte que des locuteurs ayant une même
langue maternelle ? Même dans une seule ville, on exclut alors une partie non négligeable de
la population. Se concentre-t-on sur des individus qui se comprennent grâce à une même
langue ? Un même individu peut alors appartenir à plusieurs communautés linguistiques. Si
l’on opte pour cette solution, comment déterminer qui appartient à telle ou telle
communauté ? À partir de quel degré de maîtrise d’une langue fait-on partie de la
communauté linguistique que celle-ci permet de définir ? Calvet (85) considère que « la seule
façon de sortir de ces paradoxes est de sortir de la langue et de partir de la réalité sociale ». Un
Londonien peut très bien appartenir à la fois à la communauté des locuteurs de l’anglais et à
celle des locuteurs de l’arabe. Calvet (86) propose donc de définir la communauté sous son
aspect social. Il estime que seule la notion de communauté sociale permet de définir de façon
plus objective des groupes permettant des études de terrain. La communauté sociale inclut de
fait des considérations linguistiques. Pour lui,
[…] la seule façon d’aller jusqu’au bout de la conception de la langue comme fait social n’est donc pas
de se demander quels sont les effets de la société sur la langue, ou de la langue sur la société, ce qui une
fois de plus consiste à poser le problème sociolinguistique en aval du problème linguistique, comme un
problème différent, successif ou ultérieur. Il s’agit au contraire de dire que l’objet d’étude de la
linguistique n’est pas seulement la langue ou les langues mais la communauté sociale sous son aspect
linguistique.
63
En définitive, avoir comme base de travail des communautés sociales est garant d’une
certaine authenticité dans la mesure où cela permet de tenir compte de toutes les situations
linguistiques possibles, en particulier de tous les phénomènes de contact, que ceux-ci aient
lieu entre locuteurs d’une même variété de langue, de variétés différentes d’une même langue,
ou encore de langues différentes. Les trois types de phénomènes caractérisent par exemple les
échanges linguistiques menés au sein de la ville de New York, dont la communauté est avant
tout définie par des paramètres géographiques et sociaux. Les trois types de phénomènes ont
également une influence sur « le parler de New York ». Compte tenu de l’ensemble des
facteurs linguistiques et sociaux qui caractérisent ce parler, il ne s’agit pas non plus d’entrer
dans un découpage social trop rigide qui ne permettrait pas de rendre compte de l’interaction
linguistique entre les « catégories sociales ». Dès lors, ma conception de la communauté
sociale dépend du type d’étude menée. Pour des études de terrain qui ont pour but d’enquêter
auprès de catégories de population sans a priori linguistique (ex. Comment parlent les
locuteurs du quartier de Harlem ? Comment parlent les locuteurs nés à Saint-Étienne ?), il
vaut mieux définir la communauté étudiée en fonction de seuls paramètres sociaux et
géographiques. En revanche, si le but de l’enquête est d’étudier certains traits linguistiques, et
notamment certains traits de prononciation (ex. la prononciation de la variable (str) dans le
sud-est de l’Angleterre, l’opposition /ɛ̃/ (brin) vs. /œ̃/ (brun) dans la prononciation
stéphanoise), il est utile d’intégrer des paramètres linguistiques pour définir la communauté
sociale étudiée. Pour le dernier exemple, il faut par exemple ne faire porter l’étude que sur des
locuteurs « linguistiquement nés » à Saint-Étienne, c'est-à-dire des locuteurs ayant appris le
français dans cette ville et y ayant été scolarisés au cours de leur enfance, de façon à
minimiser l’importance des phénomènes de contact. Une étude ayant pour but de déterminer
l’influence sur la prononciation stéphanoise d’aujourd’hui du parler des populations ayant
immigré pour travailler à la mine, ainsi que du parler de leurs descendants, devra
nécessairement intégrer un paramètre de multiethnicité (cf. section 2.2.1) dans la définition de
la communauté sociale étudiée, de façon à faire ressortir les phénomènes de contact.
64
2.2.4. Contact, interactions et réseaux sociaux
Le contact entre locuteurs est justement au cœur de la notion de réseaux sociaux, qui
permet d’éviter une catégorisation sociale trop rigide, les individus ayant de multiples facettes
et pouvant évoluer simultanément dans plusieurs groupes (en fonction, par exemple, de leur
catégorie socio-économique, de leur religion, de leur groupe ethnique, de leur identité
sexuelle… ou tout simplement de leurs loisirs). D’après L. Milroy (1980), les individus sont
tous plus ou moins liés à la communauté à laquelle ils appartiennent. Les communautés
peuvent être définies par la nature de ces liens. On parle de communautés à fort ou faible lien
social (strongly tied et weakly tied communities). Les communautés à fort lien social sont bien
établies, ne présentent que peu de changements sociaux mais sont caractérisées par un contact
social intense entre leurs membres. On parle alors de réseau de communication dense (dense
network). Ceux-ci ont tendance à encourager les formes linguistiques locales. Les
communautés à faible lien social sont au contraire des communautés établies plus récemment
et qui sont caractérisées par un changement social considérable, des contacts sociaux intracommunautaires moins importants et des contacts intercommunautaires plus fréquents. On
parle alors de réseau de communication souple (loose network). Il en résulte que les
communautés à faible lien social et au réseau de communication souple présentent une
gamme de variantes linguistiques plus importante et sont beaucoup plus susceptibles de
contribuer au changement en participant à la diffusion d’innovations linguistiques, ainsi que le
démontre J. Milroy dans son étude sur l’anglais de Belfast (1992). Cela est particulièrement le
cas dans les milieux urbains, notamment dans les villes à forte croissance (Smith 2007 : 15).
Les communautés urbaines jouent d’ailleurs un rôle important dans la diffusion de variantes
linguistiques, en raison des réseaux de communication souples qui les caractérisent et en
raison de leur taille. En effet, les innovations proviennent souvent des communautés les plus
peuplées (Labov 2010 : 190). Une forte densité de population sera donc plus propice à la
création et à la diffusion d’innovations que de grands espaces peu peuplés. Certains locuteurs
appartiennent à plusieurs réseaux sociaux différents. En raison de cette position particulière,
ce sont eux qui qui contribuent à faire circuler les variantes d’un groupe à un autre.
Dans deux articles, « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements »
(2018b, Ref 9) et, de façon plus approfondie, dans « Standard English, Urban Norms and
Urban Myths: the Linguistic Imaginary at work » (Ref 16), j’aborde la question de
l’émergence d’un pré-standard à Londres à partir de la fin du
65
XIVe
siècle dans un cadre qui
relève de la sociolinguistique historique. Pour ce faire, je me concentre sur les phénomènes de
contact et de prestige de l’époque, ainsi que sur les interactions dans les réseaux sociaux
londoniens. Je définis cette variété émergente comme un pré-standard dans la mesure où un
véritable standard, associé à un processus de codification de la langue, ne verra le jour qu’au
XVIIIe
siècle. Je mène cette étude en m’appuyant principalement sur les travaux de Crystal
(2004), Fennel (2001), Leith (1983), Minkova (2014) et Smith (1996). J’en résume les
grandes lignes ci-dessous.
Le pré-standard apparaît dans la région de Londres à partir d’une convergence entre
les principaux dialectes de l’époque. Pour des raisons communicationnelles, démographiques,
économiques et sanitaires (effets dévastateurs de la peste noire), ainsi qu’en raison de
phénomènes de prestige, son influence principale est celle des locuteurs du dialecte des
Midlands de l’Est À partir du XIVe siècle, le pré-standard se développe à partir du nivellement
des différences dialectales dans les domaines du lexique, de la grammaire et même de la
prononciation (Minkova 2014 : 18). Le dialecte des Midlands de l’Est, dont le prestige se
trouve renforcé en raison de son association avec les universités d’Oxford et de Cambridge,
présente des avantages du point de vue communicationnel puisqu’il offre de meilleures
garanties en termes d’intercompréhension, notamment en ce qui concerne les locuteurs du
Nord et du Sud de l’Angleterre qui se retrouvent en situation de communiquer à Londres. Je
note que la variété pré-standard émergente n’est le résultat d’aucune forme de planification, ni
d’aucune institutionnalisation (Crystal 2004 : 223). M’appuyant sur la dichotomie de Joseph
(1987), qui distingue entre standardisation fortuite (circumstantial standardisation) et
standardisation construite (engineered standardisation), j’en conclus qu’il s’agit d’une forme
de standardisation fortuite, c’est-à-dire qu’elle est le résultat de processus relativement
naturels qui opèrent à partir de situations d’interaction à l’oral. Au contraire, le terme
standardisation construite caractérise une situation dans laquelle des individus ou des groupes
choisissent délibérément les formes linguistiques et la variété qui sont érigées au rang de
standard. Les choses sont sensiblement différentes pour la langue écrite. À la fin du Moyen
Âge, l’importance de l’écrit dans la société ne cesse de croître. Par conséquent, le besoin de
scribes se fait toujours plus grand. Dans le melting-pot londonien, les scribes et les auteurs
littéraires de l’époque appartiennent à plusieurs réseaux sociaux (Crystal 2004 : 231) et
occupent de ce fait une place centrale dans le paysage linguistique, contribuant ainsi à faire
circuler les variantes qui deviennent standard. Les scribes du Chancery jouent un rôle
particulier dans le développement et la diffusion d’un standard écrit en évoluant dans
66
plusieurs réseaux à la fois, interagissant ainsi avec des enseignants, des hommes d’Église, des
hommes de loi et des commerçants. Leurs normes d’écriture sont diffusées dans les meilleures
écoles londoniennes et dans les couvents de la capitale. Les représentants royaux contribuent
à leur diffusion dans le reste du pays par l’intermédiaire de documents écrits officiels. Tel est
le contexte dans lequel le Chancery English, le code écrit ainsi promu par les documents
officiels du XVe siècle, se développe19.
Les phénomènes de contact agissent également au niveau supérieur, c'est-à-dire celui
des langues et non celui des variétés. Pour l’anglais, l’exemple le plus connu est certainement
celui des emprunts lexicaux (aux langues celtiques et scandinaves, au latin, au français, à
l’allemand, à l’espagnol, à l’italien, au yiddish, au chinois, etc.). L’anglais a toutefois acquis
des caractéristiques autres que lexicales suite à des phénomènes de contact avec d’autres
langues au cours de son histoire. Il s’agit là de l’histoire de la langue que l’on pourrait
qualifier d’externe, par opposition aux évolutions internes, de type plus généalogique. Les
situations de contact linguistique ne sont bien sûr pas toutes identiques et des formes de
contact différentes ont des répercussions linguistiques différentes, ainsi que l’expliquent
Thomason et Kaufman (1991 : 74-76). Ainsi, des situations de contact superficielles ont pour
conséquence des emprunts d’items lexicaux relativement accessoires à partir de la langue qui
occupe une position de prestige. Un contact plus important donne lieu à des emprunts plus
systématiques et à plus grande échelle, voire à une influence phonétique et grammaticale
marginale. Des situations de contact encore plus intenses aboutissent à une véritable influence
structurelle : ajustement du système phonologique, introduction de nouveaux phonèmes,
évolution de la structure syllabique de la langue, changements dans l’ordre des mots pouvant
aller jusqu’à des évolutions syntaxiques considérables, des changements de catégories
grammaticales, ou encore des changements dans les pronoms personnels et possessifs.
Globalement, le lexique d’une langue peut être considéré comme plus ouvert que sa
grammaire ou sa phonologie. Dans Variations et changements en langue anglaise :
évènements historiques ; perspectives humaines et sociales, je mets l’accent sur la façon dont
l’anglais a été influencé par des phénomènes de contact au cours de son histoire. Les
influences systémiques qui me paraissent les plus importantes et qui sont développées dans
cet ouvrage sont résumées ci-dessous.
Il ne s’agit là que d’un résumé. Ces arguments sont développés dans les deux articles donnés en référence (Ref
9, Ref 16). L’importance de l’imprimerie dans la création d’un pré-standard écrit est abordée dans Variations et
changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales.
19
67
Le substrat celtique est très certainement à l’origine de l’utilisation de do comme
auxiliaire et de la fréquence de l’utilisation de l’aspect be + -ing en anglais. La forte présence
scandinave sur le sol britannique après les invasions vikings à partir de la fin du
VIIIe
siècle
constitue certainement l’évènement ayant le plus contribué à une forme de simplification,
unique parmi les langues européennes, de la morphologie flexionnelle de l’anglais (perte du
genre grammatical et du cas duel, perte des désinences, plus grande utilisation du -s du pluriel
dans le domaine nominal, régularisation de la conjugaison de près de 85% des quelques 360
verbes forts du saxon occidental). J’expose l’argument selon lequel ces changements sont dus
au fait que l’anglais est alors massivement appris et transmis par les Scandinaves comme peut
l’être une deuxième langue, une simplification opérant en raison des difficultés rencontrées
par les adultes en matière d’acquisition d’une langue étrangère. On peut ainsi considérer que
le contact avec les Scandinaves contribue à une sorte de créolisation de la langue anglaise,
qui opère graduellement à partir d’échanges oraux. Dans le domaine de l’intonation, on note
aujourd’hui l’emploi de schémas intonatifs particuliers dans le nord de la Grande-Bretagne
(certaines zones de l’Écosse et plusieurs villes du Nord de l’Angleterre). Herment & Turcsan
(2015 : 189) les constatent également en Ulster. Il s’agit de schémas ascendants dans les
énoncés déclaratifs. Cruttenden (2007) considère que ce schéma ascendant particulier fait
partie d’un système intonatif qu’il appelle Urban North British Intonation (UNBI) et qui est
propre aux variétés urbaines du nord du Royaume-Uni. Hirst (2013) émet l’hypothèse selon
laquelle l’UNBI pourrait avoir une origine scandinave. En effet, il remarque que les zones
dans lesquelles ce schéma intonatif est attesté correspondent essentiellement aux zones
d’implantation des Vikings dans les îles Britanniques. Le fait que l’UNBI soit aussi avéré en
divers lieux dans les Hébrides (Wilhelm 2013) et les Orcades (van Leyden 2004) renforce
cette hypothèse. Selon Wilhelm (2015b), la présence d’UNBI en Irlande du Nord peut être
envisagée comme résultant des mouvements de population de l’Écosse vers l’Irlande du Nord
lors des Plantations d’Ulster. Dans ces conditions, la présence d’un substrat d’origine
scandinave paraît particulièrement compatible avec celle d’un système unique dans les
localités concernées. Signe d’un contact linguistique intense, l’influence grammaticale du
vieux norrois atteint directement les pronoms personnels (they, them et their), la marque en –s
de la troisième personne du singulier, ainsi qu’une partie de la conjugaison du verbe be au
présent. La diffusion se fait également à partir du Nord.
68
L’invasion franco-normande de 1066 contribue bien sûr à un apport lexical
considérable, avec quelques 10 000 emprunts au cours de la période médiévale. En moyenanglais, les agrégats consonantiques /hn-/, /hl-/ et /hr-/ sont progressivement réduits à /n-/, /l-/
et /r-/, avec une perte du /h/ initial. La perte systématique de /h/ dans les agrégats au cours de
l’époque moyen-anglaise ne peut être expliquée par des seuls facteurs de changement interne
et plusieurs linguistes (ex. Leith 1983, Schreier 2005) attribuent l’activation de ce changement
aux locuteurs bilingues français-anglais de l’époque. La palatalisation des emprunts français
contribue à la multiplication de palato-alvéolaires en anglais, puis à la phonématisation de [ʒ]
en /ʒ/.
2.2.5. Contact, accommodation et interaction au sein du monde anglophone
Bien sûr, les variétés d’anglais non britanniques sont riches en contacts linguistiques
variés. En m’appuyant sur le « modèle dynamique » de Schneider (2007, 2011), je décris le
développement et l’évolution de l’anglais américain dans Variations et changements…,
approfondissant ainsi de façon significative un travail que j’avais entrepris dans l’article
« Variations et innovations phonétiques en anglais américain » (Ref 11). Mon étude s’articule
autour des cinq phases historiques définies par le linguiste allemand : la fondation
(foundation), la stabilisation exonormative (exonormative stabilization), la nativisation
(nativization),
la
stabilisation
endonormative
(endonormative
stabilization)
et
la
différenciation (differentiation). Le « modèle dynamique » (MD) permet de reconnaître et de
modéliser une identité linguistique en évolution dans les variétés non britanniques. En
revanche, le MD ne permet pas de rendre compte des variétés britanniques et de leurs
évolutions. Schneider (2007 : 29-55) considère qu’il existe des processus sous-jacents qui sont
communs à la création et à l’évolution de toutes ces variétés, qu’il nomme variétés
postcoloniales (postcolonial varieties of English ou postcolonial Englishes, PCEs), même si
celles-ci diffèrent entre elles en fonction des territoires dans lesquelles elles se développent.
Ces similitudes peuvent s’expliquer car la langue anglaise est soumise à l’influence de
facteurs similaires lorsqu’elle se trouve transportée vers de nouvelles contrées. Les facteurs
qui contribuent à leur évolution relèvent à la fois de mécanismes de changement internes et de
phénomènes sociolinguistiques de contact. Les variétés évoluent en fonction de situations
socio-historiques, voire socio-politiques. Elles sont également conditionnées par les attitudes
69
des locuteurs envers la langue, ainsi que par des actes d’identité. Ainsi, Schneider (2007 : 30)
écrit :
I claim […] there is a shared underlying process which drives their formations, accounts for similarities
between them, and appears to operate whenever a language is transplanted [...] I propose that to a
considerable extent the emergence of PCEs is an identity-driven process of linguistic convergence.
L’évolution des variétés non britanniques est donc due à des processus de convergence
relevant de phénomènes d’accommodation entre les descendants des deux composantes
sociétales d’origine que sont les autochtones et les colons. Petit à petit, le parler de la
communauté des colons se rapproche de celui de la communauté des autochtones pour créer
une nouvelle variété d’anglais, dont l’émergence est en lien avec des motivations identitaires.
Le MD s’articule autour de deux phases principales. Dans un premier temps, la composante
sociétale des colons, c'est-à-dire la communauté qui a introduit l’anglais dans le nouveau
territoire, continue à s’identifier au pays d’origine (l’Angleterre dans la majorité des cas) et se
différencie clairement des autochtones. Au cours de la deuxième phase, la composante
structurelle des colons prend ses distances avec le pays d’origine et par extension avec la
façon dont l’anglais y est parlé. Cette évolution, conjuguée à l’adoption de la langue anglaise
par la composante sociétale autochtone, contribue à créer une nouvelle identité linguistique
qui se manifeste par une variété représentant la diversité culturelle et linguistique de ses
locuteurs. Ce modèle structure mon étude de l’histoire de l’anglais américain dans Variations
et changements…, ouvrage dans lequel j’aborde également, mais de façon plus succincte, les
principales caractéristiques de quelques variétés du « cercle intérieur » et du « cercle
extérieur » de Kachru (1985).
Le modèle des « trois cercles » de Kachru (1985) consiste à diviser les variétés
d’anglais en trois groupes qui se superposent (voir schéma ci-dessous). Le Inner Circle est
assez proche des variétés ENL (English as a Native Language), dans lesquelles l’anglais est
appris et transmis en tant que langue maternelle (ex. le Royaume-Uni, les États-Unis,
l’Australie…). Le Outer Circle correspond en gros aux variétés ESL (English as a Second
Language), associées à des pays dans lesquels l’anglais est profondément ancré pour des
raisons historiques et joue un rôle important, étant même parfois l’une des langues officielles
du pays, dans des domaines tels que la politique, l’éducation, ou encore les médias. L’anglais
y côtoie des langues autochtones, l’une ou plusieurs d’entre elles pouvant également servir de
langue(s) officielle(s). Il s’agit souvent d’anciennes colonies (ex. l’Inde, la Malaisie, le
70
Nigéria…). Enfin, le Expanding Circle se rapproche des variétés EFL (English as a Foreign
Language), enseignées dans le cadre du système éducatif officiel à des locuteurs d’autres
langues qui apprennent l’anglais à des fins essentiellement professionnelles et / ou utilitaires,
cette langue n’ayant que des fonctions marginales à l’intérieur du pays (ex. la France,
l’Italie…).
Ce modèle permet la reconnaissance d’une possible interaction entre les différentes
catégories, en plus d’une dimension socio-politique et d’une perspective de développement
possible (comme l’indiquent les connotations des termes intérieurs, extérieurs et en
expansion). Si les variétés du cercle intérieur sont celles qui servent de modèle en fournissant
des normes aux autres variétés, celles du cercle extérieur sont engagées dans un processus de
développement de normes qui leur sont propres, tandis que celles du cercle en expansion sont
encore dépendantes de normes fournies par des modèles (qu’elles trouvent dans les variétés
du cercle intérieur). Kachru et ses disciples remettent en question la prédominance du cercle
intérieur pour mettre l’accent sur les deux autres catégories. Ils affirment que l’anglais
appartient à tous ceux qui l’utilisent, d’où l’existence de normes en mouvements et la
légitimité des locuteurs du cercle extérieur et du cercle en expansion.
Au niveau de la phonologie, les variétés de l’Outer Circle ont tendance à présenter un
système réduit. Il s’agit d’une forme de simplification qui tend vers une réduction des
complexités et une perte des distinctions par rapport aux variétés du cercle intérieur. De plus,
les caractéristiques segmentales et suprasegmentales (et notamment rythmiques) des langues
71
autochtones ont une influence sur ces accents de l’anglais. Voici un certain nombre de
caractéristiques, communes à un grand nombre de ces variétés :
- une tendance à la réduction des agrégats consonantiques (ex. test [tes], west [wes], ask [as])
- les fricatives dentales /θ, ð/ étant particulièrement marquées, elles disparaissent souvent au
profit de réalisations telles que [t, d] ou [f, v] ;
- une tendance à la neutralisation de l’opposition de longueur pour les voyelles : les membres
de paires minimales telles que beat et bit ou pool et pull deviennent alors similaires (ex. de
nombreuses variétés africaines et asiatiques) ;
- les voyelles centrales ont tendance à être évitées : la voyelle de STRUT a par exemple une
réalisation proche de [a] ou de [ɒ] ; la voyelle de NURSE peut être prononcée avec une qualité
proche de [e] ; le schwa /ə/ perd de sa qualité centrale tout en étant moins réduit que dans les
prononciations du cercle intérieur et en prenant fréquemment la forme de [a] (Schneider
(2011 : 202) ;
- dans la chaîne parlée, les mots grammaticaux monosyllabiques, qui ont la plupart du temps
une forme réduite dans d’autres variétés, sont réalisés avec leur forme pleine, et non avec un
schwa (ex. of [ɒv], from [frɒm]) ;
- de façon plus générale, on note une tendance à la réalisation de voyelles pleines en position
non accentuée, là où la plupart des variétés du cercle intérieur ont de façon presque
systématique des voyelles réduites (ex. cottage [ˈkɒtɛdʒ], arrive [æˈraɪv], consider [kɒnˈsɪdə]) ;
- par conséquent, les variétés du cercle extérieur présentent une plus grande syllabicité que
celles du cercle intérieur ; elles sont davantage rythmées par les syllabes que par les accents
lexicaux.
2.2.6. L’activation du changement
Pour expliquer le développement des CPC dans plusieurs régions du monde
anglophone à la fin des années 1960 et au début des années 1970 lors de mon travail de thèse,
je m’intéresse à la question de l’activation du changement à grande échelle (the actuation
problem), que Weinreich, Labov & Herzog (1968) estiment centrale au concept même de
l’évolution linguistique. Pourquoi le changement est-il « activé » à un moment et en un lieu
donné ? Pourquoi n’opère-t-il pas en un autre lieu et à un moment différent ? L’activation du
changement est en fait le passage, à un moment particulier, d’une situation de variation plus
ou moins stable à une situation de véritable changement. S’inscrivant dans le cadre conceptuel
72
de la linguistique cognitive, Smith (1996, 2007) propose un modèle qui permet de répondre à
cette question. Les linguistes de sensibilité cognitive s’accordent à reconnaître un lien entre
compétences linguistiques et compétences non linguistiques. L’opposition traditionnelle entre
changements linguistiques internes et externes n’est donc plus pertinente dans un tel cadre,
une interaction entre processus linguistiques et processus extra-linguistiques étant jugée
nécessaire pour que le changement soit activé (Smith 2007 : 10). L’évolution peut être en lien
avec des événements historiques ou sociaux majeurs, voire des considérations idéologiques
(Labov 2010 : 244). Ainsi, l’activation du changement peut être due à une conjoncture
historique ou sociale particulière. Cette apport de la linguistique cognitive aura une
importance majeure dans l’ouverture théorique de mes recherches (cf. chapitre 3), notamment
parce qu’elle permet de garder un lien avec une composante sociale. En ce qui concerne le
lien avec le social, Smith s’inscrit dans une tradition datant du début du
XXe
siècle, avec par
exemple Meillet (1926 : 17-18), qui développe l’argument selon lequel seul le changement
social peut nous permettre d’expliquer le changement linguistique.
Pour revenir à mon travail de thèse, le modèle de Smith me permet d’émettre
l’hypothèse selon laquelle l’activation du changement qui mène à la palatalisation
contemporaine est en lien avec les grands changements sociaux de l’après-Seconde Guerre
mondiale, à la fois en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Le travail sur le corpus IDEA
m’avait permis de constater que la palatalisation contemporaine devenait vraiment saillante
avec les locuteurs nés dans les années 1960 et 1970. Cela est dû à un phénomène
d’incrémentation : par générations successives, les locuteurs font avancer les changements
dans la même direction que leurs aînés, mais jusqu’à un niveau supérieur d’évolution. Selon
ce principe, on peut avancer que les CPC commencent à se développer avec les changements
sociaux dans le contexte immédiat de l’après-Seconde Guerre mondiale. Dans un deuxième
temps, l’incrémentation du changement linguistique porte ces changements de sons à un
niveau supérieur d’évolution vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, ce qui
les rend plus saillants, donc plus facilement observables dans la communauté. La remise en
question de l’ordre, généralisée au cours de la période charnière sixties – seventies, ne peut
que renforcer le changement car elle prend également la forme d’une remise en question de
l’ordre linguistique (McWhorter 2012 : 109). Je reviens sur la notion d’activation du
changement des sons dans les articles « Into the ear, through the head, out on the lips» (2013,
Ref 5) et « Introducing Contemporary palatalisation » (2014b, Ref 6). Dans « Consonant
Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (2015b, Ref 7), j’adopte un point
73
de vue plus large que celui de la seule palatalisation contemporaine pour proposer un modèle
du changement consonantique. J’y propose une identification des contextes sociaux et / ou des
évènements socio-historiques qui ont pu servir de déclencheurs aux changements
consonantiques que constituent la Loi de Grimm, la perte de /h/ dans les agrégats /hn-/, /hl-/ et
/hr-/ en moyen-anglais, ainsi que des processus cycliques de palatalisation dans l’histoire de
l’anglais. Dans « L’activation du changement des sons en Grande-Bretagne dans le contexte
de l’après Seconde Guerre mondiale » (Ref 12), j’élargis le point de vue sur cette période
riche en évènements socio-historiques en essayant de déterminer si elle est porteuse d’autres
changements que celui de la palatalisation contemporaine. J’y note que les années qui suivent
la Seconde Guerre mondiale sont riches en changements de sons dont l’activation peut être
expliquée par le même contexte. En effet, à la lecture de divers ouvrages et articles de
phonétique et de phonologie, on remarque aisément qu’un nombre important de changements
de sons a été relevé dans la deuxième moitié du
XXe
siècle, et ce, dans plusieurs régions de
Grande-Bretagne. Le point commun à ces évolutions est la diffusion de traits qui trouvent leur
origine dans des variétés d’anglais non-standard, que ces variétés soient régionales ou
sociales. Ces traits ont été observés depuis longtemps (parfois plusieurs siècles) sous forme de
variation et ils se diffusent depuis plusieurs décennies, y compris dans la prononciation
britannique standard. Ils commencent donc à « passer » de l’état de variation à celui de
changement dans la seconde partie du
XXe
siècle. Les huit principaux changements que
j’étudie dans cet article sont les suivants : la tension de /ɪ/ en position finale, l’évolution de la
diphtongue /əʊ/, l’antériorisation de /uː, ʊ/, la glottalisation de /t/, la vocalisation de /l/,
l’antériorisation de <th> (/θ/ et /ð/), la coalescence du yod et la palatalisation
contemporaine.
La question de l’activation du changement linguistique est au centre des
préoccupations qui me poussent à écrire Variations et changements en langue anglaise.
Évènements historiques, perspectives humaines et sociales. Dans la partie historique de cet
ouvrage, je recense les évènements historiques et les changements sociaux qui ont eu une
influence significative sur l’évolution de l’anglais. Cet ouvrage constitue en fait la synthèse de
la majeure partie des recherches que j’ai effectuées à ce jour. Il me permet également
d’exposer mes convictions dans le domaine de la linguistique au sens large.
74
2.3. Positionnement épistémologique
Certains linguistes réfutent l’idée d’une véritable prise en compte des locuteurs et des
réalités sociales, culturelles et historiques dans l’étude des langues et de leur évolution. Ils
considèrent que la langue est un système formel autonome, qui change de façon interne et
indépendante, en fonction de facteurs structuraux. Ce point de vue traditionnel est par
exemple exprimé par Lass (1980 : 120-122), pour qui la meilleure façon d’étudier les langues
consiste à considérer celles-ci comme des objets formels et à se concentrer sur leur évolution
interne, en dehors de tout lien avec celles et ceux qui les utilisent et, par conséquent, sans tenir
compte de leur rapport aux réalités extra-linguistiques. Les sections précédentes de cette
synthèse ne laissent certainement aucun doute sur le fait que telle n’est pas ma position. Au
début du
XXe
siècle, Meillet insiste dans de nombreux textes sur le caractère social de la
langue, revendiquant sa filiation avec le sociologue Émile Durkheim. Ses positions sont en
partie en opposition avec celles des structuralistes, qui rejettent majoritairement le lien entre
langue et société, assumant en cela l’héritage de Ferdinand de Saussure, illustré par la
dernière phrase du Cours de Linguistique Générale, selon laquelle « la linguistique a pour
unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même » (Saussure
1916 : 317). Au cours du
XIXe
siècle et du début du
XXe
siècle, l’histoire de la langue est vue
comme essentiellement interne. Les philologues considèrent que les seuls champs d’étude
sont les changements de sons, les évolutions lexicales et syntaxiques. Un quelconque lien
avec des événements historiques est considéré comme secondaire (Matto et Momma 2011 :
7). Au contraire, Meillet conçoit la langue comme à la fois un système et un fait social. « Pour
lui, on ne peut rien comprendre aux faits de langue sans faire référence au social et donc sans
faire référence à la diachronie, à l’histoire » (Calvet 2011 : 7). Une telle approche implique
une perspective à la fois interne et externe de la langue, tout en liant synchronie et diachronie.
Comme écrit précédemment, Meillet considère que seul le changement social permet
d’expliquer (et non seulement de constater) le changement linguistique.
Dans les années 1960, bien que Chomsky reconnaisse la nature sociale du langage, « il
choisit d’exclure cet aspect du champ de la linguistique pour se concentrer sur un système
débarrassé de l’indétermination des usages hétérogènes » (Sorlin 2012 : 107). Le locuteur
qu’il choisit d’étudier est donc un locuteur idéal dont seule la compétence linguistique interne
et théorique mérite d’être étudiée, en dehors de toute manifestation de son usage linguistique
réel et social (performance). Quelques années plus tard, Labov remet véritablement au goût
75
du jour l’étude de la langue dans son contexte social (cf. section 2.2.1). Pour autant, Labov ne
nie pas la dimension interne de la variation et du changement linguistique, ainsi que l’attestent
les titres de ses trois volumes de la série Principles of Linguistic Change: Internal Factors
(volume 1, 1994), Social Factors (volume 2, 2001), Cognitive and Cultural Factors (volume
3, 2010). On peut considérer que ces facteurs forment un tout et permettent, ensemble,
d’expliquer le fonctionnement du changement linguistique. Dans les études de l’histoire de la
langue anglaise, le corollaire de cette vision à la fois interne et externe de la langue est un
rééquilibrage en direction du lien entre langue et histoire dans la deuxième partie du
XXe
siècle, en tenant compte du rôle que peuvent avoir les événements historiques sur l’évolution
linguistique. (Matto et Momma (2011 : 8) écrivent qu’il n’est plus pertinent de distinguer
entre points de vue interne et externe dans le cadre d’études de linguistique historique, la
fonction sociale du langage étant devenue évidente.
Mon positionnement s’inscrit résolument dans une approche sociolinguistique. Je
souscris au point de vue de J. Milroy (1992 : 4), selon lequel seules les langues qui n’ont pas
de locuteurs ne changent pas, étant par définition des langues mortes. Je m’intéresse donc
principalement au rôle joué dans la variation et le changement linguistique par les locuteurs et
par le contexte dans lequel ceux-ci évoluent. Je ne cherche néanmoins nullement à nier
l’importance de facteurs structuraux de type interne dans le fonctionnement des langues et
leur évolution. Cependant, j’adopte le point de vue selon lequel ces mécanismes internes ne
peuvent pas vraiment expliquer le changement linguistique en dehors d’un lien avec des
facteurs extralinguistiques, c’est-à-dire des événements qui relèvent de l’humain, du culturel,
du social, de l’Histoire. Ainsi, je revendique l’héritage de linguistes qui ont profondément
influencé mes axes de recherche, tels que Meillet, J. et L. Milroy, Labov, Trudgill ou J. Smith.
En ce sens, mon approche de la linguistique me pousse à en voir les liens avec le domaine
plus large des sciences humaines et sociales, d’où le titre de l’introduction de Phonologies de
l’anglais : théories et applications (2018c, voir tiré à part), co-écrite avec Manuel Jobert :
« La langue orale au cœur des Humanités ». Pour en venir spécifiquement à la langue orale,
celle-ci me paraît entretenir des rapports évidents avec plusieurs champs de la linguistique, et
pas seulement la phonétique et la phonologie. Le rôle joué par l’accommodation, une notion
issue de la pragmatique, est par exemple fondamental dans les processus de changement
relevant de l’interaction. Je reviendrai sur cette notion lorsque j’aborderai le modèle social du
changement linguistique de J. Milroy (1992, cf. section 3.4), une théorie qui s’appuie sur les
interactions entre individus. Lors du colloque international PARLAY, tenu à l’Université de
76
York en septembre 2013, Francis Nolan a déclaré que, s’il était un domaine dans lequel
l’interdisciplinarité semblait pertinente, c’était bien celui de la langue orale, car celle-ci se
situait à la croisée de plusieurs disciplines comme la phonétique, la phonologie, la
sociolinguistique, la psycholinguistique, les sciences cognitives (dont la neurolinguistique) ou
encore la biomécanique et les neurosciences.
Comme certains linguistes spécialistes de la variation et du changement (ex. Blevins,
Bybee, Ohala, J. Smith, cf. section 3.2), mes études sur les changements consonantiques
m’incitent à penser que synchronie et diachronie ne sont séparées que de façon « artificielle »
suite à une convention à l’origine établie par Saussure. Certes, la distinction saussurienne peut
s’avérer très utile d’un point de vue pratique, mais elle manque peut-être d’authenticité face
aux processus qui lient variation et changement de façon si étroite. De nombreux phénomènes
voient tout d’abord le jour sur le plan phonétique à une période donnée, avant de se trouver
fossilisés et d’appartenir ainsi à l’histoire de la langue. La variation phonétique en synchronie
est donc le miroir du changement des sons, ainsi que l’explique Ohala (2003 : 672) :
Phonetic variation parallels sound change, that is, synchronic variation, including that which we find in
present-day speech (…), resembles diachronic variation.
On retrouve dans cet argument la logique du principe uniformitariste (cf. section
2.2.2), auquel je souscris totalement. Si l’on suit les propos d’Ohala, le fait d’articuler
diachronie et synchronie permet également de faire le lien entre le niveau phonétique et le
niveau phonologique. C’est la raison pour laquelle nombre de mes travaux sont fondé sur le
présupposé d’une interface entre phonétique et phonologie, évidente me semble-t-il si l’on
travaille dans une perspective d’évolution de la langue, des concepts tels que
phonématisation, phonologisation ou encore fossilisation permettant de donner un cadre
théorique au passage du niveau phonétique au niveau phonologique. Je reviendrai plus tard
sur mon positionnement au sujet de la reconnaissance (peut-être partielle) de deux niveaux de
représentation des sons, à savoir un niveau sous-jacent (phonologique) et un niveau de surface
(phonétique). Je souhaiterais toutefois dès à présent affirmer à la suite des propos tenus
précédemment que les frontières entre ces deux niveaux ne me semblent pas des absolus.
En résumé, mon parcours me fait partir de la langue orale pour m’orienter vers la
sociolinguistique et d’autres champs de recherche. Néanmoins, ces derniers me paraissent
renforcer mes possibilités de travail en phonétique et en phonologie, qui restent mes
77
principaux centres d’intérêt, y compris dans un ouvrage plus polyvalent comme Variations et
changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales.
En ce qui concerne mon parcours de chercheur, la dimension interdisciplinaire de mon travail
se trouve renforcée à partir du moment où j’exerce mes fonctions de Maître de Conférences à
l’Université Jean Monnet en raison du travail en équipe mené dans mon laboratoire de
rattachement.
78
TROISIÈME PARTIE
Interdisciplinarité
& ouvertures théoriques
79
3.1. Responsabilités d’un enseignant-chercheur dans la transmission de la recherche
Quel que soit le positionnement adopté par le chercheur, la question de la transmission
de la recherche est importante afin que celle-ci ne demeure pas confidentielle. Le rôle de
l’Université dans cette transmission me paraît primordial pour contribuer à l’avancée des
enseignements et les rendre ainsi plus authentiques, comme pour ne pas reproduire
indéfiniment les mêmes contenus. Cette affirmation peut sembler relever d’un lieu commun
mais elle correspond toutefois à une profonde conviction, que mes fonctions de Maître de
Conférences à l’Université Jean Monnet m’ont permis de mettre en application. Bien que je
sois issu de la filière LLCE de cette université, j’ai souhaité œuvré pour un renouvellement
des enseignements. En ce qui concerne les cours que je dispense, et outre l’approche
d’exposition à la variation que je défends dans mes cours de phonétique et de compréhension
(cf. sections 1.1 et 1.2), j’ai introduit des cours de sociolinguistique dans le cursus de nos
étudiants. J’anime en effet un séminaire de master 2 recherche consacré à la variation et au
changement. Au niveau L3, les étudiants choisissent un « enseignement complémentaire »
parmi des enseignements de littérature, civilisation, traduction orale et linguistique. J’assure
l’enseignement de linguistique au semestre 5 et mon but est d’ouvrir les étudiants à de
nouvelles perspectives en linguistique (le reste des enseignements en la matière portant
exclusivement sur la grammaire et la phonologie depuis la L1), tout en leur donnant des clés
pour aborder une éventuelle recherche personnelle. Nous travaillons sur différentes branches
de la linguistique (essentiellement sociolinguistique, morphologie et pragmatique, la
sémantique et la phonologie étant traitées au semestre 6) et quelques grands courants de
celles-ci. Une grande partie du cours est consacrée à la sociolinguistique avec une
introduction à la variation et au changement, une sensibilisation à la linguistique historique
(avec un apport important de linguistique externe et de sociolinguistique historique) et une
introduction aux variétés de l’anglais. Après mon élection à la direction du département
d’études anglophones en 2015 (je suis réélu en 2017 pour un deuxième mandat de deux ans),
j’œuvre dans le même esprit pour élargir le champ culturel des études anglophones à SaintÉtienne dans le cadre de la nouvelle maquette des enseignements. Cet élargissement, y
compris dans des domaines qui ne relèvent pas de ma spécialité, doit avoir des effets positifs
en ce qui concerne la culture personnelle des étudiants, les aidant notamment à être mieux
préparés aux concours que j’ai eu l’occasion de voir de l’intérieur, en qualité de membre du
jury. Dans cette double optique, je propose aux collègues un élargissement de nos
enseignements
à
la
« culture
générale
80
du
Commonwealth »
(littérature
et
histoire / civilisation ; semestre 3) et aux « arts visuels » (semestre 4) dans le cadre d’une UE
« complément disciplinaire ».
Les travaux des étudiants sont bien sûr un point central de la transmission et de la
vitalité de la recherche en milieu universitaire. À l’Université Jean Monnet, les étudiants
doivent rédiger, à la fin de leur première année de master, un projet de mémoire en anglais qui
comporte un plan, une problématique et une bibliographie. Ce n’est qu’au cours de leur
deuxième année qu’ils rédigent un véritable mémoire. Depuis ma première année en tant que
Maître de Conférences, j’encadre des mémoires de master 2 dans le domaine de la variation et
du changement en ce qui concerne les masters recherche20 et dans celui de la didactique pour
les masters Meef21. Certains travaux se situent d’ailleurs à la croisée de la linguistique et de la
didactique22.
L’importance à mes yeux de la diffusion de la recherche et de la transmission est
également au centre de ma collaboration à trois reprises avec La clé des langues, site consacré
à la « formation continue des enseignants, en relation avec les programmes d’enseignement
des collèges et lycées […] conçu pour permettre aux professeurs de disposer de ressources
scientifiques destinées à leur formation, à l’actualisation de leurs connaissances ou à une
ouverture de leur champ disciplinaire » (http://cle.ens-lyon.fr/a-propos/contribuer-au-site).
Les trois articles que j’ai écrits à ce jour pour La clé des langues sont regroupés dans le
volume II de ce dossier de synthèse (ils ne suivent pas l’ordre chronologique de mes
publications, comme le font les autres articles) car ils s’inscrivent dans une perspective de
valorisation de la recherche et de sa diffusion en direction des enseignants du second degré
(Ref 10, Ref 11, Ref 12). Le fait que ces articles soient publiés en ligne contribue sans aucun
doute à une meilleure diffusion. Ce travail pour La clé des langues me permet ainsi de
continuer indirectement à contribuer à la formation des enseignants du second degré. Ma
collaboration avec des collègues de collège / lycée lors des oraux du CAPES en tant que
membre du jury (2012-2015) me poussent d’ailleurs à penser qu’il y a beaucoup à gagner en
faisant des ponts entre le secondaire et le supérieur, qui peuvent s’enrichir l’un l’autre.
20
The Political Discourse of the 2014 Scottish Referendum. An Act of Identity (Elena Vlaxopanagiotis 2016) ;
The Sociophonetics of Dublin English (Anissa Naoui 2018) ; The Missouri Accent (Mathilde Saint-Genis, en
cours) ; Subject-Verb Non-Agreement in Topic-Introducing Structures in Spoken English: There-Clauses and
Here-Clauses. A Synchronic Sociolinguistic Study (Halima Stevens, en cours).
21
The Role of the Teacher in the Action-oriented Approach (Bérangère Tortoza, 2018).
22
Teaching Epistemic Modality in Year 11:Towards An Action-Oriented Approach? (Lina Aidel, 2016)
81
Afin de diffuser certains axes de recherche développés dans ma thèse, je privilégie la
publication de plusieurs articles inspirés de celle-ci (Ref 10) ; certains proposant des
prolongements à la réflexion menée au cours de mon doctorat (Ref 4, Ref 5, Ref 15, Ref 16).
Afin de toucher un lectorat potentiellement plus large, je rédige également plusieurs articles
en anglais, dont deux sont publiés en ligne : « The yod /j/: palatalise it or drop it- How
Traditional Yod Forms are Disappearing from Contemporary English » (Ref 4) et
« Introducing Contemporary palatalisation» (Ref 6). Ce choix s’avère en partie judicieux dans
une optique de diffusion puisque ces deux articles ont été cités et servent de réflexion dans
plusieurs travaux de phonétique et / ou de phonologie. Parmi ceux-ci, le premier de ces deux
articles (Ref 4) est notamment mentionné dans le chapitre 1 d’un ouvrage espagnol intitulé
Readings in English Phonetics and Phonology (Monroy-Casas & Arboleda-Girao 2014 : 24) :
As Glain (2012) and Cruttenden (2008) have already pointed out, in some British accents, including
R.P. English, both /uː/ and /juː/ seem to coexist nowadays in such words as ‘lute’, ‘assume’,
‘supermarket’ or ‘suitable’, the former being more and more common after /l/ and /s/ in accented
syllables, while the latter remains predominant after /θ/ and /s/.
The loss of /j/ in onset clusters might also be due to ‘yod coalescence’, very specially in /tju/ and /dju/
sequences. Recent research carried out by Glain has shown that the loss of the semivowel is not
restricted to unstressed syllables, thus developing in stressed syllables as well, as a consequence of
either dropping or palatalisation. Furthermore, he adds that ‘this is the continuation of historic processes
that have invariably led to the loss of /j/ from /Cju/ sequences since the beginning of modern English’
(2012: 21).
Le second article (Ref 6) est notamment cité dans « Social and Structural Constraints
on a Phonetically-Motivated Change in Progress: (str) Retraction in Raleigh, NC », un article
d’Eric Wilbanks (2017), de l’université de Berkeley, publié dans le numéro 23 de University
of Pennsylvania Working Papers in Linguistics.
Après avoir défini mon champ de recherche comme étant principalement celui de la
variation et du changement au cours de mes années de doctorat, essentiellement dans une
perspective sociophonétique, j’éprouve le besoin d’effectuer un retour vers la théorie,
notamment dans le domaine des représentations phonologiques des locuteurs, un aspect
primordial pour étudier le changement des sons. Ce mouvement ne remet cependant pas en
question la perspective humaine et sociale qui constitue le pilier de ma recherche. En effet, les
différentes théories que je vais à présent évoquer ont ceci en commun qu’elles ne permettent
d’expliquer le changement des sons que par le rapport qu’entretient celui-ci avec les
interactions entre locuteurs.
82
3.2. Le rôle de l’auditeur ; la perception
Dès le début du XXe siècle, Baudouin de Courtenay (1910, cité dans Blevins 2004 : 79)
propose l’hypothèse selon laquelle la perception des évènements phonétiques joue un rôle
dans l’évolution des langues. Il soutient que les erreurs de perception sont des facteurs de
changement linguistique, comme peut l’être une analyse phonologique ambiguë du flux
phonétique qui caractérise le discours. Par la suite, la théorie de la communication parlée de
Jakobson attribue des « places symétriques » au locuteur et à l’auditeur (Nguyen 2005 : 426).
Une telle prise en compte de l’auditeur dans ce modèle de communication le rend plus
authentique que ceux qui existaient jusqu’alors. Production et réception de l’information
phonétique - et par conséquent du message - sont donc les deux composantes d’un même
processus et il existe un rapport de cause à effet entre la manière dont l’information est
produite et celle dont elle est perçue. À ce titre, Bloomfield (1933 : 386) propose la définition
suivante du principe du moindre effort, auquel il attribue une limite :
It is safe to say that we speak as rapidly and with as little effort as possible, approaching always the
limit where our interlocutors ask us to repeat our utterance, and that a great deal of sound-change is in
some way connected with this factor.
Labov (2001 : 17) propose des reformulations de cette définition qui permettent de lier
production et perception autour du concept de limite proposé par Bloomfield. Il suggère que la
réduction des formes phonétiques qu’implique le principe d’économie prend fin au moment
où l’information pourrait être perdue. De ce fait, les facteurs menant à la réduction de
l’information phonétique peuvent prendre le pas sur le maintien du sens. Plusieurs modèles du
changement des sons reposent de ce fait sur le lien entre production et réception de
l’information phonétique. Par exemple, Ohala (ex. 1981, 1989, 1993, 1994, 2003) propose
une théorie du changement entièrement non-téléologique. Il part du principe que, dans l’esprit
du locuteur, l’énoncé qu’il produit est composé d’une suite d’unités phonologiques distinctes,
ce qui n’est pas le cas au niveau phonétique, où il y a fréquemment coarticulation de
phonèmes voisins. Cette dualité reflète l’opposition traditionnelle entre phonétique et
phonologie. En effet, « la phonologie fait […] le pari que sur la réalisation phonétique, nonlinéaire car entraînant une série de chevauchements de traits, les locuteurs projettent une suite
linéaire d’unités » (Brandão de Carvalho, Nguyen & Wauquier 2010 : 72). Si les différentes
unités constitutives de la chaîne parlée se chevauchent, tant sur le plan de la production qu’au
niveau de la perception, le récepteur reconstruit naturellement les unités par l’intermédiaire
83
d’une « analyse grammaticale » (parsing) du flux sonore (Ohala 1994 : 374-375). Ohala
(1981) parle de règles reconstructrices (reconstructive rules) qui permettent de dériver les
formes phonologiques à partir de différents allophones et phénomènes de chaîne parlée.
Cependant, dans une minorité de cas, l’analyse grammaticale du récepteur est erronée et les
unités constitutives de l’énoncé ne sont pas correctement décodées. De telles erreurs de
découpage du flux sonore en unités distinctes mènent à des changements linguistiques
potentiels (Ohala 1994 : 376). Ohala emprunte le nom de sa théorie, dont les composantes ont
été étudiées en laboratoire, à Lindblom : la H&H theory (Hypo and Hyper Speech Theory).
Ce modèle repose sur les phénomènes d’hypoadaptation et d’hyperadaptation23 chez le
récepteur. Selon Lindblom (1986, 1990), le discours de tout locuteur s’articule le long d’un
continuum qui va de l’hypoarticulation à l’hyperarticulation. Les énoncés produits suivent un
principe de variabilité adaptative répondant aux deux exigences que sont le besoin
d’intelligibilité pour l’auditeur et le principe d’économie articulatoire chez le locuteur
(Meunier 2005 : 355). À partir de ces considérations, le changement se manifeste de deux
façons différentes. Lorsqu’il y a hypoadaptation, le récepteur, en tentant de reproduire des
sons qu’il n’a pas correctement perçus, peut « manquer la cible » (Smith 2007) en sousarticulant. De cette façon, la modification de la réalisation d’un phonème consonantique liée à
des phénomènes de coarticulation peut être perçue comme une réalisation novatrice du
phonème et généralisée à d’autres environnements (Ohala, 1981). À l’inverse, une application
erronée des règles correctrices peut aussi mener à la rectification d’erreurs qui n’existent pas
et donner lieu à une sur-articulation. Il s’agit là d’hyperadaptation.
Dans la lignée du positionnement précédemment défendu (cf. section 2.3), le modèle
« H&H » permet de faire le lien entre synchronie et diachronie et d’établir une interface entre
phonétique et phonologie. Ohala (1994 : 375) soutient ainsi que la coarticulation de certains
phonèmes en synchronie et les problèmes de perception qui en découlent sont le reflet exact
d’autres co-occurrences, identifiables au niveau diachronique. Il illustre son propos avec un
exemple de palatalisation :
Synchronically, stops released before high vowels or glides show more intense noise in their burst and
aspiration (if any); this is the same environment where diachronically stops develop into affricates (e.g.,
actual < [ækt + juəl] is [æktʃuəl]).
Je fais le choix d’utiliser utiliser les termes d’hypo- et d’hyperadaptation proposés par Smith (2007) plutôt que
ceux d’hypo- et d’hypercorrection originellement proposés par Lindblom et Ohala afin d’éviter la confusion
avec l’hypercorrection de type sociolinguistique.
23
84
Dans l’item actual, nous avons affaire à un cas de coarticulation fossilisée, c’est-à-dire
qu’un schéma de variation à l’origine phonétique est devenu phonologique (Ohala 1993 :
155). Dans le domaine consonantique, un grand nombre de changements sont le résultat de
coarticulations fossilisées et, donc, phonématisées. Dans le domaine vocalique, ce sont des
réalisations allophoniques (indépendantes ou faisant partie de changements en chaîne) qui
peuvent à terme accéder au statut de phonème, ainsi que l’illustre par exemple le Grand
Changement Vocalique au niveau historique.
À l’instar des propositions d’Ohala, les innovations phonétiques sont le reflet de
processus diachroniques dans le modèle de « phonologie évolutionnaire » de Blevins (2004),
qui permet également de faire le lien entre le niveau phonétique et le niveau phonologique.
L’analogie avec la théorie évolutionnaire de Darwin s’explique par l’évolution parallèle de
certains sons dans des langues différentes, à la manière des traits génétiques qui se
développent de façon indépendante dans plusieurs espèces. Leur généralisation crée un
changement phonologique dont l’origine se trouve dans une variation de type phonétique
(Blevins 2004 : 144). Comme dans le darwinisme24, toutes les évolutions ne perdurent pas de
façon durable.
Evolutionary Phonology proposes historical, non-teleological, phonetic explanations for synchronic
sound patterns. Cross-linguistic similarities which occur with greater than chance frequency are viewed
as the result of direct inheritance or parallel evolution. (…) the primary explanation for a synchronic
sound pattern is historical. (Blevins 2004 : 81)
Le modèle de changement de sons de Blevins (2004 : 32-33) se décline en trois types
d’évolutions distinctes qualifiées de CHANGE, CHANCE et CHOICE25. Il est ainsi qualifié
de modèle « CCC » (CCC model) :
GENERAL TYPOLOGY OF SOUND CHANGE IN EVOLUTIONARY PHONOLOGY (S =
SPEAKER, L = LISTENER)
i. CHANGE: The phonetic signal is misheard by the listener due to perceptual similarities of the actual
utterance with the perceived utterance. […]
Il existe en fait une longue tradition qui consiste à rapprocher le changement linguistique de l’évolution
darwinienne (cf. Labov 2001 : 3-15).
25
Par souci de cohérence, je garde ici la terminologie anglaise et les lettres majuscules pour faire référence à
chaque type d’évolution.
24
85
ii. CHANCE: The phonetic signal is accurately perceived by the listener but is intrinsically
phonologically ambiguous, and the listener associates a phonological form with the utterance which
differs from the phonological form in the speaker’s grammar. […]
iii. CHOICE: Multiple phonetic signals representing variants of a single phonological form are
accurately perceived by the listener, and due to this variation, the listener (a) acquires a prototype or
best exemplar of a phonetic category which differs from that of the speaker; and/or (b) associates a
phonological form with the set of variants which differs from the phonological form in the speaker’s
grammar.
De tels modèles du changement me permettent tout d’abord d’analyser le rôle que peut
jouer la perception dans le développement de la palatalisation contemporaine. La production
des CPC présente en effet les caractéristiques d’un cas d’hypoadaptation, selon le modèle
« H&H ». Dans le cas des mots comme tune, la suite [t+j] peut être interprétée comme [tʃ] et
reproduite, suite au phénomène d’hypoadaptation et à la non-application de règles
correctrices. Ainsi, la suite [ˈtjuːn] peut évoluer en [ˈtʃuːn] suite à plusieurs phénomènes
successifs. Je développe cette argumentation pour chacun des CPC dans « Into the ear,
through the head, out on the lips » (Ref 5). Pour ce qui est du cadre de la phonologie
évolutionnaire, je montre dans le même article qu’il est possible que le mécanisme de
CHANCE opère pour les CPC les plus fréquents, c’est-à-dire les cas de coalescence par le
yod après /t/ d’après le Cambridge English Pronouncing Dictionary (EPD 2006), le Longman
Pronunciation Dictionary (LPD 2008) et l’étude de corpus menée pour ma thèse (2013). Dans
ce cas, une réalisation de type [ˈtj̊ uːn] (le yod étant dévoisé en syllabe accentuée après une
occlusive) serait interprétée comme /ˈtʃuːn/ par un récepteur qui aurait lui-même /ˈtʃuːn/
comme forme sous-jacente. Autre possibilité, certains CPC se conforment au changement de
type CHANGE. Il y a dans ce cas confusion de phones similaires au plan acoustique et, par
conséquent, erreur de perception. CHANGE est donc particulièrement probable dans les cas
de la palatalisation de /s/ en /ʃ/ dans les agrégats en /st/, /stj/ et /str/, comme dans
l’environnement de /r/, notamment si celui-ci est produit de façon rétroflexe. Le récepteur
entend par exemple [ˈgrəʊʃri] ou [ˈʃtjuːdənt] alors que le locuteur a prononcé [ˈgrəʊsri] ou
[ˈstjuːdənt]. Il s’agit d’un cas typique d’assimilation auditive (Pavlík 2009). À terme, les
représentations phonologiques des items grocery et student peuvent devenir /ˈgrəʊʃri/ et
/ˈʃtjuːdənt/ chez cet individu, qui produit alors [ˈgrəʊʃri] et [ˈʃtjuːdənt] lorsqu’il est en
position de locuteur. D’autres CPC semblent parfaitement correspondre au changement de
type CHOICE. D’après Blevins (2004 : 141), le choix se fait en direction d’une forme
prototypique (une idéalisation) et conditionne la représentation phonologique que le récepteur
associe à l’item en question. Cette notion de « forme prototypique » dont parle Blevins
86
appartient à la linguistique cognitive, dont les principes influencent fortement ma conception
du phonème (cf. section 3.2.2). Pour un item comme tune, le récepteur entend plusieurs
variantes de [ˈtj̊ uːn] et de [ˈtçu:n], qui présentent des degrés de dévoisement et d’affrication
différents, et les interprète comme /ˈtʃu:n/. CHOICE est typique de changements caractérisés
par la variation inhérente au continuum discours relâché - discours soigné (Blevins 2004 :
262). Or, la palatalisation contemporaine trouve certainement son origine dans les spécificités
du discours relâché.
Dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (Ref
7), je me concentre sur quelques « erreurs » de perception qui ont pu servir de point de départ
à des changements consonantiques. L’un des plus connus est la « Loi de Grimm » (ou
première mutation consonantique). D’après Esau (1973), l’élément ayant pu servir de
déclencheur à la Loi de Grimm pourrait être la rencontre entre les peuples germaniques et les
Rhètes, un peuple qui sera plus tard incorporé dans l’Empire romain. Lorsque les peuples
germaniques se déplacent vers le sud au cours des premiers siècles avant J.-C., ils rencontrent
les Rhètes, qui vivent sur les terres où se trouvent aujourd’hui l’Autriche, la Suisse et l’Italie.
Smith (2007 : 82-83) explique que leur langue, le rhétique, possède deux séries de consonnes
obstruantes sourdes (non voisées) /p, t, k/ et /f, θ, x/. À chaque occlusive correspond une
fricative au point d’articulation similaire : /p - f/ ; /t - θ/ ; /k - x/. Les occlusives /p, t, k/
ne sont pas aspirées en rhétique. De plus, le système d’obstruantes en pré-germanique
possède un contraste en lien avec la voix chuchotée (Smith 2007 : 83). En d’autres termes,
l’utilisation de la voix chuchotée est un trait contrastif. Il semblerait que, suite à une série de
phénomènes d’hypo- et d’hyperadaptation, les Rhètes interprètent le murmure comme de
l’aspiration. Ensuite, l’aspiration rhétique est à son tour interprétée comme un élément fricatif
par les locuteurs germaniques, ce qui permet d’expliquer les changements /p, t, k/ → /f, θ, x/
(puis /x/ → /h/ par la suite). On voit ainsi comment des erreurs de perception ont pu jouer un
rôle dans cette mutation consonantique. Dans Variations et changements en langue anglaise :
évènements historiques ; perspectives humaines et sociales, je relaie un scénario alternatif
proposé par McWhorter (2012 : 10-12), qui émet l’hypothèse selon laquelle la rencontre des
peuples germaniques et des Phéniciens auraient contribué à la première mutation
consonantique en raison des différences entre les systèmes phonologiques en contact.
87
On voit donc que les interactions entre locuteurs sont primordiales dans ces modèles
centrés sur la perception, qui intègrent de ce fait une composante sociale dans le changement
des sons. En outre, il se passe quelque chose au niveau cognitif entre le moment où le signal
est perçu de façon erronée et le moment où des réalisations nouvelles sont produites (d’où le
titre de mon article « Into the ear, through the head, out on the lips » ; Ref 5). Ce « quelque
chose » me paraît avoir une influence sur les représentations phonologiques des locuteurs et
peut être expliqué dans un cadre relevant de la linguistique cognitive. Cette interaction entre
le social et le cognitif me pousse à proposer un modèle du changement des sons que je
qualifie dans un premier temps de « modèle intégratif » dans ma thèse (2013), avant d’en
approfondir les composante et de le rebaptiser, de façon plus explicite, « modèle
sociocognitif » (2015b ; Ref 7). Au-delà de la question du changement, mon ouverture à la
linguistique cognitive me permet de façonner petit à petit mon positionnement sur trois
problématiques centrales en phonologie : le nombre de niveaux de représentation, la nature du
phonème et l’opposition entre représentations phonologiques communes et représentations
phonologiques variables d’un locuteur à l’autre.
3.3. Linguistique cognitive et modèle sociocognitif du changement des sons
Smith (2007) propose une théorie proche du « H&H » qui inclut la dimension sociale
du changement. Son modèle s’inscrit dans le cadre de la linguistique cognitive (cf. section
2.2.6). Il explique que la variation intra-individuelle s’articule le long d’un continuum qui va
de l’hypo- à l’hyperarticulation et se trouve régie par des contraintes communicatives et
situationnelles. En d’autres termes, le locuteur dispose, pour un phone donné, d’une gamme
de variantes dont il peut extraire une réalisation particulière en fonction des types de
communication et de situation auxquels il est confronté. Parmi ces variantes, il existe une
réalisation prototypique du phone qui correspond à sa valeur sous-jacente chez le locuteur en
question. Smith (2007 : 19) rappelle à ce titre que l’une des anciennes définitions du terme
phonème, donnée par Jones (1956 : 172), correspond à celle d’une « famille de sons » (a
family of related sounds ; voir schéma ci-après) organisés autour d’une réalisation « cible »,
que l’on qualifierait aujourd’hui de prototypique. Ce son cible ou prototypique est le plus
important de la famille dans la mesure où il constitue la norme du phonème. Les autres sons
apparentés le « représentent » dans certaines séquences (Jones 1962 : 7-8).
88
.
= actual realizations
P = prototypical realization
une famille de sons (Smith, 2007 : 20)
Cette réalisation prototypique varie selon les locuteurs. Suite à des phénomènes
d’hypo- ou d’hyperadaptation, le récepteur peut changer sa prononciation, par identification
avec la valeur prototypique de son interlocuteur et adoption de celle-ci. Smith (2007 : 11)
soutient qu’un véritable changement opère à l’échelle de l’individu si l’adoption entraîne une
modification du système du récepteur, c’est-à-dire si l’évolution est d’ordre phonologique.
L’importance du processus du changement est proportionnelle à la fréquence du contact entre
locuteurs et à celle de l’exposition à un système phonologique différent. À partir de ces
considérations, Smith (2007 : 27) propose la définition suivante pour le changement à
l’échelle de l’individu26 :
A sound change has taken place when a variant form, mechanically produced, is imitated by a second
person and that process of imitation causes the system of the imitating individual to change.
Avec le recul, la conception du phonème de Jones paraît cognitiviste avant l’heure. En
effet, les notions de catégorisation et de prototype sont fondamentales en linguistique
cognitive, ainsi que l’écrivent Taylor & Littlemore (2014 : 6) :
Underlying much work in Cognitive Linguistics is an assumption that we organize our knowledge of the
world, not into discrete, neat categories, but into messy, overlapping categories, and that there will
always be some members of a category that are more central than others.
26
La position de Smith sur le changement à grande échelle, c'est-à-dire son activation, est rapportée dans la
section 2.2.6.
89
Un certain nombre de phones sont ainsi associés et regroupés dans des catégories
mentales communes qui constituent les phonèmes. Une telle conception implique une
interface entre le niveau phonétique et le niveau phonologique, voire une remise en question
de l’existence réelle de deux niveaux de représentation. Elle va dans le sens de la grammaire
cognitive de Langacker (1987, 1991, 2008). En effet,
[Langacker’s] Cognitive Grammar approach is sympathetic to the notion that linguistic knowledge,
rather than residing in a small number of very broad, high-level abstractions, may actually be rather
low-level and ‘surface-oriented’, consisting in multiple memories of already encountered usage and
relatively shallow generalizations over these remembered instances. (Taylor & Littlemore 2014 : 4)
La problématique de l’existence d’un ou de deux niveaux de représentation n’est pas si
simple à trancher et pose question aux cognitivistes. Välimaa-Blum (2005 : 63-64) établit une
distinction au sein des approches cognitives en ce qui concerne la nature du phonème. Selon
la première approche, les locuteurs stockent le phonème dans une forme qui est une
représentation schématique abstraite de tous ses co-allophones, ce qui correspond
parfaitement à la définition de Jones. Il en résulte une vision dérivationnelle de la phonologie
et une sous-spécification des éléments contenus dans le lexique. La seconde perspective
implique que les locuteurs stockent des exemplaires allophoniques des phonèmes. Les plus
fréquents sont plus solidement ancrés et servent de point de comparaison avec le stimulus
auditif en ce qui concerne la reconnaissance phonémique. Cette vision du phonème implique
une classe de sons composée de tous les co-allophones de chaque phonème. Il s’agit d’une
approche non dérivationnelle de la phonologie. D’après Carr (2015), un consensus semble se
dégager ces dernières années : celui de la dual mechanism hypothesis, qui reconnaît la
coexistence d’une certaine réalité « phonémique » avec un stockage d’informations
phonétiques qui contribuent à définir les catégories associées aux phonèmes. Cette hypothèse
va dans le sens de l’acquisition du langage. En effet, les expériences montrent que le
nourrisson de quelques jours est sensible aux contrastes sonores catégoriels (Kail 2012 : 23).
Il est également réceptif à tout type de contraste phonétique dans toute langue, mais il perd
progressivement la capacité à distinguer les contrastes non pertinents de sa langue maternelle
à partir de 6-8 mois. Par ailleurs, « les nourrissons connaissent les contraintes phonotactiques
de leur langue maternelle dès l’âge de 9 mois » (Bijeljac-Babic 2000 : 175), ce qui implique
nécessairement une perception des phonèmes de leur langue et de la valeur contrastive de
ceux-ci. Ces éléments confirment l’existence d’une certaine réalité phonémique qui se fait
émergente avec l’apprentissage de la langue maternelle et la perception des faits phonétiques.
90
Il me paraît difficile d’ignorer les implications de cette réalité phonémique, même si elle
coexiste avec un stockage d’informations phonétiques, pour définir un modèle de phonologie
cognitive. Par ailleurs, les neurosciences ont prouvé l’existence d’une forme de niveau de
représentation profond. En effet, Ding et al (2016) démontrent l’existence d’une structure
hiérarchique du langage à l’aide d’une magnétoencéphalographie, « une technique de mesure
des champs magnétiques induits par l'activité électrique des neurones du cerveau27 ». Cette
technique est notamment employée dans la recherche en neurosciences cognitives. Si
l’expérience n’a pas d’implications directes pour la phonologie, elle atteste tout de même de
la réalité d’un niveau sous-jacent de représentation du langage, qui se manifeste par une
organisation hiérarchique au niveau syntaxique :
We found that, during listening to connected speech, cortical activity of different timescales
concurrently tracked the time course of abstract linguistic structures at different hierarchical levels, such
as words, phrases and sentences. Notably, the neural tracking of hierarchical linguistic structures was
dissociated from the encoding of acoustic cues and from the predictability of incoming words. Our
results indicate that a hierarchy of neural processing timescales underlies grammar-based internal
construction of hierarchical linguistic structure. Ding et al (2016 : 158)
En parallèle de ces considérations liées au nombre de niveaux de représentation, une
question importante reste celle de la conception du phonème en tant qu’unité. Dans
« Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques. Le cas de la
palatalisation » (2018a, Ref 15), je m’intéresse à l’opposition traditionnelle entre identité
psychologique et identité fonctionnelle du phonème en dressant l’historique de cette
dichotomie. La première de ces conceptions est une vision interne au locuteur, correspondant
à une certaine réalité psychologique chez celui-ci. La seconde est une vision externe au
locuteur et essentiellement fonctionnelle. J’explique qu’une vision plus « moderne »,
s’inscrivant dans le cadre de la linguistique cognitive, de la définition du phonème de Jones
permet de réconcilier ces deux approches. Tout d’abord, le concept jonesien de « famille de
sons » est à rapprocher de celui des zones de dispersion ou zones d’articulation des
phonèmes. « Chaque réalisation d’un phonème est en effet dissemblable […]. Pour que le
caractère distinctif des oppositions soit assuré, il suffit que les zones de dispersion constituées
par chaque cible n’interfèrent pas » (Duchet 1998 : 93-94). Il est cependant possible qu’il y ait
interférence car « les zones de dispersion constituées par chaque cible se recoupent
partiellement » (Duchet 1998 : 94), d’où les problèmes de perception et le rôle de l’auditeur
dans le changement. Si l’on perçoit le phonème comme une cible articulatoire dont la
représentation mentale semble fortement correspondre à la valeur prototypique de la « famille
27
Définition tirée de Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Magn%C3%A9toenc%C3%A9phalographie
91
de sons » de Jones, les deux conceptions du phonème ne me paraissent pas du tout
incompatibles. Je retiens donc la définition du phonème proposée par Välimaa-Blum (2005 :
57), qui permet de considérer comme fondamentale la distinctivité, tout en intégrant la notion
d’une catégorie (famille) relevant d’une forme de réalité mentale pour chaque locuteur :
The phoneme is a prototype-centered, gradient class of phonetically similar sounds which all serve
the same distinctive function.
Les phénomènes de fréquence jouent également un rôle dans les représentations
mentales. Bybee (2001) explique que la fréquence d’utilisation des items lexicaux renforce les
représentations phonologiques en multipliant les réseaux d’association par l’intermédiaire de
connexions lexicales. Si le modèle qu’elle propose ne comporte qu’un niveau de
représentation, son analyse est tout de même pertinente dans un cadre relevant de la dual
mechanism hypothesis. Le principe de fréquence se décline sous deux formes, que Bybee
(2001 : 10-13) qualifie de token frequency et de type frequency. Le premier cas de figure
concerne des unités linguistiques, comme des phonèmes, des morphèmes, des mots, ou encore
des locutions. Les unités les plus fréquentes sont particulièrement susceptibles d’être réduites.
Par exemple, les processus d’assimilation (phénomènes de réduction par excellence) touchent
plus rapidement les mots fréquents. La deuxième forme que peut revêtir le principe de
fréquence concerne le degré de fréquence d’un pattern linguistique particulier (type
frequency). Bybee (2001 : 12-13) explique que, plus un pattern est fréquent, plus il est
productif. La productivité du pattern est déterminée par les schèmes d’organisation typiques
des modèles cognitifs, qui remplacent les règles phonologiques dans le modèle. En effet, plus
le nombre d’items regroupés par un schème d’organisation est important, plus le pattern est
susceptible d’affecter de nouveaux items. Dans l’article sur le yod (Ref 4) et, de façon plus
développée, dans ma thèse, je démontre que les CPC suivent un principe de fréquence lexicale
(cf. section 2.1.3). Dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive
Model », je m’appuie sur les analyses que Labov (1994) fait à partir d’un nombre important
d’études portant à la fois sur l’anglais et sur d’autres langues pour émettre l’hypothèse selon
laquelle les évolutions liées au lieu d’articulation des consonnes suivent des principes de
fréquence et de diffusion lexicales (les mots les plus fréquents sont touchés en premier et
servent de « diffuseurs » aux changements).
Qu’en est-il de la variabilité des représentations phonologiques (au sens mentaliste du
terme) ? Ces représentations peuvent-elles varier d’un locuteur à l’autre ? Mon étude de la
92
palatalisation contemporaine et mon ouverture à la linguistique cognitive m’incitent à
répondre par l’affirmative à cette question. Dans « The phonological fuzziness of
palatalisation in contemporary English. A case of near-phonemes? » (Ref 17) et dans
« Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques… » (Ref 15), je
m’interroge sur l’aspect phonétique ou phonologique de la palatalisation contemporaine.
D’après la phonologie structuraliste traditionnelle, les représentations phonologiques se
déclinent en phonèmes et les règles allophoniques permettent de prévoir les réalisations
phonétiques de ceux-ci. Or, les CPC ont pour propriété d’être de véritables palato-alvéolaires,
qui appartiennent en tant que telles au système de l’anglais contemporain, et non de simples
réalisations allophoniques de type [ç]. Les réalisations allophoniques « intermédiaires » de ce
type (entre [j] et [ʃ, ʒ], par exemple) existent néanmoins. Je les appelle formes intermédiaires
dans ma thèse mais ne leur donne pas l’appellation de CPC, que je réserve aux formes
palatalisées catégorielles, qui peuvent être identifiées comme telles avec l’aide de mesures
acoustiques. Dans ce cas, on note sur des analyses spectrographiques une concentration
d’énergie spectrale égale ou inférieure à 2500 Hz, ce qui correspond effectivement à de
véritables palato-alvéolaires (Durian 2007 : 70). Il s’ensuit que, dans un modèle de
phonologie traditionnel, les CPC ne peuvent être des formes de surface, un phonème ne
pouvant être dérivé à partir d’un autre phonème (à ce titre, /tj/ → /tʃ/ ou /s/ → /ʃ/ sont par
exemple impossibles). Ils ne peuvent être que des formes sous-jacentes, des représentations
phonologiques. Avec le modèle fondateur de la phonologie générative proposé dans The
Sound Pattern of English (SPE, Chomsky & Halle 1968), théorie véritablement mentaliste,
une forme sous-jacente unique est postulée pour chaque morphème. Les réalisations de
surface des morphèmes peuvent être expliquées par l’application de règles phonologiques qui
peuvent varier en fonction, par exemple, de la variété parlée par le locuteur et qui peuvent
aussi évoluer dans le temps, ce qui permet d’expliquer le changement des sons. Les règles de
SPE sont plus puissantes que les règles allophoniques car elles permettent de dériver des
allophones ou des phonèmes à partir des représentations phonologiques. En raison de
l’invariance des formes sous-jacentes et des règles proposées dans SPE, les phénomènes de
palatalisation (que celle-ci soit historique, comme dans nature, ou contemporaine) ont un
statut phonétique. Ainsi, la représentation phonologique d’un item comme nature est une
forme proche de /næture/, qui n’entretient plus qu’un rapport lointain avec la prononciation
effective du mot28. La phonologie traditionnelle et le modèle génératif de SPE mènent donc à
28
Les modèles de phonologie générative ne sont pas tous similaire à celui de SPE. La théorie de Chomsky et
93
des conclusions contraires en ce qui concerne le statut des CPC. Toutefois, une perspective
cognitiviste permet de dépasser cette opposition.
Afin de déterminer dans quelle mesure la palatalisation contemporaine a une réalité
mentale chez les locuteurs qui produisent les formes palatalisées, je mène deux expériences
qui, si elles ne permettent pas de tirer des conclusions définitives, constituent tout de même
des indicateurs intéressants en ce qui concerne l’existence de représentations phonologiques
variables29. La première est menée pour ma thèse (2013 : 321-337). Elle implique trente
locuteurs, répartis comme suit : 15 locuteurs anglais et 15 locuteurs américains ; 15 femmes et
15 hommes. Il s’agit pour eux de lire une liste de trente mots, de façon lente et en séparant les
syllabes. Dans un premier temps, les mêmes informateurs doivent lire un texte contenant les
mêmes mots. Un certain nombre de ces mots sont susceptibles de donner lieu à une
palatalisation contemporaine. Je résume cette expérience comme suit dans « Introducing
Contemporary Palatalisation » (2014b : 26 ; Ref 6).
Some speakers palatalised certain items when they read the text, but not the list of words, which is not
surprising considering the particularities of connected speech phenomena. On the other hand, some
speakers palatalised the same items both in the text and in the list of words, which seems to be an
indication that there might be more than connected speech phenomena at work. The really surprising
part of the experiment was that other speakers occasionally palatalised an item when they read it
syllabically, but not when it was part of the text. It does not seem far-fetched to suggest that the
apparent variation in the citation forms of the items considered reflects a true underlying variation
within the group considered. There appears to be variable phonological representations of the items
considered. Indeed, the speech is slower and less variable when the informants read the words syllable
by syllable, which is more likely to bring the true underlying representations to the fore. Such
representations are more easily lost in more rapid connected speech.
Je mène la seconde expérience en 2015 et les résultats figurent dans deux articles,
« The phonological fuzziness of palatalisation in contemporary English. A case of nearphonemes? » (Ref 17) et « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations
phonologiques… » (2018a, Ref 15). Il s’agit d’une enquête menée auprès de 48 jeunes
américains : 24 écoliers de la Van Hoosen Middle School de Rochester (Michigan) et 24
étudiants de l’université de Houston Clear Lake (Texas) qui doivent remplir un questionnaire
visant à déterminer s’ils associent certaines graphies à une forme avec palato-alvéolaire ou à
une forme traditionnelle dans des mots qui contiennent les variables (str) et (sr). La consigne
attire volontairement l’attention des participants sur les formes graphiques. De ce fait, les
Halle a été la cible de critiques qui se sont cristallisées autour du degré d’abstraction des formes sous-jacentes,
de l’ordre des règles permettant de postuler des analyses très abstraites et des formes des règles et des
représentations (Carr 1993 : 149).
29
Durand et Eychenne (2004 : 6) émettent d’ailleurs des réserves quant à « la nécessité de représentations
communes pour les membres d’une communauté linguistique donnée ».
94
informateurs ne peuvent qu’être influencés par l’orthographe, qui est plus facilement associée
à une forme traditionnelle qu’à une prononciation palatalisée. Par conséquent, toute réponse
indiquant une palato-alvéolaire peut être considérée comme particulièrement révélatrice. Or,
près de la moitié des écoliers de Rochester associent une palato-alvéolaire aux mots relevant
de la variable (str). La variable (sr) paraît plus lexicalement conditionnée. L’item grocery est
celui dont la forme palatalisée est la plus souvent mentionnée. On peut noter le taux
particulièrement élevé de palato-alvéolaires associées à l’item restaurant, particulièrement
chez les écoliers du Michigan. Au-delà de la variabilité inhérente aux deux expériences, je
conclus de ces deux études qu’il paraît logique de postuler des formes phonologiques
variables en fonction des items, comme en fonction des locuteurs. J’avance donc l’hypothèse
de représentations variables des morphèmes, représentations qui peuvent de surcroît évoluer
avec le temps, que je qualifie de représentations phonologiques individualisées.
Cette
hypothèse
me
permet
de
dépasser
l’opposition
phonologie
traditionnelle / phonologie SPE. En effet, je postule que certaines occurrences d’un phonème
B peuvent être recatégorisées en tant que phonème A. Considérons par exemple la
coalescence par le yod devant /t/ avec les allophonies suivantes :
Phonèmes
réalisations de surface
a. /tʃ/ (ex : chance)
[tʃ]
b. /t + j/ (ex : nature)
[tʃ]
c. /t + j/ (ex : tubercolosis)
[tj]
Dans un premier temps, la variation allophonique n’a certainement eu aucune
incidence sur les représentations phonologiques des locuteurs. Petit à petit, à mesure que
s’estompait le souvenir de la réalisation avec /j/, même dans les usages les plus conservateurs,
il y a eu identification des formes de surface [ tʃ] dans des items où elles sont issues de la
palatalisation de /tj/ (ex : nature) avec les représentations phonologiques /tʃ/ des items ayant
/tʃ/ au niveau sous-jacent (ex : chance). Un nombre de plus en plus grand de locuteurs ont
analysé nature avec /tʃ/ dans leur représentations phonologiques individualisées. Cette
analyse phonologique devenant la norme, puis la seule véritablement pertinente, il y a eu
phonématisation graduelle de [tj] en /tʃ/. Je conclus comme suit cette analyse théorique
95
dans The phonological fuzziness of palatalisation in contemporary English. A case of nearphonemes? » (Ref 17) :
Out of all the speakers who palatalise, some speakers have traditional, non-palatalised forms in their
phonological representations, even if they sometimes produce surface palatalised forms. Other speakers
have phonological representations with palatalised forms. The more common the item, the more likely it
is to be stored with a categorical palato-alveolar by a great number of people, if we adopt a two-level
model of phonology. Therefore, the consonant sub-system of speaker A may vary from that of speaker
B, as follows:
SA (sub-system of speaker A)
/tʃ/
/dʒ/
/tj/
/dj/
/s/
/ʃ/
chance, actually, fortune
June, duality, durability
tune, tutor
dune, reduce
sore, cycle, super, street, strong, grocery, restaurant
shore, shop, shoe, shirt
SB (sub-system of speaker b)
/tʃ/
/dʒ/
/s/
/ʃ/
chance, actually, fortune, tune, tutor
June, duality, durability, dune, reduce
sore, cycle, super
shore, shop, shoe, shirt, street, strong, grocery, restaurant
As time passes, more and more speakers may shift under the influence of sub-systems like SB. Whether
the change to sub-systems like SB will generalise to the entire community as was the case with
historical palatalisation or whether it will remain at an intermediate stage (or even revert back to more
sub-systems such as SA) is still unclear at this stage.
[…]
The theoretical problem posed by the phonological fuzziness of contemporary palatalisation ceases to
be one if we agree on an interface between phonetics and phonology and if we agree to link diachrony
and synchrony. Contemporary Palatalisation is therefore an example of a synchronic process that is in
fact the manifestation of systematic, diachronic ones.
À la lumière de cette explication, les formes intermédiaires (entre formes
traditionnelles et formes avec palato-alvéolaire, par exemple [ç]) peuvent être apparentées à
des degrés intermédiaire d’évolution de la langue, reflétant la variabilité intra- et interlocuteurs. Au-delà de la palatalisation, je définis un modèle de phonologie qui constitue aussi
un modèle de changements des sons me paraissant être applicable a minima à tous les
processus de changements consonantiques. C’est le « modèle intégratif » que j’ébauche dans
ma thèse et que je développe de la façon la plus aboutie à ce jour dans « Consonant Variation
and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (Ref 7) et dans Réalisations phonétiques et
ambiguïté des représentations phonologiques. Le cas de la palatalisation » (Ref 15). Ce
modèle sociocognitif s’appuie sur des représentations phonologiques prototypiques qui
peuvent évoluer en étant soumises à cinq types d’influence : l’environnement phonétique, les
96
processus cognitifs de catégorisation et d’association, l’interaction / perception avec d’autres
locuteurs, les facteurs sociaux et l’usage (dont les phénomènes de fréquence). Il peut être
illustré comme suit :
Ce modèle du changement est amélioré avec l’apport de la théorie de l’Imaginaire
Linguistique (cf. section 3.5) et sert de référence en filigrane de la rédaction de Variations et
changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales
(voir tiré à part).
3.4. Identité linguistique : normes collectives et normes individuelles
D’après Labov (2010 : 7-8), la sociolinguistique doit privilégier les considérations
portant sur le groupe par rapport à celles ayant trait à l’individu. De plus, le changement
linguistique est un changement qui caractérise la langue de la communauté, et non celle des
individus pris isolément. Néanmoins, les innovations et les idiosyncrasies de locuteurs isolés
sont un prérequis au changement linguistique (Smith 2007 : 9). L’articulation entre individus
et société est donc primordiale pour comprendre et expliquer le changement.
Dans un article portant sur le concept d’identité en sociolinguistique, Stockwell (2011)
propose de réconcilier l’étude sociale de la langue et les processus cognitifs internes aux
locuteurs. Il explique (pp. 13-14) que la sociolinguistique adopte, dans certains domaines, une
orientation cognitive. C’est notamment le cas lorsqu’elle interagit avec la pragmatique, ce qui
concerne de prime abord l’accommodation. Rappelons à ce titre que Schneider (2007 : 30)
considère que l’évolution des variétés postcoloniales est due à des processus identitaires
97
relevant de phénomènes d’accommodation (cf. section 2.2.5). L’articulation entre individus et
société est donc au centre de la notion d’identité linguistique. D’ailleurs, Stockwell (2009)
explique que le grand débat de la sociolinguistique aujourd'hui tourne autour de la question de
la légitimité de la notion d'identité en tant que paramètre d’étude. Pour les variationnistes
fondateurs de la sociolinguistique moderne (ex. Labov et Trudgill), l’identité ne peut pas
constituer un sujet d’étude en sociolinguistique car elle est implicite dans les études
variationnistes, les différents aspects qu’elle revêt étant conçus en termes de variables sociales
(catégorie socio-économique, sexe, âge, groupes ethniques, etc.). En revanche, pour les
partisans d’une approche sociolinguistique relevant davantage du constructivisme social (ex.
Eckert), l’identité devrait être le paradigme central de la recherche en sociolinguistique et ne
pas être seulement traitée de façon implicite.
Pour Stockwell (2011 : 13-14), les normes sociolinguistiques et les relations de
pouvoir qui dépendent des variables sociales traditionnelles permettent de définir l’identité
sociale des locuteurs. Néanmoins, le concept d’identité n’est pas uniquement défini par de tels
facteurs sociaux. Il englobe également une dimension individuelle. Pratiques sociales et
perception individuelle agissent de concert dans ce que Stockwell qualifie de négociation de
l’identité à travers les processus d’accommodation qui résultent d’interactions entre locuteurs.
Pour Auer (2007 : 109), l’accommodation peut agir à court ou à long terme. Dans le premier
cas, les traits linguistiques des interlocuteurs convergent en un instant T, au cours d’une
interaction. Dans le second, l’accommodation agit à plus long terme et a une portée bien plus
grande, entraînant en cela une convergence entre différentes variétés d’une même langue et,
par conséquent, une véritable évolution des variétés considérées. Tel est le cas des variétés
postcoloniales dans le modèle dynamique de Schneider. Un autre exemple est donné par
Besnier (2004 : 29-30) et Stockwell (2011 : 21-23), qui relatent l’adoption de prononciations
caractéristiques de l’anglais néo-zélandais dans des échanges entre vendeurs et acheteurs sur
un marché des îles Tonga. L’expérience est d’autant plus étonnante qu’aucun locuteur néozélandais n’est présent dans la situation. L’accommodation se fait alors en direction de la
variété qui exerce un prestige social manifeste dans cette région du monde. Stockwell (2011 :
25), mentionne aussi l’exemple de jeunes Américains d’origine coréenne qui adoptent des
caractéristiques de l’African American Vernacular English (AAVE) alors qu’aucun locuteur
afro-américain n’est présent dans le contexte. La conversation portant sur les quartiers et les
tensions ethniques, l’accommodation se fait en direction de la variété qui définit le principal
groupe ethnique du pays, exerçant en cela un certain prestige envers les autres communautés
98
dites « minoritaires ». McWhorter (2012 : 50) va d’ailleurs plus loin, en écrivant que l’AAVE
est en train de devenir une forme de lingua franca pour toute la jeunesse américaine. Il faut
voir dans de tels phénomènes de véritables « actes d’identité » (acts of identity ; cf. Le Page et
Tabouret-Keller 1985). Pour se forger une identité, le locuteur s’identifie à un groupe
sociolinguistique en adoptant des traits linguistiques caractéristiques de ce dernier. Notons
que l’acte d’identité n’est pas toujours délibéré ; il peut être situé au niveau de la conscience
de l’individu ou à un niveau inférieur. De la projection d’une identité à la construction de
celle-ci, « il existe probablement tout un processus d’évolution impliquant, à des degrés que la
linguistique seule peut difficilement évaluer, une diminution progressive du caractère
conscient de l’emploi des variables indicielles » (Wilhelm 2011 : 497)30.
J. Milroy (1992) développe un modèle social du changement linguistique qui s’appuie
sur une logique similaire et qui trouve son origine principale dans les interactions entre
locuteurs. Pour lui, les différences que l’on peut trouver entre différentes variétés ou
différentes communautés s’expliquent par l’existence de consensus envers certaines normes.
Ces consensus varient en fonctions des variétés d’anglais et des communautés. J. Milroy
(1992 : 8-9) parle de normes linguistiques consensuelles (consensus norms). Le changement
linguistique doit être compris comme une évolution de ces normes (p. 17). Plus les
interactions sont nombreuses, notamment les interactions entre locuteurs appartenant à des
communautés différentes, plus le consensus initial peut être remis en cause en raison de
l’opposition entre les différentes normes résultant de l’interaction. On voit une fois de plus
l’importance de l’accommodation à travers la convergence de normes en constante évolution.
Si l’on revient sur l’activation du changement telle qu’elle est proposée par Smith (1996,
2007 ; cf. section 2.2.6) en la comparant à la définition du changement de J. Milroy à travers
une évolution des normes, la logique apparaît clairement :
1. À un moment donné, des changements importants dans la société contribuent à de
nouveaux rapports sociaux et à de nouvelles interactions.
2. Ces nouvelles interactions aboutissent à une renégociation des normes linguistiques à
grande échelle.
Le contraire existe également : les traits linguistiques caractéristiques d’un locuteur peuvent diverger de ceux
de son interlocuteur suite à un phénomène inverse à celui de l’identification, que l’on pourrait qualifier de
distanciation.
30
99
3. Le stade ultime est atteint lorsque ces nouvelles normes deviennent systémiques, c'est-àdire qu’elles ont une réalité cognitive qui s’inscrit durablement et contribue à modifier le
système des locuteurs individuels, puis le système de la langue dans son ensemble.
La théorie de l’Imaginaire Linguistique permet justement de modéliser les interactions
entre les normes linguistiques et leurs influences sur le changement linguistique.
3.5. L’Imaginaire Linguistique
Mon travail à l’Université Jean Monnet me permet d’inscrire ma recherche dans un
travail d’équipe, et ce, à différents niveaux de collaboration. Le premier d’entre eux concerne
le groupe ParLAnCES, qui réunit les linguistes du CIEREC (EA n°3068) rattachés aux
sections 7 et 11 du CNU. Deux mois et demi après ma prise de fonction, je participe aux
travaux menés par ce groupe autour de la notion de passage en linguistique. Je communique
lors du colloque international « Notion ou concept de passage : quelle pertinence en sciences
du langage ? », organisé par ParLAnCES, et dont voici quelques extraits de l’appel à
communication :
La notion de passage demeure pré-théorique dans la littérature linguistique ; on la voit apparaître sous
différents avatars selon les paradigmes : transformation en grammaire générative, transfert en
pragmatique, transposition en traductologie, glissement en sémantique, évolution en diachronie,
changement en sociolinguistique, etc. […] En diachronie, la notion de passage tente de circonscrire les
différents processus d’évolution du système linguistique tant du point de vue phonétique que morphosyntaxique, lexical ou sémantique (évolution populaire, création savante ou analogie). […] En
sociolinguistique, le passage peut être envisagé soit comme alternance de code soit comme
manifestation du changement supporté par des évaluations sociales.
Ma participation s’inscrit dans le champ de la sociophonétique diachronique puisque
ma communication correspond à l’article « L’activation du changement des sons en GrandeBretagne dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale » (Ref 12). Le prochain thème
de travail du groupe ParLAnCES a une influence importante dans mon rapport à la
linguistique au sens large. Il s’agit de l’Imaginaire Linguistique (IL), un concept développé
par la linguiste française Anne-Marie Houdebine (ex. 1982, 2002), qui le définit précisément
comme le
[…] rapport du sujet à la langue, la sienne et celle de la communauté qui l’intègre, comme sujet parlantsujet social ou dans laquelle il désire être intégré, par laquelle il désire être identifié par et dans sa
parole ; rapport énonçable en termes d’images, participant des représentations sociales et subjectives,
100
autrement dit d’une part des idéologies (versant social) et d’autre part des imaginaires (versant plus
subjectif).
Le rapport du sujet à sa langue, qui pourrait apparaître comme une relation intime et
individuelle, se trouve donc fortement influencé par un imaginaire culturel et social et par les
opinions et les jugements des autres locuteurs, ainsi que par les phénomènes de prestige.
Houdebine commence à développer l’IL à la fin des années 1970, dans sa thèse (dirigée par
Martinet). Elle s’inspire de la linguistique structurale et de la sociolinguistique, mais aussi des
avancées de la sociologie de l’époque, en particulier la notion d’imaginaire avancée par
Castoriadis (1975), de la sociologie, de la psychanalyse (en particulier Lacan) et de la
philosophie. Le modèle de l’IL se développe de façon importante à partir des années 1980,
avec comme étape importante le colloque de 2001 (dont Houdebine 2002 constitue les actes).
Il continue à entretenir un rapport étroit mais non exclusif à la sociolinguistique puisqu’il
s’appuie sur des attitudes subjectives, des « sentiments linguistiques » de valorisation et de
fierté, ou au contraire de dévalorisation et de honte (on perçoit aisément le lien avec
l’insécurité linguistique de Labov).
Selon Houdebine, l’IL permet de porter une plus grande attention aux représentations
individuelles et aux normes internes aux locuteurs que la sociolinguistique. Il s’intéresse aux
représentations, aux constructions, aux fictions, voire aux sentiments qui jouent un rôle
central dans les pratiques langagières. Lorsque je le découvre, ce modèle me paraît
particulièrement fécond pour enrichir mes domaines de recherche parce qu’il propose une
grille d’analyse pour appréhender les différents facteurs à l’œuvre dans l’élaboration de
normes objectives et subjectives (Remysen 2005 : 47). Celles-ci se déclinent comme suit :
Normes objectives : elles s’appuient sur la production réelle de la langue ; elles sont
composées de :
- normes systémiques : en lien avec le système des locuteurs et la langue saussurienne
- normes statistiques : en lien avec l’usage et la parole saussurienne
Normes subjectives : elles sont littéralement imaginaires et concernent les représentations des
locuteurs ; elles sont composées de :
101
- normes prescriptives : elles sont grammaticales, lexicales, phonologiques et sont porteuses
d’une certaine autorité institutionnelle véhiculée par les dictionnaires, les grammaires, l’école,
etc.
- normes fictives : elles sont esthétiques et s’appuient sur des arguments émotionnels
- normes communicationnelles : elles sont en lien avec l’intercompréhension, qu’elles
facilitent, et la solidarité entre les locuteurs et les groupes.
L’interaction des normes du modèle présente l’intérêt de permettre de dégager la
rétroaction de l’imaginaire non seulement sur les usages (à tous les niveaux, en partant du
plus idiolectal), mais sur les systèmes eux-mêmes, notamment (mais non exclusivement) en
ce qui concerne le statut institutionnel des langues. L’imaginaire linguistique des uns est
constamment réinjecté dans les pratiques et dans l’imaginaire linguistique des autres. Pour ce
qui est de l’histoire de la langue anglaise, on perçoit aisément ce que la théorie d’Houdebine
peut apporter au modèle du changement proposé par J. Milroy (cf. section précédente) : l’IL
peut nous permettre de mieux comprendre la façon dont la renégociation collective des
normes peut opérer. Différents types de normes peuvent influencer les normes systémiques
des locuteurs en favorisant certaines variantes, les autres étant à terme « évacuées » de la
langue. Ce qu’Houdebine qualifie de « dynamique dans la synchronie » est ainsi créé,
permettant d’expliquer en partie le changement linguistique. On peut illustrer comme suit :
Le 14 septembre 2016, Anne-Marie Houdebine est invitée à participer à un séminaire
de ParLAnCES intitulé « l’imaginaire linguistique : entre langue et discours ». Au cours de
102
cette journée, je fais une communication intitulée « La standardisation en langue anglaise.
Normes en mouvements, mythes et insécurité linguistique »31, dans laquelle je prends appui
sur la théorie de l’IL pour rendre compte de l’émergence de divers aspect de l’anglais
standard à différentes époques de l’histoire de la langue anglaise (le moyen-anglais, l’anglais
moderne naissant, l’anglais moderne, l’anglais contemporain). Je termine cette présentation
par une modélisation du changement linguistique qui fait le lien entre les modèles du
changement proposés par J. Milroy (1992), Smith (1996, 2007) et mon modèle sociocognitif
(2015b), d’un côté, et la « dynamique dans la synchronie » d’Houdebine, de l’autre. AnneMarie Houdebine se montre très intéressée par mes propos et par une éventuelle collaboration
afin de pouvoir diffuser une partie de ses idées en anglais, langue qu’elle n’a jamais apprise,
et de les appliquer à la langue anglaise. Suite à ce séminaire, nous commençons à échanger
quelques courriers électroniques pour définir cette collaboration. À ma grande tristesse, AnneMarie décède accidentellement le 11 octobre 2016.
Ayant été marqué par nos brefs échanges, je décide tout de même de poursuivre le
travail sur l’IL, que j’intègre dans deux articles, « La standardisation en langue anglaise.
Normes en mouvements » (Ref 9) et « Standard English, Urban Norms and Urban Myths: the
Linguistic Imaginary at work » (Ref 16), davantage centré sur le rôle des villes, et notamment
de Londres. À partir de la fin de l’époque moyen-anglaise, des normes de natures différentes,
ancrées dans les réalités sociales et culturelles de leur époque, opèrent successivement au sein
d’un large processus de standardisation qui contribue petit à petit au développement d’une
variété de prestige. L’anglais standard se construit ainsi à partir notamment de phénomènes de
contact entre divers dialectes du Moyen Âge et de leurs normes statistiques et
communicationnelles, de l’influence de l’imprimerie et du Chancery English (normes qui
deviennent
prescriptives),
de
l’influence
de
Londres
(normes
statistiques,
communicationnelles et fictives), des auteurs littéraires (normes fictives, esthétiques), du
système éducatif (normes prescriptives) et bien sûr des grammairiens et de leurs règles
prescriptives. Étonnamment, l’anglais standard se construit aussi à partir des préférences
personnelles de quelques individus influents (normes prescriptives et fictives). Néanmoins,
j’émets de fortes réserves quant à la réelle efficacité des seules normes prescriptives pour
assurer le succès du processus de standardisation, c’est-à-dire pour assurer une véritable
Cette présentation sert de base à une autre communication, plus aboutie, dans le cadre de l’atelier ALAESALOES du congrès de la SAES de Reims en 2017 : « The Linguistic Imaginary and the construction (?) of
Standard English. Norms in motion ».
31
103
réduction de la variation. En effet, l’anglais standard ne réussit jamais vraiment à être imposé
aux locuteurs de Grande-Bretagne que dans le domaine de la langue écrite (et encore, pas
intégralement), plus artificielle et plus contrôlée que la langue orale, ou dans des usages très
spécifiques. Il semblerait que les normes statistiques et communicationnelles, de nature plus
objective et plus naturelle - c'est-à-dire plus authentique - doivent être à l’œuvre pour interagir
durablement avec le système des locuteurs et le système de la langue.
Afin d’illustrer ce point, je compare, dans « La standardisation en langue anglaise.
Normes en mouvements » (Ref 9), la représentation de l’anglais « correct » qui nous a été
transmise suite à la longue tradition des ouvrages prescriptivistes à une véritable description
de l’anglais standard (ex. Trudgill 1999). Je note un certain nombre de différences car,
contrairement à une croyance populaire, l’anglais standard n’est pas un ensemble de règles
prescriptives. Les règles systémiques qui le caractérisent ne sont pas nécessairement les
mêmes que les règles qui sont décrites par les prescriptivistes depuis plusieurs siècles. Il se
peut qu’elles le soient (ex. pas de négation multiple, pas de construction avec deux
modaux…) mais cela n’est pas forcément le cas (ex. l’utilisation obligatoire de whom n’est
pas mentionnée ; l’utilisation d’une préposition en fin de phrase est correcte, comme l’est
celle du pronom complément dans « It’s me. »). Cette non-adéquation s’explique puisque
certaines des règles prescriptives sont en réalité des normes fictives qui ne s’inscrivent pas
dans le système de la langue et ne sont donc pas des règles systémiques. Dans le meilleur des
cas, il s’agit de considérations stylistiques, qui relèvent du niveau de langue et de la formalité
du discours.
Dans « Standard English, Urban Norms and Urban Myths: the Linguistic Imaginary at
work » (Ref 16), j’étudie également l’émergence des variétés britanniques supra-locales à la
fin du
XXe
siècle par le prisme de l’IL afin de déterminer si elles peuvent être considérées
comme de nouvelles variétés standard. En effet, il est frappant de voir à quel point les
processus de nivellement liés à leur émergence sont similaires à ceux ayant opéré dans le
cadre de la naissance d’un pré-standard à Londres à partir de la fin du XIVe siècle (cf. section
2.2.4), ces nouvelles variétés urbaines étant principalement influencées par des normes
statistiques et communicationnelles en milieu urbain. Pour Watt et Milroy (1999 : 43), ces
nouvelles variétés n’étant pas imposées aux locuteurs de façon institutionnelle, elles ne
peuvent en aucun cas être assimilées à des variétés régionales standard. En outre, la
standardisation est traditionnellement vue comme un processus incluant notamment une étape
de codification, qui n’est pas présente dans ce cas. Néanmoins, si l’on considère avec Crystal
104
(2004 : 223) qu’à la fin de la période médiévale, la langue standard avait commencé à
émerger sans que cela ne soit planifié ou institutionnalisé, et si l’on considère que le Londres
du
XIVe
siècle avait bien été le témoin du développement d’un pré-standard ou d’un futur
standard, il n’est peut-être pas impossible d’utiliser de tels termes pour qualifier ces nouvelles
variétés urbaines supra-locales, qui définissent en partie l’identité linguistique des locuteurs.
Tout en reconnaissant l’absence de codification liée à un tel processus, Hickey (2010 : 2062)
compare d’ailleurs la supra-régionalisation à la standardisation, les deux étant synonymes de
suppression et de sélection de traits linguistiques particuliers.
Le modèle de l’IL est aussi présent en filigrane de la rédaction de Variations et
changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales.
À titre d’exemple, l’un des facteurs qui accélèrent la chute du français en Angleterre après la
période de domination franco-normande est lié à la variété de français qui y est parlée, le
franco-normand n’étant pas considéré comme suffisamment esthétique en comparaison du
français parisien. J’aborde également des considérations relevant de l’IL dans les différentes
phases du développement des variétés non britanniques dans le cadre de modèle dynamique
de Schneider (cf. section 2.2.5). La période du Late Modern English est marquée par un fort
besoin général d’ordre et de normes en Grande-Bretagne, suite à une succession de
monarques et de crises politiques, et à une guerre civile. Le domaine linguistique ne fait pas
exception à la règle et les normes subjectives de l’IL œuvrent de concert avec un imaginaire
culturel alors que se répand l’idée d’une dégénérescence de la langue anglaise, perçue comme
le reflet des crises qui traversent le pays. Dès lors, il s’agit de faire quelque chose pour
empêcher la décadence de la langue en définissant des règles destinées à figer celle-ci dans le
marbre et à l’empêcher d’évoluer davantage. Suite à l’Acte d’Union de 1707, Westminster
devient le centre des décisions. L’Empire britannique se développe aux plans commercial et
colonial, en concurrence avec les autres puissances européennes. Sorlin (2012 : 73) note que
cette expansion
[…] exige la consolidation d’une identité nationale forte par-delà les identités particulières anglaise,
écossaise ou irlandaise […] L’enseignement de l’anglais standard est alors plus que jamais, au XVIIIe
siècle, un impératif. Cette langue unifiée se conçoit en effet comme le porte-drapeau métaphorique du
pouvoir impérial britannique. C’est dans ce contexte de lutte pour le pouvoir entre les grandes
puissances européennes que s’installe […] le mythe de la supériorité de l’anglais standard.
Ce mythe est directement à l’origine du sentiment d’insécurité linguistique chez les
locuteurs dont l’anglais n’est pas standard. Crystal (2004 : 386-387) écrit à ce titre :
105
This is the real harm that the prescriptivism of the mid eighteenth century did to English. It prevented
the next ten generations from appreciating the richness of their language’s expressive capabilities, and
inculcated an inferiority complex about everyday usage which crushed the linguistic confidence of
millions.
Les normes prescriptives développées au cours de cette période charnière affectent dès
lors durablement les imaginaires linguistiques de millions de locuteurs. Les règles d’usage
définies alors sont fortement discriminantes du point de vue social. En d’autres termes, la
période se caractérise par une forte interaction entre l’imaginaire linguistique et l’imaginaire
social.
Si la prononciation met un peu plus de temps à être standardisée, les imaginaires
linguistiques des locuteurs jouent peut-être un plus grand rôle dans ce processus que dans
n’importe quel autre. Dans la deuxième partie du
XVIIIe
siècle, les prononciations régionales
commencent à perdre de leur crédit. Les conférences données par Sheridan dans les années
1750 et 1760 ont des motivations ouvertement politiques. Il souhaite en effet contribuer à une
uniformisation de la prononciation qu’il s’agit d’enseigner à tous les enfants dans le but de
faire d’eux de bons sujets de la Couronne, ayant une langue en commun (Sorlin 2012 : 74-75).
Le modèle londonien systématiquement visé est un exemple type de l’importance que peuvent
prendre les normes fictives, en lien avec des considérations esthétiques et des arguments
émotionnels. Pour Walker (1791), la capitale agit comme une sorte d’aimant qui attirerait les
bonnes prononciations. L’influence du prescriptivisme de l’époque et de l’insécurité
linguistique que celui-ci peut véhiculer transparaît clairement dans les écrits de David Hume,
un Écossais à la fois philosophe, historien, économiste et essayiste. Dans une lettre écrite à
John Wilkes (citée dans Mossner 1954 : 372), celui-ci écrit :
Notwithstanding all the Pains, which I have taken in the Study of the English Language, I am still
jealous of my Pen. As to my Tongue, you have seen, that I regard it as totally desperate and
irreclaimable.
L’aveu de Hume constitue une preuve flagrante de son sentiment d’insécurité
linguistique, son imaginaire linguistique étant fortement affecté par les normes prescriptives
et fictives qui sont véhiculées à l’époque. L’intérêt de dictionnaires tels que par exemple ceux
de Kenrick (1773) et de Walker (1791) est de guider leurs lecteurs vers des prononciations
leur permettant d’éviter d’être associés aux locuteurs qu’ils considèrent désormais comme
socialement inférieurs, améliorant de ce fait leur capital à la fois linguistique et social (Beal
2008 : 24). Les divers mouvements prescriptivistes ont donc une conséquence sociale
106
importante et affectent l’imaginaire linguistique de la majorité de la population, qui
commence à ressentir sa prononciation comme un inconvénient. D’ailleurs, « à la fin du XIXe
siècle, adopter la version phonologique autorisée, c’est se donner les moyens d’accéder à des
carrières dans le clergé, l’administration coloniale, l’enseignement et l’armée. » (Sorlin 2012 :
84).
Au début du
XXe
siècle, on assiste en Grande-Bretagne à la dernière étape de la
standardisation d’une prononciation jugée supérieure aux autres. Dans l’appellation Received
Pronunciation, le terme received, est porteur de la connotation devenue aujourd’hui archaïque
de « socialement acceptable dans les sphères sociales les plus élevées », un exemple de
normes subjectives interagissant avec un imaginaire social. Dans les années 1920, la BBC
choisit pour ses présentateurs la RP (ou BBC English), que l’on trouve désormais dans la
haute fonction publique, à l’université, dans les public schools, dans les forces armées ou à
l’Église. La diffusion de cet accent sur les ondes radiophoniques, puis à la télévision,
contribue à la construction du mythe longtemps colporté selon lequel les autres
prononciations (et en particulier les accents régionaux) ne sont pas « correctes ». Par
conséquent, la diffusion de ce standard oral contribue à renforcer un sentiment d’insécurité
linguistique chez ceux dont l’anglais n’est pas standard. Ce n’est qu’à partir des années 1960
que les accents régionaux et la variation phonétique feront leur retour sur les ondes de la BBC
et que les Britanniques commenceront à perdre une partie de l’insécurité linguistique liée à
leur prononciation. Les normes statistiques ne sont alors plus à l’avantage exclusif de la RP
dans les médias.
3.6. Langue orale et langue écrite
Le fait de travailler avec d’autres linguistes au sein du groupe ParLAnCES et d’être le
seul à avoir une thématique de recherche en lien avec la phonétique et la phonologie me
permet d’envisager des collaborations dans d’autres domaines de recherche. Au cours de la
transition entre mon poste de PRAG à Roanne et celui de Maître de Conférences à SaintÉtienne, je me replonge dans l’étude de la grammaire anglaise à travers la lecture d’ouvrages
de grammaire descriptive et de grammaire explicative. J’avais d’ailleurs commencé ce travail
avec mes fonctions de membre du jury du CAPES externe (2012-2015) puisque je devais
alors corriger l’épreuve comprenant la traduction et l’exercice de réflexion linguistique. Ces
lectures sont l’occasion de redécouvrir la grammaire de l’énonciation, dont les réflexions
m’avaient toujours intéressé, et de me façonner petit à petit une culture de grammaire
107
linguistique. Celle-ci se réfère principalement à la théorie des opérations énonciatives
d’Antoine Culioli (ex. 1990), à la grammaire méta-opérationnelle d’Henri Adamczewski (ex.
1982), à la grammaire systématique d’André Joly et Dairine O'Kelly (d’inspiration
guillaumienne, ex. 1990) et à l’approche psychogrammaticale de Jean-Rémi Lapaire &
Wilfrid Rotgé (ex. 1991). Néanmoins, je m’intéresse également à psychomécanique du
langage originale de Gustave Guillaume (ex. 1919) et à la grammaire cognitive de Ronald
Langacker (ex. 1987). Ce nouvel axe de travail m’est de surcroît particulièrement utile pour la
rédaction de l’article « Petite grammaire du gaga » (Ref 14 ; cf. section 3.8), me permettant de
clarifier à la fois les concepts et la terminologie de la morphologie et de la syntaxe.
Ce travail d’approfondissement de mes connaissances me permet d’enseigner la
grammaire à l’Université Jean Monnet depuis 2014. Lors de ma première année, j’assure
l’intégralité de l’enseignement pour les étudiants de L3 et de master 1 (préparation au
CAPES). Depuis 2015 et le recrutement d’un nouveau collègue, Rémi Digonnet, nous
partageons cet enseignement en faisant un semestre chacun au niveau L3 et master 1. Mon
cours de linguistique de L3 (« enseignement complémentaire », choisi de façon optionnelle
par les étudiants) est également l’occasion d’approfondir l’enseignement de la morphologie.
En 2017, j’intègre le jury de l’agrégation externe spéciale docteurs et participe à
l’évaluation des épreuves écrites et orales en grammaire linguistique (le programme de
l’option à l’oral est alors celui des relatives). À cette occasion, le président du jury me
demande de participer à la rédaction du rapport correspondant à l’épreuve écrite. Celle-ci
comporte en fait deux sujets. Le premier porte sur les propositions en TO et est adossé au
sujet de civilisation. Le second porte sur les temps et les aspects, en lien avec le sujet de
littérature (les candidats ont le choix entre les deux sujets dans le cadre de ce concours). Lucie
Gournay, Professeur des Universités à l’Université Paris-Est Créteil, fait le corrigé sur les
propositions en TO et je rédige celui portant sur les temps et les aspects (Ref 18). Le président
de l’agrégation externe spéciale docteurs étant le vice-président de l’agrégation externe et la
vice-présidente de l’agrégation externe spéciale docteurs étant la présidente de l’agrégation
externe, tous deux me demandent de changer de concours à partir de 2018 pour intégrer celui
de l’agrégation externe. Leur objectif est que je devienne responsable de l’épreuve de
phonologie à partir de la session 2019, après une année initiale où j’assiste la responsable
actuelle, Susan Moore, Maître de Conférences à l’Université de Limoges. Bien que j’aie
principalement des responsabilités au niveau de l’épreuve de phonologie dans ce concours, je
108
continue bien sûr à participer à la correction de la partie grammaire de l’épreuve de
linguistique. Suite au départ à la retraite de deux collègues à la fin de l’année universitaire
2017-2018 à l’Université Clermont Auvergne, je suis contacté par le responsable de
l’agrégation de cette université. Il me demande si je souhaite y dispenser le cours de
grammaire de l’agrégation externe dans l’attente d’un recrutement, ce que j’accepte de faire
pour l’année 2018-2019.
Toujours dans le domaine de l’enseignement, j’assure des cours de traduction à
l’Université Jean Monnet. Après avoir concentré mon enseignement sur la traduction orale au
cours des trois premières années en raison de mon expérience d’interprète (cf. section 1.2 et
note 11), je commence à enseigner la traduction écrite au cours de ma quatrième année. Ayant
corrigé et participé à l’élaboration des barèmes des concours pendant huit ans (agrégation
interne de la session 2008 à la session 2011, puis CAPES externe de la session 2012 à la
session 2015), j’ai une idée assez précise des attendus et des exigences des concours en ce qui
concerne la traduction et, par conséquent, une méthode d’enseignement qui peut tenir compte
des spécificités liées à ces concours. C’est la raison pour laquelle je commence à préparer les
étudiants de l’Université Jean Monnet à l’épreuve de thème du CAPES à partir de l’année
universitaire 2017-2018.
Si mon principal objet de travail reste la langue orale, le travail sur la langue écrite ne
m’est donc pas complètement étranger et la littérature demeure un centre d’intérêt, fût-il plus
périphérique depuis ma spécialisation en phonétique et phonologie. La stylistique est la
discipline qui permet de faire le pont entre la linguistique et la littérature. Simpson (1993 : 3)
la définit d’ailleurs comme « the practice of using linguistics for the study of literature ».
Appliquée à la littérature, la phonostylistique s’intéresse aux effets du style oral sur le lecteur
et permet donc d’aborder la question de la représentation de la langue orale dans la langue
écrite (Jobert 2014). Dans le cadre d’un partenariat entre le CIEREC, le laboratoire auquel je
suis rattaché, le département d’études anglophones, que je dirige, et la bibliothèque
universitaire de l’Université Jean Monnet, un travail a été entrepris en plusieurs temps autour
de l’écrivain américain Howard Philips Lovecraft (1890-1937). Après un concours d’écriture
de nouvelles « à la manière de Lovecraft » et un atelier d’écriture animé par François Bon,
écrivain et traducteur de Lovecraft, et des étudiants du Master 2 professionnel édition
d'art / livre d'artiste, une journée d’étude a lieu le 30 janvier 2018. Elle est intitulée « Noter,
traduire, transcrire H.P. Lovecraft. Regards multiples sur Howard Philips Lovecraft (1890109
1937) ». Les organisateurs de cette journée d’étude, Anne Béchard-Léauté et Arnaud
Moussart (respectivement Maître de Conférences et PRAG à l’Université Jean Monnet), me
demandent de faire une présentation sur la représentation du dialecte et de l’accent de la
Nouvelle-Angleterre chez Lovecraft. L’article que je dois écrire à partir de cette
communication devrait être publié dans un ouvrage à venir, sous la direction d’Anne BéchardLéauté et d’Arnaud Moussart. En voici les grandes lignes.
Après avoir brièvement décrit le développement historique des principales régions
dialectales de la Nouvelle-Angleterre (phénomène que je décris en détail dans Variations et
changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et
sociales), je m’intéresse aux lieux (parfois réels, parfois fictifs) qui figurent dans les écrits de
l’auteur. Il apparaît que les « terres de Lovecraft » se situent dans le nord-est du
Massachusetts et, plus rarement, dans la partie sud du Vermont. Les villes fictives, telles que
Innsmouth, sont clairement localisées dans les récits, il n’y a donc pas d’équivoque possible.
Je choisis d’étudier le monologue du vieil alcoolique Zadok Allen dans le court roman The
Shadow over Innsmouth (1936) car il est souvent considéré comme le plus représentatif du
backwoods New England dialect qui caractérise certains personnages de Lovecraft (Joshi
2002 : 406). Ce terme est repris par d’autres auteurs, mais sans jamais de réelle précision sur
ce qu’est véritablement le backwoods New England dialect. Le terme backwoods désigne un
lieu distant des principales zones peuplées , et qui est « arriéré » du point de vue culturel. Les
premières descriptions du personnage de Zadok Allen sont les suivantes (p. 11) :
The only one who would talk was a very aged but normal-looking man who lived at the poorhouse […]
Zadok Allen, was ninety-six years old and somewhat touched in the head, besides being the town drunkard.
[…] a strange, furtive creature […] unable to resist any offer of his favourite poison.
On constate donc un certain nombre de marqueurs attitudinaux, voire de marqueurs
« d’étrangeté » au sujet de Zadok Allen. Compte tenu de son âge, on peut également
s’attendre à ce qu’il soit associé à des traits d’un dialecte plutôt archaïque ou en voie de le
devenir, en plus de traits plus régionaux. Or, je constate une certaine incohérence entre les
traits dialectaux que l’on pourrait attendre dans le monologue du personnage et l’encodage de
l’oralité qui est mise en œuvre par l’auteur. Par exemple, les deux caractéristiques principales
des accents de l’est de la Nouvelle-Angleterre, à savoir l’absence de rhoticité et la réalisation
particulière de l’ensemble lexical BATH sous la forme de [a] plutôt que [æ], ne sont
absolument pas rendues dans le discours de Zadok Allen. On y trouve plutôt un encodage de
110
prononciations diverses associées à plusieurs régions dialectales de Nouvelle-Angleterre. Par
exemple, le Canadian raising du nord de la région est rendu par l’utilisation systématique de
la graphie <aow> (daown, haow…). L’introduction de <a> casse la régularité orthographique
et divise la diphtongue, qui apparaît comme produite en deux fois (correspondant en cela à
une certaine perception du raising ?). Si l’encodage ne rend pas parfaitement compte du
raising, il signale une prononciation différente, participant ainsi d’un certain « effet de réel »
(Barthes 1968). On trouve également une certaine forme de neutralisation de /e/ et de /æ/
devant /l/, typique des locuteurs ruraux de la région (well est ainsi transcrit <waall>). Dans
les accents du Maine, l’ensemble lexical NURSE est sujet à une très grande variabilité, ce qui
semble être transcrit par des graphies différentes (larnt that they’s things on this arth as most
folks never heerd abaout?, p. 16). Lovecraft semble également indiquer la rétention de
prononciations anciennes pour certains items lexicaux :
Matt Eliot, his fust mate, talked a lot, too… […] (p. 15)
picters o’ monsters them awful picters o’ frog-fish monsters was supposed to be picters o’ these things
[…] (p. 16)
Mebbe they was the kind o’ critters as got all the mermaid stories an’ sech started. (p. 16)
Outre ces variations dans la prononciation, on constate de nombreux cas de eyedialect ou dialecte pour l’œil, c’est-à-dire des « modifications graphiques ne changeant pas la
prononciation mais indiquant une forme non standard » (Jobert 2018 : 143). Pour évoquer
l’oralité, on trouve également l’encodage de nombreux phénomènes de chaîne parlée tels
qu’élisions et réductions. Ils sont fréquemment accompagnés de marqueurs grammaticaux non
standard (ex. Ol’ Cap’n Obed done it, p. 15).
L’encodage de Lovecraft semble donc plus typique d’une représentation dialectale
que d’une précision linguistique. Elle est en cela plus esthétique et artistique que réaliste.
Ainsi que l’explique Bakhtine (1978 : 182), en effet :
Le romancier ne vise pas du tout à une reproduction linguistique (dialectologique) exacte et complète de
l’empirisme des langages étrangers qu’il introduit, il ne vise qu’à la maîtrise littéraire des représentations de
ces langages.
Si les écrits de Lovecraft sont censés évoquer les dialectes et les prononciations de la
Nouvelle-Angleterre, c’est peut-être parce qu’il ne faut pas négliger le rôle du lecteur et de sa
111
« voix muette » (sorte de « lecture à voix haute interne ») ; notamment pour les lecteurs de la
Nouvelle-Angleterre. En effet, un lecteur originaire de la Nouvelle-Angleterre aura
certainement tendance à décoder les monologues de personnages tels que Zadok Allen avec
des traits typiques de la région, notamment en raison de l’association systématique de l’auteur
à la Nouvelle-Angleterre.
Ces différentes expériences dans le domaine de l’enseignement et de la recherche, en
parallèle du travail de développement des compétences personnelles qu’elles impliquent, font
de moi, je pense, un linguiste et un chercheur plus complet et plus à même de s’adapter à
l’interdisciplinarité qui caractérise le laboratoire de recherche auquel je suis rattaché, le
CIEREC
(Centre
Interdisciplinaire
d'Études
et
de
Recherches
sur
l'Expression
Contemporaine).
3.7. Inscription de ma recherche dans le CIEREC
Voici un extrait de la description des activités du Centre Interdisciplinaire d' Études et
de Recherches sur l'Expression Contemporaine (EA n° 3068) que l’on trouve sur le site de
l’université (https://www.univ-st-etienne.fr/fr/cierec.html) ; elle est révélatrice de la
transversalité des disciplines qui le caractérise :
Le CIEREC, créé en 1969, est une équipe d'accueil depuis 1995. Consacré au champ de l'expression
contemporaine, il réunit des enseignants-chercheurs et des doctorants d'esthétique et sciences de l'art,
d'arts plastiques, de design, d'arts numériques, de littérature, de linguistique et de musicologie. Son
champ principal est constitué par les arts et la littérature des XXe et XXIe siècles. Au fil des années, le
laboratoire est demeuré fidèle à sa mission fondatrice qui est d'explorer - dans le domaine de la création
contemporaine - des questions présentant une dimension transversale forte, à travers un éclairage
pluridisciplinaire. Les schèmes à même de régir les processus de création dans des champs artistiques
distincts, les procédures de réalisation transposables d'un médium à l'autre ou encore les modalités
comparables de diffusion des artefacts produits focalisent l'attention des chercheurs - à côté de
réflexions plus spécifiques à tel ou tel moyen d'expression.
Le CIEREC se veut en prise sur la création contemporaine. À l'étude transversale de grandes questions
concernant le champ de la littérature et des arts d'aujourd'hui, il conjugue des pratiques de création
théorisées, dans le champ de la musique, des arts plastiques, du design... Le centre de recherche a,
somme toute, l'ambition d'être un observatoire de la création contemporaine et, à certains égards aussi,
un acteur des évolutions artistiques actuelles.
Si la linguistique n’occupe pas une place centrale dans ce laboratoire, elle y est tout de
même présente. En outre, le dernier rapport HCERES (année 2014-2015) faisait état d’une
nécessité de développer les activités de recherche et les publications en lien avec ce domaine.
Mon inscription dans le CIEREC me permet d’organiser des évènements de nature
112
interdisciplinaire, ce qui est cohérent avec mon positionnement épistémologique (cf. section
2.3). Cette transversalité inhérente au CIEREC n’est toutefois pas un frein à l’organisation de
colloques ou de journées d’étude plus spécifiquement ancrées dans le champ disciplinaire de
la linguistique, tels que le colloque sur la notion de passage en sciences du langage (cf.
section 3.5).
Au cours de ma première année à l’Université Jean Monnet, je codirige avec Manuel
Jobert, Professeur des Universités à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, une journée d’étude
intitulée « La phonologie de l’anglais et ses variations », tenue le 27 avril 2015 à SaintÉtienne. Elle est co-organisée par le CIEREC et le CEL (Centre d’Études Linguistiques) de
l’Université Jean Moulin – Lyon 3. L’objectif est double. Nous souhaitons tout d’abord
organiser un travail d’équipe autour des anglicistes de la région Rhône-Alpes spécialisés dans
la langue orale. Nous réunissons donc pour cette journée d’étude Léa Boichard (ATER à Jean
Monnet et aujourd’hui PRAG à Lyon 3), Sylvain Navarro (Maître de Conférences à
l’Université Paris Diderot – Paris 7, mais alors enseignant à l'École nationale supérieure des
mines de Saint-Étienne), Cécile Viollain (Maître de Conférences à l’Université Paris Nanterre
mais à l’époque ATER à Lyon 3), Stephan Wilhelm (professeur agrégé en CPGE au Lycée
Berthollet d’Annecy), Manuel Jobert et moi-même. L’ouvrage Phonologies de l'anglais :
théories et applications, publié en 2018 aux éditions Lambert Lucas (voir tiré à part) et
codirigé avec Manuel Jobert, correspond aux actes de cette journée d’étude. En plus des six
auteurs, j’invite deux autres personnes à se joindre à nous pour communiquer : Alexandre
Bouret, un étudiant de master 2 ayant fait un excellent travail de recherche sur l’évolution de
la prononciation de Margaret Thatcher à travers les années, et René-Pierre Mondon, PRAG à
l’Université Jean Monnet, qui fait une présentation sur les priorités des objectifs pédagogiques
liés à l’enseignement de la phonologie en LLCER et en LEA. Notre deuxième objectif est de
proposer une pluralité d’approches s’inscrivant dans des cadres différents pour les étudiants
désireux de travailler dans le domaine de la langue orale : théories phonologiques différentes
(principe phonémique, phonologie générative, phonologie cognitive, phonologie de
dépendance), variation temporelle, variation spatiale, socio-phonologie, prosodie ou encore
phonostylistique. L’ouvrage qui fait suite à cette journée d’étude est l’occasion de revendiquer
à nouveau un ancrage des études sur la langue orale au cœur des sciences humaines et sociales
(cf. introduction de Phonologies de l'anglais : théories et applications). Nous espérons à
présent poursuivre le travail d’équipe amorcé lors de cette journée d’étude.
113
Les activités de recherche du CIEREC sont organisées autour de trois axes de
recherche : « l’œuvre multiple », « e-formes : arts et pratiques du numérique » et « mémoires
urbaines ». En parallèle d’une recherche plus individuelle, l’inscription de ma recherche dans
le laboratoire se fait par l’intermédiaire de l’axe « mémoires urbaines », dont voici le
descriptif (https://www.univ-st-etienne.fr/fr/cierec/programmes-transversaux/axe-3memoires-urbaines.html) :
L'axe s'intéresse aux territoires urbains, espaces pluriels et stratifiés, où les uns et les autres se
présentent et se représentent par des sons, des langues et des images, qui sont également les dépôts
d'une histoire. D'une part, il s'agira d'étudier dans des espaces urbains déterminés des pratiques
musicales et langagières contemporaines, en explorant pour ces dernières le concept d'imaginaire
linguistique qui définit le rapport d'un sujet à sa langue et à celle de la communauté qui l'intègre. D'autre
part, on interrogera les représentations du monde de l'industrie et du travail à partir d'archives
photographiques et cinématographiques.
L'axe regroupe l'ethnomusicologie, la linguistique, l'esthétique et le champ des études
cinématographiques, selon les trois thématiques suivantes :
Comment sonne la ville ?
"Un travail sur les musiques migrantes de Saint-Étienne est mené en collaboration avec le Centre des
Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes".
Est-ce que sa pluralité est audible ? Comment se fait-on entendre dans la ville ? Comment évaluer la
présence sonore, tant quantitative que qualitative, des uns et des autres ? Qui écoute qui ?
En quoi les musiques de la ville la connectent-elles avec un ailleurs reconstruit, imaginé, rendu
présent ? Que disent les musiques des gens qui les produisent, dans leur rapport à l'espace pluriel ?
Comment parle la ville ?
En quoi les pratiques langagières de la ville la connectent-elles avec un ailleurs reconstruit, imaginé,
rendu présent ?
Quelles images propose la ville ?
Les représentations photographiques et cinématographiques de l'industrie se trouveront interrogées. On
étudiera la manière dont elles permettent de construire une légende du travail et du progrès, la façon
dont elles traduisent une évolution des « récits » et des imaginaires de l'activité industrielle ?
Après la journée d’étude sur la phonologie, je travaille à l’organisation d’un colloque
international portant sur les villes anglophones et sur les représentations et les mutations
identitaires de celles-ci à travers les caractéristiques linguistiques qui leur sont propres et les
représentations artistiques de leurs pratiques langagières. Je constitue un comité scientifique
international et invite deux universitaires britanniques que j’avais eu plusieurs fois l’occasion
de rencontrer au cours de colloques : Joan Beal (University of Sheffield) et Jane Stuart-Smith
(University of Glasgow). Le colloque « English-speaking towns & cities: memoirs and
narratives » se tient à Saint-Étienne les 20 et 21 octobre 2016. En voici l’appel à
communication, qui s’inscrit pleinement dans l’axe « mémoires urbaine » du CIEREC :
The focus of this conference is the linguistic manifestations of urban identities in the English-speaking
world and the various changes they have undergone. The aim is to study the linguistic features typically
associated with towns/cities and the artistic representations of urban language.
Submissions may consider traditional and/or modern manifestations of language and language usage in
specific urban areas. The concepts of linguistic identity and of the linguistic imaginary may also be
114
explored, particularly in the way that they define the relations of individuals with their
languages/varieties and their linguistic communities. Synchronic and diachronic perspectives are
welcome, across all fields of linguistics.
The following is a non-exhaustive list of areas that may be addressed
How do towns/cities speak? How do towns/cities sound?
How can the plurality and diversity of towns/cities be heard? How can individuals be heard in
towns/cities?
How do the language practices of urban areas connect speakers locally? How do these practices connect
speakers to other times or places (be they spatial, temporal, imaginary, constructed or reconstructed)?
What contact phenomena best define towns/cities today/at some point in the past?
What artistic signs bear testimony to the linguistic features of urban areas? Presentations may address
the representations of towns/cities in literature/films/plays/on television/in urban art and design, etc.
They may explore how these representations allow for a construction or reconstruction of urban
identity, and how they bear witness to a change in the “narratives” and in the imaginary of towns/cities.
Conformément à la philosophie du laboratoire, ce colloque a un fort ancrage
interdisciplinaire. Les communications relèvent en effet de la sociolinguistique, de la
phonétique, de la phonologie, de la diachronie, de l’imaginaire linguistique, de la stylistique,
de la littérature, de l’architecture urbaine et des paysages sonores urbains. Ainsi que l’écrit
Jane Stuart-Smith dans l’introduction de « A Tale of One City: Phonological variation and
change over 100+ years of Glasgow English », l’article qu’elle écrit pour la publication liée
au colloque :
One of the key themes which emerged from the interesting and diverse papers at the workshop, Englishspeaking towns and cities: memoirs and narratives, hosted at the Université Jean Monnet, in SaintÉtienne (20-21 October 2016), was the crucial interplay between the particular town/city itself and the
range of activities and behaviours associated with it, from architecture, soundscapes, and literary
constructions, to key aspects of dialect, use, representations and stereotypes.
La publication donne lieu à un ouvrage en anglais, composé de 14 chapitres et
actuellement en cours de double expertise anonyme. Son titre est le même que celui de la
conférence : English-Speaking Towns & Cities: Memoirs and Narratives (voir tiré à part). La
journée d’étude sur la phonologie et le colloque sur les villes anglophones sont les deux
manifestations scientifiques que j’organise directement pour le CIEREC. La direction du
département d’études anglophones (depuis 2015) étant particulièrement chronophage, je n’ai
pas organisé d’autres colloques ou journée d’étude depuis octobre 2016. Néanmoins, je
participe depuis mes premiers jours en tant que Maître de Conférences à un programme de
recherche qui relève également de « mémoires urbaines » et qui porte sur le parler de SaintÉtienne, dans son double aspect contemporain (variété de français) et historique (variété de
francoprovençal).
115
3.8. Dialectologie française et « gaga »
Le projet de recherche sur Saint-Étienne s’articule en fait en deux parties et prend effet
en deux temps distincts. La première période (2014-2015) correspond à celle d’un partenariat
entre le laboratoire du CELEC (Centre d'Études sur les Langues et les Littératures Étrangères
et Comparées ; EA n° 3069) et les archives municipales de la ville de Saint-Étienne. Étant
recruté en septembre 2014, je prends ce projet en cours, ayant manifesté très tôt (dès mon
audition pour le poste de Maître de Conférences, en fait) le désir de m’intégrer à l’équipe qui
mène des recherches sur la ville de Saint-Étienne, dans l’optique d’apporter mon aide pour
l’analyse de la variété de français qui y est parlée, notamment sur le plan phonétique. Bien
qu’appartenant au CIEREC, je commence alors à travailler avec les collègues du CELEC, et
notamment les sociolinguistes qui se proposent de travailler sur l'importance des langues dans
le terrain stéphanois. C’est ainsi que commence une collaboration fructueuse avec Céline
Jeannot Piétroy, Maître de Conférences en sociolinguistique et didactique des langues (section
7) à l’Université Jean Monnet. Les recherches correspondant à la première période prennent la
forme de deux manifestations. La première est une exposition temporaire consacrée à
l’héritage des migrations sur le territoire stéphanois et présentée aux archives municipales :
« Saint-Étienne cosmopolitaine – des migrations dans la ville ». Il s’agit à la fois de dresser un
portrait de la ville d’aujourd’hui et d’expliquer les parcours des populations qui la composent.
La seconde, menée dans le cadre du projet « Saint-Étienne, ville plurilingue », est une
exposition intitulée « La vogue des langues : que parle-t-on à Sainté ? », qui se tient à la
bibliothèque universitaire du site Tréfilerie de l’Université Jean Monnet du 6 au 30 juin 2015.
Elle propose une réflexion autour de la diversité des langues présentes dans la ville de SaintÉtienne et ses environs. Les visiteurs peuvent y découvrir un aperçu de cette diversité, au sein
de laquelle se mêlent différentes variétés de français, des langues régionales locales et des
langues issues de la migration. Je prends part à cette exposition en réalisant un poster
scientifique sur l’accent stéphanois, mais aussi en aidant à l’organisation d’évènements
parallèles, dont la conférence d'inauguration du sociolinguiste Louis-Jean Calvet, intitulée
« Urbis et orbis : langues de la ville, langues du monde », et le spectacle de Jeanluc Épallle
qui consiste en des sketchs, des lectures et des chansons en français régional stéphanois.
Jeanluc Épallle est un comédien qui fait vivre le parler stéphanois dans un mélange de
tonalités humoristiques et poétiques. Son « Épallle théâtre » est très connu dans la région
stéphanoise. Si j’avais maintes fois eu l’occasion d’assister à ses spectacles, l’exposition « La
vogue des langues… » est l’occasion de le rencontrer véritablement et de commencer à
116
dessiner les contours d’une future collaboration aux formes multiples, sur laquelle je
reviendrai plus tard. Le comédien se montre en effet très intéressé par la possibilité de décrire
scientifiquement l’accent stéphanois.
Je suis beaucoup plus directement impliqué dans la deuxième période des recherches
sur Saint-Étienne (2014-2017). Je coordonne en effet avec Céline Jeannot Piétroy un
programme de recherche financé conjointement par le CIEREC et le CELEC et dont la
finalité est la publication d’un ouvrage de référence sur le « gaga »32, la variété linguistique
locale, au moment où la vitalité de celle-ci tend à diminuer de plus en plus. Le terme gaga
désigne en fait deux réalités linguistiques différentes. La première correspond à une variété de
francoprovençal (que les Stéphanois appellent souvent le « patois ») qui a été parlée et écrite à
Saint-Étienne jusqu’au début du
XXe
siècle. Les traces qui en restent aujourd’hui dans le
français local donnent à celui-ci une sonorité particulière. Le gaga actuel est le résultat de
cette histoire et correspond au français régional parlé à Saint-Étienne aujourd’hui. Il se
manifeste par l’usage de certaines spécificités lexicales, dont certaines sont encore très
courantes et d’autres tendent à se raréfier, mais aussi des constructions linguistiques très
marquées et un accent caractéristique de la ville et de ses environs. S’il existe un certain
nombre d’ouvrages et de dictionnaires portant sur le lexique gaga (Dorna & Lyotard 1953,
Perrin & Zellmeyer 1966, Plaine & Épallle 1998, Martin 2000), un dictionnaire des
régionalismes en Rhône-Alpes (Fréchet 2015) et un ouvrage descriptif sur le gaga de la fin du
XIXe
siècle (Duplay 1896), il n’existe en revanche aucun ouvrage de référence abordant tous
les aspects de la variété stéphanoise contemporaine avant Vous avez dit gaga ? Origines,
identités et enjeux du français régional stéphanois (2017c, voir tiré à part).
Pour ce projet, nous souhaitons nous intéresser au contexte historique et social de la
variété stéphanoise. Cela implique une intégration des spécificités historiques de la ville de
Saint-Étienne car elles ont forcément un lien avec la variété locale et ses locuteurs. Le
contexte historique est également celui de l’histoire linguistique, et notamment du lien entre le
substrat dialectal et le français régional stéphanois aujourd’hui, ce qui impose une perspective
diachronique. Nous souhaitons bien sûr consacrer la partie centrale de l’ouvrage à une
description linguistique complète du gaga : son lexique, sa prononciation et sa grammaire.
Enfin, nous souhaitons aborder des questions liées à la diffusion / non-diffusion du gaga.
Les origines du terme gaga sont abordées dans l’introduction de Vous avez dit gaga ? Origines, identités et
enjeux du français régional stéphanois (Glain & Jeannot Piétroy 2017c, voir tiré à part)
32
117
Comment est-il transmis dans le milieu scolaire ? Comment est-il représenté dans le domaine
littéraire et artistique ? Dans quelle mesure constitue-t-il un commerce ? En outre, il nous
paraît nécessaire d’aller au-delà du point de vue des linguistes et de nous intéresser à la
perspective des véritables acteurs du gaga, à savoir ses locuteurs.
Pour répondre à tous les besoins du futur ouvrage, nous réunissons une équipe
composée de collègues linguistes de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (Marguerite
Maurel, Pierre Manen, Jean-Christophe Pitavy, Céline Jeannot Piétroy et moi-même), mais
aussi de spécialistes de l’histoire et des variétés de la région. Participent donc au projet JeanBaptiste Martin (Institut Pierre Gardette de l’Université catholique de Lyon,
auteur de
référence sur les langues de la région), Claudine Fréchet (Institut Pierre Gardette de
l’Université catholique de Lyon, directrice du Dictionnaire des régionalismes de Rhône-Alpes
de 2015) et Bernard Rivatton (historien, directeur du Musée du Vieux Saint-Etienne). Nous
rejoignent également des artistes ou auteurs tels que Jeanluc Epallle, Jean-Paul Chartron
(auteur d’une chronique hebdomadaire en gaga dans le journal Le Progrès) et Gil Chovet
(musicien ayant écrit un album dont les chansons mettent en musique des mots gaga). Au
cours de la période de préparation de l’ouvrage, Pierre Manen, Maître de Conférences en
linguistique générale à Jean Monnet (section 7) me demande de participer au jury de
soutenance du mémoire de master 2 de Léa Bastin, une étudiante en lettres modernes dont le
travail porte sur la vitalité des régionalismes stéphanois aujourd’hui. Étant très intéressé par
toute une partie de ce mémoire, je demande à Léa Bastin si elle veut bien rédiger un chapitre
de l’ouvrage correspondant à son thème de recherche, ce qu’elle accepte de faire avec
enthousiasme. Laurence Joffrin, une autre de nos étudiantes ayant tout juste terminé un master
2 en sociolinguistique, est également intégrée à l’équipe, à laquelle elle fait bénéficier son
travail de recherche sur l’apprentissage du français à Saint-Étienne par des non-francophones.
Enfin, nous demandons à Miquèl Neiròlas, l’un des derniers locuteurs bilingues
francoprovençal / français de la région, qui est animateur d’un atelier d’apprentissage du
francoprovençal, de rédiger un texte en francoprovençal afin de permettre au lecteur d’entrer
en contact direct avec la langue régionale autrefois parlée à Saint-Étienne. Notre approche se
veut donc éclectique, afin qu’un public varié puisse y trouver de l’intérêt. Vous avez dit
gaga ?... propose donc une narration aux points de vue multiples portant sur la ville de SaintÉtienne et sur la variété linguistique qui la caractérise. Les contributeurs associent leurs
connaissances diverses et leur savoir-faire varié pour raconter le français régional stéphanois.
Certains articles ont ainsi une composante principalement universitaire et sont structurés
118
comme des productions typiquement scientifiques. D’autres prennent en revanche la forme
d’un récit de la part de passionnés qui vivent et font vivre le gaga au quotidien. Certaines
contributions sont enfin des témoignages artistiques qui permettent d’aborder une autre réalité
du parler stéphanois.
L’accent stéphanois est un sujet qui mérite une étude d’une certaine ampleur. En effet,
on trouve bien un certain nombre de commentaires et de vidéos sur Internet mais les
descriptions proposées ont tendance à rester impressionnistes et approximatives, à l’exception
d’un court article universitaire d’Escoffier (1972). Les vidéos proposent quant à elles un
accent extrêmement marqué qui, s’il peut en effet être associé à une partie de la population de
Saint-Étienne, est trop exagéré pour se faire le réel reflet des pratiques langagières de la vaste
majorité des locuteurs de cette ville, ce qui pose le problème de l’authenticité. Pour l’article
« L’accent stéphanois » (2017b, Ref 13), je crée un protocole d’enquête visant à réaliser une
série d’entretiens que nous menons avec plusieurs collègues afin de dresser un panorama de la
prononciation stéphanoise contemporaine. Cinquante personnes sont enregistrées dans le
cadre de cette enquête ; elles peuvent être considérées comme globalement représentatives de
la communauté recherchée. Elles appartiennent en effet à différentes générations (la plus
jeune est née en 2003 et la plus âgée en 1929) et sont issues de catégories socioprofessionnelles variées. Par ailleurs, les locuteurs qui composent la communauté susceptible
de participer aux enregistrements doivent être « linguistiquement nés » à Saint-Étienne, c'està-dire y ayant appris à parler le français, qui doit aussi être leur langue maternelle afin d’éviter
les phénomènes de substrat éventuellement liés à d’autres langues33. Afin de minimiser les
effets du « paradoxe de l’observateur » (Labov 1972b), les enquêteurs suivent le principe du
« réseau dense » défini par L. Milroy (1987)34. Ainsi, ils réalisent des enregistrements de
personnes qu’ils connaissent ou profitent de diverses relations (familiales, amicales,
professionnelles) afin d’être accompagnés par un proche de la personne interviewée et ne pas
être considérés comme totalement étranger. Le but est de faciliter l’instauration d’une relation
de confiance davantage susceptible de donner lieu à un type de discours plus naturel. Afin de
rendre compte de la variation interne aux locuteurs, le protocole implique trois types
d’enregistrements pour chaque locuteur : ceux d’une liste de mots, d’un texte contenant un
certain nombre de ces mots et d’un discours libre, mais portant sur la ville de Saint-Étienne. Il
Une étude complémentaire serait d’ailleurs particulièrement intéressante pour une analyse de tels phénomènes
liés à l’influence d’une langue maternelle autre que le français.
34
Le principe des réseaux denses est aussi utilisé dans les protocoles d’enquête des projets « Phonologie du
Français Contemporain » (PFC) et « Phonologie de l’Anglais Contemporain » (PAC).
33
119
n’est pas précisé aux informateurs que l’enquête est de nature linguistique, simplement qu’elle
concerne la préfecture de la Loire, de façon à les ancrer dans un contexte local par le sujet de
la conversation. La liste de mots contient des variables phonétiques potentiellement
révélatrices, que ce soit en relation avec l’accent stéphanois traditionnel ou avec les accents
du français en général.
Après avoir mené une étude sur ce corpus d’enregistrements, je traite de la phonologie
et des variations phonétiques du français régional stéphanois dans l’article « L’accent
stéphanois » (Ref 13). Les principales caractéristiques de cet accent sont des nasales
diphtonguées (je rends compte de la variabilité du premier élément de la diphtongue à l’aide
d’analyses spectrographiques), la distribution particulière des trois allophones de /a/, la
fermeture des voyelles en syllabe fermée, un grand nombre d’élisions de voyelles
(particulièrement les schwas) et la forme convexe des tons nucléaires. Ces spécificités se font
moindres avec les locuteurs les plus jeunes, preuve que l’accent stéphanois est en perte de
vitesse. La fermeture des voyelles en syllabe fermée, et notamment la réalisation de /œ/
comme [ø] (jeune devenant par exemple un homophone parfait de jeûne) constitue le trait de
la prononciation locale le plus répandu dans le corpus, même s’il est un peu moins
systématique et davantage variable chez les locuteurs les plus jeunes. Vous avez dit gaga ?
Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois (voir tiré à part) est accompagné
d’un CD sur lequel un certain nombre des enregistrements ont été reproduits. Ces extraits de
discours sont accompagnés sur le CD par la lecture par Miquèl Neiròlas de son article en
francoprovençal, par un sketch de Jeanluc Épallle intitulé « La rue Gérentet », dont il est
question dans son témoignage « Itinéraire d’un enfant gagaté » qui figure dans le livre, et par
« Coissou », une chanson de Gil Chovet qui met en parole et en musique le vécu particulier du
« petit dernier » d’une famille (le « coissou » en gaga).
Dans le même ouvrage, je coécris l’article « Petite grammaire du gaga » (Ref 14) avec
Jean-Christophe Pitavy, Maître de Conférences en linguistique générale (section 7) à
l’Université Jean Monnet. Nous y abordons les principales caractéristiques du français
régional stéphanois dans les domaines du groupe nominal, du groupe verbal, des adverbes et
locutions adverbiales et de la syntaxe. Nous traitons également de quelques marqueurs de
discours typiquement stéphanois.
120
Suite à la publication de Vous avez dit gaga…, je m’implique beaucoup au niveau
local dans la promotion du livre, ainsi que dans la valorisation de la recherche entreprise au
cours de ce projet. Je suis par exemple invité à la fête du livre de Saint-Étienne à l’automne
2017 pour y rencontrer des lecteurs potentiels. Je participe par la suite à deux émissions sur
une chaîne de télévision et une station de radio régionales35. Par l’intermédiaire de
l’Université Pour Tous (UPT), je fais également la conférence que j’intitule « Le gaga dans
tous ces états » dans plusieurs villes de la région stéphanoise. J’en profite pour développer
l’influence du substrat francoprovençal sur la prononciation stéphanoise contemporaine,
phénomène que je n’avais pas abordé dans l’article « L’accent stéphanois ». En effet,
« lorsque les populations sont progressivement passées du francoprovençal au français, elles
ont conservé certains traits de la langue ancienne qui était leur langue maternelle » (Martin
2017 : 70). Le francoprovençal36 présentait notamment un amuïssement des voyelles
entravées et non-accentuées, phénomène que l’on retrouve dans les élisions de voyelles du
gaga. L’une de ses caractéristiques était également une surabondance des voyelles fermées, ce
qui semble correspondre à la fermeture des voyelles en français régional stéphanois. L’élision
du schwa et la fermeture des voyelles ne sont pas des phénomènes strictement stéphanois ; ils
sont susceptibles d’être rencontrés dans une grande partie de la région Rhône-Alpes, qui
constitue la zone d’influence du francoprovençal, y compris à Lyon (le francoprovençal s’est
développé à partir de Lugdunum, capitale des Gaules, il y a deux millénaires). En revanche, la
diphtongaison des nasales est plus locale. Il se trouve qu’en francoprovençal un mot comme
pane (« pain ») était prononcé avec la nasale /ɑ̃/. Un mot comme pain est prononcé avec /ɛ̃/ en
français. Si certains locuteurs âgés ont conservé une prononciation [pɑ̃n], peut-être davantage
révélatrice de la rétention de l’item lexical en tant que tel que de sa prononciation, les
prononciations stéphanoises diphtonguées constituent une sorte de « compromis » entre [pɑ̃n]
et [pɛñ ]. Cela est encore plus frappant pour des items tels que ventu (« vent »), prononcé avec
/ɛ/̃ en francoprovençal alors que vent contient le phonème /ɑ̃/ en français. Une nouvelle fois,
la diphtongaison stéphanoise semble se situer à la croisée du francoprovençal et du français.
J’interviens également depuis deux ans dans le cadre de l’Université Populaire de
Saint-Étienne, ouverte à tous, pour y faire des conférences sur l’anglais et sur le parler
stéphanois, ce qui me semble être particulièrement important pour la diffusion de la recherche
L’émission de télévision peut être visionnée sur http://www.tl7.fr/replay/vu-d%E2%80%99ici_13/vu-d-ici-13decembre-2017_x6bm0ov.html et l’émission de radio écoutée sur https://rcf.fr/culture/olivier-glain-celinejeannot-pietroy-vous-avez-dit-gaga.
36
Les descriptions de la prononciation du francoprovençal dans cette section sont toutes tirées de Martin (2012).
35
121
en direction de publics moins favorisés. Récemment, Jeanluc Épallle a écrit une pièce de
théâtre intitulée Cinquante nuances de gaga, ou comment parler la langue. Elle met en scène
un échange entre un enseignant (joué par Max Rivière lors de la première saison) qui souhaite
enseigner le gaga au public. Pour ce faire, il a besoin de l’aide d’un « expert », maître Pétrus
(joué par Jeanluc Épallle). Certains éléments descriptifs de la variété stéphanoise dans cette
pièce sont tirés de l’ouvrage Vous avez dit gaga ? … Par ailleurs, Max Rivière ayant souhaité
se mettre en retrait, Jeanluc Épallle m’a demandé de jouer le rôle de l’enseignant au cours de
la saison 2018-2019, pour une série de neuf représentations de la pièce, ce que j’ai accepté.
J’y vois un formidable outil de valorisation de la recherche entreprise depuis quatre ans. À
plus long terme, nous avons également pour but de composer une pièce sur les variétés de
français. Je suis désormais pleinement associé aux activités de ce théâtre puisque je suis
depuis quelques mois le vice-président de l’association qui le régit.
De l’Université Pour Tous à l’Université Populaire, de la télévision au théâtre en
passant la radio, la valorisation de la recherche m’a ainsi mené vers différents lieux, différents
espaces, pour y faire principalement vivre des formes de phonologie en lien avec l’humain, en
lien avec le social. Avant d’aborder mes futures perspectives de recherche, je trouve
particulièrement opportun de terminer la synthèse de mes activités des vingt-six dernières
années avec un retour au théâtre marqué par l’accent stéphanois, près de trois décennies après
être tombé simultanément « amoureux » de la phonologie et du théâtre.
122
CONCLUSION
La recherche d’une certaine forme d’authenticité en lien avec la langue orale, et
notamment la diversité qui caractérise l’anglais oral, a structuré cette synthèse, que ce soit
dans le domaine de la didactique ou dans celui de la linguistique. La phonologie se décline
bien sûr en des temps et des espaces différents, en rapport avec une grande diversité de
locuteurs et de contextes sociaux. Pour moi, l’enseignement de la langue orale doit se nourrir
de cette diversité en même temps qu’il doit fournir un cadre de référence qui varie forcément
en fonction du profil des apprenants. Si pour le chercheur la langue orale est souvent celle des
locuteurs natifs qui deviennent un objet d’étude, elle est également pour l’enseignant celle des
apprenants au sein du dispositif social de la classe de langue, à l’origine peu authentique. Mon
positionnement pédagogique consiste en l’utilisation de méthodes de travail visant à rendre
plus authentiques les interactions en classe, en vue d’une amélioration des compétences de
communication des apprenants dans leurs aspects phonologiques et pragmatiques. Cette plus
grande authenticité peut passer par l’action, voire l’énaction.
Ma conception de la phonologie accorde une place importante à sa relation avec les
autres champs de la linguistique et les autres disciplines des sciences humaines et sociales. Si
cette interdisciplinarité est revendiquée dans mon parcours, elle reste principalement au
service de l’étude de la langue orale dans ses dimensions phonétiques et phonologiques, dont
elle permet de mieux rendre compte, dans un souci de complémentarité. Cette prise en compte
de l’humain et du social dans la linguistique me permet de surcroît de théoriser des
représentations variables des sons en fonction des individus, au sein d’un modèle de
phonologie sociocognitif qui prend appui sur des variations et des changements avérés, et
donc authentiques, tout en intégrant des données issues des sciences cognitives. Mon adhésion
théorique à une forme de linguistique cognitive n’entre ainsi pas en contradiction avec mon
positionnement en faveur de la sociolinguistique. La rencontre de différents modèles ont petit
à petit contribué à l’ouverture de ma recherche, sans jamais pour autant oublier la phonologie,
ou plutôt les phonologies.
Je pense que l’aspect social de la linguistique peut non seulement s’étudier ; il peut
également se vivre. Au-delà de ma participation à un réseau régional visant à faire vivre le
gaga dans le bassin stéphanois, l’appartenance à une communauté de chercheurs en
123
anglistique est importante à mes yeux. C’est le sens de mon implication grandissante au sein
de l’ALOES, dont je suis l’un des vice-présidents depuis l’an dernier. J’ai cette année coorganisé l’atelier ALAES-ALOES dans le cadre du congrès de la SAES et je compte
organiser la journée d’étude de l’ALOES de 2023. Cette société savante correspond
véritablement à l’étude de la langue orale telle que je me la représente puisque ses centres
d’intérêt sont principalement, mais non exclusivement, la phonétique et la phonologie et
puisqu’elle œuvre également dans le sens de la didactique et de l’apprentissage de l’anglais
oral dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur.
En ce qui concerne ma recherche à venir, j’ai commencé à mettre en place les
fondements de plusieurs projets. Je travaille actuellement sur les attitudes des locuteurs et sur
l’imaginaire linguistique en lien avec l’accent stéphanois. Je dois d’ailleurs écrire un article à
ce sujet pour un ouvrage portant sur les manifestations sensorielles des urbanités et dirigé par
Stéphanie Béligon (Paris IV Sorbonne Université) et Rémi Digonnet (Université Jean
Monnet), à paraître chez Peter Lang. Afin de donner une dimension internationale à mes
recherches sur le français régional stéphanois et d’en diffuser les conclusions à l’étranger, j’ai
contacté Jonathan Kasstan (Queen Mary University of London), qui avait écrit à Céline
Jeannot-Piétroy pour lui faire part de son intérêt à la lecture de l’ouvrage Vous avez dit
gaga…, que nous avions codirigé. Jonathan Kasstan 37 est un sociolinguiste britannique
spécialiste du francoprovençal. Il est co-directeur de la revue Cahiers, Association for French
Language Studies e-Journal et a notamment écrit le chapitre sur le francoprovençal dans la
série « Illustrations of the IPA » du Journal of the International Phonetic Association (2015).
Nous nous sommes mis d’accord sur une collaboration dont les modalités restent encore à
définir mais qui devrait concerner l’organisation de colloques et de publications en France et
en Grande-Bretagne.
Un autre projet international à venir a pour but de diffuser le modèle de l’imaginaire
linguistique au-delà du monde francophone par l’intermédiaire d’une traduction. À la suite du
colloque international sur les villes anglophones que j’ai organisé en 2016, Joan Beal s’est
montrée très intéressée par la théorie d’Anne-Marie Houdebine et par son apport pour les
travaux de recherche sur la norme et sur la dualité standard / non standard. Elle m’a proposé
une collaboration dans le but de traduire certains travaux d’Houdebine à destination des
lecteurs anglophones.
37
Le profil de Jonathan Kasstan est consultable sur : http://www.cantab.net/users/jrkasstan .
124
Dans mon esprit, l’essentiel de ma recherche doit toutefois continuer à porter sur
l’anglais. J’ai commencé à travailler sur l’accent de Newport, une ville du pays de Galles
linguistiquement intéressante car située à la croisée d’influences diverses qui se manifestent
par des phénomènes de contact entre le substrat gallois, la phonologie des variétés du sud du
pays de Galles, la prononciation de Cardiff et peut-être celle des variétés de l’ouest de
l’Angleterre. Pour donner sa forme définitive à ce travail, je dois à présent mener des études
de terrain à Newport.
À l’Université Jean Monnet, le CIEREC et le CELEC vont fusionner au sein d’un
grand laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’expression contemporaine. Je compte
inscrire ma recherche dans l’axe « mondialisation et territoires » qui est en train d’être défini.
Je pourrai ainsi développer un aspect de l’anglais contemporain que j’ai commencé à traiter
dans la dernière partie de Variations et changements en langue anglaise…, celui de la dualité
langue internationale / langue locale. Cette situation récente est qualifiée de glocalisation
(mot-valise issu de globalisation et de localisation en anglais) : l’anglais s’est mondialisé,
devenant la langue dominante de la planète, tout en se déclinant en une multitude de formes
locales, souvent par phénomène d’accommodation avec des langues indigènes. Ce processus a
donné naissance à de nouvelles variétés, plus susceptibles de correspondre à l’expression des
pensées et des sentiments des locuteurs locaux (Schneider 2011 : 230), c'est-à-dire davantage
en lien avec une expression authentique de leur identité. Dans une double perspective de
recherche et d’enseignement, cette fragmentation de la langue orale questionne à nouveau le
rapport des locuteurs et des apprenants à la norme. Ainsi que l’écrit Ballier (2008 : 117-118),
L’anglais est menacé de re-définitions successives liées aux variétés d’anglais (britannique, américain,
australien, néo-zélandais, indien, mais rien ne limite potentiellement cette fragmentation). On assiste à
une libanisation de la norme, déstructuration dont chaque communauté pense être le légitime détenteur.
Au fur et à mesure que s’émancipent les instruments de référence de chaque variété (voir la
multiplication des dictionnaires de American English, Australian English, etc.), s’éloigne la figure de la
norme unique. Les facteurs de domination (dispersion géographique, nombre de locuteurs) sont aussi un
facteur de fragilisation de la norme (les locuteurs de l’Indian English sont plus nombreux que ceux du
Standard British English). Langue dominante parce que seule à être mondiale (English as a Global
Language), l’anglais court le risque d’une balkanisation (redécoupage d’une entité initiale unique en
fiefs aux contours illégitimes) et son unité est menacée de désintégration (ainsi certains films
britanniques sont-ils sous-titrés aux États-Unis, renouant avec l’aphorisme de Shaw de ces deux pays
séparés par une même langue). Cette balkanisation est d’autant plus ressentie qu’existent bon nombre de
pidgins et de créoles, et qu’alors plus rien n’assurerait de parler autre chose que ce qui est encore perçu
par beaucoup comme une sous-langue.
La recherche d’une langue orale authentique dans sa dimension humaine et sociale
rend nécessaire la référence à des phonologies diverses, des phonologies de différents temps
et de différents espaces, que ceux-ci soient ceux d’un monde fondamentalement multiple mais
125
de plus en plus connecté ou ceux d’une classe de langue. La recherche de l’authenticité n’est
bien sûr qu’un idéal. Il n’est pas possible de créer une communication authentique en classe
de langue, pas plus qu’il n’est possible de développer les compétences phonologiques des
apprenants pour les mener vers un niveau total d’authenticité. Il est également impossible de
rendre compte de toutes les formes authentiques d’anglais parlées à travers le monde dans une
perspective de recherche. Si un objectif d’enseignement et de recherche lié à la quête d’une
réelle authenticité est donc nécessairement imparfait parce qu’il ne peut pas être atteint, il
s’agit d’un idéal qu’il me semble toutefois digne de poursuivre dans le but de promouvoir les
études de langue orale.
126
Références
ADAMCZEWSKI Henri, Grammaire linguistique de l’anglais, Paris, Armand Colin, 1982.
ADEN Joëlle, « De la langue en mouvement à la parole vivante : théâtre et didactique des
langues », Langages 4 (n° 192), 2013, p. 101-110.
ADEN Joëlle, « Créer, innover par le théâtre : pour une pédagogie énactive des langues », in
Capron Puozzo I., La créativité en éducation et formation. Perspectives théoriques et
pratiques, Louvain-La-Neuve, De Boeck Supérieur, 2016, p. 107-118.
ASHER James, « The Total Physical Response Approach to Second Language Learning »,
Modern Language Journal, Vol. 53, No. 1, janvier 1969, p. 3–17.
AUER Peter, Style and Social Identities: Alternative Approaches to Linguistic Heterogeneity,
Berlin, Mouton de Gruyter, 2007.
ASHBY Patricia, Speech Sounds, Abingdon, Routledge, 2005.
ASHBY Patricia, « The ‘IPA Exam’ – Certificate of Proficiency in the Phonetics of English »,
Proceedings of the Phonetics Teaching and Learning Conference – PTLC 2013,
http://www.ucl.ac.uk/psychlangsci/ptlc/proceedings_2013.
BAILLY Sophie, DEVITT Sean, GREMMO Marie-José, HEYWORTH Frank, HOPKINS Andy, JONES
Barry, MAKOSCH Mike, RILEY Philip, STOKS Gé & TRIM John (dir.), Common European
Framework of Reference for Languages. A Guide for Users, Strasbourg, Conseil de l’Europe,
2001.
BALLIER Nicolas, « Malaise dans la langue dominante », in Villard L. & Ballier N. (dir.),
Langues dominantes, langues dominées, Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de
Rouen et du Havre, 2008, p. 118-127.
BARNABE Aurélie, « Les prépositions évaluées par le prisme du paradigme cognitif : vers une
lecture enactive », Corela – Cognition, représentations, langage, Vol.12, n°2, 2015, p. 1-38.
BARTHES Roland, « L’Effet de réel », Communications, 11, 1968, p. 84-89.
BAUGH Albert & CABLE Thomas A History of the English Language, Egglewood Cliffs,
Prentice-Hall, (2002) [1957] (4è édition).
BAYLON Christian, Sociolinguistique, Société, langue et discours, Paris, Armand Colin, 2005
[1996] (2è édition).
BEAL Joan, « ‘Shamed by your English ?’: the Market Value of a ‘Good’ Pronunciation », in
Sturiale M., Beal J. et Nocera C. (dir.), Linguistic Insights: Studies in Language and
Communication. Perspectives on Prescriptivism, Bern, Peter Lang, 2008, p. 21-40.
BEGOT-PRONCHERY Monique, GONIN Nicole & PIGNOLET Denyse, L’apport des techniques
théâtrales dans l’apprentissage de l’anglais, Lyon, C.R.D.P. de Lyon, 1994.
BENVENISTE Émile, Problèmes de linguistique générale, tome 1, Paris, Gallimard, 1966.
BENVENISTE Émile, Problèmes de linguistique générale, tome 2, Paris, Gallimard, 1974.
BESNIER Niko, « Consumption and cosmopolitanism: practicing modernity at the secondhand
maketplace in Nuku’alofa, Tonga », Anthropological Quarterly, Volume 77, n°1, hiver 2004,
p. 7-45.
127
BIJELJAK-BABIC Ranka, « Acquisition de la phonologie et bilinguisme précoce », in Kail M.
& Fayol M., L’acquisition du langage. Vol.1 : Le langage en émergence de la naissance à
trois ans, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, p. 169-192.
BIRDWHISTELL Ray, Kinesics and Context. Essays in Body Motion Communication,
Philadelphia, University Of Pennsylvania Press, 1970.
BLEVINS Juliette, Evolutionary Phonology, New York, Cambridge University Press, 2004.
BLOOMFIELD Leonard, Language, New York, Heny Holt, 1933.
BOLINGER Dwight, « Intonation across languages », in Greenberg J., Ferguson C.
& Moravcsik A. (dir.), Universals of human language vol. 2: Phonology, Stanford, Stanford
University Press, 1978, p. 473-519.
BRANDAO DE CARVALHO Joaquim, NGUYEN Noël et WAUQUIER Sophie, Comprendre la
phonologie, Paris, Presses Universitaires de France, 2010.
BRITAIN David, « Linguistic Change in Intonation: the use of High Rising Terminals in New
Zealand English », in Language Variation and Change 4, 1992, p. 77-104.
BRULARD Inès & CARR Philip, « Le cadre phonologique », in Brulard I., Carr P. et Durand J.,
La prononciation de l’anglais contemporain dans le monde. Variation et structure, Toulouse,
Presses Universitaires du Midi, 2015, p. 17-34.
BRULARD Inès, CARR Philip & DURAND Jacques, La prononciation de l’anglais contemporain
dans le monde. Variation et structure, Toulouse, Presses Universitaires du Midi, 2015.
BURRIDGE Kate & KORTMANN Bernd (dir.), Varieties of English 3: the Pacific and
Australasia, Berlin, Mouton de Gruyter, 2008.
Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer,
Paris, Conseil de l’Europe / Didier, 2001.
CALVET Louis-Jean, La sociolinguistique, Paris, Presses Universitaires de France, 2011
[1993] (7è édition).
CARR Philip, Phonology, Eastbourne, Palgrave Macmillan, 1993.
CARR Philip, « Word stress, mental storage and extraction of generalisations: neural
mechanisms and the dual mechanism hypothesis », communication lors du colloque PAC
2015: Advances in the Phonology and Phonetics of Contemporary English, Université
Toulouse – Jean Jaurès, 2015.
CASTORIADIS Cornelius, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.
CHEVILLET François, Les Variétés de l’anglais, Paris, Nathan Université, 1991.
CHOMSKY Noam & HALLE Morris, The Sound Pattern of English, New York, Harper & Row,
1968.
COLLINS Beverley & MEES Inger, The Real Professor Higgins. The Life and Career of Daniel
Jones, Berlin / New York, Mouton de Gruyter, 1999.
COLLINS Beverley & MEES Inger, Practical Phonetics and Phonology: a Ressource Book for
Students, Routledge, Londres & New York, 2003.
CRUTTENDEN Alan, « Intonational diglossia: a case study of Glasgow », Journal of the
International Phonetic Association, vol. 37, n° 3, décembre 2007, p. 257-274.
CRUTTENDEN Alan, Gimson’s Pronunciation of English, Londres, Hodder Education, 2008
[1962] (7è édition).
128
CRUTTENDEN Alan, Gimson’s Pronunciation of English, Londres, Routledge, 2014 [1962] (8è
édition).
CRYSTAL David, The Cambridge Encyclopedia of the English Language, Cambridge
University Press, Cambridge, 2003 [1995] (2è édition).
CRYSTAL David, The Stories of English, Londres, Penguin, 2004.
CULIOLI Antoine, Pour une linguistique de l’énonciation, 4 tomes, Paris, Ophrys / Limoges,
Lambert Lucas, 1990.
DALTON Christiane & SEIDLHOFER Barbara, Pronunciation, Oxford, Oxford University press,
1994.
DEUTSCHER Guy, The Unfolding Of Language, Londres, Random, 2005.
DIANA Alain, « La phonétique dans l'enseignement de l'anglais aux spécialistes d’autres
disciplines : enjeux et priorités », Les cahiers de l’APLIUT, vol. XXIX n°3, 2010.
DING Nai, MELLONI Lucia, ZHANG Hang, TIAN Xing & POEPPEL David, « Cortical tracking of
hierarchical linguistic structures in connected speech », Nature Neuroscience, volume 19,
2016, p. 158–164.
DORNA Louis & LYOTARD Étienne, Le parler gaga : essai de lexique des mots et locutions du
terroir stéphanois, Paris / Saint-Étienne, Editions Dumas, 1953.
DUCHET Jean-Louis, La phonologie, Presses Universitaires de France, Paris, (1998) [1981] (5 è
édition).
DUPLAY Pierre, La Clà do Parlâ Gaga, Saint-Étienne, Impr. Urbain Balay, 1896.
DURAND Jacques & EYCHENNE Sylvain, « Le schwa en français : pourquoi des corpus ? »,
dans Corpus 3, 2004, p. 311-356.
DURIAN David, « Getting [S]tronger Every Day?: Urbanization and the socio-geographic
diffusion of (str) in Columbus, OH », University of Pennsylvania Working Papers in
Linguistics 13.2, 2007, p. 65-79.
ESAU Helmut, « The Germanic Consonant Shift », Orbis, n°22, novembre 1973, p. 454-473.
ESCOFFIER Simone, « Pour une étude systématique du français régional stéphanois »,
Mélanges V : Littérature, Archéologie, Histoire, Saint-Étienne, Centre d’Études Foréziennes,
1972, p.63-68.
FENNEL Barbara, A History of English. A Sociolinguistic Approach, Oxford, Balckwell, 2001.
FILLMORE Charles, « ‘Corpus linguistics’ or ‘Computer-aided armchair linguistics’ », in
Svartvik J. (dir.), Directions in Corpus Linguistics, Berlin, Mouton de Gruyter, 1992, p. 3559.
FONAGY Iván, La vive voix: essai de psychophonétique, Payot, Paris, 1983.
FRECHET Claudine (dir.), Dictionnaire des régionalismes de Rhône-Alpes, Paris, Honoré
Champion, 2015.
FRIDLAND Valerie, Language and Society: What Your Speech Says about You, Chantilly, The
Great Courses, 2015.
GARRETT Peter, COUPLAND Nikolas & WILLIAMS Angie, Investigating language attitudes:
social meanings of dialect, ethnicity and performance, Cardiff, University of Wales Press,
2003.
129
GAUTHIER Michael, Profanity and Gender: a diachronic analysis of men's and women's use
and perception of swear words, mémoire de master non publié, Lyon, Université Lyon 2,
2013.
GILES Howard, COUPLAND Nikolas, HENWOOD Karen, HARRIMAN Jim & COUPLAND Justine,
« The social meaning of RP: an intergenerational perspective », in Ramsaran S. (dir.), Studies
in the pronunciation of English. A commemorative volume in honour of A.C. Gimson,
Londres, Routledge, 1990, p. 191-211.
GLAIN Olivier, « Virtual Worlds on Screens », The New Standpoints n°15, Speakeasy
Publications, Nathan, Paris, 2003, p. 48-53.
GLAIN Olivier, « Bend it like Beckham: class file », The New Standpoints n°20, Speakeasy
Publications, Nathan, Paris, 2004, p. 47-49.
GLAIN Olivier, « An Introduction to the CEFR », The New Standpoints n°23, Speakeasy
Publications, Nathan, Paris, 2005, p. 7-8.
GLAIN Olivier, Mad for Ads 4, Paris, Nathan, 2006.
GLAIN Olivier, L'épreuve de didactique à l'agrégation interne d'anglais : méthodologie, Paris,
éditions CNED, 2012a.
GLAIN Olivier, « The yod /j/ : palatalise it or drop it- How Traditional Yod Forms are
Disappearing from Contemporary English », Cercles n° 22, 2012b, p. 4-24, disponible sur
http://www.cercles.com/n22/glain.pdf [consulté le 26/07/2018].
GLAIN Olivier, « « Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) en anglais »,», La Clé des
Langues (Lyon : ENS LYON/DGESCO), 2012c, disponible sur
http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/les-cas-de-palatalisationcontemporaine-cpc-en-anglais- [consulté le 26/07/2018].
GLAIN Olivier, Prononciations du monde anglophone, Pessac, Presses Universitaire de
Bordeaux, 2013a.
GLAIN Olivier, Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) dans le monde anglophone,
thèse de doctorat non publiée, Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3, 2013b.
GLAIN Olivier, « Into the ear, through the head, out on the lips», Anglophonia-Sigma, n° 34,
2013c, 137-158.
GLAIN Olivier, CAPES et agrégations d'anglais : cours de compréhension et d'expression,
Paris, éditions CNED, 2014a.
GLAIN Olivier, « Introducing Contemporary palatalisation», PARLAY proceedings series n°1,
York, York Papers in Linguistics, 2014b, p. 16-29.
GLAIN Olivier, « Variations et innovations phonétiques en anglais américain », La Clé des
Langues (Lyon : ENS LYON/DGESCO), 2015a, disponible sur
http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/variations-et-innovations-phonetiquesen-anglais-americain-partie-1 [consulté le 26/07/2018].
GLAIN Olivier, « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model »,
RANAM (Recherches anglaises et nord-américaines), n°48, juillet 2015b, p. 13-29.
GLAIN Olivier, « British English et American English : convergences ou divergences
phonétiques ? », Les Amis du CRELINGUA, n°19, 2016, p. 21-39.
130
GLAIN Olivier, « L’activation du changement des sons en Grande-Bretagne dans le contexte
de l’après Seconde Guerre mondiale », La Clé des Langues (Lyon : ENS LYON/DGESCO),
2017a, disponible sur
http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/l-activation-du-changement-des-sonsen-grande-bretagne-dans-le-contexte-de-l-apres-seconde-guerre-mondiale [consulté le
26/07/2018].
GLAIN Olivier, « L’accent stéphanois », in Glain O. & Jeannot Piétroy C. (dir.), Vous avez dit
gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, Saint-Étienne,
Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017b.
GLAIN Olivier, « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques. Le
cas de la palatalisation », in Glain O. & Jobert M. (dir.), Phonologies de l'anglais : théories et
applications, Limoges, Lambert Lucas, 2018a.
GLAIN Olivier, « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements », Signes,
discours et société, n°19, mars 2018 (2018b), disponible sur
http://revue-signes.gsu.edu.tr/?article=844 [consulté le 26/07/2018].
GLAIN Olivier, Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ;
perspectives humaines et sociales (soumis aux Publications de l’Université de Saint-Étienne).
GLAIN Olivier (dir.), English-Speaking Towns & Cities : memoirs and narratives, (soumis aux
Publications de l’Université de Saint-Étienne).
GLAIN Olivier & JEANNOT PIETROY Céline (dir.), Vous avez dit gaga ? Origines, identités et
enjeux du français régional stéphanois, Saint-Étienne, Publications Universitaires de SaintÉtienne, 2017c.
GLAIN Olivier & PITAVY Jean-Christophe, « Petite grammaire du gaga », in Glain O. &
Jeannot Piétroy C. (dir), Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français
régional stéphanois, Saint-Étienne, Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017d.
GLAIN Olivier & JOBERT Manuel (dir.), Phonologies de l'anglais : théories et applications,
Limoges, Lambert Lucas, 2018c.
GOULLIER Francis, Les Outils du Conseils de l’Europe en classe de langue, Paris, Didier,
2005.
GUILLAUME Gustave, Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps suivi de
L'architectonique du temps dans les langues classiques, Paris, Champion, 1984 [1929].
HANDKE Jürgen, The Mouton Interactive Introduction to Phonetics and Phonology, Berlin,
Mouton de Gruyter, 2001.
HANOTE Sylvie, « Saillance à l’oral : quels marqueurs ? », Saillance (2) : La saillance en
langue et en discours, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2013, p. 29-54.
HERMENT Sophie, « Apprentissage et enseignement de la prosodie : l'importance de la
visualisation », Revue Française de Linguistique Appliquée, XIII (1), 2018, p.73-88.
HERMENT Sophie & TURCSAN Gabor, « L’anglais du nord de l’Irlande (Ulster) », in Brulard
I., Carr P. & Durand J., La prononciation de l’anglais contemporain dans le monde. Variation
et structure, Toulouse, Presses Universitaires du Midi, 2015, p. 183-197.
HICKEY Raymond, « Supraregionalisation », in Brinton L. et Bergs A. (dir.), Historical
Linguistics of English, Berlin, de Gruyter, 2010, p. 2060-2077.
131
HIRST Daniel, « UK Declarative rises and the frequency code », in Hancil S. et Hirst D. (dir.)
Prosody and Iconicity, Amsterdam, John Benjamins, 2013, p. 149-160.
HOUDEBINE Anne-Marie, « Norme, imaginaire linguistique et phonologie du français
contemporain », Le français moderne, vol. 1, 1982, p.42-51.
HOUDEBINE Anne-Marie. (dir.), L’imaginaire linguistique, Paris, L'Harmattan, 2002.
HUART Ruth, Nouvelle grammaire orale de l’anglais, Paris, Ophrys, 2010.
JENKINS Jennifer, The phonology of English as an international language: new models, new
norms, new goals, Oxford, Oxford University Press, 2000.
JENKINS Jennifer, « Misinterpretation, Bias, and Resistance to Change », DziubalskaKolaczyk K. & Przedlacka J. (dir.), English Pronunciation Models: A Changing Scene, Bern,
Peter Lang, 2008, 199-210.
JOBERT Manuel, Le texte et la voix. Étude des phénomènes paralinguistiques dans quatre
romans d’Edith Wharton, thèse de doctorat non publiée, Lyon, Université Jean moulin – Lyon
3, 2003.
JOBERT Manuel, « Le General American à l’épreuve de phonologie de l’agrégation », Cercles
- Occasional Papers, 2009, p. 95-116.
JOBERT Manuel, « Phonostylistics and the written text », in Stockwell P. & Whiteley S. (dir.),
The Cambridge Handbook of Stylistics, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p.
231-248.
JOBERT Manuel, « Lire le cockney littéraire : Charles Dickens, Somerset Maugham et
George Bernard », in Glain O. & Jobert M. (dir.), Phonologies de l'anglais : théories et
applications, Limoges, Lambert Lucas, 2018, p. 135-154.
JOBERT Manuel & MANDON-HUNTER Natalie, Transcrire l’anglais britannique et américain,
Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2009.
JOLY André & O’KELLY Dairine, Grammaire systématique de l’anglais, Paris, Nathan, 1990.
JONES Daniel, Pronunciation of English, Cambridge, Cambridge University Press, 1956.
JONES Daniel, The Phoneme, its Nature and Use, Cambridge, Heffer & Sons Ltd, 1962.
JOSEPH John Earl, Eloquence and Power, Londres, Frances Pinter, 1987.
JOSHI S.T. (dir.), The Call of Cthulhu and other weird stories, Londres, Penguin, 2002.
JULIE Kathleen, Enseigner l'anglais, Paris, Hachette Éducation, 1995.
KASSTAN Jonathan, « Illustrations of the IPA: Lyonnais (Francoprovençal) », Journal of the
International Phonetic Association, 45 (3), 2015, p. 340-355.
KACHRU Braj, « Standards, codification and sociolinguistic realism: The English language in
the Outer Circle », in Quirk R. et Widdowson H. (dir.), English in the world: Teaching and
learning the language and literatures, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 1130.
KAIL Michèle, L’acquisition du langage, Paris, Presses Universitaires de France, 2012.
KENRICK William, A New Dictionary of the English Language, Londres, John & Francis
Rivington, William Johnston, Thomas Longman & Thomas Cadell, 1773.
KENWORTHY Joanne, Teaching English Pronunciation, Londres, Longman, 1987.
132
KOLB David, Experiential learning: Experience as the source of learning and development,
Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1984.
KORTMANN Bernd & UPTON Clive (dir.), Varieties of English 1: The British Isles, Berlin,
Mouton de Gruyter, 2008.
KRAMSCH Claire, « Interactive dicourse in small and large groups », in Rivers W. (dir.),
Interactive Language Teaching, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p.17-31.
LABOV William, The Social Stratification of English in New York City, Washington, DC,
Center for Applied Linguistics, 1966.
LABOV William, Language in the Inner City: Studies in the Black English Vernacular,
Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1972a.
LABOV William, Sociolinguistic Patterns, Philadelphie, University of Pennsylvania Press,
1972b.
LABOV William, « The intersection of sex and social class in the course of linguistic change »,
Language Variation and Change 2: 2, 1990, p. 205-254.
LABOV William, Principles of Linguistic Change, Volume 1: Internal Factors, collection
Language in Society, Chichester, Wiley-Blackwell, 1994.
LABOV William, Principles of Linguistic Change, Volume 2: Social Factors, collection
Language in Society, Oxford, Blackwell, 2001.
LABOV William, Principles of Linguistic Change, Volume 3: Cognitive and Cultural Factors,
collection Language in Society, Chichester, Wiley-Blackwell, 2010.
LANGACKER Ronald, Foundations of Cognitive Grammar , Vol. 1: Cognitive Prerequisites,
Stanford, Stanford University Press, 1987.
LANGACKER Ronald, Foundations of Cognitive Grammar, Vol. 2: Descriptive Application,
Stanford, Stanford University Press, 1991.
LANGACKER Ronald, Cognitive Grammar: A Basic Introduction, Oxford, Oxford University
Presss, 2008.
LAPAIRE Jean-Rémi, La grammaire anglaise en mouvement, Paris, Hachette, 2006.
LAPAIRE Jean-Rémi, Grammaire de l’oral et engagement du corps apprenant, in Martinot C.
& Pégaz Paquet A. (dir.), Innovations didactiques en français langue étrangère, La Cellule de
Recherche en Linguistique (CRL), 2014, p.25-37.
LAPAIRE Jean-Rémi & ROTGE Wilfrid, Linguistique et grammaire de l’anglais, Toulouse,
Presses Universitaires du Mirail, 1991.
LASS Roger, On Explaining Language Change, Cambridge, Cambridge University Press,
1980.
LECLERCQ Brigitte & PIGEARIAS Marie-Agnès, L'anglais au lycée, Paris, Belin, 1990.
LECOQ Jacques, Le corps poétique, Paris, Actes Sud Papiers, 1997.
LEITH Dick, A Social History of English, Londres, Routledge, 1983.
LE PAGE Robert & TABOURET-KELLER Andrée, Acts of Identity: Creole-based approaches to
language and ethnicity, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
LERER Seth, The History of the English Language, Chantilly, The Great Courses, 2008 (2è
édition).
133
LINDBLOM Björn, « On the origin and purpose of discreteness and invariance in sound
patterns », in Perkell J. et Klatt D. (dir.), Invariance and Variability in Speech Processes,
Hillsdale, Lawrence Erlbaum Associates, 1986, p. 493-523.
LINDBLOM Björn, « Explaining phonetic variation: a sketch of the H&tH theory », in
Hardcastle W. et Marchal A. (dir.), Speech Production and Speech Modelling, Amsterdam,
Kluver, 1990, p. 403-439.
LOVECRAFT Howard Philips, The Shadow over Innsmouth, Everett (Pennsylvanie), Visionary
Publishing Company, 1936.
MÄKINEN Kaarina, « Teaching foreign languages through drama », in Kaikkonen, P. &
Kohonen, V. (dir.), Quo vadis foreign language education?, Tampere, Cityoffset, 2002, p.
177-195.
MARTIN Jean-Baptiste, Le parler du Forez et du Roannais. Dictionnaire du français régional
de la Loire, Paris, Editions Bonneton, 2000.
MARTIN Jean-Baptiste, « Le francoprovençal », 2012, disponible sur
http://25images.ish-lyon.cnrs.fr/summer_school-ddl2012/video/jean-baptiste-martinprofesseur-emerite-dynamique-langage-universite-de-lyon-region-rhone-alpesfrancoprovencal/fr
MARTIN Jean-Baptiste, « Le français régional de Saint-Étienne Influence du substrat dialectal
et échanges avec les régions voisines », in Glain O. & Jeannot Piétroy C. (dir.), Vous avez dit
gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, Saint-Étienne,
Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017, p. 67-77.
MARTINET André, Éléments de linguistique générale, Paris, Armand Colin, 1960.
MATTO Michael et MOMMA Hakuro, A Companion to the History of the English Language,
Chichester, Wiley-Blackwell, 2011.
MCWHORTER John, Myths, Lies and Half-Truths of Language Usage, Chantilly, The Great
Courses, 2012.
MEILLET Antoine, Linguistique historique et linguistique générale, Paris, Librairie Ancienne
Honoré Champion, 1926 [1921] (2è édition).
MESTHRIE Rajend (dir.), Varieties of English 4: Africa and South Southeast Asia, Berlin,
Mouton de Gruyter, 2008.
MEUNIER Christine, « Invariants et variabilité en phonétique », in Nguyen N., WauquierGravelines S. & Durand J. (dir.), Phonologie et phonétique : forme et substance, Paris, Traité
IC2, Lavoisier - Hermes, 2005, p. 349-374.
MILROY James, Linguistic Variation and Change, Oxford, Blackwell, 1992.
MILROY Lesley, Language and Social Networks, Oxford, Blackwell, 1980.
MILROY Lesley, Observing and Analysing Natural Language. A critical account of
sociolinguistic method, Oxford, Blackwell, 1987.
MINKOVA Donka, A Historical phonology of English, Édimbourg, Edinburgh University
Press, 2014.
MONROY-CASAS Rafael & ARBOLEDA-GIRAO Inmaculada (dir.), Readings in English
Phonetics and Phonology, Valence, Universitat de València IULMA, 2014.
MOSSNER Ernest, The Life of David Hume, Oxford, Oxford University Press, 1954.
134
NGUYEN Noël, « Perception de la parole », in Nguyen N., Wauquier-Gravelines S. & Durand
J. (dir.), Phonologie et phonétique : forme et substance, Paris, Traité IC2, Lavoisier - Hermes,
2005, p. 425-447.
OHALA John, « The listener as a source of sound change », Papers from the Parasession on
Language and Behavior, Chicago, Chicago Linguistic Society, 1981, p.178-203.
OHALA John, « Sound change is drawn from a pool of synchronic variation », in Breivik L. et
al. (dir.), Language Change: Contributions to the study of its causes, Berlin, Mouton de
Gruyter, 1989, p. 173-198.
OHALA John, « The phonetics of sound change », in Jones C. (dir.), Historical Linguistics:
Problems and Perspectives, Londres, Longman, 1993, p. 237-278.
OHALA John, « Hierarchies of environments for sound variation », in Acta Linguistica
Hafniensia 27.37, 1994, p. 371-382.
OHALA John (2003), « Phonetics and Historical Phonology », in Joseph B. et Janda R. (dir.),
The Handbook of Historical Linguistics, Oxford, Blackwell, 2003, p. 669-686.
O’NEILL Cecily, Drama Worlds: A Framework for Process Drama, Pearson Education, 1995.
PAVLÍK Radoslav, « A Typology of Assimilations », SKASE Journal of Theoretical
Linguistics, vol. 6, n°1. 2-26, 2009, disponible sur :
http://www.skase.sk/Volumes/JTL13/pdf_doc/01.pdf [consulté le 19/07/2018].
PERRIN Pierre & ZELLMEYER Pierre, Le petit gaga illustré : l’encyclopédie du Pétrus, SaintÉtienne, Edition : Marc Ollagnier, 1966.
POLIAKOV Stéphane, Constantin Stanislavski, Paris, Actes Sud, 2015.
RAITIO Tuomo, KANE John, DRUGMAN Thomas & GOBL Christer, « HMM-based synthesis of
creaky voice », Proceedings of Interspeech 2013, 2013, p. 2316-2320. Disponible sur :
https://www.tcd.ie/slscs/assets/documents/postgraduate/clcs/papers/TR_JK_TD_creakHMM_
IS13.PDF [consulté le 20/07/2018]
REMYSEN Wim, « L’application du modèle de l’Imaginaire linguistique à des corpus écrits : le
cas des chroniques de langage dans la presse Québécoise », Langage et Société n°65, 2005, p.
47-65.
RITCHART Amalia & ARVANITI Amanda, « The form and use of uptalk in Southern
Californian English », in Proceedings of Speech Proosdy 2014, 2014, disponible sur :
https://www.kent.ac.uk/secl/ell/staff/amalia-arvaniti/docs/RitchartArvaniti_SpPr2014_F.pdf
[consulté le 11/08/2016].
RIVERS Wilga, Interactive Language Teaching, Cambridge, Cambridge University Press,
1984.
ROACH Peter, English Phonetics and Phonology. A Practical Course, Cambridge, Cambridge
University Press, 2009 [1983] (4è edition).
ROACH Peter, HARTMAN Jane & SETTER Jane (dir.), Cambridge English Pronouncing
Dictionary, Cambridge, Cambridge University Press (2006) [1917] (17è edition).
ROTGE Wilfrid, « Brève histoire de la linguistique », in Lapaire J.-R. & Rotgé W., Séminaire
pratique de linguistique anglaise, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1993, p. 41-54.
SAUSSURE Ferdinand de, Cours de Linguistique Générale, Paris, Payot, 1916.
135
SCHILLING Natalie, English in America: A Linguistic History, Chantilly, The Great Courses,
2016.
SCHNEIDER Edgar, Postcolonial English, Varieties around the world, Cambridge, Cambridge
University Press, 2007.
SCHNEIDER Edgar (dir.), Varieties of English 2: the Americas and the Caribbean, Berlin,
Mouton de Gruyter, 2008.
SCHNEIDER Edgar, English Around the World, an introduction, Cambridge, Cambridge
University Press, 2011.
SCHREIER Daniel, Consonant Change in English Worldwide: Synchrony meets Diachrony,
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005.
SIMPSON Paul, Language, Ideology, and Point of View, Londres, Routledge, 1993.
SMITH Jeremy, An Historical Study of English: Function, Form and Change, Londres,
Routledge, 1996.
SMITH Jeremy, Sound Change and the History of English, Oxford, Oxford University Press,
2007.
SOMMERS Michelle & GLAIN Olivier, My Brilliant Career, Paris, Attica, 2007.
SORLIN Sandrine, Langue et autorité. De l’ordre linguistique à la force dialogique, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, 2012.
SOULAINE Stéphane, Les effets du geste sur l'apprentissage du rythme en anglais : couplage
des dynamiques vocale et corporelle, thèse de doctorat non publiée, Le Mans, université du
Mans, 2013.
SOULAINE Stéphane, « L’enseignement-apprentissage de la phonologie (rythme et intonation)
au secondaire et dans l’enseignement supérieur : rencontre entre dynamiques vocale et
coporelle », communication lors de la journée d’étude de l’ALOES, Aix-en-Provence, 2015.
STANISLAVSKI Konstantin, An Actor Prepares, Londres, Methuen, 1988 [1936].
STANISLAVSKI Konstantin, An Actor's Work: A Student's Diar, Londres & New York,
Routledge, 2008 [1938].
STEVANOVITCH Colette, Manuel d’histoire de la langue anglaise des origines à nos jours,
Paris, Ellipses, 2008 [1997] (2è édition).
STOCKWELL Peter, « The Sociolinguistics of Identity », La Clé des Langues [en ligne], Lyon,
ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2009. Disponible sur :
http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/linguistique/the-sociolinguistics-of-identity,
(dernière
consultation le 14/07/2018)
STOCKWELL Peter, « Accomodating identity in cognitive sociolinguistics », in Manzano F.
(dir.), Université et diversité de la linguistique, Lyon, Publications du Centre d’Études
Linguistiques, 2011, p. 13-33.
TAYLOR John & LITTLEMORE Jeannette, « Introduction », in Taylor J. & Littlemore J., The
Bloomsbury Companion to Cognitive Linguistics, Londres, Bloomsbury, 2014, p. 1-25.
TEASDALE Chantal, « Êtes-vous visuel, auditif ou kinesthésique ? », La Presse, 23/10/2004.
THOMASON Sarah & KAUFMAN Terence, Language Contact, Creolization, and Genetic
Linguistics, Berkeley, University of California Press, 1988.
136
TROUBETZKOY Nicolaï, Grundzüge der Phonologie, Prague, Travaux du Cercle Linguistique
de Prague 7, 1931.
TRUDGILL Peter, The social Differentiation of English in Norwich, Cambridge, Cambridge
University Press, 1974.
TRUDGILL Peter, « Finding the Speaker-listener Equilibrium : Segmental Phonological
Models in EFL », in Dziubalska-Kolaczyk K. & Przedlacka J. (dir.), English Pronunciation
Models: A Changing Scene, Bern, Peter Lang, 2008, p. 213-228.
TRUDGILL Peter et HANNAH Jean, International English: A Guide to Varieties of Standard
English, Londres, Arnold, 2008 [1982] (5è edition).
VAISSIERE Jacqueline, « De la voix et du sens - autour de l’œuvre de Iván Fónagy », Cahier
d’Études hongroises et finlandaises, n°14, 2012, p. 56-70.
VALIMAA-BLUM Rita, Cognitive Phonology in Construction Grammar: Analytic Tools for
Students of English, Berlin, Mouton de Gruyter, 2005.
VAN LEYDEN Klaske, Prosodic Characteristics of Orkney and Shetland Dialects. An
Experimental Approach, Thèse de doctorat non publiée, Leiden, Université de Leiden, 2004.
VARELA Francisco, THOMPSON Evan & ROSH Eleanor, L’inscription corporelle de l’esprit,
Paris, Seuil, 1993.
WALKER John, A Critical Pronouncing Dictionary and Expositor of the English Language,
Londres, Robinson, Robinson et Cadell, 1791.
WATT Dominic & MILROY Lesley, « Patterns of variation and change in three Newcastle
vowels: is this dialect levelling », in Foulkes P. et Docherty G. (dir.), Urban Voices (Accent
Studies in the British Isles), Londres, Arnold, 1999, p. 25-46.
WEINREICH Uriel, LABOV William & HERZOG Marvin, Empirical Foundations for a Theory of
Language Change, Austin, University of Texas Press, 1968.
WELLS John, Accents of English (3 volumes), Cambridge, Cambridge University Press, 1982.
WELLS John, Longman Pronunciation Dictionary, Londres, Longman, 2008 [1990] (3è
édition).
WILBANKS Eric, « Social and Structural Constraints on a Phonetically-Motivated Change in
Progress: (str) Retraction in Raleigh, NC », University of Pennsylvania Working Papers in
Linguistics, Volume 23 Issue I, janvier 2017, p. 301-310.
WILHELM Stephan, Innovations segmentales et suprasegmentales dans le NW Yorkshire:
Implications pour l’étude du changement accentuel dans les îles Britanniques, thèse de
doctorat non publiée, Dijon, Université de Bourgogne, 2011.
WILHELM Stephan, « Accommodation in the Hebrides », New Standpoints, n°58, décembre
2013, p. 51.
WILHELM Stephan, « Quand les paroles s’envolent : réflexions sur les caractéristiques et la
forme phonétique du High Rising Terminal en anglais contemporain », Anglophonia,
20, 2015a, disponible sur : http://journals.openedition.org/anglophonia/591 [consulté le
10/07/2018].
WILHELM Stephan, « Urban North British Intonation - Le système intonatif des accents de
l’anglais du nord du Royaume-Uni », Les Amis du Crelingua, Actes du colloque du 17 mai
2014, Chambéry, Éditions Les Amis du Crelingua, 2015b, p. 72-88.
137
WINKIN Yves, La Nouvelle communication, Paris, Seuil, 1981.
WRIGHT Joseph (dir.), The English Dialect Dictionary (6 volumes), Oxford, Oxford
University Press, 1898-1905.
138
Index des auteurs
ADEN Joëlle
33, 35
AUER Peter
98
ASHBY Patricia
38, 39, 40, 41
BALLIER Nicolas
25, 125
BARNABE Aurélie
36
BARTHES Roland
111
BAUGH Albert & Cable Thomas
61
BAYLON Christian
54
BIJELJAK-BABIC Ranka
90
BIRDWHISTELL Ray
28
BLEVINS Juliette
62, 77, 83, 85, 86, 87
BRANDAO DE CARVALHO
Joaquim
83
BRITAIN David
58
BRULARD Inès
46, 48
CALVET Louis-Jean
63, 75, 116
CARR Philip
46, 47, 48, 90
CHEVILLET François
39
CHOMSKY Noam
75, 93
CRUTTENDEN Alan
22, 23, 38, 44, 68, 82
CRYSTAL David
28, 61, 66, 104, 105
DIANA Alain
21, 22
DUCHET Jean-Louis
91
DUPLAY Pierre
117
DURAND Jacques
47, 94
DURIAN David
93
ESAU Helmut
87
ESCOFFIER Simone
119
FENNEL Barbara
66
FONAGY Iván
27, 28
139
FRECHET Claudine
117, 118
FRIDLAND Valerie
55, 56, 63
GOULLIER Francis
19
HANOTE Sylvie
7
HERMENT Sophie
29, 68
HICKEY Raymond
105
HIRST Daniel
68
HOUDEBINE Anne-Marie
9, 100, 101, 102, 103, 124
HUART Ruth
21, 22
JENKINS Jennifer
24, 25, 26
JOBERT Manuel
28, 39, 76, 109, 111, 113
JOLY André & O’KELLY
Dairine
8, 27, 108
JONES Daniel
17, 88, 90, 91, 92
JOSEPH John Earl
66
JULIÉ Kathleen
15, 16
KACHRU Braj
70, 71
KENRICK William
106
KENWORTHY Joanne
22
KRAMSCH Claire
8, 15
LABOV William
52, 53, 55, 56, 59, 60, 62, 63, 65, 72, 73, 75, 76, 83, 92, 97, 98, 101, 119
LANGACKER Ronald
90, 108
LAPAIRE Jean-Rémi
28, 33, 34, 108
LASS Roger
75
LEITH Dick
61, 66, 69
LERER Seth
61
LINDBLOM Björn
84
LOVECRAFT Howard Philips
109, 110, 111
MÄKINEN Kaarina
31
MARTIN Jean-Baptiste
117, 118, 121
MARTINET André
62, 101
MCWHORTER John
73, 87, 99
MEILLET Antoine
73, 75, 76
140
MEUNIER Christine
84
MILROY James
8, 65, 76, 99, 102, 103
MILROY Lesley
75, 76, 119
MINKOVA Donka
66
NGUYEN Noël
83
OHALA John
77, 83, 84
RIVERS Wilga
33
ROACH Peter
38
ROTGE Wilfrid
8, 108
SAUSSURE Ferdinand de
75, 77
SCHILLING Natalie
56
SCHNEIDER Edgar
39, 69, 70, 72, 97, 98, 105, 125
SCHREIER Daniel
69
SMITH Jeremy
65, 66, 73, 76, 77, 84, 87, 88, 89, 97, 99, 103
SORLIN Sandrine
75, 105, 106, 107
SOULAINE Stéphane
35
STANISLAVSKI Konstantin
32, 33
STEVANOVITCH Colette
61
STOCKWELL Peter
97, 98
TROUBETZKOY Nicolaï
47, 48, 49
TRUDGILL Peter
12, 25, 26
VALIMAA-BLUM Rita
90, 92
VARELA Francisco
9, 34, 35
WALKER John
106
WAUQUIER Sophie
83
WEINREICH Uriel
72
WELLS John
27, 39, 47, 49, 57, 59
WILBANKS Eric
82
WILHELM Stephan
58, 68, 99
WINKIN Yves
27
WRIGHT Joseph
61
141
CURRICULUM VITAE
-------------Maître de Conférences en linguistique anglaise à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne
Membre du CIEREC
(Centre Interdisciplinaires d’Études et de Recherches sur l’Expression Contemporaine), EA 3068
-------------FORMATION ET DIPLOMES
2013
- Doctorat en linguistique anglaise réalisé sous la direction de Manuel Jobert, Université Jean
Moulin - Lyon 3, mention très honorable avec les félicitations du jury à l’unanimité
Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) dans le monde anglophone, thèse soutenue le
9/11/2013 à Lyon
Composition du jury :
Jean Albrespit, Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour (président)
Nicolas Ballier, Professeur, Université Paris 7 - Diderot (rapporteur)
Catherine Delesse, Professeur, Université de Lorraine
Jean-Louis Duchet, Professeur émérite, Université de Poitiers (rapporteur)
Manuel Jobert, Professeur, Université Jean Moulin - Lyon 3 (directeur)
2011
2010
2000
1997
1993
1992
- Master 2 en phonologie anglaise, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, sous la
direction de Wendy Schottman, Les Cas de Palatalisation Contemporaine en anglais, mention
très bien
- Certificate of Proficiency in the Phonetics of English, diplôme de l’Association Phonétique
Internationale
- Agrégation interne d’anglais – 12è au classement
- CAPES externe d’anglais – 14è au classement
- Maîtrise en littératures et civilisations anglophones, Université Jean Monnet de Saint-Étienne,
mention bien ; Tennessee Williams: a Story of Men and Women, mémoire réalisé sous la
direction de Patrick Badonnel
- licence en littératures et civilisations anglophones, Université Jean Monnet de Saint-Étienne
-------------ENSEIGNEMENT
En France
depuis 2014
-Maître de Conférences à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne : cours de phonétique (L1,
L2), phonologie (L2, L3, M1), grammaire (L3, M1, M2), linguistique générale (L3),
142
2010-2014
2010
1999-2010
1994-1995
1992-1993
sociolinguistique (L3, M2 recherche), traduction orale (L3), méthodologie (M2 Meef et
recherche), civilisation du Commonwealth (L2), thème (M1 Meef), préparation aux épreuves
orales du CAPES (M2 Meef parcours B)
-PRAG à l’IUT de Roanne (Université Jean Monnet de Saint-Étienne) : cours d’anglais
professionnel et d’anglais des affaires dans les deux années de la licence et en licence
professionnelle banque assurance.
- cours de traduction et de civilisation en Master 1 anglais LLCER, Université Jean Monnet de
Saint-Etienne (vacations)
- professeur certifié puis agrégé au Lycée Général et Technologique Albert Thomas de Roanne
(42) : cours de la classe de seconde aux classes de BTS ; diverses vacations à l’université
- maître auxiliaire en anglais et français aux Collège et Lycée de Chazournes, à Aurec/Loire
(43)
- maître auxiliaire en anglais aux Collège et Lycée de Chazournes, à Aurec/Loire (43)
À l’étranger
1997-1998
1993-1994
- lecteur de français et enseignant d’un module d’interprétariat à l’université de Hull
(Royaume-Uni)
- assistant de français, the University of Southern Mississippi, à Hattiesburg (États-Unis)
-------------PARTICIPATION AUX JURYS DE L’EDUCATION NATIONALE
depuis 2018
2017
2012-2015
2008-2011
- membre du jury de l’agrégation externe ; responsable de l’épreuve de phonologie à partir de
la session 2019
- membre du jury de l’agrégation externe spéciale docteurs ; co-auteur du rapport sur la
linguistique et auteur du rapport sur l’anglais oral
- membre du jury du CAPES externe d’anglais ; auteur du rapport sur l’anglais oral (2014 &
2015)
- membre du jury de l’agrégation interne d’anglais ; co-auteur d’un rapport de thème (2009) et
participation aux rapports de version et de traductologie (2008-2011) ; coordonnateur des
rapports de didactique (2009-2011)
-------------FORMATION D’ENSEIGNANTS
2012
2010-2011
2010-2013
2008-2010
2006-2010
- animateur du forum de didactique du CNED pour les candidats au CAPES externe et à
l’agrégation interne d’anglais
- préparateur de l’épreuve de didactique de l’agrégation interne d’anglais pour les candidats de
l’académie de Clermont-Ferrand
- correcteur et concepteur de sujets chez le CNED pour l’agrégation interne (didactique et
compréhension / restitution)
- formateur pour l’Université de Cambridge et le Ministère de l’Education Nationale :
formation des enseignants amenés à corriger les certifications dans le cadre du Cambridge
English Certificate
- formateur des enseignants de langues vivantes des établissements privés sous contrat de la
Loire pour FORMIRIS
143
2005-2008
2003-2008
2002-2010
- responsable académique de la formation des enseignants de langues vivantes au Cadre
Européen Commun de Référence pour les Langues, au Plan de Rénovation des Langues et à
l’approche actionnelle (académie de Lyon). Coordonnateur académique de la formation
pédagogique en anglais
- formation des professeurs d’anglais des établissements privés sous contrat de l’Académie de
Nantes, Cadre Européen et perspective actionnelle
- formateur de professeurs d’anglais pour le rectorat et l’IUFM de Lyon dans le cadre des
A.P.P.D. (Ateliers de Pratiques Pédagogiques et Didactiques)
- maître de stage de professeurs stagiaires en lycée
-------------RESPONSABILITES ADMINISTRATIVES ET COLLECTIVES
Université Jean Monnet de Saint-Étienne
- directeur du département d’études anglophones depuis 2015 (élu en 2015 et réélu en 2017)
- membre du CA du CIEREC (élu en 2017)
- 2015-2017 : co-responsable d’un groupe de recherche sur le parler stéphanois
- juin 2015 : aide à l’organisation et animation dans le cadre de l’exposition « La vogue des
langues : que parle-t-on à Sainté ? »
- 2013-2014 : directeur des études du département Techniques de Commercialisation de l’IUT
de Roanne
- participation à un projet intensif Erasmus « Effective Communication in Multicultural
Teams » pour l’IUT de Roanne et le Centre Universitaire Roannais avec des partenaires
allemands, autrichiens, thèques, finlandais et estoniens (2011-2014), site : http://ip-ecmt.eu
- chargé de missions pour les relations internationales de l’IUT de Roanne (2011-2014)
- animateur d’un atelier théâtre en langue anglaise pour l’IUT de Roanne (2011-2013)
Sociétés savantes
- vice-président de l’ALOES (élu en 2017) ; co-responsable de l’atelier de ALAES-ALOES
lors du colloque de la SAES de Nanterre en 2018
- depuis 2011 : membre de SAES et de l’ALOES
Recherche
- organisation du colloque international « English-speaking towns & cities: memoirs and
narratives », 20 et 21 octobre 2016, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, CIEREC
- co-organisation (avec Manuel Jobert) de la journée d’étude « La phonologie de l’anglais et
ses variations », 7 avril 2015, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, CIEREC & Université
Jean Moulin Lyon 3, CEL (Centre d’Études Linguistiques)
- membre de comités scientifiques : colloque international « Manifestations sensorielles des
urbanités contemporaines » (Saint-Étienne, 5 & 6 avril 2018) ; journée d’étude « Habiter la
langue, construire la langue » (Saint-Étienne, 8 avril 2016) ; colloque international PAC 2015
« Variation, change and spoken corpora: advances in the phonology and phonetics of
contemporary English » (Toulouse 9-13 avril 2015)
- 2010-2012 : membre du comité de lecture de la revue Intercultural Education, Éditions
Routledge
- 1999 : Quelle authenticité à l’oral en classe d’anglais ?, mémoire professionnel non publié,
mention très bien avec les félicitations du jury, I.U.F.M. de Clermont Ferrand
144
Membre de comités de sélection de MCF
- poste 498, « études britanniques » pour LLCER, Université Jean Monnet de Saint-Étienne,
2018
- poste 0380, « Linguistique anglaise : phonétique / phonologie, traductologie et grammaire »
pour LLCER, Université Clermont Auvergne, 2018
- poste 0686, « Civilisation du monde anglophone et/ou langue de spécialité » pour LEA,
Université Jean Moulin Lyon 3, 2018
Lycée Albert Thomas de Roanne
- organisateur d’un projet Comenius pour l’atelier théâtre du lycée avec des partenaires
allemands et turcs (2008-2010) : 3 stages d’une semaine dans chacun des trois pays
- membre du CA en 2008-2009
- co-animateur de l’atelier théâtre du lycée de 2001 à 2010
- directeur du département d’anglais de 2001 à 2005
Voyages
- organisateur d’échanges scolaires avec des établissements à San Francisco (1995-1997) et au
pays de Galles (1999 - 2001) et de voyages scolaires à Londres (1997, 2000) et en Irlande
(1993)
-------------PUBLICATIONS
Ouvrages
- en cours d’expertise : Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ;
perspectives humaines et sociales (soumis aux Publications de l’Université de Saint-Étienne).
- Prononciations du monde anglophone, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013.
- CAPES et agrégations d'anglais : cours de compréhension et d'expression, Paris, éditions CNED,
2014.
- L'épreuve de didactique à l'agrégation interne d'anglais : méthodologie, Paris, éditions CNED, 2012.
- My Brilliant Career, (co-auteur avec Michelle Sommers), Paris, Attica, 2007.
- Mad for Ads 4, Paris, Nathan, 2006.
Direction d’ouvrages collectifs
- en cours d’expertise : English-Speaking Towns & Cities : memoirs and narratives, Olivier Glain (dir.)
(soumis aux Publications de l’Université de Saint-Étienne).
- Phonologies de l'anglais : théories et applications, Olivier Glain & Manuel Jobert (dir.), Limoges,
Lambert Lucas, 2018
- Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, Olivier Glain &
Céline Jeannot Piétroy (dir.), Saint-Étienne, Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017
145
Articles dans des revues internationales avec comité de lecture
- en cours d’expertise : « The phonological fuzziness of palatalisation in contemporary English. A case
of near-phonemes? », dans un ouvrage à paraître sous la direction d’Anne Przewozny, Cécile Viollain et
Sylvain Navarro.
- « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements », Signes, discours et société, n°19,
mars 2018, http://revue-signes.gsu.edu.tr/?article=844
- « Introducing Contemporary Palatalisation », PARLAY proceedings series n°1, York, York Papers in
Linguistics, 2014, p. 16-29.
Articles dans des revues nationales avec comité de lecture
- « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model », RANAM (Recherches
anglaises et nord-américaines) n°48, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2015, p. 13-29.
- « Into the ear, through the head, out on the lips», Anglophonia-Sigma n° 34, Toulouse, Presses
Universitaire du Mirail, 2013, 137-158.
- « The yod /j/: palatalise it or drop it- How Traditional Yod Forms are Disappearing from
Contemporary English », Cercles n° 22, www.cercles.com/n22/glain.pdf , 2012, p. 1-21
Publications dans des actes de colloque
- en cours d’expertise : « Standard English, Urban Norms and Urban Myths. The Linguistic Imaginary
at Work », in Olivier Glain (dir.), English-Speaking Towns & Cities : memoirs and narratives (soumis
aux Publications de l’Université de Saint-Étienne).
- « British English & American English : convergences ou divergences phonétiques ? », Chambéry, Les
Amis du CRELINGUA n°19, 2016, p. 21-39.
Chapitres d’ouvrage
- « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques. Le cas de la
palatalisation », in Olivier Glain & Manuel Jobert (dir.), Phonologies de l'anglais : théories et
applications, Limoges, Lambert Lucas, 2018, p. 14-37.
- « L’accent stéphanois », in Olivier Glain & Céline Jeannot Piétroy (dir.), Vous avez dit gaga ?
Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, Saint-Étienne, Publications Universitaires
de Saint-Étienne, 2017, p. 81-101.
- « Petite grammaire du gaga» (co-écrit avec Jean-Christophe Pitavy), in Olivier Glain & Céline Jeannot
Piétroy (dir), Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, SaintÉtienne, Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017, p. 117-132.
146
Articles en lien avec la diffusion de la recherche
- « L’activation du changement des sons en Grande-Bretagne dans le contexte de l’après Seconde
Guerre mondiale », La Clé des Langues (Lyon : ENS LYON/DGESCO), http://cle.enslyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/l-activation-du-changement-des-sons-en-grande-bretagnedans-le-contexte-de-l-apres-seconde-guerre-mondiale , 2017.
- « Variations et innovations phonétiques en anglais américain », La Clé des Langues (Lyon : ENS
LYON/DGESCO),
http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/variations-et-innovationsphonetiques-en-anglais-americain-partie-1- , 2015.
- « Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) en anglais », La Clé des Langues (Lyon : ENS
LYON/DGESCO),
http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/les-cas-de-palatalisationcontemporaine-cpc-en-anglais- , 2012.
Articles en lien avec la didactique et l’apprentissage des langues
- « An Introduction to the CEFR », The New Standpoints n°23, Speakeasy Publications, Nathan, Paris,
2005, p. 7-8.
- « Bend it like Beckham: class file », The New Standpoints n°20, Speakeasy Publications, Nathan,
Paris, 2004, p. 47-49.
- « Virtual Worlds on Screens », The New Standpoints n°15, Speakeasy Publications, Nathan, Paris,
2003, p. 48-53.
-------------COMMUNICATIONS
avril 2018
- colloque international Sensory Manifestations in Contemporary Urbanities, Université de
Saint-Étienne, « Saint-Étienne: accent, perceptions, representations of the city »
avril 2018
- séminaire transversal La relation : à travers et au-delà des disciplines, Université de SaintÉtienne, « Le changement linguistique au cœur des humanités »
janvier 2018
- Journée d’étude Noter, transcrire, traduire : regards multiples sur Howard Phillips
Lovecraft, Université de Saint-Étienne, « La Nouvelle-Angleterre : manifestations dialectales
chez Lovecraft »
juin 2017
- Congrès annuel de la SAES Construction(s), Université de Reims, « The Linguistic imaginary
and the Construction (?) of Standard English: norms in motion »
octobre 2016
- colloque international English-Speaking towns & cities : memoirs and narratives, Université
de Saint-Étienne, « Standard English, urban norms and urban myths: the Linguistic Imaginary
at work »
septembre 2016 - journée d’étude L’imaginaire linguistique : entre langue et discours, Université de SaintÉtienne, « La standardisation en langue anglaise : normes en mouvement, mythes et insécurité
linguistique »
juin 2015
- Journée d’étude du CRELINGUA, Paris, « British English & American English :
convergences ou divergences phonétiques ? »
avril 2015
- Journée d’étude La phonologie de l’anglais et ses variations, Université de Saint-Étienne,
« Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques »
mars 2015
- journée d’étude de l’ALOES, Université d’Aix-Marseille, « Objectif phonologique et
approche actionnelle : exemple de séquence pour le cycle terminal »
147
octobre 2014
- colloque international Le passage : quelle pertinence en sciences du langage ?, Université de
Saint-Étienne, « L’activation du changement des sons en anglais dans le contexte de l’aprèsDeuxième Guerre mondiale »
avril 2014
- 17e Colloque de Villetaneuse sur l'anglais oral, Spoken English and the Media, Université
Paris 13, « Introducing Contemporary Palatalisation »
septembre 2013 - conférence internationale PARLAY (Postgraduate and Academic Researchers in Linguistics
At York), The University of York (Angleterre), « Contemporary Palatalisation in the Englishspeaking world »
mai 2013
- doctoriales de linguistique anglaise de Lyon 3, « Les Cas de Palatalisation Contemporaine
(CPC) dans le monde anglophone »
août 2012
- séminaire Models of Language, University of Houston, Clearlake (Texas, États-Unis), « The
Relation between Language Variation and Language Change», communication sur le
changement et la variation dans l’histoire de l’anglais et du français
mars 2012
- colloque international Phonologie de l’Anglais Contemporain (PAC) 2012, Variation et
Changement, Université Toulouse 2, « Instances of Contemporary Palatalisation »
janvier 2012
- journée d’étude agrégation anglais 2012, Université Lyon 3, « The yod /j/, palatalise it or drop
it ! »
-------------ENCADREMENT DE MEMOIRES DE MASTERS
en cours
en cours
2016-2018
2016-2018
2014-2016
2014-2016
- Subject-Verb Non-Agreement in Topic-Introducing Structures in Spoken English: ThereClauses and Here-Clauses. A Synchronic Sociolinguistic Study, Hakima Stevens, master
recherche en linguistique (M2), Université Jean Monnet de Saint-Étienne
- The Missouri Accent, Mathilde Saint-Genis, master recherche en linguistique (M2),
Université Jean Monnet de Saint-Étienne
- The Role of the Teacher in the Action-oriented Approach, Bérangère Tortoza, master Meef en
didactique (M2), Université Jean Monnet de Saint-Étienne
- The Sociophonetics of Dublin English, Anissa Naoui, master Meef en didactique (M2),
Université Jean Monnet de Saint-Étienne
- Teaching Epistemic Modality in Year 11:Towards An Action-Oriented Approach?, Lina
Aidel, master Meef en linguistique & didactique (M2), Université Jean Monnet de SaintÉtienne
- The Political Discourse of the 2014 Scottish Referendum as an Act of Identity?, Elena
Vlaxopanagiotis, master recherche en linguistique (M2), Université Jean Monnet de SaintÉtienne
-------------INTERPRETARIAT
septembre 2007 - interprète pour la Coupe du Monde de Rugby 2007 : interprétation consécutive français >
anglais et anglais > français des discours du salon VIP ; interprétation simultanée français >
anglais, anglais > français et espagnol > anglais des conférences de presse d'avant et d'après
match (tests réussis en novembre 2006)
juillet 2007
- formation à l’interprétation consécutive et simultanée organisée par le Comité d’Organisation
de la Coupe du Monde de Rugby et l’agence de traduction ILTC de Lyon
148
2006-2009
- interprète lors des CA dans le cadre de la reprise du site SCA de Roanne par le groupe
britannique LPC. Interprétation de liaison du français vers l’anglais et de l’anglais vers le
français
-------------THEATRE
- vice-président de l’Epallle Théâtre (La Ricamarie, 42)
- animateur de l’atelier théâtre en anglais de l’IUT de Roanne (2011-2013)
- co-animateur de l’atelier théâtre du lycée Albert Thomas (2001-2010)
- ancien acteur de la troupe « Roanne impro » (1999-2001)
- obtention d’un module universitaire de cours d’arts dramatiques aux Etats-Unis (‘Advanced
Stage Movement’, the University of Southern Mississippi, 1993)
- titulaire du diplôme du premier degré de la Comédie de Saint-Etienne (formation de deux ans
de 1990 à1992)
149