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Document de synthèse présenté en vue de l’obtention de l’Habilitation à Diriger des Recherches Volume I --------------------------------------------------------------------------------------------------- Phonologies du temps et de l’espace Vers une langue orale authentique --------------------------------------------------------------------------------------------------- Lettres, Langues, Linguistique, Arts Olivier GLAIN HDR soutenue publiquement le 30-11-2018 Salle de la Rotonde, 18 rue Chevreul, 69007 LYON Sous la direction de Manuel Jobert, Professeur des Universités Université Jean Moulin - Lyon 3 MEMBRES DU JURY Nicolas Ballier, Professeur des Universités, Université Paris 7 – Diderot Sylvie Hanote, Professeur des Universités, Université de Poitiers Sophie Herment, Professeur des Universités, Aix Marseille Université Manuel Jobert, Professeur des Universités, Université Jean Moulin - Lyon 3 Sandrine Sorlin, Professeur des Universités, Université de Montpellier 1 Ce dossier de synthèse est composé de trois parties. Le volume I est un document de synthèse qui fait état de mon parcours en tant qu’enseignant et en tant que chercheur, de mon positionnement dans les domaines de l’enseignement et de la recherche. Il aborde également quelques nouvelles perspectives que j’envisage pour les prochaines années. Il est complété par un curriculum vitae détaillé. Le volume II est composé des articles, des chapitres d’ouvrage et des principaux rapports de jury que j’ai écrits à ce jour. Les chapitres extraits d’ouvrages que j’ai dirigés sont consultables dans la troisième partie. Le volume II est accompagné du rapport établi par le jury de ma thèse. La troisième partie consiste en la reproduction, sous forme indépendante, des six ouvrages que j’ai écrits à ce jour, dont un inédit. Elle est accompagnée de la reproduction des trois ouvrages que j’ai dirigés ou codirigés. Elle est ainsi composée de neuf livres séparés. 2 Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier très sincèrement Manuel Jobert pour avoir accepté de parrainer mon Habilitation à Diriger des Recherches et pour avoir fait preuve d’une très grande disponibilité. Merci pour son soutien constant et pour l’intérêt qu’il porte à mes travaux depuis plusieurs années. Mes remerciements vont également aux membres du jury : Nicolas Ballier, Sylvie Hanote, Sophie Herment et Sandrine Sorlin. Merci pour la confiance dont ils font preuve à mon égard en ayant accepté cette fonction ; j’en suis honoré. Pour leur soutien et leurs encouragements, merci à Gaëlle, à Arthur, à Yann et à Éliott. 3 SOMMAIRE Remerciements 3 Introduction 6 1. Approches actionnelles et théâtrales (« action et énaction ») 10 1.1. Découverte de la phonétique et découverte du théâtre 11 1.2. Premiers travaux de recherche : théâtre et langue orale 13 1.3. « Agir avec l’autre » : phonologie et approche actionnelle 18 1.3.1. Action-oriented tasks 18 1.3.2. Temps et objectifs de la phonologie en classe d’anglais 21 1.4. De l’action à l’énaction : l’apport du théâtre pour l’authenticité 27 1.4.1. L’espace, le corps et le sensoriel 27 1.4.2. L’apport des techniques théâtrales 30 1.4.3. L’énaction 34 2. Phonologie & phonétique : variations et changements 37 2.1. Démarche de reprise d’études et auto-formation en phonétique et phonologie 38 2.1.1. L’examen de l’Association Phonétique Internationale 38 2.1.2. Les variations spatiales : phonologies et espace 44 2.1.3. Évolutions temporelles et variations géographiques 49 2.2. L’apport de la sociolinguistique 52 2.2.1. L’approche variationniste labovienne 52 2.2.2. Interaction de paramètres sociolinguistiques et principe uniformitariste 59 2.2.3. Communauté linguistique ou communauté sociale ? 62 2.2.4. Contact, interactions et réseaux sociaux 65 2.2.5. Contact, accommodation et interaction au sein du monde anglophone 69 2.2.6. L’activation du changement 72 4 2.3. Positionnement épistémologique 75 3. Interdisciplinarité & ouvertures théoriques 79 3.1. Responsabilités d’un enseignant-chercheur dans la transmission de la recherche 80 3.2. Le rôle de l’auditeur ; la perception 83 3.3. Linguistique cognitive et modèle sociocognitif du changement des sons 88 3.4. Identité linguistique : normes collectives et normes individuelles 97 3.5. L’Imaginaire Linguistique 100 3.6. Langue orale et langue écrite 107 3.7. Inscription de ma recherche dans le CIEREC 112 3.8. Dialectologie française et « gaga » 116 Conclusion 123 Références 127 Index des auteurs 139 Annexe : Curriculum Vitae 142 5 INTRODUCTION Il est toujours difficile de présenter la synthèse d’un parcours de recherche et d’enseignement sous la forme d’un cheminement linéaire qui présenterait une cohérence thématique absolue en tous ses points de passage. Cela est d’autant plus difficile pour quelqu’un ayant exercé dans des établissements de l’enseignement secondaire durant plus de la moitié de son parcours professionnel avant d’intégrer l’enseignement supérieur. Si cette synthèse rédigée dans le cadre de l’habilitation à diriger des recherches s’inscrit résolument dans le domaine de la linguistique anglaise, elle n’en comporte pas moins, de ce fait, une partie à orientation didactique qui correspond essentiellement aux activités antérieures à mon arrivée à l’université. Néanmoins, les réflexions didactiques proposées s’intègrent dans un parcours pensé essentiellement en rapport avec l’anglais oral, notamment dans son aspect phonologique. En effet, ma démarche et mon intérêt d’angliciste se sont toujours portés sur la langue orale, dans une double perspective d’enseignement et de recherche. Au cours de mes années d’études, la principale source d’intérêt de ma formation LLCER résidait dans les cours de compréhension, de phonétique, de phonologie, voire de traduction orale. Il s’agissait des cours qui attisaient le plus une forme de « curiosité créatrice » chez moi. Les autres enseignements, dont ceux de littérature, qui me plaisaient pourtant beaucoup, ne parvenaient pas à susciter le même paradoxe : j’étais à la fois fasciné par ce que je découvrais de l’anglais oral et frustré parce que je comprenais qu’il existait une multitude d’autres choses à explorer, notamment dans le domaine de la variation, et que celles-ci ne me seraient pas proposées en classe. Dès lors, je ne pourrais approfondir ce sujet que par l’intermédiaire d’une recherche personnelle. Cette recherche a toujours été pensée en relation avec l’extrême diversité des locuteurs de l’anglais, afin de ne pas réduire par synecdoque la réalité de l’anglais oral à un type d’anglais qui ne serait utilisé que par une faible minorité de locuteurs natifs ou, pire, qui ne serait utilisé qu’artificiellement en classe de langue. Ainsi, ma démarche a toujours été celle de la recherche d’une langue orale authentique dans sa dimension humaine et sociale, en accord avec l’identité de ses locuteurs. Mon intérêt principal résidant dans la phonologie de l’anglais, l’enjeu de cette synthèse consiste à définir des phonologies authentiques (le pluriel correspondant bien sûr aux multiples formes et structures que peut revêtir l’anglais) dans une 6 double perspective de recherche et d’enseignement. Dans quelle mesure peut-on qualifier d’authentiques les activités pédagogiques en lien avec la phonologie ? Comment tenter de rendre compte de la variation presque infinie qui caractérise des formes authentiques d’anglais ? Comment mettre en contact de tels objectifs de recherche et d’enseignement ? Les réponses à ces questions constitueront la ligne directrice de ce document de synthèse. Si la théorie est nécessaire à la description et à l’analyse phonético-phonologique, la quête de l’authenticité passe nécessairement par une prise en compte des pratiques à travers des analyses de terrain et des études de corpus, afin de ne pas se cantonner aux analyses des « linguistes de fauteuils » (armchair linguists ; cf. Fillmore 1992). On ne peut donc pas faire l’économie de la sociolinguistique, en lien avec la variation et le changement, si l’on veut observer la langue dans un contexte authentique. Outre l’étude de paramètres sociaux qu’elle implique nécessairement, une approche sociolinguistique de type variationniste s’inscrit tout d’abord dans les différences spatiales qui caractérisent les accents locaux et régionaux ; il s’agit de la phonologie de l’espace. La variation spatiale pose d’ailleurs la question des modèles de référence (en anglais britannique et américain, par exemple) à choisir pour l’enseignement d’une langue authentique. À quels types d’anglais peut-on exposer des apprenants aux profils variés pour leur donner des outils permettant de mieux comprendre différents accents tout en leur proposant un cadre de référence nécessaire à la production ? Comment contourner les problèmes liés à l’interphonologie des élèves ? Comment mieux appréhender les formes fortes et repérer les « marqueurs de saillance » (Hanote 2013) dans le flux sonore pour reconstituer le message ? Comment transposer cela à la prise de parole ? Dans une perspective d’enseignement, le temps et l’espace sont aussi ceux de la classe de langue. Le développement de compétences phonologiques passe par différentes phases d’apprentissage, différents temps de la phonologie, au service d’une communication aussi authentique que possible. Cette réalité temporelle se double d’une réalité spatiale dans une vision plus globale de la communication qui inclut le corps. Une approche en partie kinésique de la communication implique ainsi des déplacements et des mouvements qui sont au service de l’expression et qui peuvent aider à un développement des compétences phonologiques. Il s’agit là de la phonologie de l’espace, tel que celui-ci se trouve matérialisé par la salle de classe. D’ailleurs, selon Benveniste (1966, 1974), les trois paramètres fondamentaux de tout acte d’énonciation sont, outre le sujet parlant, l’espace et le temps (ici et maintenant). La situation d’énonciation se définit donc par les données spatio-temporelles qui la caractérisent. Penser des activités de communication 7 authentiques en classe en faisant abstraction du temps et de l’espace revient donc à occulter les deux tiers de ce que Joly et O’Kelly (1990 : 18) nomment la « triade énonciative » (ego, hic, nunc), les trois shifters qui « constituent le fondement de toute énonciation » (Rotgé 1993 : 53). Le principal obstacle étant l’aspect artificiel que peut revêtir la communication en anglais dans une classe française, la recherche de l’authenticité à l’oral en classe de langue est double car elle implique des dimensions linguistique et communicative (Kramsch 1987). La vision de la langue qui est certainement plus développée dans l’anglistique et les études anglophones que dans d’autres filières est celle d’une langue qui n’est pas uniquement fonctionnelle mais qui est intrinsèquement porteuse de cultures particulières, que celles-ci soient contemporaines ou appartiennent à une époque révolue. Il s’agit là d’une forme d’authenticité en lien avec l’identité culturelle et historique des locuteurs, ce qui implique une recherche de l’authenticité s’inscrivant dans un paradigme interdisciplinaire qui place la langue orale au cœur des humanités à partir de perspectives spatiales et temporelles, mais aussi humaines et sociales. En lien avec la phonologie, cette conception d’une identité linguistique authentique implique l’étude des conventions et des attitudes des locuteurs qui permettent à ceux-ci de définir les normes de leur variété linguistique. Les espaces d’échange qui favorisent les interactions entre les locuteurs et leurs réseaux sociaux peuvent mener à une renégociation des normes de prononciation (J. Milroy 1992), participant ainsi à une redéfinition de l’identité linguistique des locuteurs. Dans certains cas, celle-ci participe au changement linguistique, ces évolutions pouvant entraîner dans le temps des changements phonologiques, en ce qu’ils sont systémiques et relèvent de processus cognitifs. Dans cette synthèse, les perspectives développées dans les paragraphes précédents se veulent complémentaires dans le but de rendre compte de différentes formes d’authenticité que peut revêtir la phonologie. Dans un premier chapitre, je reviens sur les considérations pédagogiques et didactiques qui ont façonné mon parcours en rapport avec l’enseignement de l’anglais oral. Je définis les grands principes qui sous-tendent mon enseignement, ainsi que les objectifs phonologiques qui me paraissent importants, à la fois pour des étudiants non spécialistes et pour des anglicistes. Je développe aussi l’intérêt que peuvent présenter des tâches à visée actionnelle dans l’optique d’une plus grande authenticité des échanges oraux en classe de langue. Je termine cette première partie en me concentrant sur l’apport du langage corporel et des techniques théâtrales pour l’apprentissage de la langue orale et le développement des compétences phonologiques. Cette synthèse n’ayant pas vocation à présenter prioritairement un travail de didactique, ma démarche consiste à justifier sur le plan 8 théorique les avancées pédagogiques notées sur le terrain, ce qui me permet d’aborder des notions de kinésique, ainsi que la théorie de l’énaction (Varela et al 1993). Je me penche ensuite sur la vaste question de la variation et du changement dans les domaines phonétique et phonologique. Après avoir expliqué la démarche de ma reprise d’études, qui coïncide avec mon passage de l’enseignement secondaire à l’université, je définis les grands principes de l’école britannique qui ont conditionné ma formation à la phonétique et à la phonologie. Puis, j’expose progressivement les critères qui permettent d’étudier la diversité de la langue orale en présentant une typologie des différences entre les accents de l’anglais, en abordant la question des variations spatiales et temporelles, et en insistant sur l’importance des facteurs sociolinguistiques, notamment en ce qui concerne la question de l’activation du changement. Je propose ensuite une définition de différents types de communautés de locuteurs et une typologie des variétés d’anglais. Je termine ce deuxième chapitre en exposant mon positionnement épistémologique en ce qui concerne la langue orale. Enfin, le troisième chapitre propose une ouverture à l’interdisciplinarité et à des théories qui me permettent de mieux expliquer les changements phonologiques. J’expose ainsi des considérations liées au rôle de l’auditeur dans le changement des sons et je reviens sur des principes fondamentaux de la linguistique cognitive, ce qui me permet de proposer un modèle sociocognitif de phonologie qui prend appui sur la variation et le changement des sons. J’aborde ensuite la question des normes collectives et individuelles en mettant notamment l’accent sur le modèle de l’Imaginaire Linguistique (Houdebine 1982, 2002). L’interdisciplinarité qui caractérise mes travaux les plus récents est en lien avec l’inscription de ma recherche dans le laboratoire du CIEREC (Centre Interdisciplinaire d' Études et de Recherches sur l'Expression Contemporaine), de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Je résume ainsi quelques travaux d’équipe portant sur la phonostylistique et sur l’axe de recherche des « mémoires urbaines », qui prend en linguistique la forme de l’étude des pratiques langagières contemporaines en milieu urbain. Ces recherches portent notamment sur la ville de Londres et, dans le domaine des variétés du français, sur le français régional de Saint-Étienne, connu localement sous l’appellation de gaga. 9 PREMIÈRE PARTIE Approches actionnelles et théâtrales (« action et énaction ») 10 1.1. Découverte de la phonétique et découverte du théâtre En dépit des activités variées qui caractérisent mon parcours d’enseignant et de chercheur, une certaine forme de cohérence trouve certainement ses origines au cours de mes années de D.E.U.G. « études anglophones » à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Ces deux premières années universitaires coïncident avec la découverte de deux champs disciplinaires qui sont amenés à structurer mes années d’enseignement et de recherche : ceux de la phonétique et du théâtre. Après une initiation à la phonétique au cours de mes années de lycée (qui correspondait essentiellement à une sensibilisation à l’opposition de longueur pour les voyelles et au décodage du signe diacritique de cette longueur), le premier cours du premier semestre de ma vie d’étudiant est une révélation. Il s’agit du cours de phonétique de RenéPierre Mondon. La séquence commence avec l’écoute de courts enregistrements et l’activité est présentée sous forme de jeu : les étudiants doivent essayer d’identifier si les enregistrements sont ceux de locuteurs anglophones ou d’apprenants étrangers. En cas d’identification adéquate des locuteurs natifs, les étudiants doivent se risquer à une hypothèse concernant une origine géographique plus particulière. L’exercice est périlleux pour des apprenants qui viennent tout juste de passer leur baccalauréat. L’objectif pédagogique est néanmoins atteint. En quelques dizaines de minutes à peine, et avec quelques échantillons judicieusement choisis, l’enseignant nous fait prendre conscience de l’incroyable diversité de prononciations qui existent au sein du monde anglophone. Le reste de la séance est consacré à une seconde prise de conscience : face à une telle diversité, il est nécessaire pour les apprenants de pays et de régions diverses d’avoir des références communes, l’une d’entre elles pouvant être la Received Pronunciation (RP), l’accent britannique standard. La fin du cours se fait de façon plus informelle et en français. Cette RP a-t-elle une origine géographique quelconque ? Quelle serait notre politique si nous devions enseigner la prononciation du français à des locuteurs étrangers ? Choisirions-nous un modèle de référence standard ou exposerions-nous les apprenants à un fort accent stéphanois ? Le « vrai » travail du semestre ne commence que la deuxième semaine, avec l’apprentissage systématique de l’Alphabet Phonétique International (API) et celui de certaines règles et régularités dans le domaine de la phonologie. Néanmoins, ce premier cours de phonétique est un moment fondateur dans mon parcours. Pour en avoir discuté quelques années plus tard avec des camarades de l’époque, je n’ai pas vraiment l’impression qu’il les ait marqués de la même 11 manière. Il développe pourtant mon intérêt pour des thèmes de recherche à venir : variation spatiale et variétés d’anglais, accent standard vs. accent non standard. Le travail de la première année porte ensuite exclusivement sur la RP. Il est complété en deuxième année par un travail sur le General American (GA), même si l’appellation choisie est alors simplement celle de US English, avec un travail sur les principales correspondances RP - GA. De plus, le travail du cours de compréhension de deuxième année porte sur la RP au premier semestre et sur le GA au second, avec un travail sur des enregistrements de la variété choisie pour chaque semestre lors de l’examen. Pour avoir eu vent des débats qui ont entouré l’apparition de l’anglais américain dans l’épreuve de phonologie de l’agrégation externe d’anglais dans les années 2000, il me semble que l’approche développée à l’Université Jean Monnet lors de mes deux années de D.E.U.G. (1989-1990 et 1990-1991) est assez novatrice pour l’époque. Mon expérience des réalités de la communication en anglais dans des contextes internationaux (et pas forcément exclusivement anglophones) m’ont convaincu de l’utilité des variétés de référence pour la production en langue anglaise des apprenants étrangers, comme de l’intérêt qu’il existe à avoir une certaine connaissance des principales variantes lexicales et phonologiques qui caractérisent les variétés britannique et américaine standard, afin de pouvoir s’adapter à ses interlocuteurs et à la situation de communication. Je reviendrai plus tard (cf. section 1.3.2) sur le débat ayant opposé, par exemple, Jennifer Jenkins à Peter Trudgill en ce qui concerne les modèles de prononciation à choisir pour l’apprentissage de l’anglais. Je souhaiterais simplement indiquer que mes convictions m’ont toujours poussé à enseigner les principales différences caractérisant l’anglais britannique et l’anglais américain aux élèves et étudiants lors de mes années d’enseignement en lycée et à l’IUT. Cette démarche pédagogique s’applique, outre à la phonologie, au domaine lexical, ainsi que, dans une moindre mesure, au domaine grammatical. Je la mets aujourd’hui en pratique dans mes cours de langue orale à l’université, et ce, dès les premiers semestres (en ce qui concerne la L1 et la L2, j’ai jusqu’à présent enseigné dans des TD de S1 et de S3 et je suis responsable du CM « langue orale : théorie » de L2). Dans le domaine de l’apprentissage de l’API, comme dans celui des régularités phonologiques, mon enseignement se fait toujours en me référant conjointement au système phonologique de la RP et à celui du GA1. Les différences entre RP et GA sont aussi abordées dans le domaine des processus phonétiques. En ce qui concerne le À titre d’exemple, on pourra consulter l’ouvrage écrit pour le CNED, CAPES et agrégations d'anglais : cours de compréhension et d'expression (Paris, éditions CNED, 2014a), dans la troisième partie de ce dossier de synthèse (ouvrage tiré à part). 1 12 développement des compétences de réception, je suis partisan d’une ouverture plus large que la seule dualité RP – GA (cf. section 1.2). Après une petite expérience d’atelier théâtre en Terminale, mes premières années d’études universitaires coïncident aussi avec une volonté de faire du théâtre et de recevoir une formation en art dramatique. Pendant deux ans, je suis les cours du soir de la Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national et école de théâtre. Il s’agit d’une formation pratique, effectuée sur scène et destinée à apprendre les grands principes du jeu théâtral et à acquérir des notions de mise en scène. Cette formation me permet de valider le diplôme du Premier Degré de la Comédie de Saint-Étienne. Surtout, elle me fait prendre conscience de l’importance dans la communication du corps en général et du langage corporel en particulier. Dans mon parcours, les apprentissages de la comédie de Saint-Étienne ont une incidence importante sur mon enseignement et sur mes pratiques de formateur d’enseignants. En effet, il me semble que l’enseignant devrait pouvoir bénéficier de quelques techniques théâtrales fondamentales en ce qui concerne par exemple l’occupation de l’espace et le placement de la voix, voire, dans une certaine mesure, d’une forme de théâtralisation du cours. Les élèves et étudiants ont également à gagner en développant leur expression à l’aide de quelques « moyens dramatiques ». L’apport des techniques théâtrales dans la classe de langue sera (brièvement) développé dans la section 1.4.2. 1.2. Premiers travaux de recherche : théâtre et langue orale Si la phonétique et le théâtre ne semblent a priori pas avoir grand-chose en commun, ils accordent tous deux une importance à la langue orale et à sa représentation, que celle-ci soit technique (avec les symboles de l’Association Phonétique Internationale pour la phonétique) ou artistique (avec les monologues et les dialogues du théâtre). La prise en compte des réalités de la langue orale et, d’une certaine façon, la priorité que j’accorde à celle-ci est un élément qui structure, non seulement mon travail de recherche, mais aussi mon activité d’enseignement, me démarquant souvent de de mes collègues et de leurs priorités, que ce soit dans le secondaire ou dans le supérieur. Après ma licence, je m’inscris en maîtrise à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (1992-1993), avec un travail de mémoire en littérature américaine sur Tennessee Williams, que j’effectue sous la direction de Patrick Badonnel, alors Professeur des Universités en 13 littérature américaine à l’Université Jean Monnet. L’une de mes motivations est liée au fait que je joue alors le rôle de Stanley Kowalski dans A Streetcar Named Desire dans le cadre des cours que je suis à la Comédie de Saint-Étienne. J’éprouve toutefois quelques difficultés à cerner une thématique de recherche précise, ce qui se reflète certainement dans le titre de ce mémoire : Tennessee Williams, A Story of Men and Women. Malgré ce défaut de méthodologie, il est quand même possible de lire dans ce titre les prémices de l’importance des relations humaines et sociales dans ma recherche (cf. section 2.3). Le mémoire porte sur The Glass Menagerie (1944), A Streetcar Named Desire (1947) et Cat on a Hot Tin Roof (1955). À travers les relations entre les personnages, je m’intéresse notamment à ce que j’appelle la « perversion du langage » dans ces trois pièces, celui-ci étant paradoxalement lié à une absence de communication en raison de personnages qui parlent soit trop soit trop peu, ainsi que des tabous, des mensonges et du non-dit qui caractérise ces œuvres. Parallèlement à mon année de maîtrise, j’effectue quelques remplacements en collège en tant que maître auxiliaire. Ayant obtenu un poste d’assistant de français aux États-Unis l’année suivante, j’enseigne le français à Hattiesburg, au sein de the University of Southern Mississippi. Je travaille principalement le français oral avec des étudiants débutants de première et deuxième année, tout en suivant des cours de didactique des langues une aprèsmidi par semaine, ce qui me permet de découvrir des stratégies pédagogiques transférables à l’enseignement de l’anglais, notamment la méthode de la Total Physical Response (TPR, cf. section 1.4.1). Je continue également de suivre des cours d’arts dramatiques, dans un module intitulé advanced stage movement où nous travaillons principalement le langage du corps, le positionnement, le déplacement et le combat sur scène. À la fin de mon séjour américain, je reprends un poste de maître auxiliaire pour la totalité de l’année 1994-1995, avant d’effectuer mon service national en 1995-1996, en qualité de formateur en anglais. Je m’inscris ensuite au CAPES externe et le réussis en 1997, mais je demande de repousser à la rentrée suivante mon année de stage en IUFM afin de vivre une deuxième expérience en pays anglophone. J’obtiens un poste de lecteur de français à l’université de Hull, où je travaille le français à l’oral avec des étudiants du département de français, ce qui permet de confirmer l’intérêt que peut présenter l’enseignement de la langue orale auprès d’étudiants spécialistes. Au second semestre, Claire Griffiths (professor of French and francophone studies) me propose de coenseigner avec elle un cours d’interprétariat de liaison dans le cadre d’un module de spécialité pour les étudiants de quatrième année, ce qui me permet d’approfondir mes connaissances sur la langue orale, dans une perspective à la fois différente et complémentaire. Mes deux années 14 en pays anglophone (Mississippi, Yorkshire) sont l’occasion de rencontrer des prononciations très différentes de celles auxquelles j’avais été confronté au lycée et à l’université en France, ce qui contribue à développer mon intérêt pour la variation phonético-phonologique. Au cours de mon année de stage d’IUFM, je rédige un mémoire intitulé Quelle authenticité à l’oral pour la classe d’anglais ?. Si le rôle social de l’apprenant y est mis en avant, la démarche de ce mémoire relève davantage de l’approche communicative que d’une perspective réellement actionnelle (cf. section 1.3). Mon travail porte sur la double question de l’authenticité de la communication et de celle de la langue. L’authenticité revêt en effet une double dimension sociale et linguistique, que Kramsch (1987 : 17) qualifie respectivement d’internal et d’external context of language, et qu’il s’agit de réconcilier : Learning takes place in a double context: on the one hand, students learn words and grammatical structures that refer to an established distant culture, the external context of language. On the other hand, they use these words and structures to communicate with others in the classroom. This internal context of language brings about an interaction which is created anew by every group of teacher and learners. It is through the interaction with this social group that the language is used and learned. In turn, it is through the use of the language that the group is given a social identity and social reality. Learning a language is a socially mediated process. Ce premier travail en didactique est l’occasion de définir quelques grands principes pédagogiques sur lesquels je m’appuie lors de mes années d’enseignement en lycée dans le domaine de l’anglais oral, par exemple éviter un questionnement abusif en classe et développer l’axe de communication élève(s) → élève(s). Par exemple, certaines des activités que je propose dans l’article « Bend it like Beckham: class file » (2004, Ref 2) et un grand nombre des activités de Mad for Ads 4 (2006, voir tiré à part) prennent appui sur des amorces nominales afin de ne pas « verrouiller » l’expression des élèves2. Pour la rédaction de ces travaux, j’utilise également beaucoup le déficit informationnel, qui s'oppose pédagogiquement à des activités qui mettent en œuvre une communication factice, comme celle qui consiste à utiliser des display questions, auxquelles l’élève concerné, voire la classe entière, connaît la réponse. Ces réflexions didactiques autour d’une authenticité de la communication sont aussi étayées par ma préparation de l’agrégation interne, que je réussis en avril 2000, et qui comporte une épreuve de didactique. Le questionnement présente l’inconvénient d’être associé dans l’esprit des élèves à une réponse juste, ce qui implique forcément des réponses fausses et une prise de risque – et donc une prise de parole – minimale, ceci afin d’éviter des erreurs potentielles (Julié 1995 : 67). 2 15 Dans le domaine de la compréhension de l’oral, il me semble important de sensibiliser les élèves à l’importance de la modalité de la voix et de l’intonation3, en les faisant travailler sur ces domaines dès les premières étapes de l’exploitation de documents sonores. D’après Julié (1995 : 124), « moins on comprend la langue, plus on est sensible à sa musique, car il n'y a qu'elle que l'on saisit [...] c'est elle qui nous touche en premier et c'est à elle que nous réagissons d'abord ». Cette façon d’aborder la compréhension, qui implique aussi le langage corporel dans le cas d’un document vidéo, relève du top-down language processing (Julié 1995 : 124). Dans mon mémoire d’IUFM, j’explique également que, en matière de compréhension, il me paraît important d’exposer les élèves à des variétés et des styles différents. Cela peut être fait en intégrant des documents qui présentent des registres de langue différents et, bien sûr, des accents variés. Sensibiliser les élèves à un maximum de variétés d'anglais revient à les aider à faire face à des situations de vie extrascolaires. Cette variation accentuelle peut également être appliquée à des variétés du « cercle extérieur », voire du « cercle en expansion » (cf. section 2.2.5), le statut de l’anglais devenant de plus en plus international. C’est le cas dans les activités que je propose dans l’article « Bend it like Beckham: class file » (Ref 2), qui traite d’un film dans lequel un certain nombre de personnages ont un accent indien. Par ailleurs, des enregistrements de locuteurs non anglophones peuvent être intéressants, même s’il ne paraît pas judicieux qu’ils constituent la majorité des documents. En effet, ils présentent un double avantage, notamment pour les élèves les plus en difficulté. Tout d'abord, ils peuvent les débloquer en remettant en cause le mythe de la « perfection » lorsqu’on parle une langue étrangère. Par ailleurs, ils montrent que l'anglais sert à communiquer avec des anglophones et avec des gens d'autres horizons et montrent aux élèves que communiquer en anglais avec d'autres locuteurs non natifs et en pays non anglophone ne relève pas d’une situation artificielle ou marginale. D’ailleurs, la communication en classe perd une partie de son artificialité et gagne en authenticité dès qu'on admet que l'anglais n'est pas réservé aux seuls anglophones. C’est cette reconnaissance du besoin de pouvoir aborder la diversité des accents qui me pousse à écrire Prononciations du monde anglophone quelques années plus tard (cf. section 2.1.2). Dans les cours de compréhension que je fais à l’université aujourd’hui (principalement en L2), j’expose les étudiants à des accents variés de locuteurs anglophones Bien sûr, on n’exige pas à ce niveau des élèves qu’ils puissent décrire l’intonation ou en avoir une connaissance linguistique. 3 16 des cercles intérieur et extérieur, en leur faisant relever les caractéristiques principales de chacun d’entre eux de façon à ce que celles-ci appartiennent à leurs compétences de reconnaissance et enrichissent leur connaissances disciplinaires d’anglicistes. Dans mon cours de traduction orale de L3, je fais progressivement la même chose, en commençant par des accents relativement « faciles » à comprendre. Ma sensibilisation à la difficulté qu’il peut y avoir à gérer la variation phonétique dans un but de traduction est due à une expérience d’interprète au cours de la coupe du monde de rugby 2007. À cette occasion, je dois faire des interprétations consécutives et simultanées de locuteurs anglais, argentins, australiens, géorgiens, néo-zélandais, ainsi que de locuteurs originaires de diverses régions de Polynésie. Afin de pouvoir m’habituer à l’accent de Jerry Collins, capitaine All Black lors du match Nouvelle-Zélande - Portugal, je télécharge toutes ses interviews disponibles en ligne pour les écouter en boucle pendant deux jours. Cette préparation me permet de comprendre la totalité de ses propos le jour de la conférence de presse alors que je ne comprenais pas grand-chose au départ, en raison de l’aspect extrêmement marqué de sa prononciation. Daniel Jones préconisait d’ailleurs l’écoute répétée comme moyen d’affiner son oreille (Collins & Mees 1999). Je préconise aussi un véritable travail de fond au lycée portant sur la phonologie et sur les rapports graphie / phonie. Dans une double perspective d’amélioration des compétences des apprenants en production et en compréhension, il me paraît de toute première importance de travailler le rythme de l’anglais et le placement du noyau intonatif. Suite à un travail d’analyse des erreurs des élèves, je remarque en effet qu’une mauvaise perception du rythme entraîne des erreurs de compréhension et qu’un placement inadéquat du noyau peut mener à une mauvaise interprétation de l’énoncé, notamment par des auditeurs anglophones. Hormis les techniques théâtrales (cf. section 1.4.2), le dernier élément que je mets en avant est l’utilisation de la vidéo, parce qu’elle reconstitue les situations d’énonciations les plus authentiques possibles en classe d’anglais en fournissant un cadre spatio-temporel. Après mon année de stage IUFM, je réussis l’agrégation interne et je suis donc inspecté en tant qu’agrégé stagiaire au cours de l’année qui suit (2000-2001) pendant un cours qui porte sur l’adaptation cinématographique de The Remains of the Day (film de James Ivory). L’inspectrice me demande alors de faire de la formation d’enseignants dans le domaine de la vidéo et de l’oral, ce que j’accepte, exerçant ainsi un travail de formateur, en plus de mon travail au lycée, de 2003 à 2009. Après une tentative de publication avortée, en raison de 17 problèmes liés aux droits d’auteurs, d’un manuel portant sur l’utilisation du film de sciencefiction en classe d’anglais, j’écris deux articles portant sur des extraits de films, « Virtual Worlds on Screens » (Ref . 1) et « Bend it like Beckham » (Ref. 2). J’écris ensuite deux livrets pédagogiques accompagnant des DVD portant sur des publicités, Mad for Ads 4 (2006), et des émissions de Channel 4 Television destinées à présenter des métiers et des secteurs d’activité, My Brilliant Career (2007, co-écrit avec Michelle Sommers). Ces deux ouvrages, disponibles sous formes de tirés à part, sont déjà marqués par l’influence de l’approche actionnelle. 1.3. « Agir avec l’autre » : phonologie et approche actionnelle Après avoir découvert la référence à des échelles de compétences tirées d’un Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, 2001), ma curiosité me pousse à lire le CECRL et le guide qui l’accompagne (Bailly et al 2001). Si la référence au CECRL ne se substitue pas aux programmes de l’Éducation Nationale, qui restent fixés par les textes officiels, elle détermine la perspective dans laquelle les apprentissages et leur évaluation sont envisagés en milieu scolaire. Les programmes deviennent ainsi « adossés » au Cadre européen. Suite à ces lectures, j’écris un court article destiné à expliquer aux enseignants ce qu’est le CECRL (« An introduction to the CEFR », 2005, Ref 3). Le principal intérêt pédagogique que je retire de ces lectures est la mention d’une « approche actionnelle », dont je cherche à comprendre les principes à partir de cette courte définition : The approach adopted here […] is an action-oriented one in so far as it views users and learners of a language primarily as ‘social agents’, i.e. members of society who have tasks to accomplish in a given set of circumstances, in a specific environment and within a particular field of action (…) We speak of ‘tasks’ in so far as the actions are performed by one or more individuals strategically using their own specific competences to achieve a given result. (Common European Framework of Reference, 2001: 9) 1.3.1. Action-oriented tasks Selon l’approche actionnelle, l’apprenant est donc un acteur social qui doit accomplir des tâches. Celles-ci ne sont donc pas uniquement langagières ; elles revêtent également une dimension d’ordre social. Ramené au sein du groupe classe, cela signifie qu’elles sont intégrées à la réalité sociale que constitue l’existence du groupe. Il s’agit de faire avec les autres puisque communiquer est conçu comme une façon d’agir avec l’autre. Dans cette optique, c’est la tâche que l’on met en œuvre qui permet à l’apprenant de développer des 18 compétences qui relèvent du linguistique, du savoir-faire ou du savoir-être. Dès lors, la séquence d’apprentissage est conçue comme un ensemble de tâches cohérentes qui s’enchaînent les unes dans les autres suivant un fil conducteur défini par l’enseignant. Le cours est donc piloté par la tâche. Dans les approches précédentes (y compris l’approche communicative), le pilotage du cours était plutôt déterminé par les documents. Par ailleurs, « il n’y a tâche que si l’action est motivée par un objectif ou un besoin, personnel ou suscité par une situation d’apprentissage, si les élèves perçoivent clairement l’objectif poursuivi et si cette action donne lieu à un résultat identifiable » (Goullier 2005 : 21). La tâche met donc en avant le sens, contrairement à l’exercice qui est davantage centré sur la forme (ex. « Conjuguez les phrases suivantes au prétérit »). Dans l’approche actionnelle telle qu’elle est pensée en France, l’ensemble des compétences développées au cours de la séquence pédagogique se trouvent mobilisées en un instant T, au cours de la « tâche finale ». En ce qui concerne la langue orale et la phonologie, une tâche finale peut par exemple être un sketch joué à plusieurs (ex. afin de reprendre la prononciation de certains mots et certains schémas intonatifs) ou un concours de récitation de poèmes caractérisé par une forme de scansion (ex. afin de reprendre des éléments liés à l’accentuation et au rythme). Les deux activités proposent bien des résultats identifiables : le sketch est réussi, ou pas, et est joué à destination du public-classe. En outre, il y a un vainqueur suite au concours de récitation de poèmes. De telles perspectives actionnelles entraînent un réajustement de ma façon de faire cours, en multipliant notamment les travaux s’inscrivant dans des dispositifs sociaux différents et donnant lieu à des résultats identifiables, ce qui favorise une communication plus authentique. Elles s’avèrent de bonnes sources de motivations pour les apprenants, ce qui influence durablement mes pratiques pédagogiques, y compris dans certains TD de phonétique que je fais aujourd’hui. En 2006, j’accepte de former les enseignants du privé sous contrat de l’Académie de Nantes à l’approche actionnelle et à l’évaluation à partir des descripteurs du CECRL. L’année suivante, mes fonctions de formateur au sein de l’Académie de Lyon sont élargies puisque j’interviens dans des formations similaires pour toutes les langues, tout en étant l’un des deux coordonnateurs académiques pour l’anglais dans le cadre du « plan de rénovation des langues ». Si les articles écrits pour The New Standpoints (Ref 1, Ref 2), s’inscrivaient plutôt dans le cadre d’une approche communicative, les activités que je propose dans Mad for Ads 4 et My Brilliant Career (voir tirés à part) ont une teneur bien plus actionnelle. Par exemple, je crée pour Mad for Ads 4 quelques tâches actionnelles (et parfois 19 ludiques) telles que the artist (p. 29), causes and consequences (p. 41-42), ou encore the memory game (p. 43). La lecture du CECRL me fait aussi prendre conscience de la richesse d’activités relevant de la médiation, reconnue comme une activité langagière à part entière dans cet ouvrage mais pas par l’Éducation Nationale (qui en retient cinq : compréhension de l’oral, compréhension de l’écrit, production orale en continu, production orale en interaction, production écrite). Est considérée comme activité de médiation toute activité rendant possible la communication entre deux personnes qui ne peuvent communiquer directement : Les activités écrites ou orales de médiation permettent […] de produire à l’intention d’un tiers une (re)formulation accessible d’un texte4 premier auquel ce tiers n’a pas d’abord accès direct. Les activités langagières de médiation […] tiennent une place considérable dans le fonctionnement langagier ordinaire de nos sociétés. (CECRL 2001 : 18). La médiation peut bien sûr relever d’une activité interlangues (traduction ou interprétation), mais elle peut également être utilisée dans le cadre de tâches au sein d’une même langue : paraphrase, résumé, reformulation d’un document pour un tiers qui n’y a pas directement accès. De telles activités occupent effectivement une place importante dans les échanges de nos sociétés. Elles sont donc le reflet d’actes de communication authentiques et ont ainsi toute leur place dans le cadre d’un pilotage par la tâche. Bien sûr, le déficit informationnel crée naturellement le besoin de médiation. Dans le cadre de mes fonctions de membre du jury de l’agrégation interne (20082011), je constate que l’évolution des pratiques pédagogiques liée à l’adoption d’une approche actionnelle peut être mal interprétée. En effet, sous prétexte de faire des élèves des acteurs sociaux, certains candidats négligent le sens qui devrait caractériser tout acte de communication. Mettre les élèves en groupe et leur demander d’échanger sans être véritablement ancrés dans une situation d’énonciation, sans raison particulière de communiquer et sans même de réel contenu à véhiculer ne me paraît pas relever d’une approche actionnelle puisque celle-ci se caractérise essentiellement par la réalisation de tâches communicatives au service du sens. À mon sens, il ne faut donc pas que le dispositif social choisi (travail de groupe, travail en binôme, travail individuel, etc.) se substitue au contenu de la séquence ou aux objectifs pédagogiques de l’enseignant. Il doit au contraire être un moyen 4 Dans la terminologie du CECRL, le mot texte désigne tout document contenant la langue étudiée. Il peut donc également s’agir d’un document sonore ou vidéo. 20 par lequel l’accès au contenu et la réalisation des objectifs seront plus efficaces, à travers une communication qui a du sens, qui véhicule un contenu et qui s’inscrit dans une progression définie par l’enseignant. C’est le sens du message que je souhaite véhiculer dans les rapports de jury de didactique de l’agrégation interne (Ref 18), dont j’assure une partie de la coordination de 2009 à 20115. Je développe cette analyse et les réflexions menées autour de l’approche actionnelle dans un ouvrage écrit pour le CNED, L'épreuve de didactique à l'agrégation interne d'anglais : méthodologie (2012a, voir tiré à part). 1.3.2. Temps et objectifs de la phonologie en classe d’anglais Le plan de rénovation des langues de 2005 est l’origine d’un changement dans les salles de classe. Au lycée, les activités avaient jusque-là tendance à être essentiellement centrées sur l’écrit, afin de préparer au baccalauréat, et les enseignants menaient souvent une « chasse à l’erreur » dans les productions écrites et orales des élèves. Après 2005, on assiste à un rééquilibrage progressif des activités concernant l’écrit et l’oral et à une volonté de faire parler les élèves, développant ainsi la fluidité de leur expression en étant parallèlement moins exigeant sur la correction grammaticale et phonologique. Si l’on suit cette logique, « ce qui compte est de retenir l’attention des élèves, de les faire participer, de les motiver. Il n’y a pas de place pour la phonétique dans un tel cadre. Et c’est vrai. Il ne peut être question d’enseigner la phonétique en et pour elle-même » (Huart 2010 : 6). Dès lors, on pourrait penser que la correction de la prononciation n’a plus sa place dans les classes du secondaire. Toutefois, une position aussi extrême n’a que peu de chances de recueillir le soutien d’une majorité d’enseignants dans la mesure où, « même si l'on considère que seule la communication compte, il est indispensable de connaître les éléments essentiels de l'anglais parlé, afin d'apprendre à les percevoir et, le cas échéant, de pouvoir les reproduire » (Diana 2010). D’ailleurs, le ministère juge bon d’expliquer, quelques années après la mise en place du plan de rénovation des langues : À l’heure où l’enseignement des langues met en avant la pratique orale des langues vivantes, il est opportun de rappeler que la langue parlée, avec ses codes propres, est porteuse de sens jusque dans les plus petites unités de son. C’est pourquoi il est essentiel de sensibiliser les élèves qui apprennent une langue vivante à toutes les composantes phonologiques qui la caractérisent. En milieu scolaire, il est important de faciliter l’intégration du système sonore par des exercices appropriés reliant son et sens. (B.O. spécial n°4 du 29/04/2010). 5 Le rapport de didactique est en fait constitué de conseils et de plusieurs corrigés de sujets différents, raison pour laquelle il doit être coordonné. 21 Il est possible de résoudre la problématique qui oppose une trop grande correction phonologique, de nature à inhiber les élèves, à une absence totale de guidage phonologique, qui pourrait donner lieu à des prononciations fantaisistes. Pour ce faire, il convient de distinguer les phases du cours qui relèvent de l’acquisition de compétences (skill-getting) de celles qui relèvent de l’utilisation de compétences (skill-using). Ainsi, au cours d’une phase d’acquisition de compétence (ex. accentuation lexicale particulière en présence d’un suffixe contraignant ; utilisation de formes réduites pour les auxiliaires dans le cadre de la modalité passée), l’accent est mis sur la précision et le degré de correction attendu est élevé, voire maximal, ce qui entraîne une correction systématique des erreurs. Au contraire, lors d’une phase d’utilisation de compétence, telle qu’une phase de récapitulatif du cours, l’accent est plutôt placé sur la fluidité de la langue et une correction absolue n’est alors plus une nécessité, afin qu’il n’y ait pas d’entraves à la communication. Le professeur est alors en retrait et les élèves peuvent occuper le devant de la scène. La répétition et l’interaction des phases d’acquisition et d’utilisation privilégient une meilleure fixation des compétences à long terme, respectant ainsi le temps de la phonologie en classe. Lors de la journée d’étude de l’ALOES de 2015, je fais une communication destinée à réconcilier l’approche actionnelle et l’objectif phonologique du cours d’anglais en présentant les différentes phases - les différents temps d’un cours de terminale dont les objectifs phonologiques portent sur le rythme et le placement du noyau. Cette communication doit donner lieu à un article soumis pour publication dans Les cahiers de l’APLIUT, sous la direction de Linda Terrier (Université Toulouse Jean Jaurès). L’approche actionnelle n’est donc pas incompatible avec la recherche d’une certaine correction phonologique, dès lors que les différents temps du cours sont respectés et que les objectifs de l’enseignant sont clairs. J’ai déjà exposé mes objectifs en ce qui concerne la compréhension de l’anglais et de toutes les formes que la prononciation de cette langue peut revêtir (cf. section 1.2). Qu’en estil des objectifs phonologiques prioritaires pour la production orale6 ? Si j’ai beaucoup abordé le suprasegmental dans les sections précédentes, c’est parce qu’un certain nombre de spécialistes (ex. Kenworthy 1987, Collins & Mees 2003, Diana 2010, Huart 2010, Cruttenden 2014) s’accordent pour reconnaître que les objectifs les plus importants pour les francophones concernent le rythme, le poids des différentes syllabes, les formes réduites et les formes pleines, ainsi que les schémas intonatifs de base. Diana (2010) argumente comme suit : 6 Bien sûr, les compétences développées en compréhension ont une influence sur les compétences de production, et vice versa. 22 Le dénominateur commun aux principaux accents du monde anglophone étant le système accentuel et rythmique, la première étape consistera à faire prendre conscience du poids différent des syllabes en anglais selon leur position dans le mot ou dans la phrase. Dans le même temps, il faut faire émerger la notion fondamentale de « formes réduites » et de « formes pleines » (on peut prendre comme exemples Japan et Japanese). De manière générale, les phénomènes prosodiques ou suprasegmentaux (accentuation, rythme et, à un moindre degré, intonation) devraient être valorisés par rapport aux sons eux-mêmes. Cela ne signifie pas qu'il faut négliger ces derniers, mais trop souvent l'apprentissage de la phonétique se résume aux sons, rythme et intonation étant passés sous silence. Aux objectifs déclinés ci-dessus, j’ajouterais les phénomènes de chaîne parlée comme objectif important pour les étudiants spécialistes et une sensibilisation à ceux-ci pour les non spécialistes. Cette dichotomie spécialistes / non spécialistes n’est pas entièrement satisfaisante mais elle me permet de définir des objectifs différenciés en fonction de l’utilisation que l’apprenant a ou aura de l’anglais, ce qui me paraît primordial. Bien sûr, il convient de définir des objectifs plus ambitieux, et en cela plus proches de ceux d’un « spécialiste » pour, par exemple, un élève de terminale souhaitant devenir professeur d’anglais ou pour un étudiant d’IUT souhaitant se spécialiser dans le commerce international afin de travailler en GrandeBretagne. En raison de l’existence de profils d’apprenants différents, Cruttenden (2014 : 326345) distingue plusieurs types de prononciations cibles, ainsi que des objectifs correspondant à chacune d’entre elles : - un modèle d’accent standard : la RP (qu’il rebaptise General British dans son édition de 2014) pour le modèle britannique et le GA pour le modèle américain ; - un modèle d’accent standard régional (que d’autres appelleraient par exemple regional RP) qui incorpore des traits de prononciation régionaux au modèle standard ; - l’Amalgam English, qui incorpore des caractéristiques d’accents natifs différents et qui est marqué par une certaine inter-phonologie avec des traces de transferts de la L1 ; - l’International English, qui comporte le « mélange » typique de l’Amalgam English, mais qui se caractérise également par une plus grande adaptation à des traits communs à d’autres langues ; il sert typiquement de lingua franca entre locuteurs non anglophones ayant des langues maternelles différentes. Cruttenden (2014 : 326-327) dresse un bref historique des modèles de prononciation pour les apprenants de l’anglais en tant que L2. Pendant de nombreuses années, seuls les modèles standard ont servi de référence. Pour lui, de tels modèles continuent d’être pertinents, 23 comme le sont des modèles plus régionaux, dans l’optique d’une communication se faisant essentiellement avec des locuteurs natifs. En revanche, acquérir une prononciation proche de celle d’un locuteur natif ne semble que peu réaliste pour la très vaste majorité des apprenants, qui peuvent certainement viser une prononciation de type Amalgam English et être parfaitement compréhensibles. L’International English, quant à lui, semble plus adapté à une communication se faisant majoritairement avec d’autres locuteurs non anglophones. Ainsi, la référence est en lien avec les phonologies créées par les espaces d’échange des locuteursapprenants. Jenkins (2000) s’intéresse précisément à l’anglais comme lingua franca (ELF). Elle définit comme Lingua Franca Core (LFC) certains traits dont elle juge la maîtrise nécessaire dans l’optique d’une communication internationale efficace. Ainsi, elle juge fondamentales les oppositions consonantiques (à l’exception de l’opposition /θ/ vs. /ð/) et les oppositions entre voyelles brèves / relâchées et longues / tendues, ainsi que le placement du noyau dans le groupe intonatif. Elle considère en revanche comme non pertinents certains objectifs phonologiques faisant traditionnellement partie intégrante de méthodes d’enseignement de l’anglais plus traditionnelles. Voici la synthèse des objectifs du LFC (Jenkins 2008 : 201) : 24 Le LFC rencontre un certain nombre de résistances, dont certaines sont parfois psychologiques. Ballier (2008 : 117) explique ainsi que […] la norme, si elle est décidée par les locuteurs non-natifs, majoritaires, tend à s’écarter de l’anglais standard (travaux de J. Jenkins à Londres pour la phonologie, de B. Steidlhofer à Vienne pour la grammaire). Les locuteurs natifs se sentent ainsi dépossédés, minoritaires dans leur propre langue, perçue comme dévalorisée (Broken English). Certaines critiques du LFC sont toutefois plus fonctionnelles. Trudgill (2008 : 213228) pose la question du choix modèle segmental, et donc de l’inventaire phonémique, à proposer aux apprenants étrangers. Il admet tout d’abord qu’un inventaire phonémique réduit serait plus facile à acquérir. De plus, certains accents natifs fonctionnent avec un nombre de contrastes moindres que les variétés de référence RP et GA, sans que cela ne pose de problème pour la communication. Ainsi, l’anglais de Tristan da Cunha ne comporte que 19 consonnes (contre 24 pour la RP) ; l’anglais écossais ne comporte que 12 voyelles (contre 20 pour la RP) et certaines variétés africaines de type ESL n’en comportent que 8, voire 6. Trudgill reconnaît donc les avantages qu’il y aurait pour les apprenants à se donner pour objectif la maîtrise de tels inventaires phonémiques réduits, comme l’est celui proposé par 25 Jenkins dans le cadre du LFC. Néanmoins, lorsqu’il considère les compétences phonologiques de l’apprenant dans leur globalité, Trudgill argumente contre une réduction du nombre de phonèmes à enseigner en raison des problèmes que cela pourrait causer pour la compréhension. Même s’ils communiquent essentiellement avec d’autres locuteurs non anglophones, il n’est pas exclus que les locuteurs de type International English soient exposés à de l’anglais natif, ne serait-ce que par l’intermédiaire des médias. Or, les apprenants ont besoin de plus d’informations phonologiques que les natifs en raison d’une connaissance contextuelle moins développée sur les plans linguistique (ce qui réduit leur capacité à anticiper en raison par exemple de leur moins grande connaissance des effets de fréquence lexicale) et non linguistique. Dalton et Seidlhofer (1994 : 26) écrivent ainsi : As native listeners we hear what seems plausible to us in a given context. Moreover, we prefer to hear words which are frequent and therefore familiar to us. […] Just how much implicit knowledge feeds into our communication with others becomes evident as soon as we enter a different dialect area […] The situation is much more taxing, of course, when we are trying to understand a foreign language. […] Second language learners have often not been able to develop intuitions and expectations about word frequencies, the likelihood that a word will occur in a situation, or even what counts as a ‘standard situation’. Non-native speakers make up for their lack of competence in these two respects by being more analytical. They rely – often exclusively – on acoustic information alone. Trudgill (2008 : 221) note que les apprenants ont donc besoin d’informations segmentales pour reconnaître les mots, d’autant qu’ils ont naturellement tendance à réduire les inventaires phonémiques de l’anglais en raison de leur inter-phonologie7. De plus, il existe une corrélation entre la précision de la production d’une distinction phonémique et la précision de la perception de celle-ci. On note une fois de plus que les compétences de perception et de production se nourrissent en matière de phonologie. Pour ces raisons, Trudgill se prononce contre une trop grande réduction de l’inventaire phonémique enseigné aux apprenants, comme cela est le cas avec le LFC. De tels arguments me semblent particulièrement convaincants. Pour les étudiants spécialistes, je plaide pour le choix d’un modèle natif, que celui-ci soit un modèle d’accent standard ou un modèle d’accent standard régional, l’essentiel étant de faire preuve de cohérence. C’est la raison pour laquelle j’expose les étudiants de LLCER aux modèles de la RP et du GA dans mes cours de phonologie à l’université. Je les sensibilise néanmoins à des formes contemporaines de ces variétés, et notamment à la contemporary RP, que je développe 7 Les apprenants français ont par exemple tendance à réduire la distinction présents dans leur système phonologique. ɔ/, 26 /ɒ, ɔː, əʊ, aʊ/ au profit des seuls /o, dans Prononciations du monde anglophone (2013, p. 22-27 ; voir tiré à part). Par exemple, je n’insiste pas sur la réalisation diphtonguée de la voyelle de CURE, l’évolution de la RP faisant que ce phonème est de plus en plus fréquemment réalisé [ɔː] (Wells 1982 parle de CURE – FORCE merger). J’estime que le principe de fixer comme cible un accent cohérent est important, même si les résultats de l’apprentissage peuvent donner lieu à une forme d’Amalgam English, les étudiants étant exposés à des modèles variés. En ce qui concerne les étudiants non spécialistes, la cohérence me paraît moins importante et l’Amalgam English peut constituer un objectif plus pragmatique et plus naturellement compatible avec une approche variationniste visant à développer les compétences de compréhension et avec des étudiants qui n’ont pas des cours de phonologie chaque semaine. 1.4. De l’action à l’énaction : l’apport du théâtre pour l’authenticité 1.4.1. L’espace, le corps et le sensoriel J’ai utilisé des références théâtrales dans la section précédente (les élèves et / ou l’enseignant occupent « le devant de de la scène ») afin d’insister sur l’importance que revêtent le positionnement du locuteur et son langage corporel dans la qualité de sa communication, y compris dans la composante phonétique de celle-ci. Plusieurs théories permettent ainsi de rendre compte de la complémentarité du non linguistique et du linguistique. Pour Winkin (1981 : 24), « la communication est […] un processus social permanent intégrant de multiples modes de comportements : la parole, le geste, le regard, la mimique, l’espace interindividuel, etc. Il ne s’agit pas de faire une opposition entre la communication verbale et la ‘communication non verbale’. La communication est un tout intégré ». Joly & O'Kelly (1990 : 26-27) vont dans le même sens : pour eux, il ne peut y avoir « d'expression sans expressivité ». Ils proposent un schéma de communication qui indique que le « non verbal » et le verbal possèdent un fonctionnement commun et jouent un rôle d’égale importance dans la communication. Ils considèrent même que le non verbal est fondamental, c'est-à-dire « premier », au sens guillaumien du terme. Son travail portant sur divers aspects du langage et sur la psychanalyse, Fónagy s’intéresse « à l’ensemble de la chaîne de la communication parlée, de la conception psychique du message à son interprétation, en passant par les détails de sa production par le locuteur, le signal acoustique 27 produit, et sa perception par l’auditeur » (Vaissière 2012 : 57). Fónagy (1983 : 14) associe phonétique et expressivité dans un « double encodage ». Il commente ainsi : Il faudrait admettre [...] deux actes successifs d'encodage : un encodage linguistique qui transforme un message global, une idée, en une séquence de phonèmes, et un deuxième codage -- qui coïncide admirablement avec l'acte de mise en sons des phonèmes – au cours duquel le message secondaire, gestuel, est greffé sur le message primaire. L’étude du langage corporel en tant que moyen de communication relève de la kinésique, que Crystal (2003 : 261) définit comme : A term in semiotics for the systematic use of facial expression and body gesture to communicate meaning, especially as this relates to the use of language (e.g. when a smile or a frown alters the interpretation of a sentence). Fondateur de la kinésique, Birdwhistell (1970) est très marqué par la rigueur linguistique en raison de sa collaboration avec Trager, ce qui « explique le parallélisme évident entre le cadre analytique de la linguistique et celui de la kinésique » (Jobert 2003 : 52). La terminologie de Birdwhistell est donc résolument linguistique, même si ce rapprochement, dont l’auteur admet lui-même les limites, est sujet à controverse (Crystal 2003 : 261). Jobert (2003 : 52) résume ainsi : […] on peut dire que le « kine » correspond au phonème, « l’allokine » à l’allophone, le « kinémorphème » au morphème, la « construction kinémorphique » au mot, les « constructions kinémorphiques complexes » à la syntaxe et les « kinémorphèmes suprasegmentaux » à l’intonation. On comprend immédiatement que l’objectif de Birdwhistell est de révéler le langage des gestes dans son architecture ainsi que dans sa réalisation individuelle. Il a très tôt remarqué que les gestes d’un individu changeaient en fonction de la langue qu’il utilisait. Sans entrer forcément dans les différences qui caractérisent le langage corporel en fonction des langues et des cultures, il me paraît important que les élèves développent un langage corporel quelque peu spécifique lorsqu’ils parlent anglais8, la représentation de celuici pouvant les aider à se « projeter » plus facilement dans la langue. Par ailleurs, le rapport de l’énonciateur à l’espace est central dans l’acte d’énonciation, qui « exige qu’on occupe l’espace et qu’on le fasse signifier, qu’on articule son texte, qu’on le projette, qu’on exécute un certain nombre de mouvements articulatoires visibles » (Lapaire 2014 : 26). Voici une forme de phonologie de l’espace : la production phonétique consiste en la projection vers Cela implique naturellement des considérations liées à la proxémique, qu’il est difficile de développer dans cette synthèse. 8 28 l’espace extérieur d’une production de l’espace articulatoire interne. Les mouvements du corps peuvent contribuer à une meilleure projection. Utiliser le corps comme moyen d’apprentissage peut être au cœur de méthodes pédagogiques. Au cours de mon expérience de l’enseignement du français dans le Mississippi, j’ai l’occasion de travailler avec la méthode d’enseignement connue sous le nom de Total Physical Response (TPR), développée par Asher (1969). J’en reprends d’ailleurs quelques principes par la suite, lors de mes cours de collège en classe de sixième. Cette méthode, utilisée par de nombreux enseignants à travers le monde depuis près de 50 ans, présente à mes yeux des avantages en début d’apprentissage de la langue 2. Elle s’appuie sur des réponses corporelles qui nécessitent des mouvements et un déplacement dans l’espace de la part des apprenants, en réponse à un input dans la langue étrangère. À ce titre, elle est essentiellement efficace dans une perspective de compréhension, ne nécessitant que peu d’expression autre que corporelle. Asher développe cette méthode suite à l’observation de jeunes enfants au cours de la période d’apprentissage de leur langue maternelle, en constatant que les interactions sont souvent caractérisées par une production langagière des parents et une réponse corporelle des enfants. Les apprenants américains et français avec qui j’ai utilisé cette méthode déclarent souvent mieux se souvenir des expressions et des instructions vues en classe car ils y associent un mouvement et une sensation corporelle. La mémoire corporelle peut ainsi être un avantage pour l’apprentissage des langues, ce qui ne manque pas d’intérêt si l’on pense au théâtre : Les expériences [...] demeurent pour toujours gravées dans le corps de l’acteur. Elles se réveilleront en lui au moment de l’interprétation. Lorsque parfois, plusieurs années après, l’acteur aura un texte à interpréter ; ce texte fera résonner le corps et y rencontrera une matière riche et disponible à l’émission expressive. [...] car la nature est notre premier langage. Et le corps se souvient. (Lecoq 1997 : 56) Je reviendrai plus tard (cf. section 1.5) sur quelques expériences menées dans ce domaine, mais il est évident qu’un travail portant sur le multi-sensoriel est de nature à améliorer les performances des apprenants. À ce titre, Herment (2018) note que la visualisation peut aider les apprenants francophones du secondaire à améliorer leur prosodie en anglais. À partir d’outils comme le logiciel de traitement de la parole PRAAT, le logiciel d'annotation automatique SPPAS et le corpus d'apprenants AixOx, elle propose des exemples d’applications pédagogiques allant dans ce sens. Dans un autre domaine, la méthode d’enseignement Silent Way permet de mettre en œuvre un apprentissage de la prononciation qui repose sur le silence de l’enseignant et sur des stimuli visuels pour les apprenants. 29 Travailler sur le multi-sensoriel peut être fructueux car il existe trois styles d'apprenants : ceux qui sont principalement visuels, auditifs ou kinesthésiques (Teasdale 2004). Il est donc nécessaire pour les élèves d’avoir des stimuli de natures différentes, y compris de nature kinesthésique. 1.4.2. L’apport des techniques théâtrales Une description des différents projets et des différentes activités menés dans le cadre des ateliers théâtre dont j’ai été responsable n’ont pas vraiment leur place dans le cadre de cette synthèse. Néanmoins, je souhaiterais brièvement aborder les projets internationaux menés respectivement dans le cadre d’un projet européen Comenius pour le lycée Albert Thomas de Roanne et d’un projet Erasmus pour l’IUT de Roanne. Le projet Comenius Families Live on Stage (2009-2011) réunit le lycée Albert Thomas de Roanne, le lycée Besikdüzü Anadolu Ögretmen Lisesi de Besikdüzü (Turquie, province de Trabzon) et le lycée Maria - Wächtler Gymnasium de Essen (Allemagne). L’objectif est de produire des spectacles de théâtre multiculturels et plurilingues représentant diverses facettes de l’identité et de la culture des partenaires, permettant ainsi aux élèves d’élargir leur perspective sur eux-mêmes et sur le concept d’altérité en Europe, tout en développant des compétences organisationnelles, linguistiques, culturelles et artistiques. Le thème traité est celui de la famille moderne et traditionnelle dans les pays concernés, en mettant l’accent sur le changement au sein de la famille et de ses problématiques, ce qui peut mener à une réflexion à long terme sur mode du fonctionnement familial et sur la manière qu’ont les élèves d’envisager leur propre rapport à la famille, tout en développant une forme de tolérance vis-àvis de cultures différentes. L’approche choisie est empirique et concrète : les élèves doivent puiser dans des données culturelles européennes (films, littérature…), pour improviser sur le thème de la famille européenne. À partir des idées, des situations, des contextes surgis au cours de cette phase d’improvisation, ils écrivent, puis jouent, une pièce avec l’aide d’un metteur en scène et des professeurs responsables de l’atelier théâtre (qui jouent notamment un rôle important au niveau linguistique). Le projet débute par une longue phase de travail nationale, puis évolue pour donner naissance à un spectacle international au cours des périodes d’échange (trois fois dix jours, en France, en Turquie et finalement en Allemagne). Ce dernier spectacle est la synthèse des trois spectacles « nationaux » et doit être quadrilingue, en français, turc, allemand et anglais (la langue d’échange du groupe qui occupe la majorité du temps de parole). 30 Le projet Erasmus auquel je participe ensuite est intitulé Effective communication in multicultural teams (2011-2014). Il réunit l’IUT de Roanne et des universités d’Autriche, d’Allemagne, d’Estonie, de Finlande et de République Tchèque. La langue de communication du groupe est l’anglais. Toutes les activités pédagogiques, les réunions et les autres séances de travail sont menées en anglais, ce qui permet aux étudiants de développer leurs compétences linguistiques, en même temps que des compétences professionnelles et culturelles. Trois stages intensifs de 10 jours ont lieu en France, en Autriche puis en Finlande. Voici un bref descriptif de ce programme Erasmus, tiré du document officiel rédigé pour le Conseil de l’Europe : The Intensive Programme “Effective communication in multicultural teams” is aimed at providing a hands-on experience over a ten-day period to enable students, professors and practitioners from different countries to work together, develop and reflect on the necessary skills and strategies to achieve effective intercultural communication. Important issues, such as group dynamics, verbal and nonverbal communication, negotiating, meeting and presentation skills, cultural dimensions and European identity and diversity will be addressed. In line with the objectives of the Lifelong Learning Programme, the IP course aims at recognising and acknowledging students’ prior learning and encouraging students to evaluate their own competences and development. Through case studies and process drama, students will put into practice the knowledge they have gathered with the support of pedagogic and professional inputs and guidelines, which will enable them to further develop their intercultural communication skills. Towards the end of the ten-day programme, each team will create an artful representation of their concept of European identity. Au cours de ces stages intensifs, je suis principalement responsable des ateliers théâtre, au cours desquels nous travaillons beaucoup l’expression corporelle et la projection de la voix pour améliorer la prise de parole en anglais. Ces ateliers sont aussi l’occasion de découvrir le process drama grâce à une collègue tchèque. En voici un descriptif, tiré du rapport d’activité du stage intensif de Salzbourg. Process drama was created in the 1990’s for educational purposes. It is used to explore a problem, a theme or a series of themes and ideas by using unscripted drama (O’Neill 1995). The aim is not to create a play but to analyze the situation from different perspectives by using various drama techniques. It is a form of experiential learning where learning takes place through personal experience. Consequently, reflection, in the form of group discussions or learning diaries, is an essential part of the learning process (Kolb 1984). Process drama provides the students with opportunities to practice communication in different roles in a safe environment. Learning of this kind is often found more relevant, effective and motivating. It emphasizes the role of the students as they determine the outcome (Mäkinen 2002). Ces expériences internationales, à l’instar des expériences menées en France dans le cadre d’ateliers théâtre en anglais me confortent dans certaines convictions dans la mesure où le théâtre, le jeu d’acteur et l’utilisation du corps pour mieux s’exprimer contribuent 31 indéniablement à une meilleure expression en anglais, et notamment à des performances bien plus abouties au niveau de la prononciation des apprenants. Cette « plus-value théâtrale » peut être en partie expliquée par les travaux de Constantin Stanislavski (ex. 1936, 1938), comédien, metteur en scène, professeur d’art dramatique et auteur9. Stanislavski s’inscrit en faux contre les méthodes traditionnelles, dans lesquelles l'acteur se contente de jouer de façon mécanique pour se conformer au script ou à la volonté du metteur en scène. Il estime au contraire que l'acteur se doit de s'élever au niveau de son personnage en se plongeant dans ce qu’il appelle sa « mémoire affective » et en créant son personnage par une forme d’intériorisation et en utilisant son intuition, de façon à produire ensuite une performance émotionnelle et sincère. Imprégné par ce personnage qu'il assimile à un être vivant, informé par surcroît de tous les antécédents de son évolution et de son action dans la pièce, le comédien est amené à interpréter sa vie et ses sentiments en les rapportant à sa propre personne. Il vit alors en quelque sorte son rôle sur la scène, comme s'il n'avait plus d'existence propre, état que Stanislavski appelle ‘la solitude en public’, et que les Américains connaissent sous le nom de private moment. (https://www.universalis.fr/encyclopedie/stanislavski/2-une-methode-originale/) Stanislavski développe sa méthode à partir des efforts menés pour lever les obstacles dans son propre jeu d’acteur. Une partie importante de son approche est consacrée à l’appréhension du rôle par les actions physiques. En effet, en constatant qu’un excès de lecture et d’échanges verbaux sur la pièce et ses personnages contribue souvent à inhiber les acteurs, Stanislavski encourage une « analyse active » de la pièce, dans laquelle les acteurs improvisent des actions et des mouvements à partir de situations. D’après lui, l’acteur pourra plus facilement générer des émotions authentiques par l’intermédiaire de telles actions et mouvements. On voit à nouveau l’importance du corps dans la justesse de l’expression théâtrale et on peut aisément en imaginer les implications didactiques. Intériorisation et action sont les maîtres mots : « ‘la vie éprouvée’ et ‘l’incarnation scénique’ forment les deux axes de la méthode [de Stanislavski] » (Poliakov 2015). En ce qui concerne la prononciation de l’acteur, des exercices mécaniques ne sauraient non plus être satisfaisants pour Stanislavski ; le kinesthésique et le sensoriel doivent également jouer un rôle. En effet, « le travail de perfectionnement de la phonétique de la parole ne peut se contenter d’exercices mécaniques de l’appareil verbal. Il vise l’apprentissage par l’acteur de la sensation de chaque son isolé qui compose le mot, comme instrument d’expressivité artistique » (Poliakov 2015 : 45). 9 Son enseignement fondé sur la mémoire affective et le vécu propre des acteurs a notamment influencé le célèbre cours new-yorkais de théâtre de l’Actors Studio. 32 S’il n’est peu vraisemblable que tous les apprenants soient disposés à utiliser, fût-ce ponctuellement au cours de leur apprentissage de l’anglais, une méthode authentique comme celle de Stanislavski, celle-ci peut néanmoins être un moyen de lever ce que j’appelle « le paradoxe de l’authenticité en langue étrangère ». Pour améliorer sa production orale, notamment du point de vue phonologique en se démarquant quelque peu de l’influence de sa langue maternelle, il faut accepter « d’être autre », donc de jouer un rôle, ce qui peut poser le problème de ne plus être soi-même, d’où les résistances de certains apprenants. D’un autre côté, la pratique théâtrale peut aussi être une aide psychologique pour certains. Le fait de parler une langue étrangère, a fortiori devant un groupe, crée souvent un sentiment d'insécurité chez certains apprenants... sauf peut-être s'il est admis dès le départ que les individus qui parlent ne sont pas vraiment eux-mêmes, c'est-à-dire s'ils jouent un rôle. Leclercq et Pigearias (1990 : 230) écrivent que « des élèves timides s'expriment parfois davantage en jouant des rôles, car ils n'assument pas la responsabilité des idées qu'ils doivent développer ». Aden (2016 : 108) note que « l’utilisation d’activités théâtrales en classe va de pair avec une désinhibition émotionnelle et corporelle des apprenants ». Rivers (1984 : 11-12) insiste sur l'apport de la théâtralisation au niveau psychologique en lien avec la performance phonétique des apprenants : In identifying with a role, students approximate the pronunciation one would expect from a certain character without the psychological trauma of appearing to be other than one's accustomed self. En outre, l’interprétation théâtrale permet une forme d’accès au sens et de transmission de celui-ci, ce qui peut libérer l’expression, ainsi que l’écrit Lapaire (2014 : 27) : Livrer une interprétation scénique et sociale du sens, donner une représentation dramatique et symbolique de l’expérience : voilà le jeu qui fonde et organise la parole. En apprenant à observer et à rejouer ce jeu, le professeur de langue peut faire sauter les invisibles chaînes nouées autour du corps. Les techniques théâtrales en classe de langue ne sont pas forcément synonymes de création artistique. Bégot-Pronchéry, Gonin & Pignolet (1994 : 14) recommandent par exemple l’utilisation du play-way (sorte de jeu dramatique), qui « n’a pas pour but d’exprimer une œuvre d’art à travers la personnalité d’un interprète. Il ne vise qu’à l’utilisation du jeu en tant que moyen pédagogique et technique culturelle : traduire des sentiments et des sensations par des attitudes, des gestes ou des jeux de physionomie ». Au niveau supérieur, la pièce de théâtre en langue étrangère peut être vue comme un projet final parfait dans le cadre de l’approche actionnelle car elle intègre tous les participants dans un dispositif social clairement défini, faisant d’eux des acteurs sociaux à part entière. En même temps, elle donne lieu à un 33 résultat identifiable, elle est centrée sur le sens et elle permet de remobiliser les compétences linguistiques et pragmatiques développées en amont. Ainsi, l’apprenant devient véritablement « acteur » de son apprentissage. Cependant, la pièce de théâtre dépasse le cadre de l’action ; elle participe d’une forme d’énaction. 1.4.3. L’énaction Lapaire (2014) plaide pour le développement des « potentialités du corps dans l’étude et la pratique de la langue », en lien avec le cognitif. Il argumente dans le sens de […] l’intérêt qu’il y a de rendre au corps en mouvement la place qui est la sienne dans la coarticulation verbo-gestuelle des formes orales. L’apprenant, dont la première « posture d’apprentissage » est celle que prend son propre corps en salle de classe, doit percevoir que tout sujet parlant est un interprète vivant et donc mouvant de l’expérience, engagé dans des actes de symbolisation dynamiques. Ces actes sont joués sur la scène interlocutive, avec des degrés de conscience, de théâtralité et d’énergie variables, mais ils sont toujours joués. Notre conviction est qu’il est non seulement souhaitable de prendre conscience de ce jeu quand on étudie une langue vivante mais surtout bénéfique d’en rejouer certaines scènes. Travailler les mouvements et les expressions du corps parlant en langue étrangère peut aussi être l’occasion d’éduquer le corps apprenant, figé ou agité en cours, afin d’en développer les ressources cognitives et sensori-motrices. (Lapaire 2014 : 25) Une telle approche relève de l'énaction, un concept introduit par les biologistes chiliens Francisco Varela et Humberto Maturana, qui se définit comme suit : La cognition, loin d’être la représentation d’un monde prédonné, est l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde. (Varela et al 1993 : 35). Dans ce modèle, la cognition est donc en partie liée à l'émergence de l'expérience qui est créée par les actions individuelles, mais aussi les interactions entre individus. Il s’ensuit que l’énaction attribue au langage un rôle et un fonctionnement qui sont à la fois biologiques et cognitifs, mais aussi sociaux. Je souhaiterais brièvement résumer quelques travaux portant sur l’apprentissage de l’anglais à partir d’approches énactives. Dans La grammaire anglaise en mouvement, Lapaire (2006) propose un DVD qui aborde 14 points de terminologie et 35 questions de grammaire à l’aide de postures et de mouvements exécutés par des danseurs professionnels, créant ainsi des concepts à la fois visuels et kinesthésiques qui visent à développer des représentations grammaticales chez les apprenants. Plus récemment, Lapaire (2014) mène quelques expériences avec des collégiens et des étudiants non spécialistes à Bordeaux en leur 34 fournissant « les appuis gestuels dont ils [ont] besoin pour engager le corps dans le questionnement » (2014 : 28). L’objectif linguistique est donc lié à la maîtrise opératoire du questionnement en anglais (aspects grammaticaux et, surtout, phonologiques). Les résultats sont convaincants dans la mesure où « les étudiants sont parvenus à une qualité d’articulation et une authenticité remarquables tandis que les collégiens ont réussi à transférer certaines postures et principes de coarticulation phonogestuelle de l’interrogation dans les scènes d’interrogatoire policier qu’ils ont écrites puis jouées en anglais » (29). Le concept de « coarticulation phonogestuelle » me paraît particulièrement intéressant dans une perspective de développement des compétences phonologiques par les techniques théâtrales. Il rejoint un certain nombre d’observations que j’ai pu mener de façon empirique dans les ateliers théâtre ou à travers l’utilisation du théâtre en classe. Dans sa thèse, Soulaine (2013) propose une étude sur « les effets du geste sur l'apprentissage du rythme en anglais » qui s'appuie sur une approche énactive. À partir d’expériences menées au collège, il montre qu’une approche corporelle est de nature à faciliter l'apprentissage du rythme de l'anglais oral. Cet « apprentissage corporel » s’appuie sur le geste comme point d'appui à la maîtrise des phénomènes liés à l’alternance des formes pleines et réduites, au groupe rythmique, à l'intensité et à la hauteur. La démarche didactique de Soulaine s’appuie aussi sur l'expression dramatique. Par la suite, il poursuit ses travaux en montrant les effets positifs des gestes sur l’apprentissage des schémas intonatifs chez des apprenants du secondaire et du supérieur (Soulaine 2015). Pour Aden (2013 : 101-102), le théâtre est la manifestation la plus aboutie d’une approche -énactive de l’enseignement des langues, ceci parce que : Penser le théâtre dans l’apprentissage d’une ou des langues, c’est d’abord remettre les langues au cœur du langage et de l’expérience conjointe, et c’est précisément ce qui relie langues et théâtre dans une conception énactive du langage. H. R. Maturana et F. Varela (1994) décrivent le langage comme l’outil d’organisation de l’interaction sociale. Pour ces chercheurs, communiquer c’est co-construire un monde commun par l’action conjointe d’organismes autopoïétiques (qui s’autoproduisent dans l’interaction). […] [L’] expression théâtrale réconcilie toutes les formes de langage en remontant à la source de nos expériences sensorielles que cette forme artistique nous permet de revivre au travers de langues différentes dans une conception varelienne de la communication. Outre le fait qu’elle justifie sur le plan théorique un certain nombre de constatations que j’ai pu faire de façon empirique en associant théâtre et anglais oral, l’énaction me paraît fournir un cadre théorique fructueux pour continuer à développer un modèle de phonologie sociocognitif sur lequel je travaille depuis quelques années (et que je développe en détail dans 35 la section 3.3). Si l’enactivisme est en lien direct avec la cognition, il se différencie du cognitivisme par la participation active du sujet à l’émergence du sens et par une cognition en partie incarnée. Barnabé (2015 : 1-2) explique en effet que le cognitivisme « renvoie à une conception spectatorielle du langage » alors que « l’enactivisme en revanche, propose une théorie actantielle du langage où l’émergence du sens et des faits de conscience du sujet parlant est issue de coordinations corporelles incarnées, verbales et non verbales ». 36 DEUXIÈME PARTIE Phonologie & phonétique : variations et changements 37 2.1. Démarche de reprise d’études et auto-formation en phonétique et phonologie Mon désir d’approfondir mes connaissances dans le domaine de la phonétique et de la phonologie de l’anglais est au cœur de la démarche qui consiste à reprendre mes études en 2009, avec un master 2 en recherche à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. En parallèle, ma participation au jury de l’agrégation interne confirme l’envie de continuer à former des enseignants, mais en évoluant vers des formations davantage disciplinaires et linguistiques que didactiques. Lors des épreuves orales du concours, je remarque en effet, lorsque je passe du jury de didactique à celui de l’épreuve sur programme, que les candidats ont souvent du mal à appréhender des accents autres que ceux de la RP ou du GA lors de l’épreuve de compréhension - restitution. Cela confirme l’impression que j’avais eue en tant que formateur lors des séances portant sur la compréhension auditive et l’expression orale. Les enregistrements utilisés comme supports proposaient des accents différents et j’avais ainsi pu constater un manque de connaissance des variétés d’anglais chez la plupart des enseignants francophones, la majorité distinguant mal un accent australien d’un accent anglais, par exemple. À une époque où l’anglais n’a jamais été aussi présent et varié à l’échelle de la planète10, la recherche dans le domaine des variétés de l’anglais me semble importante, de même que cette diffusion en direction de publics d’enseignants. Pour mon projet de mémoire de master 2, j’aborde donc la vaste question des variétés de l’anglais. Si j’hésite un instant à travailler sur cette question dans une perspective de traduction orale11, mon choix porte rapidement sur ma première passion : celle de la phonologie. 2.1.1. L’examen de l’Association Phonétique Internationale Néanmoins, pour pouvoir aborder la variation en matière de prononciation, il paraît nécessaire de maîtriser les fondamentaux de la phonétique et de la phonologie. Dans cette optique, je consacre une grande partie des années 2009 et 2010 à de l’autoformation, en lisant et travaillant sur de nombreux ouvrages de référence de phonétique et phonologie de l’anglais (ex. Ashby 2005, Cruttenden 2008, Handke 2001, Roach 2009). Je travaille également sur les J’expose cet aspect de la diversité de l’anglais dans le quatrième chapitre de l’ouvrage Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales, consultable dans la troisième partie de ce dossier de synthèse, sous la forme d’un tiré à part. 11 Cet intérêt pour la recherche en traduction et son lien avec les variétés de l’anglais vient principalement de mon expérience d’interprète lors de la coupe du monde de rugby 2007 (cf. section 1.2). Cette expérience confirme mon intérêt pour la variation phonético-phonologique et pour les difficultés pratiques que celle-ci peut constituer. 10 38 épreuves de phonologie de l’agrégation externe par l’intermédiaire des rapports de jury et d’ouvrages de préparation (ex. Jobert 2009, Jobert & Mandon-Hunter 2009). Enfin, j’étudie bien sûr des ouvrages abordant les variétés de l’anglais (ex. Burridge & Kortmann 2008, Chevillet 1991, Kortmann & Upton 2008, Mesthrie 2008, Schneider 2008, Trudgill & Hannah 2008, Wells 1982). Je mène aussi un entraînement systématique dans le but de passer l’examen de l’Association Phonétique Internationale, le Certificate of Proficiency in the Phonetics of English, que je réussis à University College London (UCL) en août 2010. Ashby (2013 : 2) présente cet examen et son importance comme suit : While the examination has changed very little in content and structure, training and practice in practical phonetic skills is rapidly disappearing in both post- and undergraduate courses. Numbers taking the examination are dwindling. Nonetheless, the award is still coveted and holding the award is a badge of phonetic ability. For some employers in both the public and private sectors, it has become a required qualification (in the BBC Pronunciation Unit, for example, and an increasing number of private language colleges). And even if not a formal requirement, it is a qualification that can make all the difference, distinguishing otherwise equal applicants for speech-related jobs. The award is sought today not only by language teachers but by accent coaches, speech and language therapists, educational psychologists, actors, singers, and many others, and is appropriate for both native and non-native speakers. Cet examen n’est pas très connu en France et je souhaiterais en décrire les grandes lignes à ce titre. Il est composé de quatre parties, passées au cours de la même journée et comportant chacune plusieurs questions. La première partie est un examen écrit (written theory paper) qui commence par la transcription en Alphabet Phonétique International (API) d’un texte écrit (de 100 à 120 mots) dont les caractéristiques stylistiques sont aussi proches que possible de celles d’un discours oral de type spontané. Si la transcription de la plupart des mots lexicaux est apparentée à une transcription phonologique / phonémique, il convient toutefois de rendre compte des principaux phénomènes de chaîne parlée (assimilation, élision, etc.) et des formes faibles des mots grammaticaux. Les candidats peuvent choisir entre une transcription en RP, en GA, ou dans tout accent de leur choix, à condition d’en préciser les caractéristiques principales s’il s’agit d’un accent un peu moins connu. Dans la deuxième question écrite, les candidats doivent donner des descriptions articulatoires de quelques mots ou expressions. Cet exercice présente de nombreux intérêts, y compris celui de pouvoir aborder la variation, ne serait-ce que de façon marginale : Unfortunately, articulatory description (a widely taught and practiced skill in years gone by) is much less widely taught today. Nonetheless, this still has value, homing in as it does on both the general phonetic detail of the segments involved and on English pronunciation habits, and most importantly on the understanding of coarticulation. Additionally, there is often scope for phonological variation (as in 39 in case you, where /- ju/ can become /-ʃju/ or even /-ʃu/) […] The question also provides an opportunity for demonstrating the ability to produce more detailed phonetic transcription of the language and to draw and label diagrams (the parametric representation of velum and vocal-fold action, a vowel diagram, and an appropriate vocal tract drawing which will ideally also exemplify coarticulation). (Ashby 2013 : 2) Dans ma thèse de doctorat (2013), j’exploite ce type de descriptions articulatoires pour rendre compte, pour un certain nombre de mots référence, du passage de formes traditionnelles non palatalisées (description 1) à des formes plus contemporaines et palatalisées (description 2). Les deux descriptions associées à chaque mot m’aident à formuler pour chacun d’entre eux une brève conclusion sur le relâchement articulatoire qui caractérise le passage de la forme traditionnelle à la variante palatalisés. Voici un exemple (pp. 170-172), dans lequel ce principe est associé au mot tune : Tune : forme non palatalisée [ˈ] La pointe de la langue entre en contact avec les alvéoles, provoquant ainsi une occlusion dans la cavité orale. Le voile du palais se relève de façon à fermer l’accès de l’air à la cavité nasale et à l’orienter vers la cavité orale. Les poumons sont comprimés et l’air s’accumule dans la cavité orale (phase de compression). L’occlusion est relâchée et l’air accumulé lors de la phase de compression s’échappe, provoquant ainsi une plosion sourde de type [t]. La langue se rétracte ensuite pour adopter une position d’approximation au niveau du palais dur. Pendant ce temps, les lèvres s’arrondissent en anticipation de la voyelle postérieure arrondie []. Suite au rapide relâchement de l’occlusion, l’air s’échappe brusquement lors du mouvement de la langue vers le palais dur, ce qui entraîne le retard du processus de phonation de la glissée [j]. Les cordes vocales se referment et se mettent à vibrer, provoquant ainsi le voisement de la deuxième partie du [j]. Dans le même temps, la langue glisse du palais en direction de l’articulation de la voyelle postérieure fermée, les cordes vocales continuent à vibrer et un son de type [] est audible. Le voile du palais se rabaisse, ce qui permet à l’air de s’échapper par la cavité nasale. La langue entre ensuite en contact avec les alvéoles, provoquant ainsi une obstruction à l’avant de la bouche. Un son nasal de type [n] se fait entendre. Les cordes vocales cessent de vibrer, le voile du palais reste en position basse et les articulateurs adoptent à nouveau une position de repos. Tune : forme palatalisée [ˈ] La pointe et le plat de la langue entrent en contact avec la zone palato-alvéolaire, provoquant ainsi une occlusion dans la cavité orale. Simultanément, le dos de la langue se rapproche du palais par anticipation de la brève friction à venir. Le voile du palais se relève de façon à fermer l’accès de l’air à la cavité nasale et à l’orienter vers la cavité orale. Les poumons sont comprimés et l’air s’accumule dans la cavité orale (phase de compression). L’occlusion est relâchée de façon relativement lente (ce qui permet une plus grande friction que lors du passage de [t] à [j]) et l’air accumulé lors de la phase de compression s’échappe, provoquant ainsi une plosion audible de type [t], immédiatement suivie d’une friction sourde de type [] (plus brève que la friction d’une non-affriquée de type []). Pendant ce temps, les lèvres s’arrondissent en anticipation de la voyelle postérieure arrondie [] puis la langue se rétracte en direction de l’articulation de cette voyelle. Les cordes vocales se mettent à vibrer et un son de type [] est audible. Le voile du palais se rabaisse, ce qui permet à l’air de s’échapper par la cavité nasale. La langue vient alors en contact avec les alvéoles, provoquant ainsi une obstruction à l’avant de la bouche. Un son nasal de type [n] se fait entendre. Les cordes vocales cessent de vibrer, le voile du palais reste en position basse et les articulateurs adoptent à nouveau une position de repos. 40 Tune : quel relâchement articulatoire12 ? Le [t] est palato-alvéolaire (ou peut-être post-alvéolaire, en fonction du locuteur), plutôt qu’alvéolaire ; il est donc légèrement moins antérieur que lors de la production d’un [t] simple (ne faisant pas partie d’une affriquée). Le [t] et le [] sont donc homorganiques dans l’affriquée [ce qui contribue bien à réduire l’effort articulatoire : on passe de deux points d’articulation à un seul. Par ailleurs, il y a également assimilation du mode d’articulation puisque l’on passe d’une plosive combinée à une approximante à une seule affriquée. La simplification articulatoire prend donc deux formes : point et mode d’articulation. L’examen écrit de l’API se termine par deux questions qui amènent des réponses argumentées (general essay questions). En général, l’une des questions porte sur la théorie phonétique et sur le niveau segmental tandis que l’autre est liée à des considérations plus phonologiques et aborde le suprasegmental. La deuxième partie de l’examen est destinée à tester l’oreille des candidats (eartraining dictation test) en simulant un travail de terrain de nature phonétique (Ashby 2013 : 3). Elle commence par la dictée d’un texte de 100 à 150 mots en anglais, dans un accent britannique non régional. Les candidats doivent écrire une transcription dans l’accent proposé, qui inclut les accents lexicaux et l’identification des frontières entre les groupes intonatifs. Le texte comporte des éléments supposés inconnus (tels que des toponymes peu connus), ainsi que des processus de contraction « extrême » et d’assimilations peu courantes. L’exemple suivant, tiré de la session 2012, est donné par Ashby (2013 : 3) : The following example from the August 2012 examination is typical, including the American place names Poughkeepsie and Ashtabula, as well as both incorrect and correct pronunciations of the British Wymondham, contraction of for + example, assimilation of [m] to alveolar in sometimes, and r-liaison after fibula (all highlighted): 1. /ˈlʌndənəz | ə ˈjuːs tə hɪərɪŋ ˈəʊvəsiːz ˈvɪzɪtəz | 2. ˈstrʌɡlɪŋ wɪð wɒʔ tu ˈʌs | ə ˈveri fəˈmɪljə ˈpleɪs neɪmz || 3. ˈlestə frɪɡˈzɑːmpl | ɔː ˈɡlɒstə || 4. ˈsʌntaɪmz ˈðəʊ | ɪts wiː ˈbrɪts hu ə kɔːt ˈaʊt || 5. teɪk əˈmerɪkən ˈneɪmz laɪk pəˈkɪpsi || 6. əm ˈwɒt əbaʊt ði ˈɪrəkwɔɪ ˈrɪvər əv meni ˈfɪʃɪz| æʃtəˈbjuːlə || 7. ɡɪvən ˈæntipenˈʌltimət ˈstres | ɪn ˈnebjulə | ˈfɪbjələr ͡| ən ˈtæbjəleɪt | 8. wi ˈmaɪt ɪkspek tə ˈfaɪn ðə stres ɒn ˈtæb || 9. ˈiːvən hɪər ɪn ˈnɔːfək ðəʊ | ðə ˈpleɪs ðəʔ lʊks laɪk ˈwaɪməndhæm | 10. ɔː waɪˈmɒndəmz ͡| ˈækʃli ˈwɪndəm L’exercice suivant consiste en la dictée de logatomes polysyllabiques. Les candidats 12 Par relâchement, j’entends ici une moins grande tension musculaire des muscles de la langue. 41 sont amenés à utiliser dans leur transcription les voyelles cardinales, ainsi que toutes les consonnes de l’API. L’exercice simule ainsi un travail de terrain pouvant être mené auprès de locuteurs dont l’enquêteur ne maîtrise pas très bien la langue. Dans les exemples ci-dessous, tirés de la session 2012, on peut noter l’utilisation du /s/ rétroflexe [ʂ], du /l/ fricatif latéral [ɬ], du flapped /r/ (la battue alvéolaire voisée [ɾ]), de la fricative bilabiale [β], d’un /t/ éjectif [tʼ], de l’occlusive palatale [c], d’un /r/ dévoisé [r̥ ], d’une affriquée alvéo-palatale [t͡ɕ], de la voyelle postérieure fermée non arrondie [ɯ], du /r/ fricatif uvulaire [ʁ], de la nasale palatale [ɲ], de la fricative vélaire [ɣ], ainsi que de consonnes non pulmonaires au sein de doubles articulations : l’alvéolaire latérale [ǁ] et la postalvéolaire [!]). 1. 2. 3. 4. 5. 6. [ʂoɬaɱfɛɾu] [ n ͡tʃ i β ɔ ɡ ʒ] [ tʼ e p l ɑ̃ c o ʔ] [ x r̥ a ͡tɕ i k ] [ ɡ͡ǁ ɯ ʋ ɔ k͡ǃ e ] [ θ y ʁ ɛɑ ɲ oe ɣ] Les autres épreuves sont consacrées à un oral individuel pour chaque candidat, en présence de deux examinateurs. Dans un premier temps, le candidat doit lire à partir de transcriptions en API qui n’indiquent aucune frontière intonative (reading from transcription). Après un temps de préparation, il s’agit tout d’abord de lire un texte anglais transcrit en API. L’évaluation porte sur la justesse phonétique et sur la fluidité de la lecture. Puis, le candidat doit lire à voix haute, sans préparation au préalable, des phonèmes et des courtes séquences de phonèmes dont certains n’appartiennent pas au système de l’anglais. Ex. [ɑ̃] ; [ɯ] ; [ɔe] ; [ɑɥɑ] (avec une approximante labiale-palatale voisée) ; [ɑxɑ] (avec une fricative vélaire) ; [ɑɓɑ] (avec une injective bilabiale voisée) ; [ɛ]̃ ; [y] ; [eɔ] ; [ɑɰɑ] (avec une approximante vélaire) ; [ɑɬɑ] ; [ɑtʼɑ]). Les examinateurs lisent ensuite des mots anglais en substituant volontairement un phonème à un autre (sorte « d’erreur volontaire »). Par exemple, ils peuvent prononcer le mot fighting avec [k] ou [ð] à la place de [t]. Le candidat doit identifier le phonème erroné en termes de lieu et mode d’articulation et de l’opposition voisement / non-voisement. Il doit ensuite donner le phonème adéquat avec les mêmes caractéristiques articulatoires (lieux, mode, voix). Le dernier exercice de l’examen de l’API porte sur l’intonation de l’anglais. Le candidat doit tout d’abord lire à voix haute quatre unités intonatives comportant les mêmes 42 mots mais quatre schémas intonatifs différents, avec changement de noyau et de ton. Voici un nouvel exemple tiré de la session 2012 ; on peut y noter l’utilisation d’une chute supérieure (high fall), d’une montée inférieure (low rise), ainsi que de deux tons circonflexes (fall-rise) : 1. please \ call me || 2. please call V me :|| 3. please / call me || 4. V please call me || Le candidat doit enfin lire à quatre reprise et à l’identique une unité intonative (ex. he offered to buy me a new one). À partir de cette lecture, il doit ensuite décrire le choix du noyau, le ton utilisé, l’avant-tête et la queue. La préparation de cet examen constitue un excellent moyen de se former à divers aspects de la phonétique et de la phonologie. En complément des lectures entreprises et de ma formation universitaire française, elle me donne les outils fondamentaux de l’école britannique, me permettant d’aborder les principaux enjeux de la phonétique et de la phonologie de l’anglais, voire d’autres langues. L’esprit de l’examen de l’API a également eu une influence sur ma façon d’aborder les cours de phonétique à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, et notamment sur l’importance des phénomènes de chaîne parlée dans la compréhension auditive et dans la production orale en anglais. Dans les différents rapports sur la langue orale que les présidents de jury du CAPES et de l’agrégation externe spéciale docteurs me demandent de rédiger entre 2014 et 2017 (Ref 18), je développe une partie importante sur ces phénomènes de chaîne parlée (ex. liaison, assimilation, élision, spécificités des formes faibles). En effet, il s’agit d’un aspect fondamental de l’anglais oral qui me paraît alors insuffisamment développé dans les rapports des années précédentes. L’ouvrage « CAPES et agrégations d'anglais : cours de compréhension et d'expression » (2014a, voir tiré à part) est conçu comme un cours dont le but est de proposer un cadre de travail pour les candidats désireux d’aborder la période d’entraînement nécessaire à la préparation des oraux des concours d’anglais avec les prérequis nécessaires en matière de compréhension auditive et d’expression orale. J’y établis une typologie des phénomènes de chaîne parlée en fonction de l’importance relative qu’il y aurait pour les candidats à les maîtriser. En effet, la connaissance de certains des phénomènes décrits est uniquement utile en compréhension et il ne paraît pas nécessaire, voire pas souhaitable, de les imiter dans le cadre d’une prise de parole formelle devant des membres de jury. En revanche, la production d’autres phénomènes de chaîne 43 parlée permet indiscutablement de gagner en authenticité et de rapprocher en cela la prononciation des candidats de celle de locuteurs natifs. Il me semble ainsi que certains de ces phénomènes doivent constituer des priorités. S’il n’y a pas d’utilité absolue à utiliser toutes les assimilations et élisions décrites dans cet ouvrage de préparation, leur emploi peut toutefois conférer à l’anglais oral des candidats une dimension plus naturelle. Cruttenden (2008 : 308) explique par exemple que les apprenants qui visent un niveau de performance proche de celui de locuteurs natifs doivent absolument utiliser les formes faibles lorsque cela est pertinent. Pour lui, cet apprentissage des formes faibles devrait constituer la plus importante des priorités. Dans le domaine de la compréhension, cet ouvrage de préparation rédigé pour le CNED a pour but de sensibiliser les candidats à l’existence d’un certain nombre d’élisions et d’assimilations qui peuvent faire obstacle à la compréhension. Je distingue donc trois catégories de phénomènes de chaîne parlée : - Catégorie A : ceux dont il convient d’avoir une maîtrise opératoire en production ; - Catégorie B : ceux qui doivent faire partie des compétences de reconnaissance des candidats (il n’y a pas « d’obligation » à les produire mais ils sont communs à la plupart des variétés d’anglais et doivent être assimilés dans l’optique de meilleures performances en compréhension) ; - Catégorie C : ceux qui sont typiques de certaines variétés d’anglais et dont la connaissance ne peut qu’aider les candidats à aborder la variation dans le domaine de la compréhension. 2.1.2. Les variations spatiales : phonologies et espace La première année de mon master 2 est consacrée à la validation d’une unité d’enseignement en littérature et à la rédaction d’un document d’auto-apprentissage pour les étudiants anglicistes de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Celui-ci consiste en la description des principales caractéristiques phonétiques et phonologique de dix-sept variétés d’anglais, sous la forme de dix-sept chapitres : Received Pronunciation, Londres et le sud-est de l’Angleterre, le sud-ouest de l’Angleterre, L’East Anglia, le Nord de l’Angleterre, le pays de Galles, l’Écosse, l’Irlande, le General American, la Nouvelle-Angleterre, les villes du Inland North, New York et Philadelphie, le Sud des États-Unis, l’Australie, la NouvelleZélande, l’Afrique du Sud et l’Inde. Cette étude, intitulée Prononciations du monde anglophone, comporte pour chacun des accents une introduction visant à replacer la variété dans son contexte, ainsi qu’une description des principales caractéristiques du système vocalique, du système consonantique et du niveau suprasegmental. Ces remarques plutôt 44 théoriques sont complétées par des cas pratiques qui permettent aux lecteurs d’écouter activement des enregistrements de l’accent étudié par l’intermédiaire de liens hypertexte. Bien sûr, un certain nombre des caractéristiques principales décrites dans le chapitre sont manifestes dans les enregistrements proposés. Les syllabes ou les associations de phonèmes dans lesquels le lecteur peut les retrouver sont clairement détachées dans le script de l’enregistrement et le moment précis où elles apparaissent est indiqué et peut ainsi être facilement localisé à l’aide du compteur du lecteur multimédia ayant permis d’ouvrir l’enregistrement. Chaque chapitre propose ainsi un va-et-vient entre théorie et écoute pratique. Après avoir été testé dans quelques universités grâce à plusieurs collègues, cet ouvrage est publié en 2013 par les Presses Universitaires de Bordeaux sous la forme d’un ebook de 155 pages sous son titre original, Prononciations du monde anglophone (PDMA). Il est disponible dans la troisième partie de ce dossier de synthèse, sous la forme d’un tiré à part. Le format électronique est particulièrement adapté puisqu’il permet d’utiliser les liens hypertexte pour avoir accès aux enregistrements. Voici quelques courts extraits qui permettent de voir comment les parties théorique et pratique sont liées. L’accent décrit est celui du sud des États-Unis. 3/ DRESS /e/ est prononcé [ɪ] par une vaste majorité des locuteurs du Sud, particulièrement devant les nasales /n/ et /m/ (on parle de fusion entre pin et pen). Cette fusion n’est effective ni à la NouvelleOrléans ni dans la région de Savannah (Géorgie). Parfois la réalisation est intermédiaire entre [e] et [ɪ]. Pour la région du Deep South (la majeure partie des états de Louisiane, Mississippi, Alabama, Géorgie et Caroline du Sud), Meier (2009 : 150) note une fréquente diphtongaison de type [ɛə], voire une triphtongaison de type [ɛɪə]. Ex : pen [pɪn], them [ðɪm], ben [bɪn] … step [stɛəp] / [stɛɪəp], ebb [ɛəb] / [ɛɪəb], bread [bɻɛəd] / [bɻɛɪəd] … (p. 112) […] *n°3 : /e/ réalisé [ɪ] ou qui tend vers [ɪ] : and its two ends apparently beyond the horizon (00:27), his friends say he is looking for the pot of gold at the end of the rainbow (00:47-00:50), Then I went to Rockwell International (01:19), my brother had never went and I borrowed (02:45)… légère diphtongaison de /e/ : And I, I was sick when I left there cause the job had closed down (01:40) (p. 117) PDMA n’est pas nécessairement conçu pour être lu in extenso. Le lecteur peut choisir les pays ou régions sur lesquels il souhaite travailler et se reporter directement au chapitre correspondant. Il a ainsi accès à des descriptions phonologiques et phonétiques qui lui permettent d’améliorer sa connaissance théorique de la variété choisie, avant de passer à une écoute attentive des enregistrements proposés et faire le lien entre la théorie et la pratique. PDMA a été pensé pour répondre aux besoins identifiés en matière de connaissance des variétés de l’anglais (même s’il n’aborde que le domaine de la prononciation). À ce titre, il 45 s’adresse principalement aux étudiants des filières LLCER et LEA, ainsi qu’aux enseignants souhaitant développer leurs connaissances dans le domaine. Cet ouvrage a également été pensé pour les candidats des examens et concours externes ou internes de l’Éducation Nationale pour qui l’évaluation contient une épreuve de compréhension / restitution. Ainsi que le montre l’extrait ci-dessus, PDMA s’intéresse aux niveaux phonologique et phonétique des variétés étudiées. Pour sa rédaction, j’adopte donc les conventions de transcriptions habituelles en distinguant les transcriptions phonologiques (ou phonémiques) des transcriptions phonétiques (ou allophoniques). Si « la phonologie vise à décrire certains types d’organisation mentale (catégories, représentations et généralisations) » (Brulard & Carr 2015 : 17), la phonétique s’intéresse de son côté aux sons effectivement produits ou perçus. Plus qu’aux allophones les plus courants, qui sont valables pour un grand nombre d’accents (par exemple l’aspiration des occlusives en début de syllabe accentuée), je mets l’accent sur les spécificités allophoniques et réalisationnelles des variétés étudiées (par exemple, l’absence d’une telle aspiration dans certains accents, comme c’est le cas pour l’anglais indien). Afin de bien distinguer le niveau phonologique du niveau phonétique et le phonème de référence de sa réalisation effective, PDMA adopte la transcription conventionnelle entre barres obliques - / / - pour le phonème de référence et entre crochets [ ] - pour sa réalisation effective. Ainsi, /p/ désigne le phonème tandis que [ph] et [p] désignent deux prononciations distinctes, respectivement avec et sans aspiration. Autre exemple, la transcription phonologique /ˈbæθ/ fait allusion au système phonologique du Nord de l’Angleterre tandis que la transcription phonétique [ˈbæθ] correspond à la réalisation effective du mot bath par un locuteur nordiste. Pour se référer à la forme écrite d’un mot, PDMA adopte la notation convenue, c'est-à-dire entre < >. Ainsi, <ough> désigne une transcription orthographique. Néanmoins, la transcription avec des symboles de l’API peut présenter des limites dès lors que l'on commence à comparer les variétés d'anglais. En effet, le nombre de phonèmes existant et leur distribution peuvent varier d’un accent à l’autre. Par exemple, le phonème /ɑː/ existe aussi bien en RP qu’en GA. Cependant, les mots et contextes dans lesquels /ɑː/ apparaît (sa distribution) ne sont pas forcément les mêmes en RP et en GA. À titre d’exemple, on trouve /ɑː/ dans les mots hard et bath en RP mais uniquement dans hard en GA. Le 46 phonème /ɑː/ n’a pas le même statut dans le système phonologique de la RP que dans le système du GA. C’est en particulier la très grande variété existant au niveau des voyelles qui peut poser problème lorsqu’on étudie plusieurs accents de l’anglais. C’est la raison pour laquelle, j’utilise pour PDMA le système des ensembles lexicaux (lexical sets), mis au point par Wells (1982), afin de gagner en efficacité. Par exemple, une comparaison des mots appartenant à l’ensemble lexical BATH permet de rendre compte, à travers les accents de l'anglais, de la variation dans la prononciation de la voyelle des mots qui ont /ɑː/ en RP et /æ/ en GA en syllabe accentuée. Le système des lexical sets permet ainsi de rendre compte au mieux des variations phonético-phonologiques au sein du monde anglophone. Hormis PDMA, les ensembles lexicaux ne sont guère utilisés dans les publications françaises portant sur les variétés de l’anglais, jusqu’à la sortie de La prononciation de l’anglais contemporain dans le monde. Variation et structure (Brulard, Carr & Durand 2015). C’est la raison pour laquelle je fais le choix d’insister sur son utilité dans l’article « Variations et innovations phonétiques en anglais américain (2015a, Ref 11), ainsi que dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales (voir tiré à part). Mes travaux de recherche sur les variations spatiales me font prendre conscience de l’importance de la typologie des différences de prononciation mise au point par Troubetzkoy (1931). Le linguiste russe recense trois types de différences pouvant servir à comparer les différents accents d’une même langue. Cette typologie a fréquemment été utilisée depuis dans le domaine de la variation phonético-phonologique. Selon Troubetzkoy, les différences peuvent concerner le système phonologique, la réalisation des phonèmes ou la distribution lexicale de ceux-ci. Les différences au niveau du système phonologique concernent l’inventaire des phonèmes du locuteur et / ou d’un accent. Par exemple, les locuteurs du nord de l’Angleterre n’ont pas l’opposition FOOT – STRUT dans leur système, contrairement à la plupart des locuteurs anglophones. Pour eux, cette opposition est neutralisée au profit du seul /ʊ/. Deux accents de l’anglais peuvent se différencier par des réalisations différentes de leurs phonèmes. On parle alors de différences réalisationnelles. Par exemple, un locuteur RP et un locuteur de type General Australian ont le même inventaire phonémique (même nombre de phonèmes et mêmes contrastes) mais leur prononciation de FACE et de PRICE peut grandement différer, le premier prononçant [ˈfeɪs, ˈpraɪs], tandis que le second prononce plutôt [ˈfaɪs, ˈprɔɪs]. Les spécificités réalisationnelles relèvent bien sûr de considérations phonétiques (et non phonologiques). Le troisième type de 47 différence de prononciation, la distribution lexicale (ou incidence lexicale) consiste en la présence dans des mots différents de phonèmes communs à deux accents. Par exemple, les accents RP et GA ont tous deux le phonème /æ/. Néanmoins, celui-ci se rencontre dans le seul ensemble lexical TRAP en RP, alors qu’on le retrouve dans les ensembles lexicaux TRAP et BATH en GA. Les différences réalisationnelles peuvent toucher des mots isolés. Ainsi, schedule se prononce [ˈʃedjuːl] dans une prononciation de type Conservative RP, alors qu’il est réalisé [ˈskedʒuːl] en GA. Au-delà de la typologie de Troubetzkoy, les différences entre les accents de l’anglais peuvent également être suprasegmentales et opérer « à un niveau structurel supérieur à celui des phonèmes individuels et à leurs réalisations » (Brulard & Carr 2015 : 32). Le rythme est une composante essentielle du suprasegmental. Si le rythme des variétés d’anglais les plus connues (ex. RP, GA, General Australian) et celui de la plupart des variétés du « cercle intérieur » (cf. section 2.2.5) montrent une tendance à l’isochronie13, la majorité des variétés du « cercle extérieur » (ex. anglais indien, anglais des Caraïbes, cf. section 2.2.5) ont un rythme plus syllabique, ce qui entraîne moins de réductions des syllabes inaccentuées qu’en RP ou en GA et donc davantage de voyelles pleines. Au niveau suprasegmental, la structure intonative (découpage en unités intonatives, placement du noyau et nature du contour intonatif) peut également différencier les accents de l’anglais. Par exemple, les variétés urbaines du nord de la Grande-Bretagne et de l’Irlande présentent des intonations montantes au niveau systémique alors que le contour intonatif non marqué consiste en un ton descendant dans les systèmes de la RP et du GA. Cette typologie des différences de prononciations est pleinement exploitée dans PDMA, où j’aborde les spécificités des systèmes vocaliques et consonantiques de chaque variété (c'est-à-dire ses spécificités phonologiques), avant de m’intéresser à la réalisation des phonèmes (ses spécificités phonétiques), puis à ses spécificités suprasegmentales. Dans l’article « British English & American English : convergences ou divergences phonétiques ? » (2016, Ref 8), je recense les évolutions des dernières décennies dans la prononciation de l’anglais britannique et de l’anglais américain afin de déterminer si ces deux variétés sont en train de se rapprocher ou de s’éloigner l’une de l’autre sur les plans phonologiques et Rappelons qu’il ne s’agit que de tendances et certainement pas d’absolus. Cruttenden (2014 : 271) s’inscrit d’ailleurs en faux contre ce principe en expliquant que le rythme de l’anglais ne dépend pas des syllabes accentuées mais des voyelles pleines. 13 48 phonétiques. Cet article me permet de lier phonologie du temps et phonologie de l’espace puisque l’approche est à la fois spatiale et diachronique. La réponse à la question posée dans le titre n’est bien sûr pas tranchée et je propose dans cet article une typologie des phénomènes de convergence et de divergence. Parmi les premiers, je note une tendance à une forme de rapprochement que l’on peut qualifier de lexico-phonétique, c'est-à-dire un rapprochement des préférences concernant la prononciation d’un certain nombre d’items lexicaux (ex. Asia, chance, mall, falcon, scallop, youths, necessary, schedule), la convergence opérant presque systématiquement en direction de la variante américaine. Nous sommes là dans le domaine de l’incidence lexicale / de la distribution lexicale si l’on se réfère à la typologie de Troubetzkoy : les convergences opèrent au niveau de ce que Wells (1982 : 285-297) qualifie de lexical-incidential variability. En fait, le rapprochement de ces prononciations est avant tout lexical. En effet, il n’implique une convergence ni des accents des locuteurs, ni des systèmes phonologiques de ceux-ci. Il s’agit plutôt d’emprunts de la prononciation de certains mots, phénomène assez proche de l’emprunt lexical inter-variétal, la « forme phonologique » d’un mot étant une véritable composante lexicale de cet item. Cet article me permet donc de m’appuyer en partie sur la typologie de Troubetzkoy pour comparer les deux variétés. En outre, je remarque une convergence opérant sur le plan suprasegmental avec une multiplication dans les deux variétés de schémas intonatifs de type High Rising Terminal (HRT), un ton ascendant employé en fin d’énoncé déclaratif (mais peut-être pas systémique, contrairement à l’intonation urbaine des villes du nord de la Grande-Bretagne et de l’Ulster). Je note aussi une utilisation de plus en plus fréquente de la voix craquée dans les deux variétés, particulièrement chez les jeunes femmes (cf. section 2.2.1). 2.1.3. Évolutions temporelles et variations géographiques Hormis le travail accompli pour Prononciations du monde anglophone (PDMA), la période de mon master 2 est également consacrée à l’élaboration et à la rédaction de mon mémoire, Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) en anglais, sous la direction de Wendy Schottman, Maître de Conférences à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. La période de mon master 2 coïncide également avec mon recrutement en tant que PRAG à l’IUT de Roanne (Université Jean Monnet de Saint-Étienne), où je continue ma pratique d’exposition des étudiants à des accents divers pour améliorer leurs compétences de réception. À l’exception des quelques pages de « remarques préliminaires », la variation de nature sociolinguistique est à peine abordée dans PDMA, les critères de comparaison des accents 49 étant essentiellement géographiques. Mon mémoire de master 2 est une première étude de ce que je qualifie de « Cas de Palatalisation Contemporaine » (CPC). Dans les années 1990, j’avais commencé à remarquer des prononciations de certains mots qui me paraissaient pour le moins surprenantes. Ces prononciations particulières constituent l’objet d’étude de mon mémoire de M2 et de ma thèse de doctorat : les CPC. Il s’agit de manifestations de fricatives et d’affriquées palato-alvéolaires dans des environnements et des items lexicaux où elles n’apparaissaient pas jusqu’à un passé récent et qui ont été créées par phénomène de palatalisation, une forme d’assimilation. Quatre variables sont concernées : 1/ (tju, dju) en syllabe accentuée (ex. tune [ˈtʃuːn], dune [ˈdʒuːn]) ; 2/ (sju, zju) en syllabe accentuée (ex. assume [əˈʃuːm], presume [prɪˈʒuːm]) 3/ (stj, str) (ex. student [ˈʃtjuːdənt], street [ˈʃtriːt]) 4/ (sr) (ex. anniversary [ˌænɪˈvɜːʃ(ə)ri], grocery [ˈɡrəʊʃ(ə)ri], restaurant [ˈreʃt(ə)rɒnt], classroom [ˈklɑːʃruːm]). Les CPC sont des variantes principalement associées aux locuteurs les plus jeunes et les formes palatalisées qu’elles impliquent sont fréquemment considérées comme « incorrectes » par les locuteurs les plus conservateurs. La question de leur acceptabilité en anglais au début du XXIe siècle est d’ailleurs sujette à controverse, ainsi que l’attestent les différents dictionnaires de prononciation et les écrits de certains linguistes. Ce mémoire me permet de travailler à la fois la phonologie du temps et la phonologie de l’espace puisque je m’intéresse à l’évolution historique des palato-alvéolaires depuis les premières époques de l’histoire de la langue anglaise, ainsi qu’à la portée géographique des CPC et à la diffusion de ceux-ci dans le monde anglophone. À partir de ce moment, la plupart de mes travaux de recherche s’inscrivent dans une double dimension temporelle et spatiale. Néanmoins, les perspectives du changement linguistique que j’adopte pour la rédaction de ce mémoire relèvent essentiellement de la linguistique interne. Elles ne font que très ponctuellement appel à des critères de linguistique externe. Le changement interne est motivé par des principes de structuration, de régularité, d’économie et de symétrie de la langue. Pour résumer, Deutscher (2005 : 62) dresse la liste suivante de ces motivations : […] in essence, the motives for change can be encapsulated in the triad economy, expressiveness and analogy. Economy refers to the tendency to save effort, and is behind the shortcuts speakers often take in pronunciation […] Expressiveness relates to the speakers’ attempts to achieve greater effect for their 50 utterances and extend their range of meaning […] The third motive for change, analogy, is shorthand for the mind’s craving for order, the instinctive need of speakers to find regularity in language. Le principe d’économie (ou principe du moindre effort), est particulièrement pertinent dans le domaine de la prononciation : il existe une tendance chez l’être humain à réduire l’effort articulatoire dans la mesure du possible. Toutes les évolutions linguistiques qui ont été créées par des processus d’assimilation relèvent du principe du moindre effort, ce qui permet d’expliquer la raison pour laquelle je me concentre principalement sur le changement interne dans mon mémoire de master 2, les CPC ayant pour origine des phénomènes d’assimilation14. Dans l’article « The yod /j/: palatalise it or drop it- How Traditional Yod Forms are Disappearing from Contemporary English » (2012b, Ref 4), écrit avant le travail de rédaction de ma thèse, je retrace l’historique de la chute et de la palatalisation de /j/ dans les séquences /Cju/ dans plusieurs variétés d’anglais. J’y utilise des principes de changement interne pour expliquer les évolutions auxquelles je fais référence dans cet article, principalement le principe du moindre effort. Je développe également l’idée selon laquelle l’élision ou la palatalisation de /j/ obéissent à des principes de fréquence lexicale et de diffusion lexicale : les mots les plus fréquents sont touchés en premier et les changements se propagent selon un schéma qui va des items les plus fréquents aux items les moins fréquents. Dans l’article déjà cité, « British English & American English : convergences ou divergences phonétiques ? » (Ref 8), certaines explications concernant les évolutions sont liées à des facteurs internes. Par exemple, je recense des évolutions parallèles pour les voyelles d’arrière mais une divergence des voyelles d’avant. La convergence des voyelles d’arrière prend deux formes : celle d’une tendance à la fusion de ces voyelles et celle de la multiplication des phénomènes d’antériorisation dans la zone postérieure. Ces convergences peuvent s’expliquer par les propriétés de l’appareil articulatoire, qui font que les voyelles postérieures disposent de moins d’espace que les voyelles antérieures. Si le système s’accommode bien de quatre degrés d’aperture pour les voyelles d’avant, cela est donc plus problématique pour les voyelles d’arrière. Par conséquent, le manque d’espace articulatoire conduit à une plus grande possibilité de superposition des zones de dispersion des voyelles postérieures. Puisqu’il est difficile pour ces voyelles de se déplacer sur l’axe vertical, elles ont tendance à être Si lors de mon travail de master 2, je mets principalement l’accent sur les facteurs internes du changement qui mène à la palatalisation contemporaine, mon travail de recherche en sociolinguistique me permettra toutefois d’évoluer et de tirer des conclusions radicalement différentes dans ma thèse (dans laquelle j’approfondis et développe mon travail sur les CPC) et contribuera à définir mon positionnement épistémologique en linguistique (cf. section 2.3). 14 51 antériorisées. Le phénomène est attesté dans bien des langues (Labov 1994 : 117) et s’apparente même à une tendance universelle dans le changement des sons. En parallèle, la difficulté du système à maintenir quatre degrés d’aperture pour les voyelles d’arrière explique également les phénomènes de fusion (/oː/ et /ɔː/ ne sont plus distinctifs en anglais contemporain, /ɔː/ et /ɑː/ ont tendance à être neutralisés en anglais américain, etc.). Le raisonnement inverse peut expliquer la divergence entre l’anglais britannique et l’anglais américain en ce qui concerne les voyelles antérieures : l’espace articulatoire étant plus grand, il est plus propice à l’existence d’évolutions aux directions multiples, pouvant favoriser le développement de changements en chaîne distincts ans les deux variétés. Ces changements peuvent s’expliquer par des raisons d’équilibre du système vocalique. Ce sont également des facteurs internes qui me permettent d’expliquer dans cet article, par exemple, la disparition de /j/ des séquences /Cju/ ou la palatalisation de /s/ dans les deux variétés. 2.2. L’apport de la sociolinguistique S’il n’est pas pleinement exploité dans PDMA et dans mon mémoire de master 2, le travail entreprit à cette époque est toutefois l’occasion de véritablement rencontrer et de me passionner pour la sociolinguistique, ce qui me permet de définir de nouveaux axes dans mon parcours de recherche. 2.2.1. L’approche variationniste labovienne La dimension externe du changement est d’origine sociale. L’évolution est alors le produit de l’activité des locuteurs dans les contextes sociaux et culturels qui sont les leurs. L’interaction entre les locuteurs et la notion de groupe sont d’une importance capitale si l’on se penche sur la manière dont les innovations de certains sont adoptées par d’autres (la question de l’activation du changement) et sur la façon dont elles se diffusent à travers la communauté. Néanmoins, la linguistique externe ne concerne pas seulement les évolutions linguistiques. Le principe de la variation a grandement bénéficié de l’apport des fondateurs de la sociolinguistique moderne tels que Labov et Trudgill. Certaines différences et similitudes linguistiques entre locuteurs sont en effet le reflet de différences ou de similitudes sociales. Les travaux de la sociolinguistique de Labov montrent qu’il est possible d’établir des corrélations entre variables sociales et variables linguistiques, et ce, de façon systématique. 52 Dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales (voir tiré à part), j’expose les principaux facteurs de la variation sociolinguistique de type labovien : catégorie socio-économique, sexe, âge, groupes ethniques. Je souhaiterais à présent résumer quelques corrélations associées à ces facteurs, ainsi que quelques applications à ma recherche. L’étude fondatrice de Labov (1966) sur la ville de New York reste un très bon exemple de la corrélation entre la catégorie socio-économique des locuteurs et la langue qui les caractérise puisque le linguiste démontre que la prononciation du /r/ post-vocalique à New York est socialement stratifiée. Ce /r/ est donc un marqueur de catégorie socioéconomique, qui est porteur d’un certain prestige social15. Cette étude montre que les catégories socio-économiques les plus favorisées ont fortement tendance à produire des formes linguistiques parmi les plus standard. Au contraire, les formes non standard sont plus susceptibles d’être rencontrées dans le parler des locuteurs des catégories socio-économiques les moins favorisées. Le changement noté opère donc en direction de la variante préférée par les locuteurs au statut social privilégié, qui se trouve être la forme qui paraît la plus « correcte », une forme de prestige manifeste (overt prestige). Il s’agit donc d’un changement par le haut (change from above), et non d’un changement par le bas (change from below), c'est-à-dire en direction de formes non standard, suite à des phénomènes de prestige voilé (covert prestige). En cela, l’étude new-yorkaise n’est pas spécialement révélatrice de la direction que prennent généralement les changements linguistiques. En effet, Labov (1994 : 78) remarque que les changements par le bas sont plus nombreux que les changements par le haut. Il y a une explication de nature sociolinguistique à cela. Certes, l’attrait que représentent les classes socio-économiques dominantes peut paraître plus important que celui des classes sociales les moins favorisées. Cependant, le comportement linguistique des classes privilégiées est de type résolument conservateur, ce qui, par définition, ne peut aller dans le sens du changement. Les classes sociales « inférieures » et, surtout, médianes (Labov 2001 : 31-32) sont donc statistiquement celles qui innovent le plus. Elles sont ainsi bien plus susceptibles d’être à l’origine du changement linguistique (Baylon 2005 : 103-105). À la fin du XXe siècle, le développement en Angleterre du Estuary English (EE) est intéressant car il illustre les deux types d’évolutions. En effet, le EE se situant à mi-chemin entre la RP et une prononciation populaire londonienne de type Cockney, son développement peut être vu La prononciation effective du /r/ post-vocalique n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis, tant dans la ville de New York que dans l’ensemble des États-Unis. Elle est résolument standard en anglais américain aujourd’hui. 15 53 comme le résultat d’une double accommodation : prestige manifeste et changement par le haut pour des locuteurs de catégories socio-économique peu favorisées et à l’origine proches du Cockney et prestige voilé et changement par le bas pour des locuteurs issus de catégories plus favorisées et dont le profil est traditionnellement associé à la RP. Un raisonnement similaire peut sans doute s’appliquer aux autres prononciations supra-locales qui s’inscrivent dans une forme de nivellement urbain et qui émergent en Grande-Bretagne à la fin du XXe siècle. J’explique les facteurs qui mènent au développement de ces variétés dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales (voir tiré à part). En ce qui concerne la variable du sexe et l’opposition entre le parler des femmes et le parler des hommes, l’étude variationniste fondatrice est celle Trudgill (publiée en 1974). Le linguiste britannique étudie un certain nombre de traits phonétiques dans la ville de Norwich, en s’appuyant sur l’opposition entre les formes standard et les formes locales. Il étudie par exemple l’opposition entre [ɪŋ] et [ɪn] dans les terminaisons en –ing (ex. singing). Il travaille également sur l’opposition [t] vs. [ʔ] (coup de glotte) en ce qui concerne la réalisation de /t/ en position non accentuée, ou encore sur l’opposition entre prononciations avec ou sans [j] dans des mots tels que beautiful16. Les conclusions sont assez nettes : les femmes produisent plus de formes standard tandis que les hommes produisent davantage de formes non standard. De plus, les femmes ont tendance à déclarer qu’elles utilisent plus de formes standard que celles qu’elles produisent en réalité. Au contraire, les hommes ont tendance à déclarer qu’ils utilisent moins de formes standard que ce qu’il est effectivement possible de trouver dans leur parler. Cette dichotomie a été depuis vérifiée à de maintes reprises, tant en anglais que dans d’autres langues. Les femmes sont linguistiquement plus conservatrices que les hommes, utilisent plus de variantes standard, moins de formes argotiques et, de façon générale, s’expriment d’une façon qu’elles jugent plus « correcte ». Néanmoins, des recherches récentes (ex. Gauthier 2013) tendent à prouver que cette opposition traditionnelle n’est peut-être plus aussi valable aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. En ce qui concerne les évolutions linguistiques, Labov (2001 : 323-408) note que les agents du changement sont en majorité des femmes issues des classes moyennes. Cela peut sembler paradoxal puisqu’elles sont linguistiquement plus proches de la norme et des formes standard. Labov (1990 : 205-215) 16 Dans la prononciation traditionnelle de la ville de Norwich et de toute la région East Anglia, [j] a en effet disparu des séquences (Consonne initiale + /j/ + /u/), et ce, quelle que soit la consonne initiale. Beautiful se prononce donc [ˈbuːtɪfəl]. Dans la quasi-totalité des autres accents de l’anglais, la glissée palatale n’a disparu qu’après certaines consonnes initiales (Glain 2012b). 54 établit néanmoins des distinctions entre la variation stable, le changement par le haut et le changement par le bas. Dans la variation sociolinguistique stable (lorsqu’il n’y a pas changement), les femmes utilisent effectivement davantage de formes qui relèvent de la norme. Dans le cadre de changements par le haut, elles privilégient les formes les plus prestigieuses, qui correspondent à la norme. En revanche, si l’on considère les changements par le bas, plus nombreux, elles sont souvent celles qui innovent le plus. L’âge constitue une variable particulièrement importante en sociolinguistique. Dans l’esprit des gens, l’évolution de la langue est souvent associée aux jeunes. Les personnes plus âgées perçoivent en effet comme des changements les écarts par rapport à leurs normes de communication. Cette impression est en réalité corroborée par la quasi-totalité des études de terrain : les locuteurs les plus jeunes sont ceux qui sont à l’avant-garde des changements linguistiques (Fridland 2015 : 80). Afin d’étudier au mieux les changements linguistiques dans leur dimension temporelle, Labov (1994 : 43-112) en définit deux catégories distinctes, qui relèvent respectivement du principe du temps réel (real time) ou de celui du temps apparent (apparent time). Les observations nécessaires à un travail de terrain doivent être différentes pour chacun de ces deux types d’évolution afin d’en rendre compte de façon efficace. En partant de ce constat, Labov définit deux types d’observations : les observations en temps réel et les observations en temps apparent. Les changements linguistiques qui relèvent du principe du temps réel sont ceux qui voient le parler d’un locuteur se modifier au fur et à mesure des années. Certaines de ces évolutions correspondent à des schémas qui se répètent de génération en génération. Les jeunes gens ont ainsi tendance à s’exprimer comme des jeunes gens et les locuteurs plus âgés à adapter leur parler à celui de personnes plus âgées. De telles évolutions ne sont donc en rien typiques d’un réel changement linguistique mais relèvent plutôt d’un phénomène de variation stable. Labov (1994 : 73) parle dans ce cas d’un phénomène d’age-grading. À l’inverse, les changements linguistiques qui relèvent du principe du temps apparent sont plus pertinents dans une perspective d’évolution réelle de la langue. Ils sont caractérisés par des différences entre les générations. Les observations en temps apparent permettent une meilleure étude des changements en cours (Labov 1994 : 4546). Il s’agit d’étudier, à un moment donné, le comportement des variables en comparant des générations différentes. La variation linguistique entretient également des rapports avec la question de l’appartenance à un groupe ethnique, une notion particulièrement difficile à définir. Schilling 55 (2016 : 131) explique que l’on peut considérer que des locuteurs appartiennent à un même groupe ethnique à condition qu’ils aient une origine ancestrale commune et / ou qu’ils partagent des traditions, des valeurs, des systèmes de croyance, des convictions, ainsi que des pratiques. Parmi ces dernières, on peut identifier des pratiques langagières. Fridland (2015 : 149) insiste sur la dimension identitaire de ce qu’elle appelle « l’ethnicité ». Par exemple, le rapport aux origines au sein d’un groupe ethnique est en réalité souvent la représentation d’un lieu d’origine commun et des racines culturelles qui y sont associées, en opposition avec le lieu dans lequel les locuteurs évoluent à présent. Concrètement, ce lieu représenté peut même leur être complètement inconnu (ex. l’Afrique pour les Afro-américains ou l’Italie pour les Italian-Americans). Outre le fait d’avoir des origines à l’extérieur du pays où elle se construit, l’ethnicité implique la construction d’une identité de groupe et un sentiment d’appartenance à ce groupe, en contraste avec d’autres communautés. Cette dimension identitaire peut se trouver marquée sur le plan linguistique. Dans le cas d’immigrés de première génération, la variété d’anglais utilisée par un groupe ethnique particulier peut être influencée par des caractéristiques de leur langue d’origine. Dans bien des cas, ces spécificités disparaissent en partie ou en totalité avec les générations suivantes, dont le parler se rapproche de plus en plus de la langue ou de la variété dominante. Il n’est cependant pas rare de voir certaines pratiques langagières subsister et être alors porteuses d’une dimension identitaire relative au groupe (Fridland 2015 : 151). Parfois, les générations suivantes contribuent à la création de nouveaux traits linguistiques qui ne sont pas liés à une quelconque langue d’origine mais qui sont pourtant marqueurs d’identité. Labov (1972a) entreprend une nouvelle fois l’un des travaux fondateurs dans le domaine avec son étude sur le vernaculaire des Afro-Américains en milieu urbain, et plus précisément à Harlem. Le but est de comprendre les raisons de l’échec scolaire des jeunes Afro-Américains. Labov considère qu’il est vain de traiter ce type de vernaculaire en termes d’écart avec les normes qui constituent la langue standard. Il démontre que l’African American Vernacular English possède son propre système, avec ses propres règles. Il conclut que les difficultés d’apprentissage de l’anglais chez les jeunes Afro-Américains est la conséquence de conflits entre leur vernaculaire et la langue standard reconnue par le système scolaire. Au-delà de ces exemples, la découverte du principe d’une véritable corrélation entre les variables sociales et les variables linguistiques au cours de la période de la reprise de mes études est une véritable révélation pour moi. J’approfondis mes lectures sur ce sujet, que je trouve passionnant et qui exerce dès lors une forte influence sur la façon dont je conçois mes 56 recherches à venir. Dans mon travail de thèse (2013), je montre que les CPC relèvent d’un changement par le bas. En effet, ces variantes palatalisées trouvent leur origine dans des prononciations non-standard, chez des locuteurs appartenant aux catégories socioéconomiques les moins favorisées. Le prestige voilé peut expliquer l’attrait que représentent les formes palatalisées non-standard que constituent les CPC, ainsi que la raison pour laquelle certains locuteurs les adoptent. Ces locuteurs peuvent en effet paraître plus généreux, plus sympathiques, plus sincères, moins snobs, voire moins arrogants, particulièrement dans le contexte britannique, ainsi que le montre l’étude de Giles et al (1990 : 191-211). Le but de celle-ci est de déterminer quelles sont les réactions des gens face à la RP. Les résultats montrent que les locuteurs de type RP sont considérés comme les plus compétents et que leur accent est jugé comme le plus prestigieux. En revanche, les mêmes locuteurs ne sont perçus ni comme dignes de confiance, ni comme généreux, sympathiques, voire même sincères. Certains vont jusqu’à considérer les locuteurs RP comme snobs, voire arrogants. Garrett, Coupland et Williams (2003) tirent des conclusions similaires d’une étude portant sur des enseignants au pays de Galles. Dans le contexte britannique, ce sont donc parfois les locuteurs RP qui incorporent des traits non-standard à leur prononciation afin de ne pas être taxés de snobs et de ne pas se trouver confrontés à une attitude négative de la part de leurs interlocuteurs. À ce titre, Wells (1982 : 106) explique que, depuis les années 1960, les Britanniques imitent plus volontiers la façon de parler des catégories socio-économiques les moins favorisées que celle des catégories de population les plus privilégiées. Les CPC s’étant développées de façon importante depuis la fin du XXe siècle, on peut voir dans ces phénomènes de prestige une cause majeure de leur essor, au moins dans le contexte britannique. Dans ma thèse, une étude de 531 enregistrements figurant sur le site IDEA17 me permet de montrer que l’évolution qui mène vers la production croissante des CPC relève typiquement d’un changement en cours : les locuteurs sont d’autant plus susceptibles d’utiliser les formes palatalisées qu’ils sont jeunes. Cela constituait mon hypothèse de départ, que seul un travail d’analyse mené en temps apparent, en comparant plusieurs générations de locuteurs, me permet de confirmer. Le travail mené à partir du corpus IDEA montre également que, de façon surprenante si l’on tient compte des schémas sociolinguistiques précédemment décrits, la palatalisation contemporaine constitue un changement qui est 17 Un grand merci à IDEA (International Dialects of English Archive, http://dialectsarchive.com) 57 davantage porté par les hommes que par les femmes. Au contraire, dans les phénomènes de convergence entre anglais britannique et anglais américain (Ref 8), je note que les femmes sont à l’avant-garde d’évolutions parallèles concernant le niveau suprasegmental des deux variétés. Il en est de même dans un travail de synthèse de plus grande ampleur, mené pour la rédaction de Variations et changements en langue anglaise : événements historiques ; perspectives humaines et sociales (voir tiré à part), dans lequel j’observe que la convergence suprasegmentale opère à une plus grande échelle et concerne un nombre plus important de variétés. Sa première caractéristique est celle du développement exponentiel du High Rising Terminal (HRT). Or, plusieurs études (ex. Bolinger 1978, Britain 1992, Ritchart & Arvaniti 2014) montrent que le HRT est particulièrement fréquent chez les jeunes femmes, qui semblent avoir été les premières à utiliser ce schéma intonatif de façon régulière. Par ailleurs, on peut noter une certaine corrélation entre l’utilisation de la qualité de voix connu sous le nom de vocal fry et celle du HRT (Wilhelm 2015a). Le vocal fry est le terme populaire qui désigne l’utilisation d’une voix craquée (ou laryngalisation). Une définition plus technique en est donnée dans Raitio et al (2013 : 2316), qui en analysent les spécificités acoustiques afin de recréer cette qualité de voix dans un système de synthèse vocale : Creaky voice, also called vocal fry, is a voice quality brought about by a distinctive phonation type involving low-frequency vocal fold vibration. Le vocal fry concerne les locuteurs des mêmes tranches d’âge que ceux produisant le HRT et ce sont également les jeunes femmes qui l’utilisent le plus. L’explication de telles convergences au niveau suprasegmental se trouve peut-être dans des phénomènes identitaires, à la croisée du psycholinguistique et du sociolinguistique. Ces deux évolutions étant principalement adoptées par les jeunes, et notamment par les jeunes femmes, elles paraissent être le signe d’une dimension identitaire particulièrement forte. Dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales (voir tiré à part), j’étudie un certain nombre de variétés ayant une forte composante ethnique, telles que l’African American Vernacular English, le Jewish American English, le Chicano English (CE) / Hispanic American English, le Cajun English, ou encore le Multicultural London English. Si les processus ayant mené au développement de ces variétés diffèrent, toutes portent en elles une forte dimension identitaire en lien avec des paramètres relevant de l’ethnicité. 58 Enfin, les principes de la sociolinguistique labovienne me sont extrêmement utile pour un mener un autre type de travail consistant en une enquête de terrain dans la ville de SaintÉtienne afin de dresser un panorama de la prononciation stéphanoise contemporaine (cf. section 3.8). 2.2.2. Interaction de paramètres sociolinguistiques et principe uniformitariste Je reviendrai plus tard sur le concept d’identité linguistique des locuteurs (cf. section 3.4). En me risquant toutefois à une première définition s’inscrivant dans le cadre de la sociolinguistique variationniste, il semblerait que cette forme d’identité soit en grande partie socialement construite à partir d’une interaction de paramètres sociaux tels que la catégorie socio-économique à laquelle le locuteur appartient, son sexe, son âge ou son appartenance à un groupe18. En raison des interactions entre ces différentes variables sociales, des analyses multi-paramètres peuvent davantage éclairer la réalité de la variation sociolinguistique que des analyses ne reposant par exemple que sur la seule catégorie socio-économique ou le seul âge des locuteurs. Avec l’enquête sur l’anglais parlé sur l’île de Martha’s Vineyard, Labov (1972a) se montre une nouvelle fois précurseur de ce genre d’étude multi-catégorielle, qui peuvent être davantage en lien avec l’identité des locuteurs. Étudiant la prononciation de ce que Wells définira plus tard comme les ensembles lexicaux MOUTH et PRICE, Labov parvient à identifier un groupe particulier de locuteurs pour qui des prononciations non standard avec [əʊ] et [əɪ] sont quasi systématiques. Il s’agit très majoritairement d’hommes âgés de 30 à 45 ans, exerçant comme pêcheurs dans la partie occidentale – et moins touristique – de l’île. Ils utilisent ces prononciations anciennes et en théorie disparues de l’île et sont majoritairement hostiles à la forte présence de touristes sur leurs terres. L’enquête de Labov lui permet de montrer qu’il s’agit d’un véritable acte identitaire de la part de ces locuteurs, qui expriment ainsi leur solidarité envers l’île et sa culture, comme pour « remonter le temps » vers une période moins touristique qui serait meilleure. Les prononciations standard sont au contraire principalement associées aux personnes soucieuses de quitter l’île pour le continent, comme s’il s’agissait pour elles de signaler une forme de rejet du mode de vie insulaire. Dans cette étude sur Martha’s Vineyard, la variation sociolinguistique est en N’étant pas seulement un sujet social, le locuteur garde tout de même une certaine individualité et peut donc présenter des caractéristiques linguistiques personnelles (ex. tics de langue, prononciations particulières, utilisation fréquente de certaines expressions ou de certains connecteurs, etc.). 18 59 partie liée à l’attitude positive ou négative des locuteurs vis-à-vis du milieu dans lequel ils évoluent. À partir de l’étude du corpus IDEA, j’essaie de mener une analyse multi-paramètre de la palatalisation contemporaine pour mon travail de thèse en croisant les paramètres de l’âge, du sexe (voir précédemment) de l’origine géographique, voire de l’ethnicité (les informations concernant la catégorie socio-économique des locuteurs ne sont malheureusement pas suffisante sur le site IDEA pour que cela constitue un paramètre d’étude stable). Les résultats de cette analyse pluri-catégorielle sont résumés comme suit dans l’article « Introducing Contemporary palatalisation » (2014b : 23, Ref 6) pour ce qui est de la partie du corpus concernant l’anglais britannique et l’anglais américain. In Britain Scottish speakers display a higher rate of overall contemporary palatalisation than English speakers (93% vs. 75%). Within England, the only speakers who do not display any contemporary palatalisation in their speech are those from the north-east. Indeed, I could not find a single ICP in the speech of speakers from the following counties/regions: Northumberland, Tyne and Wear, County Durham, Yorkshire. London and south-eastern speakers do not seem to palatalise any more than their counterparts from other regions. Men palatalise a little more than women (84% vs. 74%). In the USA, the speakers who display the highest rate of contemporary palatalisation are those associated with the varieties known as Southern American English and African American Vernacular English (AAVE). As regards Southern speakers, 63% of them display some degree of contemporary palatalisation (vs. 53% for the national average). A massive 82% of AAVE speakers display contemporary palatalisation (vs. 53% for speakers of other varieties). That those two varieties should exhibit similar patterns is not really surprising as it is well-known that AAVE shares a number of features with Southern varieties of US English (Edwards 2008: 182). As was the case with Britain, men palatalise more than women (64% of men display overall palatalisation vs. 45% of women). This might seem a little surprising as women are typically viewed as the leaders of linguistic change when we are dealing with supra-regional innovations (Labov 2001: 516). Dans l’article « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (2015b, Ref 7), j’émets l’hypothèse selon laquelle la palatalisation contemporaine est absente du nord-est de l’Angleterre en raison d’une continuité linguistique avec des formes héritées de l’époque du Danelaw, la zone qui est contrôlée par les Vikings après une victoire importante du roi anglo-saxon Alfred en 878 dans le conflit qui oppose les Anglo-Saxons aux envahisseurs scandinaves à l’époque vieil-anglaise. Il peut paraître surprenant qu’une situation de variation contemporaine puisse avoir un lien avec une situation sociolinguistique et une interaction entre locuteurs scandinaves et locuteurs anglo-saxons qui datent de plus de mille ans. Néanmoins, il existe des milliers de mots scandinaves qui sont encore utilisés au début du XXe siècle dans les dialectes du nord et de l’est de l’Angleterre (Wright : 1905). 60 Aujourd’hui encore, le lexique scandinave est plus influent dans le Nord. Des formes telles que kirk (« church »), steg (« gander »), laik (« play ») font toujours partie de l’usage traditionnel dans ces régions (ou en ont tout au moins fait partie jusqu’à un passé récent ; cf. Leith 1983 : 24). L’importance de l’influence linguistique des Scandinaves sur l’anglais contemporain du nord-est de l’Angleterre est donc établie. Je développe mon argument dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales. L’absence d’une forme de palatalisation dans les langues scandinaves à l’époque du Danelaw est avérée. En effet, /sk/ et /k/ sont respectivement palatalisés en /ʃ/ et /tʃ/ au début de l’époque vieil-anglaise. C’est pourquoi des mots comme fish, ship (respectivement fisc et scip en vieil-anglais ; la graphie est alors <sc>) ont /ʃ/ en anglais contemporain. Il se trouve que cette palatalisation ne se produit pas dans les langues scandinaves (Stévanovitch 2008 : 23). En d’autres termes, le /sk/ et le /k/ scandinaves correspondent au vieil-anglais /ʃ/ et /tʃ/. C’est la raison pour laquelle les mots empruntés aux envahisseurs nordiques sont encore prononcés avec /k/ aujourd’hui (ex. sky, skin, skirt, skill, scrape, scrub, bask, whisk). Les langues scandinaves possèdent également l’occlusive vélaire /g/ dans leur système, contrairement au vieil-anglais (Lerer 2008 : 36). En revanche, elles ne possèdent pas d’affriquées (Crystal 2004 : 69). Dans certains cas, le mot anglais se trouve même phonétiquement influencé par la prononciation scandinave et une vélaire est ainsi rétablie. C’est la raison pour laquelle give, get, again et egg sont aujourd’hui prononcés avec /g/ et skirt, cold et speak avec /k/ (Stévanovitch 2008 : 23). Un mot comme scatter /ˈskætə/, d’influence scandinave, coexiste avec shatter /ˈʃætə/. À ce sujet, Baugh et Cable (2002 : 102) font état d’une confusion probable entre les formes anglaise et scandinave pour un certain nombre de mots, ainsi que l’atteste la survivance de formes hybrides telles dyke et ditch, scrub et shrub, shriek et screech, skirt et shirt (avec parfois des spécialisations sémantiques qui entraînent des usages différents pour les deux termes). Phonologie de l’espace et phonologie du temps peuvent ainsi se rencontrer de façon surprenante. Compte tenu de l’aspect cyclique que revêt la palatalisation en anglais, point de vue que je développe dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (Ref 7), il est possible qu’une interaction de phénomènes sociolinguistiques produise des effets similaires (ex. palatalisation ou non-palatalisation) à une époque ancienne et à l’époque contemporaine. Diachronie et synchronie sont donc liées. Cet aspect de la linguistique historique fait consensus chez les linguistes : les processus qui ont produit les 61 grands changements du passé sont encore à l’œuvre aujourd’hui. Il s’agit là du principe uniformitariste (uniformitarian principle) dont les origines résident dans l'étude de la géologie (Labov 1994 : 21). Ce principe est tout d’abord formulé en 1785 par un géologue écossais du nom de James Hutton et sert ensuite de base à la création de la géologie moderne par Charles Lyell en 1833. Selon les géologues, les processus historiques qui ont opéré par le passé peuvent être inférés à partir de l’observation des processus à l’œuvre dans le présent. Le principe uniformitariste est adopté par les philologues du XIXe siècle pour expliquer le changement linguistique suite à la constatation selon laquelle les facteurs qui créent la variation aujourd’hui sont les mêmes que ceux qui étaient à l’œuvre par le passé. Il est ainsi possible d’utiliser un raisonnement qui s’appuie sur des observations contemporaines pour analyser les états et les évolutions passées d’une langue. À l’inverse, les processus diachroniques peuvent expliquer la variation et le changement en synchronie (Blevins 2004). 2.2.3. Communauté linguistique ou communauté sociale ? L’un des termes qui me posent problème sur le plan théorique depuis quelques années est celui de communauté linguistique, qui est pourtant pratique mais dont l’utilisation me paraît varier en fonction des auteurs. Il s’agit pourtant d’un concept fondamental pour ma recherche sur la variation et le changement. Trois de mes travaux liés à la recherche me poussent d’ailleurs à clarifier ma position sur ce sujet de façon à bénéficier d’un cadre théorique clair, s’inscrivant dans une plus grande cohérence scientifique. Le premier est l’organisation du colloque international English-Speaking Towns & Cities: Memoirs and Narratives à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne les 20 et 21 octobre 2016 (l’ouvrage du même nom que je dirige suite à ce colloque est disponible sous forme de tiré à part). Le deuxième correspond au long travail de gestation qui mène à la rédaction de Variations et changements… (voir également tiré à part). Le troisième est le projet d’enquête sur la ville de Saint-Étienne (cf. section 3.8) dont le résultat est la publication de l’ouvrage Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois (2017c, voir tiré à part). Les linguistes utilisent habituellement le terme communauté linguistique pour définir un groupe de personnes qui interagissent au niveau linguistique. Martinet (1960 : 148) considère que l’on peut parler de communauté linguistique dès lors que l’on a affaire à une seule et même langue et que la communication est assurée. Labov (1972a : 120) propose une définition plus large. Il considère la communauté linguistique comme un groupe de personnes qui partagent des conventions, des normes et des attitudes sociales envers la langue. 62 Néanmoins, la portée de ce terme manque encore de clarté. En effet, on peut parler de communauté linguistique au sens large lorsqu’on se réfère par exemple à tous les locuteurs qui parlent l’anglais américain. On peut également restreindre le terme à une communauté bien plus petite (les locuteurs de type African American Vernacular English d’une certaine ville ou d’une certaine banlieue, par exemple). Fridland (2015 : 23) explique que le terme est plus fréquemment utilisé pour désigner un consensus plus local envers des normes partagées qui confèrent une unité linguistique (fût-elle symbolique) aux locuteurs qui font partie de cette communauté et qui interagissent fréquemment entre eux. En outre, les normes sociolinguistiques de ce groupe contrastent avec celles des locuteurs appartenant à d’autres groupes. Les communautés linguistiques sont donc également définies par leur opposition. Ainsi, l’idée même de communauté linguistique est une notion complexe, qui combine des aspects à la fois linguistiques, identitaires et sociaux. La définition peut être particulièrement problématique lorsqu’on considère des situations de multilinguisme et d’appartenance à des groupes divers. Dans le but d’en établir une synthèse, Calvet (2011 : 82-85) soulève quelques questions. Pour délimiter une communauté linguistique donnée, ne tient-on compte que des locuteurs ayant une même langue maternelle ? Même dans une seule ville, on exclut alors une partie non négligeable de la population. Se concentre-t-on sur des individus qui se comprennent grâce à une même langue ? Un même individu peut alors appartenir à plusieurs communautés linguistiques. Si l’on opte pour cette solution, comment déterminer qui appartient à telle ou telle communauté ? À partir de quel degré de maîtrise d’une langue fait-on partie de la communauté linguistique que celle-ci permet de définir ? Calvet (85) considère que « la seule façon de sortir de ces paradoxes est de sortir de la langue et de partir de la réalité sociale ». Un Londonien peut très bien appartenir à la fois à la communauté des locuteurs de l’anglais et à celle des locuteurs de l’arabe. Calvet (86) propose donc de définir la communauté sous son aspect social. Il estime que seule la notion de communauté sociale permet de définir de façon plus objective des groupes permettant des études de terrain. La communauté sociale inclut de fait des considérations linguistiques. Pour lui, […] la seule façon d’aller jusqu’au bout de la conception de la langue comme fait social n’est donc pas de se demander quels sont les effets de la société sur la langue, ou de la langue sur la société, ce qui une fois de plus consiste à poser le problème sociolinguistique en aval du problème linguistique, comme un problème différent, successif ou ultérieur. Il s’agit au contraire de dire que l’objet d’étude de la linguistique n’est pas seulement la langue ou les langues mais la communauté sociale sous son aspect linguistique. 63 En définitive, avoir comme base de travail des communautés sociales est garant d’une certaine authenticité dans la mesure où cela permet de tenir compte de toutes les situations linguistiques possibles, en particulier de tous les phénomènes de contact, que ceux-ci aient lieu entre locuteurs d’une même variété de langue, de variétés différentes d’une même langue, ou encore de langues différentes. Les trois types de phénomènes caractérisent par exemple les échanges linguistiques menés au sein de la ville de New York, dont la communauté est avant tout définie par des paramètres géographiques et sociaux. Les trois types de phénomènes ont également une influence sur « le parler de New York ». Compte tenu de l’ensemble des facteurs linguistiques et sociaux qui caractérisent ce parler, il ne s’agit pas non plus d’entrer dans un découpage social trop rigide qui ne permettrait pas de rendre compte de l’interaction linguistique entre les « catégories sociales ». Dès lors, ma conception de la communauté sociale dépend du type d’étude menée. Pour des études de terrain qui ont pour but d’enquêter auprès de catégories de population sans a priori linguistique (ex. Comment parlent les locuteurs du quartier de Harlem ? Comment parlent les locuteurs nés à Saint-Étienne ?), il vaut mieux définir la communauté étudiée en fonction de seuls paramètres sociaux et géographiques. En revanche, si le but de l’enquête est d’étudier certains traits linguistiques, et notamment certains traits de prononciation (ex. la prononciation de la variable (str) dans le sud-est de l’Angleterre, l’opposition /ɛ̃/ (brin) vs. /œ̃/ (brun) dans la prononciation stéphanoise), il est utile d’intégrer des paramètres linguistiques pour définir la communauté sociale étudiée. Pour le dernier exemple, il faut par exemple ne faire porter l’étude que sur des locuteurs « linguistiquement nés » à Saint-Étienne, c'est-à-dire des locuteurs ayant appris le français dans cette ville et y ayant été scolarisés au cours de leur enfance, de façon à minimiser l’importance des phénomènes de contact. Une étude ayant pour but de déterminer l’influence sur la prononciation stéphanoise d’aujourd’hui du parler des populations ayant immigré pour travailler à la mine, ainsi que du parler de leurs descendants, devra nécessairement intégrer un paramètre de multiethnicité (cf. section 2.2.1) dans la définition de la communauté sociale étudiée, de façon à faire ressortir les phénomènes de contact. 64 2.2.4. Contact, interactions et réseaux sociaux Le contact entre locuteurs est justement au cœur de la notion de réseaux sociaux, qui permet d’éviter une catégorisation sociale trop rigide, les individus ayant de multiples facettes et pouvant évoluer simultanément dans plusieurs groupes (en fonction, par exemple, de leur catégorie socio-économique, de leur religion, de leur groupe ethnique, de leur identité sexuelle… ou tout simplement de leurs loisirs). D’après L. Milroy (1980), les individus sont tous plus ou moins liés à la communauté à laquelle ils appartiennent. Les communautés peuvent être définies par la nature de ces liens. On parle de communautés à fort ou faible lien social (strongly tied et weakly tied communities). Les communautés à fort lien social sont bien établies, ne présentent que peu de changements sociaux mais sont caractérisées par un contact social intense entre leurs membres. On parle alors de réseau de communication dense (dense network). Ceux-ci ont tendance à encourager les formes linguistiques locales. Les communautés à faible lien social sont au contraire des communautés établies plus récemment et qui sont caractérisées par un changement social considérable, des contacts sociaux intracommunautaires moins importants et des contacts intercommunautaires plus fréquents. On parle alors de réseau de communication souple (loose network). Il en résulte que les communautés à faible lien social et au réseau de communication souple présentent une gamme de variantes linguistiques plus importante et sont beaucoup plus susceptibles de contribuer au changement en participant à la diffusion d’innovations linguistiques, ainsi que le démontre J. Milroy dans son étude sur l’anglais de Belfast (1992). Cela est particulièrement le cas dans les milieux urbains, notamment dans les villes à forte croissance (Smith 2007 : 15). Les communautés urbaines jouent d’ailleurs un rôle important dans la diffusion de variantes linguistiques, en raison des réseaux de communication souples qui les caractérisent et en raison de leur taille. En effet, les innovations proviennent souvent des communautés les plus peuplées (Labov 2010 : 190). Une forte densité de population sera donc plus propice à la création et à la diffusion d’innovations que de grands espaces peu peuplés. Certains locuteurs appartiennent à plusieurs réseaux sociaux différents. En raison de cette position particulière, ce sont eux qui qui contribuent à faire circuler les variantes d’un groupe à un autre. Dans deux articles, « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements » (2018b, Ref 9) et, de façon plus approfondie, dans « Standard English, Urban Norms and Urban Myths: the Linguistic Imaginary at work » (Ref 16), j’aborde la question de l’émergence d’un pré-standard à Londres à partir de la fin du 65 XIVe siècle dans un cadre qui relève de la sociolinguistique historique. Pour ce faire, je me concentre sur les phénomènes de contact et de prestige de l’époque, ainsi que sur les interactions dans les réseaux sociaux londoniens. Je définis cette variété émergente comme un pré-standard dans la mesure où un véritable standard, associé à un processus de codification de la langue, ne verra le jour qu’au XVIIIe siècle. Je mène cette étude en m’appuyant principalement sur les travaux de Crystal (2004), Fennel (2001), Leith (1983), Minkova (2014) et Smith (1996). J’en résume les grandes lignes ci-dessous. Le pré-standard apparaît dans la région de Londres à partir d’une convergence entre les principaux dialectes de l’époque. Pour des raisons communicationnelles, démographiques, économiques et sanitaires (effets dévastateurs de la peste noire), ainsi qu’en raison de phénomènes de prestige, son influence principale est celle des locuteurs du dialecte des Midlands de l’Est À partir du XIVe siècle, le pré-standard se développe à partir du nivellement des différences dialectales dans les domaines du lexique, de la grammaire et même de la prononciation (Minkova 2014 : 18). Le dialecte des Midlands de l’Est, dont le prestige se trouve renforcé en raison de son association avec les universités d’Oxford et de Cambridge, présente des avantages du point de vue communicationnel puisqu’il offre de meilleures garanties en termes d’intercompréhension, notamment en ce qui concerne les locuteurs du Nord et du Sud de l’Angleterre qui se retrouvent en situation de communiquer à Londres. Je note que la variété pré-standard émergente n’est le résultat d’aucune forme de planification, ni d’aucune institutionnalisation (Crystal 2004 : 223). M’appuyant sur la dichotomie de Joseph (1987), qui distingue entre standardisation fortuite (circumstantial standardisation) et standardisation construite (engineered standardisation), j’en conclus qu’il s’agit d’une forme de standardisation fortuite, c’est-à-dire qu’elle est le résultat de processus relativement naturels qui opèrent à partir de situations d’interaction à l’oral. Au contraire, le terme standardisation construite caractérise une situation dans laquelle des individus ou des groupes choisissent délibérément les formes linguistiques et la variété qui sont érigées au rang de standard. Les choses sont sensiblement différentes pour la langue écrite. À la fin du Moyen Âge, l’importance de l’écrit dans la société ne cesse de croître. Par conséquent, le besoin de scribes se fait toujours plus grand. Dans le melting-pot londonien, les scribes et les auteurs littéraires de l’époque appartiennent à plusieurs réseaux sociaux (Crystal 2004 : 231) et occupent de ce fait une place centrale dans le paysage linguistique, contribuant ainsi à faire circuler les variantes qui deviennent standard. Les scribes du Chancery jouent un rôle particulier dans le développement et la diffusion d’un standard écrit en évoluant dans 66 plusieurs réseaux à la fois, interagissant ainsi avec des enseignants, des hommes d’Église, des hommes de loi et des commerçants. Leurs normes d’écriture sont diffusées dans les meilleures écoles londoniennes et dans les couvents de la capitale. Les représentants royaux contribuent à leur diffusion dans le reste du pays par l’intermédiaire de documents écrits officiels. Tel est le contexte dans lequel le Chancery English, le code écrit ainsi promu par les documents officiels du XVe siècle, se développe19. Les phénomènes de contact agissent également au niveau supérieur, c'est-à-dire celui des langues et non celui des variétés. Pour l’anglais, l’exemple le plus connu est certainement celui des emprunts lexicaux (aux langues celtiques et scandinaves, au latin, au français, à l’allemand, à l’espagnol, à l’italien, au yiddish, au chinois, etc.). L’anglais a toutefois acquis des caractéristiques autres que lexicales suite à des phénomènes de contact avec d’autres langues au cours de son histoire. Il s’agit là de l’histoire de la langue que l’on pourrait qualifier d’externe, par opposition aux évolutions internes, de type plus généalogique. Les situations de contact linguistique ne sont bien sûr pas toutes identiques et des formes de contact différentes ont des répercussions linguistiques différentes, ainsi que l’expliquent Thomason et Kaufman (1991 : 74-76). Ainsi, des situations de contact superficielles ont pour conséquence des emprunts d’items lexicaux relativement accessoires à partir de la langue qui occupe une position de prestige. Un contact plus important donne lieu à des emprunts plus systématiques et à plus grande échelle, voire à une influence phonétique et grammaticale marginale. Des situations de contact encore plus intenses aboutissent à une véritable influence structurelle : ajustement du système phonologique, introduction de nouveaux phonèmes, évolution de la structure syllabique de la langue, changements dans l’ordre des mots pouvant aller jusqu’à des évolutions syntaxiques considérables, des changements de catégories grammaticales, ou encore des changements dans les pronoms personnels et possessifs. Globalement, le lexique d’une langue peut être considéré comme plus ouvert que sa grammaire ou sa phonologie. Dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales, je mets l’accent sur la façon dont l’anglais a été influencé par des phénomènes de contact au cours de son histoire. Les influences systémiques qui me paraissent les plus importantes et qui sont développées dans cet ouvrage sont résumées ci-dessous. Il ne s’agit là que d’un résumé. Ces arguments sont développés dans les deux articles donnés en référence (Ref 9, Ref 16). L’importance de l’imprimerie dans la création d’un pré-standard écrit est abordée dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales. 19 67 Le substrat celtique est très certainement à l’origine de l’utilisation de do comme auxiliaire et de la fréquence de l’utilisation de l’aspect be + -ing en anglais. La forte présence scandinave sur le sol britannique après les invasions vikings à partir de la fin du VIIIe siècle constitue certainement l’évènement ayant le plus contribué à une forme de simplification, unique parmi les langues européennes, de la morphologie flexionnelle de l’anglais (perte du genre grammatical et du cas duel, perte des désinences, plus grande utilisation du -s du pluriel dans le domaine nominal, régularisation de la conjugaison de près de 85% des quelques 360 verbes forts du saxon occidental). J’expose l’argument selon lequel ces changements sont dus au fait que l’anglais est alors massivement appris et transmis par les Scandinaves comme peut l’être une deuxième langue, une simplification opérant en raison des difficultés rencontrées par les adultes en matière d’acquisition d’une langue étrangère. On peut ainsi considérer que le contact avec les Scandinaves contribue à une sorte de créolisation de la langue anglaise, qui opère graduellement à partir d’échanges oraux. Dans le domaine de l’intonation, on note aujourd’hui l’emploi de schémas intonatifs particuliers dans le nord de la Grande-Bretagne (certaines zones de l’Écosse et plusieurs villes du Nord de l’Angleterre). Herment & Turcsan (2015 : 189) les constatent également en Ulster. Il s’agit de schémas ascendants dans les énoncés déclaratifs. Cruttenden (2007) considère que ce schéma ascendant particulier fait partie d’un système intonatif qu’il appelle Urban North British Intonation (UNBI) et qui est propre aux variétés urbaines du nord du Royaume-Uni. Hirst (2013) émet l’hypothèse selon laquelle l’UNBI pourrait avoir une origine scandinave. En effet, il remarque que les zones dans lesquelles ce schéma intonatif est attesté correspondent essentiellement aux zones d’implantation des Vikings dans les îles Britanniques. Le fait que l’UNBI soit aussi avéré en divers lieux dans les Hébrides (Wilhelm 2013) et les Orcades (van Leyden 2004) renforce cette hypothèse. Selon Wilhelm (2015b), la présence d’UNBI en Irlande du Nord peut être envisagée comme résultant des mouvements de population de l’Écosse vers l’Irlande du Nord lors des Plantations d’Ulster. Dans ces conditions, la présence d’un substrat d’origine scandinave paraît particulièrement compatible avec celle d’un système unique dans les localités concernées. Signe d’un contact linguistique intense, l’influence grammaticale du vieux norrois atteint directement les pronoms personnels (they, them et their), la marque en –s de la troisième personne du singulier, ainsi qu’une partie de la conjugaison du verbe be au présent. La diffusion se fait également à partir du Nord. 68 L’invasion franco-normande de 1066 contribue bien sûr à un apport lexical considérable, avec quelques 10 000 emprunts au cours de la période médiévale. En moyenanglais, les agrégats consonantiques /hn-/, /hl-/ et /hr-/ sont progressivement réduits à /n-/, /l-/ et /r-/, avec une perte du /h/ initial. La perte systématique de /h/ dans les agrégats au cours de l’époque moyen-anglaise ne peut être expliquée par des seuls facteurs de changement interne et plusieurs linguistes (ex. Leith 1983, Schreier 2005) attribuent l’activation de ce changement aux locuteurs bilingues français-anglais de l’époque. La palatalisation des emprunts français contribue à la multiplication de palato-alvéolaires en anglais, puis à la phonématisation de [ʒ] en /ʒ/. 2.2.5. Contact, accommodation et interaction au sein du monde anglophone Bien sûr, les variétés d’anglais non britanniques sont riches en contacts linguistiques variés. En m’appuyant sur le « modèle dynamique » de Schneider (2007, 2011), je décris le développement et l’évolution de l’anglais américain dans Variations et changements…, approfondissant ainsi de façon significative un travail que j’avais entrepris dans l’article « Variations et innovations phonétiques en anglais américain » (Ref 11). Mon étude s’articule autour des cinq phases historiques définies par le linguiste allemand : la fondation (foundation), la stabilisation exonormative (exonormative stabilization), la nativisation (nativization), la stabilisation endonormative (endonormative stabilization) et la différenciation (differentiation). Le « modèle dynamique » (MD) permet de reconnaître et de modéliser une identité linguistique en évolution dans les variétés non britanniques. En revanche, le MD ne permet pas de rendre compte des variétés britanniques et de leurs évolutions. Schneider (2007 : 29-55) considère qu’il existe des processus sous-jacents qui sont communs à la création et à l’évolution de toutes ces variétés, qu’il nomme variétés postcoloniales (postcolonial varieties of English ou postcolonial Englishes, PCEs), même si celles-ci diffèrent entre elles en fonction des territoires dans lesquelles elles se développent. Ces similitudes peuvent s’expliquer car la langue anglaise est soumise à l’influence de facteurs similaires lorsqu’elle se trouve transportée vers de nouvelles contrées. Les facteurs qui contribuent à leur évolution relèvent à la fois de mécanismes de changement internes et de phénomènes sociolinguistiques de contact. Les variétés évoluent en fonction de situations socio-historiques, voire socio-politiques. Elles sont également conditionnées par les attitudes 69 des locuteurs envers la langue, ainsi que par des actes d’identité. Ainsi, Schneider (2007 : 30) écrit : I claim […] there is a shared underlying process which drives their formations, accounts for similarities between them, and appears to operate whenever a language is transplanted [...] I propose that to a considerable extent the emergence of PCEs is an identity-driven process of linguistic convergence. L’évolution des variétés non britanniques est donc due à des processus de convergence relevant de phénomènes d’accommodation entre les descendants des deux composantes sociétales d’origine que sont les autochtones et les colons. Petit à petit, le parler de la communauté des colons se rapproche de celui de la communauté des autochtones pour créer une nouvelle variété d’anglais, dont l’émergence est en lien avec des motivations identitaires. Le MD s’articule autour de deux phases principales. Dans un premier temps, la composante sociétale des colons, c'est-à-dire la communauté qui a introduit l’anglais dans le nouveau territoire, continue à s’identifier au pays d’origine (l’Angleterre dans la majorité des cas) et se différencie clairement des autochtones. Au cours de la deuxième phase, la composante structurelle des colons prend ses distances avec le pays d’origine et par extension avec la façon dont l’anglais y est parlé. Cette évolution, conjuguée à l’adoption de la langue anglaise par la composante sociétale autochtone, contribue à créer une nouvelle identité linguistique qui se manifeste par une variété représentant la diversité culturelle et linguistique de ses locuteurs. Ce modèle structure mon étude de l’histoire de l’anglais américain dans Variations et changements…, ouvrage dans lequel j’aborde également, mais de façon plus succincte, les principales caractéristiques de quelques variétés du « cercle intérieur » et du « cercle extérieur » de Kachru (1985). Le modèle des « trois cercles » de Kachru (1985) consiste à diviser les variétés d’anglais en trois groupes qui se superposent (voir schéma ci-dessous). Le Inner Circle est assez proche des variétés ENL (English as a Native Language), dans lesquelles l’anglais est appris et transmis en tant que langue maternelle (ex. le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Australie…). Le Outer Circle correspond en gros aux variétés ESL (English as a Second Language), associées à des pays dans lesquels l’anglais est profondément ancré pour des raisons historiques et joue un rôle important, étant même parfois l’une des langues officielles du pays, dans des domaines tels que la politique, l’éducation, ou encore les médias. L’anglais y côtoie des langues autochtones, l’une ou plusieurs d’entre elles pouvant également servir de langue(s) officielle(s). Il s’agit souvent d’anciennes colonies (ex. l’Inde, la Malaisie, le 70 Nigéria…). Enfin, le Expanding Circle se rapproche des variétés EFL (English as a Foreign Language), enseignées dans le cadre du système éducatif officiel à des locuteurs d’autres langues qui apprennent l’anglais à des fins essentiellement professionnelles et / ou utilitaires, cette langue n’ayant que des fonctions marginales à l’intérieur du pays (ex. la France, l’Italie…). Ce modèle permet la reconnaissance d’une possible interaction entre les différentes catégories, en plus d’une dimension socio-politique et d’une perspective de développement possible (comme l’indiquent les connotations des termes intérieurs, extérieurs et en expansion). Si les variétés du cercle intérieur sont celles qui servent de modèle en fournissant des normes aux autres variétés, celles du cercle extérieur sont engagées dans un processus de développement de normes qui leur sont propres, tandis que celles du cercle en expansion sont encore dépendantes de normes fournies par des modèles (qu’elles trouvent dans les variétés du cercle intérieur). Kachru et ses disciples remettent en question la prédominance du cercle intérieur pour mettre l’accent sur les deux autres catégories. Ils affirment que l’anglais appartient à tous ceux qui l’utilisent, d’où l’existence de normes en mouvements et la légitimité des locuteurs du cercle extérieur et du cercle en expansion. Au niveau de la phonologie, les variétés de l’Outer Circle ont tendance à présenter un système réduit. Il s’agit d’une forme de simplification qui tend vers une réduction des complexités et une perte des distinctions par rapport aux variétés du cercle intérieur. De plus, les caractéristiques segmentales et suprasegmentales (et notamment rythmiques) des langues 71 autochtones ont une influence sur ces accents de l’anglais. Voici un certain nombre de caractéristiques, communes à un grand nombre de ces variétés : - une tendance à la réduction des agrégats consonantiques (ex. test [tes], west [wes], ask [as]) - les fricatives dentales /θ, ð/ étant particulièrement marquées, elles disparaissent souvent au profit de réalisations telles que [t, d] ou [f, v] ; - une tendance à la neutralisation de l’opposition de longueur pour les voyelles : les membres de paires minimales telles que beat et bit ou pool et pull deviennent alors similaires (ex. de nombreuses variétés africaines et asiatiques) ; - les voyelles centrales ont tendance à être évitées : la voyelle de STRUT a par exemple une réalisation proche de [a] ou de [ɒ] ; la voyelle de NURSE peut être prononcée avec une qualité proche de [e] ; le schwa /ə/ perd de sa qualité centrale tout en étant moins réduit que dans les prononciations du cercle intérieur et en prenant fréquemment la forme de [a] (Schneider (2011 : 202) ; - dans la chaîne parlée, les mots grammaticaux monosyllabiques, qui ont la plupart du temps une forme réduite dans d’autres variétés, sont réalisés avec leur forme pleine, et non avec un schwa (ex. of [ɒv], from [frɒm]) ; - de façon plus générale, on note une tendance à la réalisation de voyelles pleines en position non accentuée, là où la plupart des variétés du cercle intérieur ont de façon presque systématique des voyelles réduites (ex. cottage [ˈkɒtɛdʒ], arrive [æˈraɪv], consider [kɒnˈsɪdə]) ; - par conséquent, les variétés du cercle extérieur présentent une plus grande syllabicité que celles du cercle intérieur ; elles sont davantage rythmées par les syllabes que par les accents lexicaux. 2.2.6. L’activation du changement Pour expliquer le développement des CPC dans plusieurs régions du monde anglophone à la fin des années 1960 et au début des années 1970 lors de mon travail de thèse, je m’intéresse à la question de l’activation du changement à grande échelle (the actuation problem), que Weinreich, Labov & Herzog (1968) estiment centrale au concept même de l’évolution linguistique. Pourquoi le changement est-il « activé » à un moment et en un lieu donné ? Pourquoi n’opère-t-il pas en un autre lieu et à un moment différent ? L’activation du changement est en fait le passage, à un moment particulier, d’une situation de variation plus ou moins stable à une situation de véritable changement. S’inscrivant dans le cadre conceptuel 72 de la linguistique cognitive, Smith (1996, 2007) propose un modèle qui permet de répondre à cette question. Les linguistes de sensibilité cognitive s’accordent à reconnaître un lien entre compétences linguistiques et compétences non linguistiques. L’opposition traditionnelle entre changements linguistiques internes et externes n’est donc plus pertinente dans un tel cadre, une interaction entre processus linguistiques et processus extra-linguistiques étant jugée nécessaire pour que le changement soit activé (Smith 2007 : 10). L’évolution peut être en lien avec des événements historiques ou sociaux majeurs, voire des considérations idéologiques (Labov 2010 : 244). Ainsi, l’activation du changement peut être due à une conjoncture historique ou sociale particulière. Cette apport de la linguistique cognitive aura une importance majeure dans l’ouverture théorique de mes recherches (cf. chapitre 3), notamment parce qu’elle permet de garder un lien avec une composante sociale. En ce qui concerne le lien avec le social, Smith s’inscrit dans une tradition datant du début du XXe siècle, avec par exemple Meillet (1926 : 17-18), qui développe l’argument selon lequel seul le changement social peut nous permettre d’expliquer le changement linguistique. Pour revenir à mon travail de thèse, le modèle de Smith me permet d’émettre l’hypothèse selon laquelle l’activation du changement qui mène à la palatalisation contemporaine est en lien avec les grands changements sociaux de l’après-Seconde Guerre mondiale, à la fois en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Le travail sur le corpus IDEA m’avait permis de constater que la palatalisation contemporaine devenait vraiment saillante avec les locuteurs nés dans les années 1960 et 1970. Cela est dû à un phénomène d’incrémentation : par générations successives, les locuteurs font avancer les changements dans la même direction que leurs aînés, mais jusqu’à un niveau supérieur d’évolution. Selon ce principe, on peut avancer que les CPC commencent à se développer avec les changements sociaux dans le contexte immédiat de l’après-Seconde Guerre mondiale. Dans un deuxième temps, l’incrémentation du changement linguistique porte ces changements de sons à un niveau supérieur d’évolution vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, ce qui les rend plus saillants, donc plus facilement observables dans la communauté. La remise en question de l’ordre, généralisée au cours de la période charnière sixties – seventies, ne peut que renforcer le changement car elle prend également la forme d’une remise en question de l’ordre linguistique (McWhorter 2012 : 109). Je reviens sur la notion d’activation du changement des sons dans les articles « Into the ear, through the head, out on the lips» (2013, Ref 5) et « Introducing Contemporary palatalisation » (2014b, Ref 6). Dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (2015b, Ref 7), j’adopte un point 73 de vue plus large que celui de la seule palatalisation contemporaine pour proposer un modèle du changement consonantique. J’y propose une identification des contextes sociaux et / ou des évènements socio-historiques qui ont pu servir de déclencheurs aux changements consonantiques que constituent la Loi de Grimm, la perte de /h/ dans les agrégats /hn-/, /hl-/ et /hr-/ en moyen-anglais, ainsi que des processus cycliques de palatalisation dans l’histoire de l’anglais. Dans « L’activation du changement des sons en Grande-Bretagne dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale » (Ref 12), j’élargis le point de vue sur cette période riche en évènements socio-historiques en essayant de déterminer si elle est porteuse d’autres changements que celui de la palatalisation contemporaine. J’y note que les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale sont riches en changements de sons dont l’activation peut être expliquée par le même contexte. En effet, à la lecture de divers ouvrages et articles de phonétique et de phonologie, on remarque aisément qu’un nombre important de changements de sons a été relevé dans la deuxième moitié du XXe siècle, et ce, dans plusieurs régions de Grande-Bretagne. Le point commun à ces évolutions est la diffusion de traits qui trouvent leur origine dans des variétés d’anglais non-standard, que ces variétés soient régionales ou sociales. Ces traits ont été observés depuis longtemps (parfois plusieurs siècles) sous forme de variation et ils se diffusent depuis plusieurs décennies, y compris dans la prononciation britannique standard. Ils commencent donc à « passer » de l’état de variation à celui de changement dans la seconde partie du XXe siècle. Les huit principaux changements que j’étudie dans cet article sont les suivants : la tension de /ɪ/ en position finale, l’évolution de la diphtongue /əʊ/, l’antériorisation de /uː, ʊ/, la glottalisation de /t/, la vocalisation de /l/, l’antériorisation de <th> (/θ/ et /ð/), la coalescence du yod et la palatalisation contemporaine. La question de l’activation du changement linguistique est au centre des préoccupations qui me poussent à écrire Variations et changements en langue anglaise. Évènements historiques, perspectives humaines et sociales. Dans la partie historique de cet ouvrage, je recense les évènements historiques et les changements sociaux qui ont eu une influence significative sur l’évolution de l’anglais. Cet ouvrage constitue en fait la synthèse de la majeure partie des recherches que j’ai effectuées à ce jour. Il me permet également d’exposer mes convictions dans le domaine de la linguistique au sens large. 74 2.3. Positionnement épistémologique Certains linguistes réfutent l’idée d’une véritable prise en compte des locuteurs et des réalités sociales, culturelles et historiques dans l’étude des langues et de leur évolution. Ils considèrent que la langue est un système formel autonome, qui change de façon interne et indépendante, en fonction de facteurs structuraux. Ce point de vue traditionnel est par exemple exprimé par Lass (1980 : 120-122), pour qui la meilleure façon d’étudier les langues consiste à considérer celles-ci comme des objets formels et à se concentrer sur leur évolution interne, en dehors de tout lien avec celles et ceux qui les utilisent et, par conséquent, sans tenir compte de leur rapport aux réalités extra-linguistiques. Les sections précédentes de cette synthèse ne laissent certainement aucun doute sur le fait que telle n’est pas ma position. Au début du XXe siècle, Meillet insiste dans de nombreux textes sur le caractère social de la langue, revendiquant sa filiation avec le sociologue Émile Durkheim. Ses positions sont en partie en opposition avec celles des structuralistes, qui rejettent majoritairement le lien entre langue et société, assumant en cela l’héritage de Ferdinand de Saussure, illustré par la dernière phrase du Cours de Linguistique Générale, selon laquelle « la linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même » (Saussure 1916 : 317). Au cours du XIXe siècle et du début du XXe siècle, l’histoire de la langue est vue comme essentiellement interne. Les philologues considèrent que les seuls champs d’étude sont les changements de sons, les évolutions lexicales et syntaxiques. Un quelconque lien avec des événements historiques est considéré comme secondaire (Matto et Momma 2011 : 7). Au contraire, Meillet conçoit la langue comme à la fois un système et un fait social. « Pour lui, on ne peut rien comprendre aux faits de langue sans faire référence au social et donc sans faire référence à la diachronie, à l’histoire » (Calvet 2011 : 7). Une telle approche implique une perspective à la fois interne et externe de la langue, tout en liant synchronie et diachronie. Comme écrit précédemment, Meillet considère que seul le changement social permet d’expliquer (et non seulement de constater) le changement linguistique. Dans les années 1960, bien que Chomsky reconnaisse la nature sociale du langage, « il choisit d’exclure cet aspect du champ de la linguistique pour se concentrer sur un système débarrassé de l’indétermination des usages hétérogènes » (Sorlin 2012 : 107). Le locuteur qu’il choisit d’étudier est donc un locuteur idéal dont seule la compétence linguistique interne et théorique mérite d’être étudiée, en dehors de toute manifestation de son usage linguistique réel et social (performance). Quelques années plus tard, Labov remet véritablement au goût 75 du jour l’étude de la langue dans son contexte social (cf. section 2.2.1). Pour autant, Labov ne nie pas la dimension interne de la variation et du changement linguistique, ainsi que l’attestent les titres de ses trois volumes de la série Principles of Linguistic Change: Internal Factors (volume 1, 1994), Social Factors (volume 2, 2001), Cognitive and Cultural Factors (volume 3, 2010). On peut considérer que ces facteurs forment un tout et permettent, ensemble, d’expliquer le fonctionnement du changement linguistique. Dans les études de l’histoire de la langue anglaise, le corollaire de cette vision à la fois interne et externe de la langue est un rééquilibrage en direction du lien entre langue et histoire dans la deuxième partie du XXe siècle, en tenant compte du rôle que peuvent avoir les événements historiques sur l’évolution linguistique. (Matto et Momma (2011 : 8) écrivent qu’il n’est plus pertinent de distinguer entre points de vue interne et externe dans le cadre d’études de linguistique historique, la fonction sociale du langage étant devenue évidente. Mon positionnement s’inscrit résolument dans une approche sociolinguistique. Je souscris au point de vue de J. Milroy (1992 : 4), selon lequel seules les langues qui n’ont pas de locuteurs ne changent pas, étant par définition des langues mortes. Je m’intéresse donc principalement au rôle joué dans la variation et le changement linguistique par les locuteurs et par le contexte dans lequel ceux-ci évoluent. Je ne cherche néanmoins nullement à nier l’importance de facteurs structuraux de type interne dans le fonctionnement des langues et leur évolution. Cependant, j’adopte le point de vue selon lequel ces mécanismes internes ne peuvent pas vraiment expliquer le changement linguistique en dehors d’un lien avec des facteurs extralinguistiques, c’est-à-dire des événements qui relèvent de l’humain, du culturel, du social, de l’Histoire. Ainsi, je revendique l’héritage de linguistes qui ont profondément influencé mes axes de recherche, tels que Meillet, J. et L. Milroy, Labov, Trudgill ou J. Smith. En ce sens, mon approche de la linguistique me pousse à en voir les liens avec le domaine plus large des sciences humaines et sociales, d’où le titre de l’introduction de Phonologies de l’anglais : théories et applications (2018c, voir tiré à part), co-écrite avec Manuel Jobert : « La langue orale au cœur des Humanités ». Pour en venir spécifiquement à la langue orale, celle-ci me paraît entretenir des rapports évidents avec plusieurs champs de la linguistique, et pas seulement la phonétique et la phonologie. Le rôle joué par l’accommodation, une notion issue de la pragmatique, est par exemple fondamental dans les processus de changement relevant de l’interaction. Je reviendrai sur cette notion lorsque j’aborderai le modèle social du changement linguistique de J. Milroy (1992, cf. section 3.4), une théorie qui s’appuie sur les interactions entre individus. Lors du colloque international PARLAY, tenu à l’Université de 76 York en septembre 2013, Francis Nolan a déclaré que, s’il était un domaine dans lequel l’interdisciplinarité semblait pertinente, c’était bien celui de la langue orale, car celle-ci se situait à la croisée de plusieurs disciplines comme la phonétique, la phonologie, la sociolinguistique, la psycholinguistique, les sciences cognitives (dont la neurolinguistique) ou encore la biomécanique et les neurosciences. Comme certains linguistes spécialistes de la variation et du changement (ex. Blevins, Bybee, Ohala, J. Smith, cf. section 3.2), mes études sur les changements consonantiques m’incitent à penser que synchronie et diachronie ne sont séparées que de façon « artificielle » suite à une convention à l’origine établie par Saussure. Certes, la distinction saussurienne peut s’avérer très utile d’un point de vue pratique, mais elle manque peut-être d’authenticité face aux processus qui lient variation et changement de façon si étroite. De nombreux phénomènes voient tout d’abord le jour sur le plan phonétique à une période donnée, avant de se trouver fossilisés et d’appartenir ainsi à l’histoire de la langue. La variation phonétique en synchronie est donc le miroir du changement des sons, ainsi que l’explique Ohala (2003 : 672) : Phonetic variation parallels sound change, that is, synchronic variation, including that which we find in present-day speech (…), resembles diachronic variation. On retrouve dans cet argument la logique du principe uniformitariste (cf. section 2.2.2), auquel je souscris totalement. Si l’on suit les propos d’Ohala, le fait d’articuler diachronie et synchronie permet également de faire le lien entre le niveau phonétique et le niveau phonologique. C’est la raison pour laquelle nombre de mes travaux sont fondé sur le présupposé d’une interface entre phonétique et phonologie, évidente me semble-t-il si l’on travaille dans une perspective d’évolution de la langue, des concepts tels que phonématisation, phonologisation ou encore fossilisation permettant de donner un cadre théorique au passage du niveau phonétique au niveau phonologique. Je reviendrai plus tard sur mon positionnement au sujet de la reconnaissance (peut-être partielle) de deux niveaux de représentation des sons, à savoir un niveau sous-jacent (phonologique) et un niveau de surface (phonétique). Je souhaiterais toutefois dès à présent affirmer à la suite des propos tenus précédemment que les frontières entre ces deux niveaux ne me semblent pas des absolus. En résumé, mon parcours me fait partir de la langue orale pour m’orienter vers la sociolinguistique et d’autres champs de recherche. Néanmoins, ces derniers me paraissent renforcer mes possibilités de travail en phonétique et en phonologie, qui restent mes 77 principaux centres d’intérêt, y compris dans un ouvrage plus polyvalent comme Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales. En ce qui concerne mon parcours de chercheur, la dimension interdisciplinaire de mon travail se trouve renforcée à partir du moment où j’exerce mes fonctions de Maître de Conférences à l’Université Jean Monnet en raison du travail en équipe mené dans mon laboratoire de rattachement. 78 TROISIÈME PARTIE Interdisciplinarité & ouvertures théoriques 79 3.1. Responsabilités d’un enseignant-chercheur dans la transmission de la recherche Quel que soit le positionnement adopté par le chercheur, la question de la transmission de la recherche est importante afin que celle-ci ne demeure pas confidentielle. Le rôle de l’Université dans cette transmission me paraît primordial pour contribuer à l’avancée des enseignements et les rendre ainsi plus authentiques, comme pour ne pas reproduire indéfiniment les mêmes contenus. Cette affirmation peut sembler relever d’un lieu commun mais elle correspond toutefois à une profonde conviction, que mes fonctions de Maître de Conférences à l’Université Jean Monnet m’ont permis de mettre en application. Bien que je sois issu de la filière LLCE de cette université, j’ai souhaité œuvré pour un renouvellement des enseignements. En ce qui concerne les cours que je dispense, et outre l’approche d’exposition à la variation que je défends dans mes cours de phonétique et de compréhension (cf. sections 1.1 et 1.2), j’ai introduit des cours de sociolinguistique dans le cursus de nos étudiants. J’anime en effet un séminaire de master 2 recherche consacré à la variation et au changement. Au niveau L3, les étudiants choisissent un « enseignement complémentaire » parmi des enseignements de littérature, civilisation, traduction orale et linguistique. J’assure l’enseignement de linguistique au semestre 5 et mon but est d’ouvrir les étudiants à de nouvelles perspectives en linguistique (le reste des enseignements en la matière portant exclusivement sur la grammaire et la phonologie depuis la L1), tout en leur donnant des clés pour aborder une éventuelle recherche personnelle. Nous travaillons sur différentes branches de la linguistique (essentiellement sociolinguistique, morphologie et pragmatique, la sémantique et la phonologie étant traitées au semestre 6) et quelques grands courants de celles-ci. Une grande partie du cours est consacrée à la sociolinguistique avec une introduction à la variation et au changement, une sensibilisation à la linguistique historique (avec un apport important de linguistique externe et de sociolinguistique historique) et une introduction aux variétés de l’anglais. Après mon élection à la direction du département d’études anglophones en 2015 (je suis réélu en 2017 pour un deuxième mandat de deux ans), j’œuvre dans le même esprit pour élargir le champ culturel des études anglophones à SaintÉtienne dans le cadre de la nouvelle maquette des enseignements. Cet élargissement, y compris dans des domaines qui ne relèvent pas de ma spécialité, doit avoir des effets positifs en ce qui concerne la culture personnelle des étudiants, les aidant notamment à être mieux préparés aux concours que j’ai eu l’occasion de voir de l’intérieur, en qualité de membre du jury. Dans cette double optique, je propose aux collègues un élargissement de nos enseignements à la « culture générale 80 du Commonwealth » (littérature et histoire / civilisation ; semestre 3) et aux « arts visuels » (semestre 4) dans le cadre d’une UE « complément disciplinaire ». Les travaux des étudiants sont bien sûr un point central de la transmission et de la vitalité de la recherche en milieu universitaire. À l’Université Jean Monnet, les étudiants doivent rédiger, à la fin de leur première année de master, un projet de mémoire en anglais qui comporte un plan, une problématique et une bibliographie. Ce n’est qu’au cours de leur deuxième année qu’ils rédigent un véritable mémoire. Depuis ma première année en tant que Maître de Conférences, j’encadre des mémoires de master 2 dans le domaine de la variation et du changement en ce qui concerne les masters recherche20 et dans celui de la didactique pour les masters Meef21. Certains travaux se situent d’ailleurs à la croisée de la linguistique et de la didactique22. L’importance à mes yeux de la diffusion de la recherche et de la transmission est également au centre de ma collaboration à trois reprises avec La clé des langues, site consacré à la « formation continue des enseignants, en relation avec les programmes d’enseignement des collèges et lycées […] conçu pour permettre aux professeurs de disposer de ressources scientifiques destinées à leur formation, à l’actualisation de leurs connaissances ou à une ouverture de leur champ disciplinaire » (http://cle.ens-lyon.fr/a-propos/contribuer-au-site). Les trois articles que j’ai écrits à ce jour pour La clé des langues sont regroupés dans le volume II de ce dossier de synthèse (ils ne suivent pas l’ordre chronologique de mes publications, comme le font les autres articles) car ils s’inscrivent dans une perspective de valorisation de la recherche et de sa diffusion en direction des enseignants du second degré (Ref 10, Ref 11, Ref 12). Le fait que ces articles soient publiés en ligne contribue sans aucun doute à une meilleure diffusion. Ce travail pour La clé des langues me permet ainsi de continuer indirectement à contribuer à la formation des enseignants du second degré. Ma collaboration avec des collègues de collège / lycée lors des oraux du CAPES en tant que membre du jury (2012-2015) me poussent d’ailleurs à penser qu’il y a beaucoup à gagner en faisant des ponts entre le secondaire et le supérieur, qui peuvent s’enrichir l’un l’autre. 20 The Political Discourse of the 2014 Scottish Referendum. An Act of Identity (Elena Vlaxopanagiotis 2016) ; The Sociophonetics of Dublin English (Anissa Naoui 2018) ; The Missouri Accent (Mathilde Saint-Genis, en cours) ; Subject-Verb Non-Agreement in Topic-Introducing Structures in Spoken English: There-Clauses and Here-Clauses. A Synchronic Sociolinguistic Study (Halima Stevens, en cours). 21 The Role of the Teacher in the Action-oriented Approach (Bérangère Tortoza, 2018). 22 Teaching Epistemic Modality in Year 11:Towards An Action-Oriented Approach? (Lina Aidel, 2016) 81 Afin de diffuser certains axes de recherche développés dans ma thèse, je privilégie la publication de plusieurs articles inspirés de celle-ci (Ref 10) ; certains proposant des prolongements à la réflexion menée au cours de mon doctorat (Ref 4, Ref 5, Ref 15, Ref 16). Afin de toucher un lectorat potentiellement plus large, je rédige également plusieurs articles en anglais, dont deux sont publiés en ligne : « The yod /j/: palatalise it or drop it- How Traditional Yod Forms are Disappearing from Contemporary English » (Ref 4) et « Introducing Contemporary palatalisation» (Ref 6). Ce choix s’avère en partie judicieux dans une optique de diffusion puisque ces deux articles ont été cités et servent de réflexion dans plusieurs travaux de phonétique et / ou de phonologie. Parmi ceux-ci, le premier de ces deux articles (Ref 4) est notamment mentionné dans le chapitre 1 d’un ouvrage espagnol intitulé Readings in English Phonetics and Phonology (Monroy-Casas & Arboleda-Girao 2014 : 24) : As Glain (2012) and Cruttenden (2008) have already pointed out, in some British accents, including R.P. English, both /uː/ and /juː/ seem to coexist nowadays in such words as ‘lute’, ‘assume’, ‘supermarket’ or ‘suitable’, the former being more and more common after /l/ and /s/ in accented syllables, while the latter remains predominant after /θ/ and /s/. The loss of /j/ in onset clusters might also be due to ‘yod coalescence’, very specially in /tju/ and /dju/ sequences. Recent research carried out by Glain has shown that the loss of the semivowel is not restricted to unstressed syllables, thus developing in stressed syllables as well, as a consequence of either dropping or palatalisation. Furthermore, he adds that ‘this is the continuation of historic processes that have invariably led to the loss of /j/ from /Cju/ sequences since the beginning of modern English’ (2012: 21). Le second article (Ref 6) est notamment cité dans « Social and Structural Constraints on a Phonetically-Motivated Change in Progress: (str) Retraction in Raleigh, NC », un article d’Eric Wilbanks (2017), de l’université de Berkeley, publié dans le numéro 23 de University of Pennsylvania Working Papers in Linguistics. Après avoir défini mon champ de recherche comme étant principalement celui de la variation et du changement au cours de mes années de doctorat, essentiellement dans une perspective sociophonétique, j’éprouve le besoin d’effectuer un retour vers la théorie, notamment dans le domaine des représentations phonologiques des locuteurs, un aspect primordial pour étudier le changement des sons. Ce mouvement ne remet cependant pas en question la perspective humaine et sociale qui constitue le pilier de ma recherche. En effet, les différentes théories que je vais à présent évoquer ont ceci en commun qu’elles ne permettent d’expliquer le changement des sons que par le rapport qu’entretient celui-ci avec les interactions entre locuteurs. 82 3.2. Le rôle de l’auditeur ; la perception Dès le début du XXe siècle, Baudouin de Courtenay (1910, cité dans Blevins 2004 : 79) propose l’hypothèse selon laquelle la perception des évènements phonétiques joue un rôle dans l’évolution des langues. Il soutient que les erreurs de perception sont des facteurs de changement linguistique, comme peut l’être une analyse phonologique ambiguë du flux phonétique qui caractérise le discours. Par la suite, la théorie de la communication parlée de Jakobson attribue des « places symétriques » au locuteur et à l’auditeur (Nguyen 2005 : 426). Une telle prise en compte de l’auditeur dans ce modèle de communication le rend plus authentique que ceux qui existaient jusqu’alors. Production et réception de l’information phonétique - et par conséquent du message - sont donc les deux composantes d’un même processus et il existe un rapport de cause à effet entre la manière dont l’information est produite et celle dont elle est perçue. À ce titre, Bloomfield (1933 : 386) propose la définition suivante du principe du moindre effort, auquel il attribue une limite : It is safe to say that we speak as rapidly and with as little effort as possible, approaching always the limit where our interlocutors ask us to repeat our utterance, and that a great deal of sound-change is in some way connected with this factor. Labov (2001 : 17) propose des reformulations de cette définition qui permettent de lier production et perception autour du concept de limite proposé par Bloomfield. Il suggère que la réduction des formes phonétiques qu’implique le principe d’économie prend fin au moment où l’information pourrait être perdue. De ce fait, les facteurs menant à la réduction de l’information phonétique peuvent prendre le pas sur le maintien du sens. Plusieurs modèles du changement des sons reposent de ce fait sur le lien entre production et réception de l’information phonétique. Par exemple, Ohala (ex. 1981, 1989, 1993, 1994, 2003) propose une théorie du changement entièrement non-téléologique. Il part du principe que, dans l’esprit du locuteur, l’énoncé qu’il produit est composé d’une suite d’unités phonologiques distinctes, ce qui n’est pas le cas au niveau phonétique, où il y a fréquemment coarticulation de phonèmes voisins. Cette dualité reflète l’opposition traditionnelle entre phonétique et phonologie. En effet, « la phonologie fait […] le pari que sur la réalisation phonétique, nonlinéaire car entraînant une série de chevauchements de traits, les locuteurs projettent une suite linéaire d’unités » (Brandão de Carvalho, Nguyen & Wauquier 2010 : 72). Si les différentes unités constitutives de la chaîne parlée se chevauchent, tant sur le plan de la production qu’au niveau de la perception, le récepteur reconstruit naturellement les unités par l’intermédiaire 83 d’une « analyse grammaticale » (parsing) du flux sonore (Ohala 1994 : 374-375). Ohala (1981) parle de règles reconstructrices (reconstructive rules) qui permettent de dériver les formes phonologiques à partir de différents allophones et phénomènes de chaîne parlée. Cependant, dans une minorité de cas, l’analyse grammaticale du récepteur est erronée et les unités constitutives de l’énoncé ne sont pas correctement décodées. De telles erreurs de découpage du flux sonore en unités distinctes mènent à des changements linguistiques potentiels (Ohala 1994 : 376). Ohala emprunte le nom de sa théorie, dont les composantes ont été étudiées en laboratoire, à Lindblom : la H&H theory (Hypo and Hyper Speech Theory). Ce modèle repose sur les phénomènes d’hypoadaptation et d’hyperadaptation23 chez le récepteur. Selon Lindblom (1986, 1990), le discours de tout locuteur s’articule le long d’un continuum qui va de l’hypoarticulation à l’hyperarticulation. Les énoncés produits suivent un principe de variabilité adaptative répondant aux deux exigences que sont le besoin d’intelligibilité pour l’auditeur et le principe d’économie articulatoire chez le locuteur (Meunier 2005 : 355). À partir de ces considérations, le changement se manifeste de deux façons différentes. Lorsqu’il y a hypoadaptation, le récepteur, en tentant de reproduire des sons qu’il n’a pas correctement perçus, peut « manquer la cible » (Smith 2007) en sousarticulant. De cette façon, la modification de la réalisation d’un phonème consonantique liée à des phénomènes de coarticulation peut être perçue comme une réalisation novatrice du phonème et généralisée à d’autres environnements (Ohala, 1981). À l’inverse, une application erronée des règles correctrices peut aussi mener à la rectification d’erreurs qui n’existent pas et donner lieu à une sur-articulation. Il s’agit là d’hyperadaptation. Dans la lignée du positionnement précédemment défendu (cf. section 2.3), le modèle « H&H » permet de faire le lien entre synchronie et diachronie et d’établir une interface entre phonétique et phonologie. Ohala (1994 : 375) soutient ainsi que la coarticulation de certains phonèmes en synchronie et les problèmes de perception qui en découlent sont le reflet exact d’autres co-occurrences, identifiables au niveau diachronique. Il illustre son propos avec un exemple de palatalisation : Synchronically, stops released before high vowels or glides show more intense noise in their burst and aspiration (if any); this is the same environment where diachronically stops develop into affricates (e.g., actual < [ækt + juəl] is [æktʃuəl]). Je fais le choix d’utiliser utiliser les termes d’hypo- et d’hyperadaptation proposés par Smith (2007) plutôt que ceux d’hypo- et d’hypercorrection originellement proposés par Lindblom et Ohala afin d’éviter la confusion avec l’hypercorrection de type sociolinguistique. 23 84 Dans l’item actual, nous avons affaire à un cas de coarticulation fossilisée, c’est-à-dire qu’un schéma de variation à l’origine phonétique est devenu phonologique (Ohala 1993 : 155). Dans le domaine consonantique, un grand nombre de changements sont le résultat de coarticulations fossilisées et, donc, phonématisées. Dans le domaine vocalique, ce sont des réalisations allophoniques (indépendantes ou faisant partie de changements en chaîne) qui peuvent à terme accéder au statut de phonème, ainsi que l’illustre par exemple le Grand Changement Vocalique au niveau historique. À l’instar des propositions d’Ohala, les innovations phonétiques sont le reflet de processus diachroniques dans le modèle de « phonologie évolutionnaire » de Blevins (2004), qui permet également de faire le lien entre le niveau phonétique et le niveau phonologique. L’analogie avec la théorie évolutionnaire de Darwin s’explique par l’évolution parallèle de certains sons dans des langues différentes, à la manière des traits génétiques qui se développent de façon indépendante dans plusieurs espèces. Leur généralisation crée un changement phonologique dont l’origine se trouve dans une variation de type phonétique (Blevins 2004 : 144). Comme dans le darwinisme24, toutes les évolutions ne perdurent pas de façon durable. Evolutionary Phonology proposes historical, non-teleological, phonetic explanations for synchronic sound patterns. Cross-linguistic similarities which occur with greater than chance frequency are viewed as the result of direct inheritance or parallel evolution. (…) the primary explanation for a synchronic sound pattern is historical. (Blevins 2004 : 81) Le modèle de changement de sons de Blevins (2004 : 32-33) se décline en trois types d’évolutions distinctes qualifiées de CHANGE, CHANCE et CHOICE25. Il est ainsi qualifié de modèle « CCC » (CCC model) : GENERAL TYPOLOGY OF SOUND CHANGE IN EVOLUTIONARY PHONOLOGY (S = SPEAKER, L = LISTENER) i. CHANGE: The phonetic signal is misheard by the listener due to perceptual similarities of the actual utterance with the perceived utterance. […] Il existe en fait une longue tradition qui consiste à rapprocher le changement linguistique de l’évolution darwinienne (cf. Labov 2001 : 3-15). 25 Par souci de cohérence, je garde ici la terminologie anglaise et les lettres majuscules pour faire référence à chaque type d’évolution. 24 85 ii. CHANCE: The phonetic signal is accurately perceived by the listener but is intrinsically phonologically ambiguous, and the listener associates a phonological form with the utterance which differs from the phonological form in the speaker’s grammar. […] iii. CHOICE: Multiple phonetic signals representing variants of a single phonological form are accurately perceived by the listener, and due to this variation, the listener (a) acquires a prototype or best exemplar of a phonetic category which differs from that of the speaker; and/or (b) associates a phonological form with the set of variants which differs from the phonological form in the speaker’s grammar. De tels modèles du changement me permettent tout d’abord d’analyser le rôle que peut jouer la perception dans le développement de la palatalisation contemporaine. La production des CPC présente en effet les caractéristiques d’un cas d’hypoadaptation, selon le modèle « H&H ». Dans le cas des mots comme tune, la suite [t+j] peut être interprétée comme [tʃ] et reproduite, suite au phénomène d’hypoadaptation et à la non-application de règles correctrices. Ainsi, la suite [ˈtjuːn] peut évoluer en [ˈtʃuːn] suite à plusieurs phénomènes successifs. Je développe cette argumentation pour chacun des CPC dans « Into the ear, through the head, out on the lips » (Ref 5). Pour ce qui est du cadre de la phonologie évolutionnaire, je montre dans le même article qu’il est possible que le mécanisme de CHANCE opère pour les CPC les plus fréquents, c’est-à-dire les cas de coalescence par le yod après /t/ d’après le Cambridge English Pronouncing Dictionary (EPD 2006), le Longman Pronunciation Dictionary (LPD 2008) et l’étude de corpus menée pour ma thèse (2013). Dans ce cas, une réalisation de type [ˈtj̊ uːn] (le yod étant dévoisé en syllabe accentuée après une occlusive) serait interprétée comme /ˈtʃuːn/ par un récepteur qui aurait lui-même /ˈtʃuːn/ comme forme sous-jacente. Autre possibilité, certains CPC se conforment au changement de type CHANGE. Il y a dans ce cas confusion de phones similaires au plan acoustique et, par conséquent, erreur de perception. CHANGE est donc particulièrement probable dans les cas de la palatalisation de /s/ en /ʃ/ dans les agrégats en /st/, /stj/ et /str/, comme dans l’environnement de /r/, notamment si celui-ci est produit de façon rétroflexe. Le récepteur entend par exemple [ˈgrəʊʃri] ou [ˈʃtjuːdənt] alors que le locuteur a prononcé [ˈgrəʊsri] ou [ˈstjuːdənt]. Il s’agit d’un cas typique d’assimilation auditive (Pavlík 2009). À terme, les représentations phonologiques des items grocery et student peuvent devenir /ˈgrəʊʃri/ et /ˈʃtjuːdənt/ chez cet individu, qui produit alors [ˈgrəʊʃri] et [ˈʃtjuːdənt] lorsqu’il est en position de locuteur. D’autres CPC semblent parfaitement correspondre au changement de type CHOICE. D’après Blevins (2004 : 141), le choix se fait en direction d’une forme prototypique (une idéalisation) et conditionne la représentation phonologique que le récepteur associe à l’item en question. Cette notion de « forme prototypique » dont parle Blevins 86 appartient à la linguistique cognitive, dont les principes influencent fortement ma conception du phonème (cf. section 3.2.2). Pour un item comme tune, le récepteur entend plusieurs variantes de [ˈtj̊ uːn] et de [ˈtçu:n], qui présentent des degrés de dévoisement et d’affrication différents, et les interprète comme /ˈtʃu:n/. CHOICE est typique de changements caractérisés par la variation inhérente au continuum discours relâché - discours soigné (Blevins 2004 : 262). Or, la palatalisation contemporaine trouve certainement son origine dans les spécificités du discours relâché. Dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (Ref 7), je me concentre sur quelques « erreurs » de perception qui ont pu servir de point de départ à des changements consonantiques. L’un des plus connus est la « Loi de Grimm » (ou première mutation consonantique). D’après Esau (1973), l’élément ayant pu servir de déclencheur à la Loi de Grimm pourrait être la rencontre entre les peuples germaniques et les Rhètes, un peuple qui sera plus tard incorporé dans l’Empire romain. Lorsque les peuples germaniques se déplacent vers le sud au cours des premiers siècles avant J.-C., ils rencontrent les Rhètes, qui vivent sur les terres où se trouvent aujourd’hui l’Autriche, la Suisse et l’Italie. Smith (2007 : 82-83) explique que leur langue, le rhétique, possède deux séries de consonnes obstruantes sourdes (non voisées) /p, t, k/ et /f, θ, x/. À chaque occlusive correspond une fricative au point d’articulation similaire : /p - f/ ; /t - θ/ ; /k - x/. Les occlusives /p, t, k/ ne sont pas aspirées en rhétique. De plus, le système d’obstruantes en pré-germanique possède un contraste en lien avec la voix chuchotée (Smith 2007 : 83). En d’autres termes, l’utilisation de la voix chuchotée est un trait contrastif. Il semblerait que, suite à une série de phénomènes d’hypo- et d’hyperadaptation, les Rhètes interprètent le murmure comme de l’aspiration. Ensuite, l’aspiration rhétique est à son tour interprétée comme un élément fricatif par les locuteurs germaniques, ce qui permet d’expliquer les changements /p, t, k/ → /f, θ, x/ (puis /x/ → /h/ par la suite). On voit ainsi comment des erreurs de perception ont pu jouer un rôle dans cette mutation consonantique. Dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales, je relaie un scénario alternatif proposé par McWhorter (2012 : 10-12), qui émet l’hypothèse selon laquelle la rencontre des peuples germaniques et des Phéniciens auraient contribué à la première mutation consonantique en raison des différences entre les systèmes phonologiques en contact. 87 On voit donc que les interactions entre locuteurs sont primordiales dans ces modèles centrés sur la perception, qui intègrent de ce fait une composante sociale dans le changement des sons. En outre, il se passe quelque chose au niveau cognitif entre le moment où le signal est perçu de façon erronée et le moment où des réalisations nouvelles sont produites (d’où le titre de mon article « Into the ear, through the head, out on the lips » ; Ref 5). Ce « quelque chose » me paraît avoir une influence sur les représentations phonologiques des locuteurs et peut être expliqué dans un cadre relevant de la linguistique cognitive. Cette interaction entre le social et le cognitif me pousse à proposer un modèle du changement des sons que je qualifie dans un premier temps de « modèle intégratif » dans ma thèse (2013), avant d’en approfondir les composante et de le rebaptiser, de façon plus explicite, « modèle sociocognitif » (2015b ; Ref 7). Au-delà de la question du changement, mon ouverture à la linguistique cognitive me permet de façonner petit à petit mon positionnement sur trois problématiques centrales en phonologie : le nombre de niveaux de représentation, la nature du phonème et l’opposition entre représentations phonologiques communes et représentations phonologiques variables d’un locuteur à l’autre. 3.3. Linguistique cognitive et modèle sociocognitif du changement des sons Smith (2007) propose une théorie proche du « H&H » qui inclut la dimension sociale du changement. Son modèle s’inscrit dans le cadre de la linguistique cognitive (cf. section 2.2.6). Il explique que la variation intra-individuelle s’articule le long d’un continuum qui va de l’hypo- à l’hyperarticulation et se trouve régie par des contraintes communicatives et situationnelles. En d’autres termes, le locuteur dispose, pour un phone donné, d’une gamme de variantes dont il peut extraire une réalisation particulière en fonction des types de communication et de situation auxquels il est confronté. Parmi ces variantes, il existe une réalisation prototypique du phone qui correspond à sa valeur sous-jacente chez le locuteur en question. Smith (2007 : 19) rappelle à ce titre que l’une des anciennes définitions du terme phonème, donnée par Jones (1956 : 172), correspond à celle d’une « famille de sons » (a family of related sounds ; voir schéma ci-après) organisés autour d’une réalisation « cible », que l’on qualifierait aujourd’hui de prototypique. Ce son cible ou prototypique est le plus important de la famille dans la mesure où il constitue la norme du phonème. Les autres sons apparentés le « représentent » dans certaines séquences (Jones 1962 : 7-8). 88 . = actual realizations P = prototypical realization une famille de sons (Smith, 2007 : 20) Cette réalisation prototypique varie selon les locuteurs. Suite à des phénomènes d’hypo- ou d’hyperadaptation, le récepteur peut changer sa prononciation, par identification avec la valeur prototypique de son interlocuteur et adoption de celle-ci. Smith (2007 : 11) soutient qu’un véritable changement opère à l’échelle de l’individu si l’adoption entraîne une modification du système du récepteur, c’est-à-dire si l’évolution est d’ordre phonologique. L’importance du processus du changement est proportionnelle à la fréquence du contact entre locuteurs et à celle de l’exposition à un système phonologique différent. À partir de ces considérations, Smith (2007 : 27) propose la définition suivante pour le changement à l’échelle de l’individu26 : A sound change has taken place when a variant form, mechanically produced, is imitated by a second person and that process of imitation causes the system of the imitating individual to change. Avec le recul, la conception du phonème de Jones paraît cognitiviste avant l’heure. En effet, les notions de catégorisation et de prototype sont fondamentales en linguistique cognitive, ainsi que l’écrivent Taylor & Littlemore (2014 : 6) : Underlying much work in Cognitive Linguistics is an assumption that we organize our knowledge of the world, not into discrete, neat categories, but into messy, overlapping categories, and that there will always be some members of a category that are more central than others. 26 La position de Smith sur le changement à grande échelle, c'est-à-dire son activation, est rapportée dans la section 2.2.6. 89 Un certain nombre de phones sont ainsi associés et regroupés dans des catégories mentales communes qui constituent les phonèmes. Une telle conception implique une interface entre le niveau phonétique et le niveau phonologique, voire une remise en question de l’existence réelle de deux niveaux de représentation. Elle va dans le sens de la grammaire cognitive de Langacker (1987, 1991, 2008). En effet, [Langacker’s] Cognitive Grammar approach is sympathetic to the notion that linguistic knowledge, rather than residing in a small number of very broad, high-level abstractions, may actually be rather low-level and ‘surface-oriented’, consisting in multiple memories of already encountered usage and relatively shallow generalizations over these remembered instances. (Taylor & Littlemore 2014 : 4) La problématique de l’existence d’un ou de deux niveaux de représentation n’est pas si simple à trancher et pose question aux cognitivistes. Välimaa-Blum (2005 : 63-64) établit une distinction au sein des approches cognitives en ce qui concerne la nature du phonème. Selon la première approche, les locuteurs stockent le phonème dans une forme qui est une représentation schématique abstraite de tous ses co-allophones, ce qui correspond parfaitement à la définition de Jones. Il en résulte une vision dérivationnelle de la phonologie et une sous-spécification des éléments contenus dans le lexique. La seconde perspective implique que les locuteurs stockent des exemplaires allophoniques des phonèmes. Les plus fréquents sont plus solidement ancrés et servent de point de comparaison avec le stimulus auditif en ce qui concerne la reconnaissance phonémique. Cette vision du phonème implique une classe de sons composée de tous les co-allophones de chaque phonème. Il s’agit d’une approche non dérivationnelle de la phonologie. D’après Carr (2015), un consensus semble se dégager ces dernières années : celui de la dual mechanism hypothesis, qui reconnaît la coexistence d’une certaine réalité « phonémique » avec un stockage d’informations phonétiques qui contribuent à définir les catégories associées aux phonèmes. Cette hypothèse va dans le sens de l’acquisition du langage. En effet, les expériences montrent que le nourrisson de quelques jours est sensible aux contrastes sonores catégoriels (Kail 2012 : 23). Il est également réceptif à tout type de contraste phonétique dans toute langue, mais il perd progressivement la capacité à distinguer les contrastes non pertinents de sa langue maternelle à partir de 6-8 mois. Par ailleurs, « les nourrissons connaissent les contraintes phonotactiques de leur langue maternelle dès l’âge de 9 mois » (Bijeljac-Babic 2000 : 175), ce qui implique nécessairement une perception des phonèmes de leur langue et de la valeur contrastive de ceux-ci. Ces éléments confirment l’existence d’une certaine réalité phonémique qui se fait émergente avec l’apprentissage de la langue maternelle et la perception des faits phonétiques. 90 Il me paraît difficile d’ignorer les implications de cette réalité phonémique, même si elle coexiste avec un stockage d’informations phonétiques, pour définir un modèle de phonologie cognitive. Par ailleurs, les neurosciences ont prouvé l’existence d’une forme de niveau de représentation profond. En effet, Ding et al (2016) démontrent l’existence d’une structure hiérarchique du langage à l’aide d’une magnétoencéphalographie, « une technique de mesure des champs magnétiques induits par l'activité électrique des neurones du cerveau27 ». Cette technique est notamment employée dans la recherche en neurosciences cognitives. Si l’expérience n’a pas d’implications directes pour la phonologie, elle atteste tout de même de la réalité d’un niveau sous-jacent de représentation du langage, qui se manifeste par une organisation hiérarchique au niveau syntaxique : We found that, during listening to connected speech, cortical activity of different timescales concurrently tracked the time course of abstract linguistic structures at different hierarchical levels, such as words, phrases and sentences. Notably, the neural tracking of hierarchical linguistic structures was dissociated from the encoding of acoustic cues and from the predictability of incoming words. Our results indicate that a hierarchy of neural processing timescales underlies grammar-based internal construction of hierarchical linguistic structure. Ding et al (2016 : 158) En parallèle de ces considérations liées au nombre de niveaux de représentation, une question importante reste celle de la conception du phonème en tant qu’unité. Dans « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques. Le cas de la palatalisation » (2018a, Ref 15), je m’intéresse à l’opposition traditionnelle entre identité psychologique et identité fonctionnelle du phonème en dressant l’historique de cette dichotomie. La première de ces conceptions est une vision interne au locuteur, correspondant à une certaine réalité psychologique chez celui-ci. La seconde est une vision externe au locuteur et essentiellement fonctionnelle. J’explique qu’une vision plus « moderne », s’inscrivant dans le cadre de la linguistique cognitive, de la définition du phonème de Jones permet de réconcilier ces deux approches. Tout d’abord, le concept jonesien de « famille de sons » est à rapprocher de celui des zones de dispersion ou zones d’articulation des phonèmes. « Chaque réalisation d’un phonème est en effet dissemblable […]. Pour que le caractère distinctif des oppositions soit assuré, il suffit que les zones de dispersion constituées par chaque cible n’interfèrent pas » (Duchet 1998 : 93-94). Il est cependant possible qu’il y ait interférence car « les zones de dispersion constituées par chaque cible se recoupent partiellement » (Duchet 1998 : 94), d’où les problèmes de perception et le rôle de l’auditeur dans le changement. Si l’on perçoit le phonème comme une cible articulatoire dont la représentation mentale semble fortement correspondre à la valeur prototypique de la « famille 27 Définition tirée de Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Magn%C3%A9toenc%C3%A9phalographie 91 de sons » de Jones, les deux conceptions du phonème ne me paraissent pas du tout incompatibles. Je retiens donc la définition du phonème proposée par Välimaa-Blum (2005 : 57), qui permet de considérer comme fondamentale la distinctivité, tout en intégrant la notion d’une catégorie (famille) relevant d’une forme de réalité mentale pour chaque locuteur : The phoneme is a prototype-centered, gradient class of phonetically similar sounds which all serve the same distinctive function. Les phénomènes de fréquence jouent également un rôle dans les représentations mentales. Bybee (2001) explique que la fréquence d’utilisation des items lexicaux renforce les représentations phonologiques en multipliant les réseaux d’association par l’intermédiaire de connexions lexicales. Si le modèle qu’elle propose ne comporte qu’un niveau de représentation, son analyse est tout de même pertinente dans un cadre relevant de la dual mechanism hypothesis. Le principe de fréquence se décline sous deux formes, que Bybee (2001 : 10-13) qualifie de token frequency et de type frequency. Le premier cas de figure concerne des unités linguistiques, comme des phonèmes, des morphèmes, des mots, ou encore des locutions. Les unités les plus fréquentes sont particulièrement susceptibles d’être réduites. Par exemple, les processus d’assimilation (phénomènes de réduction par excellence) touchent plus rapidement les mots fréquents. La deuxième forme que peut revêtir le principe de fréquence concerne le degré de fréquence d’un pattern linguistique particulier (type frequency). Bybee (2001 : 12-13) explique que, plus un pattern est fréquent, plus il est productif. La productivité du pattern est déterminée par les schèmes d’organisation typiques des modèles cognitifs, qui remplacent les règles phonologiques dans le modèle. En effet, plus le nombre d’items regroupés par un schème d’organisation est important, plus le pattern est susceptible d’affecter de nouveaux items. Dans l’article sur le yod (Ref 4) et, de façon plus développée, dans ma thèse, je démontre que les CPC suivent un principe de fréquence lexicale (cf. section 2.1.3). Dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model », je m’appuie sur les analyses que Labov (1994) fait à partir d’un nombre important d’études portant à la fois sur l’anglais et sur d’autres langues pour émettre l’hypothèse selon laquelle les évolutions liées au lieu d’articulation des consonnes suivent des principes de fréquence et de diffusion lexicales (les mots les plus fréquents sont touchés en premier et servent de « diffuseurs » aux changements). Qu’en est-il de la variabilité des représentations phonologiques (au sens mentaliste du terme) ? Ces représentations peuvent-elles varier d’un locuteur à l’autre ? Mon étude de la 92 palatalisation contemporaine et mon ouverture à la linguistique cognitive m’incitent à répondre par l’affirmative à cette question. Dans « The phonological fuzziness of palatalisation in contemporary English. A case of near-phonemes? » (Ref 17) et dans « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques… » (Ref 15), je m’interroge sur l’aspect phonétique ou phonologique de la palatalisation contemporaine. D’après la phonologie structuraliste traditionnelle, les représentations phonologiques se déclinent en phonèmes et les règles allophoniques permettent de prévoir les réalisations phonétiques de ceux-ci. Or, les CPC ont pour propriété d’être de véritables palato-alvéolaires, qui appartiennent en tant que telles au système de l’anglais contemporain, et non de simples réalisations allophoniques de type [ç]. Les réalisations allophoniques « intermédiaires » de ce type (entre [j] et [ʃ, ʒ], par exemple) existent néanmoins. Je les appelle formes intermédiaires dans ma thèse mais ne leur donne pas l’appellation de CPC, que je réserve aux formes palatalisées catégorielles, qui peuvent être identifiées comme telles avec l’aide de mesures acoustiques. Dans ce cas, on note sur des analyses spectrographiques une concentration d’énergie spectrale égale ou inférieure à 2500 Hz, ce qui correspond effectivement à de véritables palato-alvéolaires (Durian 2007 : 70). Il s’ensuit que, dans un modèle de phonologie traditionnel, les CPC ne peuvent être des formes de surface, un phonème ne pouvant être dérivé à partir d’un autre phonème (à ce titre, /tj/ → /tʃ/ ou /s/ → /ʃ/ sont par exemple impossibles). Ils ne peuvent être que des formes sous-jacentes, des représentations phonologiques. Avec le modèle fondateur de la phonologie générative proposé dans The Sound Pattern of English (SPE, Chomsky & Halle 1968), théorie véritablement mentaliste, une forme sous-jacente unique est postulée pour chaque morphème. Les réalisations de surface des morphèmes peuvent être expliquées par l’application de règles phonologiques qui peuvent varier en fonction, par exemple, de la variété parlée par le locuteur et qui peuvent aussi évoluer dans le temps, ce qui permet d’expliquer le changement des sons. Les règles de SPE sont plus puissantes que les règles allophoniques car elles permettent de dériver des allophones ou des phonèmes à partir des représentations phonologiques. En raison de l’invariance des formes sous-jacentes et des règles proposées dans SPE, les phénomènes de palatalisation (que celle-ci soit historique, comme dans nature, ou contemporaine) ont un statut phonétique. Ainsi, la représentation phonologique d’un item comme nature est une forme proche de /næture/, qui n’entretient plus qu’un rapport lointain avec la prononciation effective du mot28. La phonologie traditionnelle et le modèle génératif de SPE mènent donc à 28 Les modèles de phonologie générative ne sont pas tous similaire à celui de SPE. La théorie de Chomsky et 93 des conclusions contraires en ce qui concerne le statut des CPC. Toutefois, une perspective cognitiviste permet de dépasser cette opposition. Afin de déterminer dans quelle mesure la palatalisation contemporaine a une réalité mentale chez les locuteurs qui produisent les formes palatalisées, je mène deux expériences qui, si elles ne permettent pas de tirer des conclusions définitives, constituent tout de même des indicateurs intéressants en ce qui concerne l’existence de représentations phonologiques variables29. La première est menée pour ma thèse (2013 : 321-337). Elle implique trente locuteurs, répartis comme suit : 15 locuteurs anglais et 15 locuteurs américains ; 15 femmes et 15 hommes. Il s’agit pour eux de lire une liste de trente mots, de façon lente et en séparant les syllabes. Dans un premier temps, les mêmes informateurs doivent lire un texte contenant les mêmes mots. Un certain nombre de ces mots sont susceptibles de donner lieu à une palatalisation contemporaine. Je résume cette expérience comme suit dans « Introducing Contemporary Palatalisation » (2014b : 26 ; Ref 6). Some speakers palatalised certain items when they read the text, but not the list of words, which is not surprising considering the particularities of connected speech phenomena. On the other hand, some speakers palatalised the same items both in the text and in the list of words, which seems to be an indication that there might be more than connected speech phenomena at work. The really surprising part of the experiment was that other speakers occasionally palatalised an item when they read it syllabically, but not when it was part of the text. It does not seem far-fetched to suggest that the apparent variation in the citation forms of the items considered reflects a true underlying variation within the group considered. There appears to be variable phonological representations of the items considered. Indeed, the speech is slower and less variable when the informants read the words syllable by syllable, which is more likely to bring the true underlying representations to the fore. Such representations are more easily lost in more rapid connected speech. Je mène la seconde expérience en 2015 et les résultats figurent dans deux articles, « The phonological fuzziness of palatalisation in contemporary English. A case of nearphonemes? » (Ref 17) et « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques… » (2018a, Ref 15). Il s’agit d’une enquête menée auprès de 48 jeunes américains : 24 écoliers de la Van Hoosen Middle School de Rochester (Michigan) et 24 étudiants de l’université de Houston Clear Lake (Texas) qui doivent remplir un questionnaire visant à déterminer s’ils associent certaines graphies à une forme avec palato-alvéolaire ou à une forme traditionnelle dans des mots qui contiennent les variables (str) et (sr). La consigne attire volontairement l’attention des participants sur les formes graphiques. De ce fait, les Halle a été la cible de critiques qui se sont cristallisées autour du degré d’abstraction des formes sous-jacentes, de l’ordre des règles permettant de postuler des analyses très abstraites et des formes des règles et des représentations (Carr 1993 : 149). 29 Durand et Eychenne (2004 : 6) émettent d’ailleurs des réserves quant à « la nécessité de représentations communes pour les membres d’une communauté linguistique donnée ». 94 informateurs ne peuvent qu’être influencés par l’orthographe, qui est plus facilement associée à une forme traditionnelle qu’à une prononciation palatalisée. Par conséquent, toute réponse indiquant une palato-alvéolaire peut être considérée comme particulièrement révélatrice. Or, près de la moitié des écoliers de Rochester associent une palato-alvéolaire aux mots relevant de la variable (str). La variable (sr) paraît plus lexicalement conditionnée. L’item grocery est celui dont la forme palatalisée est la plus souvent mentionnée. On peut noter le taux particulièrement élevé de palato-alvéolaires associées à l’item restaurant, particulièrement chez les écoliers du Michigan. Au-delà de la variabilité inhérente aux deux expériences, je conclus de ces deux études qu’il paraît logique de postuler des formes phonologiques variables en fonction des items, comme en fonction des locuteurs. J’avance donc l’hypothèse de représentations variables des morphèmes, représentations qui peuvent de surcroît évoluer avec le temps, que je qualifie de représentations phonologiques individualisées. Cette hypothèse me permet de dépasser l’opposition phonologie traditionnelle / phonologie SPE. En effet, je postule que certaines occurrences d’un phonème B peuvent être recatégorisées en tant que phonème A. Considérons par exemple la coalescence par le yod devant /t/ avec les allophonies suivantes : Phonèmes réalisations de surface a. /tʃ/ (ex : chance) [tʃ] b. /t + j/ (ex : nature) [tʃ] c. /t + j/ (ex : tubercolosis) [tj] Dans un premier temps, la variation allophonique n’a certainement eu aucune incidence sur les représentations phonologiques des locuteurs. Petit à petit, à mesure que s’estompait le souvenir de la réalisation avec /j/, même dans les usages les plus conservateurs, il y a eu identification des formes de surface [ tʃ] dans des items où elles sont issues de la palatalisation de /tj/ (ex : nature) avec les représentations phonologiques /tʃ/ des items ayant /tʃ/ au niveau sous-jacent (ex : chance). Un nombre de plus en plus grand de locuteurs ont analysé nature avec /tʃ/ dans leur représentations phonologiques individualisées. Cette analyse phonologique devenant la norme, puis la seule véritablement pertinente, il y a eu phonématisation graduelle de [tj] en /tʃ/. Je conclus comme suit cette analyse théorique 95 dans The phonological fuzziness of palatalisation in contemporary English. A case of nearphonemes? » (Ref 17) : Out of all the speakers who palatalise, some speakers have traditional, non-palatalised forms in their phonological representations, even if they sometimes produce surface palatalised forms. Other speakers have phonological representations with palatalised forms. The more common the item, the more likely it is to be stored with a categorical palato-alveolar by a great number of people, if we adopt a two-level model of phonology. Therefore, the consonant sub-system of speaker A may vary from that of speaker B, as follows: SA (sub-system of speaker A) /tʃ/ /dʒ/ /tj/ /dj/ /s/ /ʃ/ chance, actually, fortune June, duality, durability tune, tutor dune, reduce sore, cycle, super, street, strong, grocery, restaurant shore, shop, shoe, shirt SB (sub-system of speaker b) /tʃ/ /dʒ/ /s/ /ʃ/ chance, actually, fortune, tune, tutor June, duality, durability, dune, reduce sore, cycle, super shore, shop, shoe, shirt, street, strong, grocery, restaurant As time passes, more and more speakers may shift under the influence of sub-systems like SB. Whether the change to sub-systems like SB will generalise to the entire community as was the case with historical palatalisation or whether it will remain at an intermediate stage (or even revert back to more sub-systems such as SA) is still unclear at this stage. […] The theoretical problem posed by the phonological fuzziness of contemporary palatalisation ceases to be one if we agree on an interface between phonetics and phonology and if we agree to link diachrony and synchrony. Contemporary Palatalisation is therefore an example of a synchronic process that is in fact the manifestation of systematic, diachronic ones. À la lumière de cette explication, les formes intermédiaires (entre formes traditionnelles et formes avec palato-alvéolaire, par exemple [ç]) peuvent être apparentées à des degrés intermédiaire d’évolution de la langue, reflétant la variabilité intra- et interlocuteurs. Au-delà de la palatalisation, je définis un modèle de phonologie qui constitue aussi un modèle de changements des sons me paraissant être applicable a minima à tous les processus de changements consonantiques. C’est le « modèle intégratif » que j’ébauche dans ma thèse et que je développe de la façon la plus aboutie à ce jour dans « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model » (Ref 7) et dans Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques. Le cas de la palatalisation » (Ref 15). Ce modèle sociocognitif s’appuie sur des représentations phonologiques prototypiques qui peuvent évoluer en étant soumises à cinq types d’influence : l’environnement phonétique, les 96 processus cognitifs de catégorisation et d’association, l’interaction / perception avec d’autres locuteurs, les facteurs sociaux et l’usage (dont les phénomènes de fréquence). Il peut être illustré comme suit : Ce modèle du changement est amélioré avec l’apport de la théorie de l’Imaginaire Linguistique (cf. section 3.5) et sert de référence en filigrane de la rédaction de Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales (voir tiré à part). 3.4. Identité linguistique : normes collectives et normes individuelles D’après Labov (2010 : 7-8), la sociolinguistique doit privilégier les considérations portant sur le groupe par rapport à celles ayant trait à l’individu. De plus, le changement linguistique est un changement qui caractérise la langue de la communauté, et non celle des individus pris isolément. Néanmoins, les innovations et les idiosyncrasies de locuteurs isolés sont un prérequis au changement linguistique (Smith 2007 : 9). L’articulation entre individus et société est donc primordiale pour comprendre et expliquer le changement. Dans un article portant sur le concept d’identité en sociolinguistique, Stockwell (2011) propose de réconcilier l’étude sociale de la langue et les processus cognitifs internes aux locuteurs. Il explique (pp. 13-14) que la sociolinguistique adopte, dans certains domaines, une orientation cognitive. C’est notamment le cas lorsqu’elle interagit avec la pragmatique, ce qui concerne de prime abord l’accommodation. Rappelons à ce titre que Schneider (2007 : 30) considère que l’évolution des variétés postcoloniales est due à des processus identitaires 97 relevant de phénomènes d’accommodation (cf. section 2.2.5). L’articulation entre individus et société est donc au centre de la notion d’identité linguistique. D’ailleurs, Stockwell (2009) explique que le grand débat de la sociolinguistique aujourd'hui tourne autour de la question de la légitimité de la notion d'identité en tant que paramètre d’étude. Pour les variationnistes fondateurs de la sociolinguistique moderne (ex. Labov et Trudgill), l’identité ne peut pas constituer un sujet d’étude en sociolinguistique car elle est implicite dans les études variationnistes, les différents aspects qu’elle revêt étant conçus en termes de variables sociales (catégorie socio-économique, sexe, âge, groupes ethniques, etc.). En revanche, pour les partisans d’une approche sociolinguistique relevant davantage du constructivisme social (ex. Eckert), l’identité devrait être le paradigme central de la recherche en sociolinguistique et ne pas être seulement traitée de façon implicite. Pour Stockwell (2011 : 13-14), les normes sociolinguistiques et les relations de pouvoir qui dépendent des variables sociales traditionnelles permettent de définir l’identité sociale des locuteurs. Néanmoins, le concept d’identité n’est pas uniquement défini par de tels facteurs sociaux. Il englobe également une dimension individuelle. Pratiques sociales et perception individuelle agissent de concert dans ce que Stockwell qualifie de négociation de l’identité à travers les processus d’accommodation qui résultent d’interactions entre locuteurs. Pour Auer (2007 : 109), l’accommodation peut agir à court ou à long terme. Dans le premier cas, les traits linguistiques des interlocuteurs convergent en un instant T, au cours d’une interaction. Dans le second, l’accommodation agit à plus long terme et a une portée bien plus grande, entraînant en cela une convergence entre différentes variétés d’une même langue et, par conséquent, une véritable évolution des variétés considérées. Tel est le cas des variétés postcoloniales dans le modèle dynamique de Schneider. Un autre exemple est donné par Besnier (2004 : 29-30) et Stockwell (2011 : 21-23), qui relatent l’adoption de prononciations caractéristiques de l’anglais néo-zélandais dans des échanges entre vendeurs et acheteurs sur un marché des îles Tonga. L’expérience est d’autant plus étonnante qu’aucun locuteur néozélandais n’est présent dans la situation. L’accommodation se fait alors en direction de la variété qui exerce un prestige social manifeste dans cette région du monde. Stockwell (2011 : 25), mentionne aussi l’exemple de jeunes Américains d’origine coréenne qui adoptent des caractéristiques de l’African American Vernacular English (AAVE) alors qu’aucun locuteur afro-américain n’est présent dans le contexte. La conversation portant sur les quartiers et les tensions ethniques, l’accommodation se fait en direction de la variété qui définit le principal groupe ethnique du pays, exerçant en cela un certain prestige envers les autres communautés 98 dites « minoritaires ». McWhorter (2012 : 50) va d’ailleurs plus loin, en écrivant que l’AAVE est en train de devenir une forme de lingua franca pour toute la jeunesse américaine. Il faut voir dans de tels phénomènes de véritables « actes d’identité » (acts of identity ; cf. Le Page et Tabouret-Keller 1985). Pour se forger une identité, le locuteur s’identifie à un groupe sociolinguistique en adoptant des traits linguistiques caractéristiques de ce dernier. Notons que l’acte d’identité n’est pas toujours délibéré ; il peut être situé au niveau de la conscience de l’individu ou à un niveau inférieur. De la projection d’une identité à la construction de celle-ci, « il existe probablement tout un processus d’évolution impliquant, à des degrés que la linguistique seule peut difficilement évaluer, une diminution progressive du caractère conscient de l’emploi des variables indicielles » (Wilhelm 2011 : 497)30. J. Milroy (1992) développe un modèle social du changement linguistique qui s’appuie sur une logique similaire et qui trouve son origine principale dans les interactions entre locuteurs. Pour lui, les différences que l’on peut trouver entre différentes variétés ou différentes communautés s’expliquent par l’existence de consensus envers certaines normes. Ces consensus varient en fonctions des variétés d’anglais et des communautés. J. Milroy (1992 : 8-9) parle de normes linguistiques consensuelles (consensus norms). Le changement linguistique doit être compris comme une évolution de ces normes (p. 17). Plus les interactions sont nombreuses, notamment les interactions entre locuteurs appartenant à des communautés différentes, plus le consensus initial peut être remis en cause en raison de l’opposition entre les différentes normes résultant de l’interaction. On voit une fois de plus l’importance de l’accommodation à travers la convergence de normes en constante évolution. Si l’on revient sur l’activation du changement telle qu’elle est proposée par Smith (1996, 2007 ; cf. section 2.2.6) en la comparant à la définition du changement de J. Milroy à travers une évolution des normes, la logique apparaît clairement : 1. À un moment donné, des changements importants dans la société contribuent à de nouveaux rapports sociaux et à de nouvelles interactions. 2. Ces nouvelles interactions aboutissent à une renégociation des normes linguistiques à grande échelle. Le contraire existe également : les traits linguistiques caractéristiques d’un locuteur peuvent diverger de ceux de son interlocuteur suite à un phénomène inverse à celui de l’identification, que l’on pourrait qualifier de distanciation. 30 99 3. Le stade ultime est atteint lorsque ces nouvelles normes deviennent systémiques, c'est-àdire qu’elles ont une réalité cognitive qui s’inscrit durablement et contribue à modifier le système des locuteurs individuels, puis le système de la langue dans son ensemble. La théorie de l’Imaginaire Linguistique permet justement de modéliser les interactions entre les normes linguistiques et leurs influences sur le changement linguistique. 3.5. L’Imaginaire Linguistique Mon travail à l’Université Jean Monnet me permet d’inscrire ma recherche dans un travail d’équipe, et ce, à différents niveaux de collaboration. Le premier d’entre eux concerne le groupe ParLAnCES, qui réunit les linguistes du CIEREC (EA n°3068) rattachés aux sections 7 et 11 du CNU. Deux mois et demi après ma prise de fonction, je participe aux travaux menés par ce groupe autour de la notion de passage en linguistique. Je communique lors du colloque international « Notion ou concept de passage : quelle pertinence en sciences du langage ? », organisé par ParLAnCES, et dont voici quelques extraits de l’appel à communication : La notion de passage demeure pré-théorique dans la littérature linguistique ; on la voit apparaître sous différents avatars selon les paradigmes : transformation en grammaire générative, transfert en pragmatique, transposition en traductologie, glissement en sémantique, évolution en diachronie, changement en sociolinguistique, etc. […] En diachronie, la notion de passage tente de circonscrire les différents processus d’évolution du système linguistique tant du point de vue phonétique que morphosyntaxique, lexical ou sémantique (évolution populaire, création savante ou analogie). […] En sociolinguistique, le passage peut être envisagé soit comme alternance de code soit comme manifestation du changement supporté par des évaluations sociales. Ma participation s’inscrit dans le champ de la sociophonétique diachronique puisque ma communication correspond à l’article « L’activation du changement des sons en GrandeBretagne dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale » (Ref 12). Le prochain thème de travail du groupe ParLAnCES a une influence importante dans mon rapport à la linguistique au sens large. Il s’agit de l’Imaginaire Linguistique (IL), un concept développé par la linguiste française Anne-Marie Houdebine (ex. 1982, 2002), qui le définit précisément comme le […] rapport du sujet à la langue, la sienne et celle de la communauté qui l’intègre, comme sujet parlantsujet social ou dans laquelle il désire être intégré, par laquelle il désire être identifié par et dans sa parole ; rapport énonçable en termes d’images, participant des représentations sociales et subjectives, 100 autrement dit d’une part des idéologies (versant social) et d’autre part des imaginaires (versant plus subjectif). Le rapport du sujet à sa langue, qui pourrait apparaître comme une relation intime et individuelle, se trouve donc fortement influencé par un imaginaire culturel et social et par les opinions et les jugements des autres locuteurs, ainsi que par les phénomènes de prestige. Houdebine commence à développer l’IL à la fin des années 1970, dans sa thèse (dirigée par Martinet). Elle s’inspire de la linguistique structurale et de la sociolinguistique, mais aussi des avancées de la sociologie de l’époque, en particulier la notion d’imaginaire avancée par Castoriadis (1975), de la sociologie, de la psychanalyse (en particulier Lacan) et de la philosophie. Le modèle de l’IL se développe de façon importante à partir des années 1980, avec comme étape importante le colloque de 2001 (dont Houdebine 2002 constitue les actes). Il continue à entretenir un rapport étroit mais non exclusif à la sociolinguistique puisqu’il s’appuie sur des attitudes subjectives, des « sentiments linguistiques » de valorisation et de fierté, ou au contraire de dévalorisation et de honte (on perçoit aisément le lien avec l’insécurité linguistique de Labov). Selon Houdebine, l’IL permet de porter une plus grande attention aux représentations individuelles et aux normes internes aux locuteurs que la sociolinguistique. Il s’intéresse aux représentations, aux constructions, aux fictions, voire aux sentiments qui jouent un rôle central dans les pratiques langagières. Lorsque je le découvre, ce modèle me paraît particulièrement fécond pour enrichir mes domaines de recherche parce qu’il propose une grille d’analyse pour appréhender les différents facteurs à l’œuvre dans l’élaboration de normes objectives et subjectives (Remysen 2005 : 47). Celles-ci se déclinent comme suit : Normes objectives : elles s’appuient sur la production réelle de la langue ; elles sont composées de : - normes systémiques : en lien avec le système des locuteurs et la langue saussurienne - normes statistiques : en lien avec l’usage et la parole saussurienne Normes subjectives : elles sont littéralement imaginaires et concernent les représentations des locuteurs ; elles sont composées de : 101 - normes prescriptives : elles sont grammaticales, lexicales, phonologiques et sont porteuses d’une certaine autorité institutionnelle véhiculée par les dictionnaires, les grammaires, l’école, etc. - normes fictives : elles sont esthétiques et s’appuient sur des arguments émotionnels - normes communicationnelles : elles sont en lien avec l’intercompréhension, qu’elles facilitent, et la solidarité entre les locuteurs et les groupes. L’interaction des normes du modèle présente l’intérêt de permettre de dégager la rétroaction de l’imaginaire non seulement sur les usages (à tous les niveaux, en partant du plus idiolectal), mais sur les systèmes eux-mêmes, notamment (mais non exclusivement) en ce qui concerne le statut institutionnel des langues. L’imaginaire linguistique des uns est constamment réinjecté dans les pratiques et dans l’imaginaire linguistique des autres. Pour ce qui est de l’histoire de la langue anglaise, on perçoit aisément ce que la théorie d’Houdebine peut apporter au modèle du changement proposé par J. Milroy (cf. section précédente) : l’IL peut nous permettre de mieux comprendre la façon dont la renégociation collective des normes peut opérer. Différents types de normes peuvent influencer les normes systémiques des locuteurs en favorisant certaines variantes, les autres étant à terme « évacuées » de la langue. Ce qu’Houdebine qualifie de « dynamique dans la synchronie » est ainsi créé, permettant d’expliquer en partie le changement linguistique. On peut illustrer comme suit : Le 14 septembre 2016, Anne-Marie Houdebine est invitée à participer à un séminaire de ParLAnCES intitulé « l’imaginaire linguistique : entre langue et discours ». Au cours de 102 cette journée, je fais une communication intitulée « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements, mythes et insécurité linguistique »31, dans laquelle je prends appui sur la théorie de l’IL pour rendre compte de l’émergence de divers aspect de l’anglais standard à différentes époques de l’histoire de la langue anglaise (le moyen-anglais, l’anglais moderne naissant, l’anglais moderne, l’anglais contemporain). Je termine cette présentation par une modélisation du changement linguistique qui fait le lien entre les modèles du changement proposés par J. Milroy (1992), Smith (1996, 2007) et mon modèle sociocognitif (2015b), d’un côté, et la « dynamique dans la synchronie » d’Houdebine, de l’autre. AnneMarie Houdebine se montre très intéressée par mes propos et par une éventuelle collaboration afin de pouvoir diffuser une partie de ses idées en anglais, langue qu’elle n’a jamais apprise, et de les appliquer à la langue anglaise. Suite à ce séminaire, nous commençons à échanger quelques courriers électroniques pour définir cette collaboration. À ma grande tristesse, AnneMarie décède accidentellement le 11 octobre 2016. Ayant été marqué par nos brefs échanges, je décide tout de même de poursuivre le travail sur l’IL, que j’intègre dans deux articles, « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements » (Ref 9) et « Standard English, Urban Norms and Urban Myths: the Linguistic Imaginary at work » (Ref 16), davantage centré sur le rôle des villes, et notamment de Londres. À partir de la fin de l’époque moyen-anglaise, des normes de natures différentes, ancrées dans les réalités sociales et culturelles de leur époque, opèrent successivement au sein d’un large processus de standardisation qui contribue petit à petit au développement d’une variété de prestige. L’anglais standard se construit ainsi à partir notamment de phénomènes de contact entre divers dialectes du Moyen Âge et de leurs normes statistiques et communicationnelles, de l’influence de l’imprimerie et du Chancery English (normes qui deviennent prescriptives), de l’influence de Londres (normes statistiques, communicationnelles et fictives), des auteurs littéraires (normes fictives, esthétiques), du système éducatif (normes prescriptives) et bien sûr des grammairiens et de leurs règles prescriptives. Étonnamment, l’anglais standard se construit aussi à partir des préférences personnelles de quelques individus influents (normes prescriptives et fictives). Néanmoins, j’émets de fortes réserves quant à la réelle efficacité des seules normes prescriptives pour assurer le succès du processus de standardisation, c’est-à-dire pour assurer une véritable Cette présentation sert de base à une autre communication, plus aboutie, dans le cadre de l’atelier ALAESALOES du congrès de la SAES de Reims en 2017 : « The Linguistic Imaginary and the construction (?) of Standard English. Norms in motion ». 31 103 réduction de la variation. En effet, l’anglais standard ne réussit jamais vraiment à être imposé aux locuteurs de Grande-Bretagne que dans le domaine de la langue écrite (et encore, pas intégralement), plus artificielle et plus contrôlée que la langue orale, ou dans des usages très spécifiques. Il semblerait que les normes statistiques et communicationnelles, de nature plus objective et plus naturelle - c'est-à-dire plus authentique - doivent être à l’œuvre pour interagir durablement avec le système des locuteurs et le système de la langue. Afin d’illustrer ce point, je compare, dans « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements » (Ref 9), la représentation de l’anglais « correct » qui nous a été transmise suite à la longue tradition des ouvrages prescriptivistes à une véritable description de l’anglais standard (ex. Trudgill 1999). Je note un certain nombre de différences car, contrairement à une croyance populaire, l’anglais standard n’est pas un ensemble de règles prescriptives. Les règles systémiques qui le caractérisent ne sont pas nécessairement les mêmes que les règles qui sont décrites par les prescriptivistes depuis plusieurs siècles. Il se peut qu’elles le soient (ex. pas de négation multiple, pas de construction avec deux modaux…) mais cela n’est pas forcément le cas (ex. l’utilisation obligatoire de whom n’est pas mentionnée ; l’utilisation d’une préposition en fin de phrase est correcte, comme l’est celle du pronom complément dans « It’s me. »). Cette non-adéquation s’explique puisque certaines des règles prescriptives sont en réalité des normes fictives qui ne s’inscrivent pas dans le système de la langue et ne sont donc pas des règles systémiques. Dans le meilleur des cas, il s’agit de considérations stylistiques, qui relèvent du niveau de langue et de la formalité du discours. Dans « Standard English, Urban Norms and Urban Myths: the Linguistic Imaginary at work » (Ref 16), j’étudie également l’émergence des variétés britanniques supra-locales à la fin du XXe siècle par le prisme de l’IL afin de déterminer si elles peuvent être considérées comme de nouvelles variétés standard. En effet, il est frappant de voir à quel point les processus de nivellement liés à leur émergence sont similaires à ceux ayant opéré dans le cadre de la naissance d’un pré-standard à Londres à partir de la fin du XIVe siècle (cf. section 2.2.4), ces nouvelles variétés urbaines étant principalement influencées par des normes statistiques et communicationnelles en milieu urbain. Pour Watt et Milroy (1999 : 43), ces nouvelles variétés n’étant pas imposées aux locuteurs de façon institutionnelle, elles ne peuvent en aucun cas être assimilées à des variétés régionales standard. En outre, la standardisation est traditionnellement vue comme un processus incluant notamment une étape de codification, qui n’est pas présente dans ce cas. Néanmoins, si l’on considère avec Crystal 104 (2004 : 223) qu’à la fin de la période médiévale, la langue standard avait commencé à émerger sans que cela ne soit planifié ou institutionnalisé, et si l’on considère que le Londres du XIVe siècle avait bien été le témoin du développement d’un pré-standard ou d’un futur standard, il n’est peut-être pas impossible d’utiliser de tels termes pour qualifier ces nouvelles variétés urbaines supra-locales, qui définissent en partie l’identité linguistique des locuteurs. Tout en reconnaissant l’absence de codification liée à un tel processus, Hickey (2010 : 2062) compare d’ailleurs la supra-régionalisation à la standardisation, les deux étant synonymes de suppression et de sélection de traits linguistiques particuliers. Le modèle de l’IL est aussi présent en filigrane de la rédaction de Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales. À titre d’exemple, l’un des facteurs qui accélèrent la chute du français en Angleterre après la période de domination franco-normande est lié à la variété de français qui y est parlée, le franco-normand n’étant pas considéré comme suffisamment esthétique en comparaison du français parisien. J’aborde également des considérations relevant de l’IL dans les différentes phases du développement des variétés non britanniques dans le cadre de modèle dynamique de Schneider (cf. section 2.2.5). La période du Late Modern English est marquée par un fort besoin général d’ordre et de normes en Grande-Bretagne, suite à une succession de monarques et de crises politiques, et à une guerre civile. Le domaine linguistique ne fait pas exception à la règle et les normes subjectives de l’IL œuvrent de concert avec un imaginaire culturel alors que se répand l’idée d’une dégénérescence de la langue anglaise, perçue comme le reflet des crises qui traversent le pays. Dès lors, il s’agit de faire quelque chose pour empêcher la décadence de la langue en définissant des règles destinées à figer celle-ci dans le marbre et à l’empêcher d’évoluer davantage. Suite à l’Acte d’Union de 1707, Westminster devient le centre des décisions. L’Empire britannique se développe aux plans commercial et colonial, en concurrence avec les autres puissances européennes. Sorlin (2012 : 73) note que cette expansion […] exige la consolidation d’une identité nationale forte par-delà les identités particulières anglaise, écossaise ou irlandaise […] L’enseignement de l’anglais standard est alors plus que jamais, au XVIIIe siècle, un impératif. Cette langue unifiée se conçoit en effet comme le porte-drapeau métaphorique du pouvoir impérial britannique. C’est dans ce contexte de lutte pour le pouvoir entre les grandes puissances européennes que s’installe […] le mythe de la supériorité de l’anglais standard. Ce mythe est directement à l’origine du sentiment d’insécurité linguistique chez les locuteurs dont l’anglais n’est pas standard. Crystal (2004 : 386-387) écrit à ce titre : 105 This is the real harm that the prescriptivism of the mid eighteenth century did to English. It prevented the next ten generations from appreciating the richness of their language’s expressive capabilities, and inculcated an inferiority complex about everyday usage which crushed the linguistic confidence of millions. Les normes prescriptives développées au cours de cette période charnière affectent dès lors durablement les imaginaires linguistiques de millions de locuteurs. Les règles d’usage définies alors sont fortement discriminantes du point de vue social. En d’autres termes, la période se caractérise par une forte interaction entre l’imaginaire linguistique et l’imaginaire social. Si la prononciation met un peu plus de temps à être standardisée, les imaginaires linguistiques des locuteurs jouent peut-être un plus grand rôle dans ce processus que dans n’importe quel autre. Dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, les prononciations régionales commencent à perdre de leur crédit. Les conférences données par Sheridan dans les années 1750 et 1760 ont des motivations ouvertement politiques. Il souhaite en effet contribuer à une uniformisation de la prononciation qu’il s’agit d’enseigner à tous les enfants dans le but de faire d’eux de bons sujets de la Couronne, ayant une langue en commun (Sorlin 2012 : 74-75). Le modèle londonien systématiquement visé est un exemple type de l’importance que peuvent prendre les normes fictives, en lien avec des considérations esthétiques et des arguments émotionnels. Pour Walker (1791), la capitale agit comme une sorte d’aimant qui attirerait les bonnes prononciations. L’influence du prescriptivisme de l’époque et de l’insécurité linguistique que celui-ci peut véhiculer transparaît clairement dans les écrits de David Hume, un Écossais à la fois philosophe, historien, économiste et essayiste. Dans une lettre écrite à John Wilkes (citée dans Mossner 1954 : 372), celui-ci écrit : Notwithstanding all the Pains, which I have taken in the Study of the English Language, I am still jealous of my Pen. As to my Tongue, you have seen, that I regard it as totally desperate and irreclaimable. L’aveu de Hume constitue une preuve flagrante de son sentiment d’insécurité linguistique, son imaginaire linguistique étant fortement affecté par les normes prescriptives et fictives qui sont véhiculées à l’époque. L’intérêt de dictionnaires tels que par exemple ceux de Kenrick (1773) et de Walker (1791) est de guider leurs lecteurs vers des prononciations leur permettant d’éviter d’être associés aux locuteurs qu’ils considèrent désormais comme socialement inférieurs, améliorant de ce fait leur capital à la fois linguistique et social (Beal 2008 : 24). Les divers mouvements prescriptivistes ont donc une conséquence sociale 106 importante et affectent l’imaginaire linguistique de la majorité de la population, qui commence à ressentir sa prononciation comme un inconvénient. D’ailleurs, « à la fin du XIXe siècle, adopter la version phonologique autorisée, c’est se donner les moyens d’accéder à des carrières dans le clergé, l’administration coloniale, l’enseignement et l’armée. » (Sorlin 2012 : 84). Au début du XXe siècle, on assiste en Grande-Bretagne à la dernière étape de la standardisation d’une prononciation jugée supérieure aux autres. Dans l’appellation Received Pronunciation, le terme received, est porteur de la connotation devenue aujourd’hui archaïque de « socialement acceptable dans les sphères sociales les plus élevées », un exemple de normes subjectives interagissant avec un imaginaire social. Dans les années 1920, la BBC choisit pour ses présentateurs la RP (ou BBC English), que l’on trouve désormais dans la haute fonction publique, à l’université, dans les public schools, dans les forces armées ou à l’Église. La diffusion de cet accent sur les ondes radiophoniques, puis à la télévision, contribue à la construction du mythe longtemps colporté selon lequel les autres prononciations (et en particulier les accents régionaux) ne sont pas « correctes ». Par conséquent, la diffusion de ce standard oral contribue à renforcer un sentiment d’insécurité linguistique chez ceux dont l’anglais n’est pas standard. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que les accents régionaux et la variation phonétique feront leur retour sur les ondes de la BBC et que les Britanniques commenceront à perdre une partie de l’insécurité linguistique liée à leur prononciation. Les normes statistiques ne sont alors plus à l’avantage exclusif de la RP dans les médias. 3.6. Langue orale et langue écrite Le fait de travailler avec d’autres linguistes au sein du groupe ParLAnCES et d’être le seul à avoir une thématique de recherche en lien avec la phonétique et la phonologie me permet d’envisager des collaborations dans d’autres domaines de recherche. Au cours de la transition entre mon poste de PRAG à Roanne et celui de Maître de Conférences à SaintÉtienne, je me replonge dans l’étude de la grammaire anglaise à travers la lecture d’ouvrages de grammaire descriptive et de grammaire explicative. J’avais d’ailleurs commencé ce travail avec mes fonctions de membre du jury du CAPES externe (2012-2015) puisque je devais alors corriger l’épreuve comprenant la traduction et l’exercice de réflexion linguistique. Ces lectures sont l’occasion de redécouvrir la grammaire de l’énonciation, dont les réflexions m’avaient toujours intéressé, et de me façonner petit à petit une culture de grammaire 107 linguistique. Celle-ci se réfère principalement à la théorie des opérations énonciatives d’Antoine Culioli (ex. 1990), à la grammaire méta-opérationnelle d’Henri Adamczewski (ex. 1982), à la grammaire systématique d’André Joly et Dairine O'Kelly (d’inspiration guillaumienne, ex. 1990) et à l’approche psychogrammaticale de Jean-Rémi Lapaire & Wilfrid Rotgé (ex. 1991). Néanmoins, je m’intéresse également à psychomécanique du langage originale de Gustave Guillaume (ex. 1919) et à la grammaire cognitive de Ronald Langacker (ex. 1987). Ce nouvel axe de travail m’est de surcroît particulièrement utile pour la rédaction de l’article « Petite grammaire du gaga » (Ref 14 ; cf. section 3.8), me permettant de clarifier à la fois les concepts et la terminologie de la morphologie et de la syntaxe. Ce travail d’approfondissement de mes connaissances me permet d’enseigner la grammaire à l’Université Jean Monnet depuis 2014. Lors de ma première année, j’assure l’intégralité de l’enseignement pour les étudiants de L3 et de master 1 (préparation au CAPES). Depuis 2015 et le recrutement d’un nouveau collègue, Rémi Digonnet, nous partageons cet enseignement en faisant un semestre chacun au niveau L3 et master 1. Mon cours de linguistique de L3 (« enseignement complémentaire », choisi de façon optionnelle par les étudiants) est également l’occasion d’approfondir l’enseignement de la morphologie. En 2017, j’intègre le jury de l’agrégation externe spéciale docteurs et participe à l’évaluation des épreuves écrites et orales en grammaire linguistique (le programme de l’option à l’oral est alors celui des relatives). À cette occasion, le président du jury me demande de participer à la rédaction du rapport correspondant à l’épreuve écrite. Celle-ci comporte en fait deux sujets. Le premier porte sur les propositions en TO et est adossé au sujet de civilisation. Le second porte sur les temps et les aspects, en lien avec le sujet de littérature (les candidats ont le choix entre les deux sujets dans le cadre de ce concours). Lucie Gournay, Professeur des Universités à l’Université Paris-Est Créteil, fait le corrigé sur les propositions en TO et je rédige celui portant sur les temps et les aspects (Ref 18). Le président de l’agrégation externe spéciale docteurs étant le vice-président de l’agrégation externe et la vice-présidente de l’agrégation externe spéciale docteurs étant la présidente de l’agrégation externe, tous deux me demandent de changer de concours à partir de 2018 pour intégrer celui de l’agrégation externe. Leur objectif est que je devienne responsable de l’épreuve de phonologie à partir de la session 2019, après une année initiale où j’assiste la responsable actuelle, Susan Moore, Maître de Conférences à l’Université de Limoges. Bien que j’aie principalement des responsabilités au niveau de l’épreuve de phonologie dans ce concours, je 108 continue bien sûr à participer à la correction de la partie grammaire de l’épreuve de linguistique. Suite au départ à la retraite de deux collègues à la fin de l’année universitaire 2017-2018 à l’Université Clermont Auvergne, je suis contacté par le responsable de l’agrégation de cette université. Il me demande si je souhaite y dispenser le cours de grammaire de l’agrégation externe dans l’attente d’un recrutement, ce que j’accepte de faire pour l’année 2018-2019. Toujours dans le domaine de l’enseignement, j’assure des cours de traduction à l’Université Jean Monnet. Après avoir concentré mon enseignement sur la traduction orale au cours des trois premières années en raison de mon expérience d’interprète (cf. section 1.2 et note 11), je commence à enseigner la traduction écrite au cours de ma quatrième année. Ayant corrigé et participé à l’élaboration des barèmes des concours pendant huit ans (agrégation interne de la session 2008 à la session 2011, puis CAPES externe de la session 2012 à la session 2015), j’ai une idée assez précise des attendus et des exigences des concours en ce qui concerne la traduction et, par conséquent, une méthode d’enseignement qui peut tenir compte des spécificités liées à ces concours. C’est la raison pour laquelle je commence à préparer les étudiants de l’Université Jean Monnet à l’épreuve de thème du CAPES à partir de l’année universitaire 2017-2018. Si mon principal objet de travail reste la langue orale, le travail sur la langue écrite ne m’est donc pas complètement étranger et la littérature demeure un centre d’intérêt, fût-il plus périphérique depuis ma spécialisation en phonétique et phonologie. La stylistique est la discipline qui permet de faire le pont entre la linguistique et la littérature. Simpson (1993 : 3) la définit d’ailleurs comme « the practice of using linguistics for the study of literature ». Appliquée à la littérature, la phonostylistique s’intéresse aux effets du style oral sur le lecteur et permet donc d’aborder la question de la représentation de la langue orale dans la langue écrite (Jobert 2014). Dans le cadre d’un partenariat entre le CIEREC, le laboratoire auquel je suis rattaché, le département d’études anglophones, que je dirige, et la bibliothèque universitaire de l’Université Jean Monnet, un travail a été entrepris en plusieurs temps autour de l’écrivain américain Howard Philips Lovecraft (1890-1937). Après un concours d’écriture de nouvelles « à la manière de Lovecraft » et un atelier d’écriture animé par François Bon, écrivain et traducteur de Lovecraft, et des étudiants du Master 2 professionnel édition d'art / livre d'artiste, une journée d’étude a lieu le 30 janvier 2018. Elle est intitulée « Noter, traduire, transcrire H.P. Lovecraft. Regards multiples sur Howard Philips Lovecraft (1890109 1937) ». Les organisateurs de cette journée d’étude, Anne Béchard-Léauté et Arnaud Moussart (respectivement Maître de Conférences et PRAG à l’Université Jean Monnet), me demandent de faire une présentation sur la représentation du dialecte et de l’accent de la Nouvelle-Angleterre chez Lovecraft. L’article que je dois écrire à partir de cette communication devrait être publié dans un ouvrage à venir, sous la direction d’Anne BéchardLéauté et d’Arnaud Moussart. En voici les grandes lignes. Après avoir brièvement décrit le développement historique des principales régions dialectales de la Nouvelle-Angleterre (phénomène que je décris en détail dans Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales), je m’intéresse aux lieux (parfois réels, parfois fictifs) qui figurent dans les écrits de l’auteur. Il apparaît que les « terres de Lovecraft » se situent dans le nord-est du Massachusetts et, plus rarement, dans la partie sud du Vermont. Les villes fictives, telles que Innsmouth, sont clairement localisées dans les récits, il n’y a donc pas d’équivoque possible. Je choisis d’étudier le monologue du vieil alcoolique Zadok Allen dans le court roman The Shadow over Innsmouth (1936) car il est souvent considéré comme le plus représentatif du backwoods New England dialect qui caractérise certains personnages de Lovecraft (Joshi 2002 : 406). Ce terme est repris par d’autres auteurs, mais sans jamais de réelle précision sur ce qu’est véritablement le backwoods New England dialect. Le terme backwoods désigne un lieu distant des principales zones peuplées , et qui est « arriéré » du point de vue culturel. Les premières descriptions du personnage de Zadok Allen sont les suivantes (p. 11) : The only one who would talk was a very aged but normal-looking man who lived at the poorhouse […] Zadok Allen, was ninety-six years old and somewhat touched in the head, besides being the town drunkard. […] a strange, furtive creature […] unable to resist any offer of his favourite poison. On constate donc un certain nombre de marqueurs attitudinaux, voire de marqueurs « d’étrangeté » au sujet de Zadok Allen. Compte tenu de son âge, on peut également s’attendre à ce qu’il soit associé à des traits d’un dialecte plutôt archaïque ou en voie de le devenir, en plus de traits plus régionaux. Or, je constate une certaine incohérence entre les traits dialectaux que l’on pourrait attendre dans le monologue du personnage et l’encodage de l’oralité qui est mise en œuvre par l’auteur. Par exemple, les deux caractéristiques principales des accents de l’est de la Nouvelle-Angleterre, à savoir l’absence de rhoticité et la réalisation particulière de l’ensemble lexical BATH sous la forme de [a] plutôt que [æ], ne sont absolument pas rendues dans le discours de Zadok Allen. On y trouve plutôt un encodage de 110 prononciations diverses associées à plusieurs régions dialectales de Nouvelle-Angleterre. Par exemple, le Canadian raising du nord de la région est rendu par l’utilisation systématique de la graphie <aow> (daown, haow…). L’introduction de <a> casse la régularité orthographique et divise la diphtongue, qui apparaît comme produite en deux fois (correspondant en cela à une certaine perception du raising ?). Si l’encodage ne rend pas parfaitement compte du raising, il signale une prononciation différente, participant ainsi d’un certain « effet de réel » (Barthes 1968). On trouve également une certaine forme de neutralisation de /e/ et de /æ/ devant /l/, typique des locuteurs ruraux de la région (well est ainsi transcrit <waall>). Dans les accents du Maine, l’ensemble lexical NURSE est sujet à une très grande variabilité, ce qui semble être transcrit par des graphies différentes (larnt that they’s things on this arth as most folks never heerd abaout?, p. 16). Lovecraft semble également indiquer la rétention de prononciations anciennes pour certains items lexicaux : Matt Eliot, his fust mate, talked a lot, too… […] (p. 15) picters o’ monsters them awful picters o’ frog-fish monsters was supposed to be picters o’ these things […] (p. 16) Mebbe they was the kind o’ critters as got all the mermaid stories an’ sech started. (p. 16) Outre ces variations dans la prononciation, on constate de nombreux cas de eyedialect ou dialecte pour l’œil, c’est-à-dire des « modifications graphiques ne changeant pas la prononciation mais indiquant une forme non standard » (Jobert 2018 : 143). Pour évoquer l’oralité, on trouve également l’encodage de nombreux phénomènes de chaîne parlée tels qu’élisions et réductions. Ils sont fréquemment accompagnés de marqueurs grammaticaux non standard (ex. Ol’ Cap’n Obed done it, p. 15). L’encodage de Lovecraft semble donc plus typique d’une représentation dialectale que d’une précision linguistique. Elle est en cela plus esthétique et artistique que réaliste. Ainsi que l’explique Bakhtine (1978 : 182), en effet : Le romancier ne vise pas du tout à une reproduction linguistique (dialectologique) exacte et complète de l’empirisme des langages étrangers qu’il introduit, il ne vise qu’à la maîtrise littéraire des représentations de ces langages. Si les écrits de Lovecraft sont censés évoquer les dialectes et les prononciations de la Nouvelle-Angleterre, c’est peut-être parce qu’il ne faut pas négliger le rôle du lecteur et de sa 111 « voix muette » (sorte de « lecture à voix haute interne ») ; notamment pour les lecteurs de la Nouvelle-Angleterre. En effet, un lecteur originaire de la Nouvelle-Angleterre aura certainement tendance à décoder les monologues de personnages tels que Zadok Allen avec des traits typiques de la région, notamment en raison de l’association systématique de l’auteur à la Nouvelle-Angleterre. Ces différentes expériences dans le domaine de l’enseignement et de la recherche, en parallèle du travail de développement des compétences personnelles qu’elles impliquent, font de moi, je pense, un linguiste et un chercheur plus complet et plus à même de s’adapter à l’interdisciplinarité qui caractérise le laboratoire de recherche auquel je suis rattaché, le CIEREC (Centre Interdisciplinaire d'Études et de Recherches sur l'Expression Contemporaine). 3.7. Inscription de ma recherche dans le CIEREC Voici un extrait de la description des activités du Centre Interdisciplinaire d' Études et de Recherches sur l'Expression Contemporaine (EA n° 3068) que l’on trouve sur le site de l’université (https://www.univ-st-etienne.fr/fr/cierec.html) ; elle est révélatrice de la transversalité des disciplines qui le caractérise : Le CIEREC, créé en 1969, est une équipe d'accueil depuis 1995. Consacré au champ de l'expression contemporaine, il réunit des enseignants-chercheurs et des doctorants d'esthétique et sciences de l'art, d'arts plastiques, de design, d'arts numériques, de littérature, de linguistique et de musicologie. Son champ principal est constitué par les arts et la littérature des XXe et XXIe siècles. Au fil des années, le laboratoire est demeuré fidèle à sa mission fondatrice qui est d'explorer - dans le domaine de la création contemporaine - des questions présentant une dimension transversale forte, à travers un éclairage pluridisciplinaire. Les schèmes à même de régir les processus de création dans des champs artistiques distincts, les procédures de réalisation transposables d'un médium à l'autre ou encore les modalités comparables de diffusion des artefacts produits focalisent l'attention des chercheurs - à côté de réflexions plus spécifiques à tel ou tel moyen d'expression. Le CIEREC se veut en prise sur la création contemporaine. À l'étude transversale de grandes questions concernant le champ de la littérature et des arts d'aujourd'hui, il conjugue des pratiques de création théorisées, dans le champ de la musique, des arts plastiques, du design... Le centre de recherche a, somme toute, l'ambition d'être un observatoire de la création contemporaine et, à certains égards aussi, un acteur des évolutions artistiques actuelles. Si la linguistique n’occupe pas une place centrale dans ce laboratoire, elle y est tout de même présente. En outre, le dernier rapport HCERES (année 2014-2015) faisait état d’une nécessité de développer les activités de recherche et les publications en lien avec ce domaine. Mon inscription dans le CIEREC me permet d’organiser des évènements de nature 112 interdisciplinaire, ce qui est cohérent avec mon positionnement épistémologique (cf. section 2.3). Cette transversalité inhérente au CIEREC n’est toutefois pas un frein à l’organisation de colloques ou de journées d’étude plus spécifiquement ancrées dans le champ disciplinaire de la linguistique, tels que le colloque sur la notion de passage en sciences du langage (cf. section 3.5). Au cours de ma première année à l’Université Jean Monnet, je codirige avec Manuel Jobert, Professeur des Universités à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, une journée d’étude intitulée « La phonologie de l’anglais et ses variations », tenue le 27 avril 2015 à SaintÉtienne. Elle est co-organisée par le CIEREC et le CEL (Centre d’Études Linguistiques) de l’Université Jean Moulin – Lyon 3. L’objectif est double. Nous souhaitons tout d’abord organiser un travail d’équipe autour des anglicistes de la région Rhône-Alpes spécialisés dans la langue orale. Nous réunissons donc pour cette journée d’étude Léa Boichard (ATER à Jean Monnet et aujourd’hui PRAG à Lyon 3), Sylvain Navarro (Maître de Conférences à l’Université Paris Diderot – Paris 7, mais alors enseignant à l'École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne), Cécile Viollain (Maître de Conférences à l’Université Paris Nanterre mais à l’époque ATER à Lyon 3), Stephan Wilhelm (professeur agrégé en CPGE au Lycée Berthollet d’Annecy), Manuel Jobert et moi-même. L’ouvrage Phonologies de l'anglais : théories et applications, publié en 2018 aux éditions Lambert Lucas (voir tiré à part) et codirigé avec Manuel Jobert, correspond aux actes de cette journée d’étude. En plus des six auteurs, j’invite deux autres personnes à se joindre à nous pour communiquer : Alexandre Bouret, un étudiant de master 2 ayant fait un excellent travail de recherche sur l’évolution de la prononciation de Margaret Thatcher à travers les années, et René-Pierre Mondon, PRAG à l’Université Jean Monnet, qui fait une présentation sur les priorités des objectifs pédagogiques liés à l’enseignement de la phonologie en LLCER et en LEA. Notre deuxième objectif est de proposer une pluralité d’approches s’inscrivant dans des cadres différents pour les étudiants désireux de travailler dans le domaine de la langue orale : théories phonologiques différentes (principe phonémique, phonologie générative, phonologie cognitive, phonologie de dépendance), variation temporelle, variation spatiale, socio-phonologie, prosodie ou encore phonostylistique. L’ouvrage qui fait suite à cette journée d’étude est l’occasion de revendiquer à nouveau un ancrage des études sur la langue orale au cœur des sciences humaines et sociales (cf. introduction de Phonologies de l'anglais : théories et applications). Nous espérons à présent poursuivre le travail d’équipe amorcé lors de cette journée d’étude. 113 Les activités de recherche du CIEREC sont organisées autour de trois axes de recherche : « l’œuvre multiple », « e-formes : arts et pratiques du numérique » et « mémoires urbaines ». En parallèle d’une recherche plus individuelle, l’inscription de ma recherche dans le laboratoire se fait par l’intermédiaire de l’axe « mémoires urbaines », dont voici le descriptif (https://www.univ-st-etienne.fr/fr/cierec/programmes-transversaux/axe-3memoires-urbaines.html) : L'axe s'intéresse aux territoires urbains, espaces pluriels et stratifiés, où les uns et les autres se présentent et se représentent par des sons, des langues et des images, qui sont également les dépôts d'une histoire. D'une part, il s'agira d'étudier dans des espaces urbains déterminés des pratiques musicales et langagières contemporaines, en explorant pour ces dernières le concept d'imaginaire linguistique qui définit le rapport d'un sujet à sa langue et à celle de la communauté qui l'intègre. D'autre part, on interrogera les représentations du monde de l'industrie et du travail à partir d'archives photographiques et cinématographiques. L'axe regroupe l'ethnomusicologie, la linguistique, l'esthétique et le champ des études cinématographiques, selon les trois thématiques suivantes : Comment sonne la ville ? "Un travail sur les musiques migrantes de Saint-Étienne est mené en collaboration avec le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes". Est-ce que sa pluralité est audible ? Comment se fait-on entendre dans la ville ? Comment évaluer la présence sonore, tant quantitative que qualitative, des uns et des autres ? Qui écoute qui ? En quoi les musiques de la ville la connectent-elles avec un ailleurs reconstruit, imaginé, rendu présent ? Que disent les musiques des gens qui les produisent, dans leur rapport à l'espace pluriel ? Comment parle la ville ? En quoi les pratiques langagières de la ville la connectent-elles avec un ailleurs reconstruit, imaginé, rendu présent ? Quelles images propose la ville ? Les représentations photographiques et cinématographiques de l'industrie se trouveront interrogées. On étudiera la manière dont elles permettent de construire une légende du travail et du progrès, la façon dont elles traduisent une évolution des « récits » et des imaginaires de l'activité industrielle ? Après la journée d’étude sur la phonologie, je travaille à l’organisation d’un colloque international portant sur les villes anglophones et sur les représentations et les mutations identitaires de celles-ci à travers les caractéristiques linguistiques qui leur sont propres et les représentations artistiques de leurs pratiques langagières. Je constitue un comité scientifique international et invite deux universitaires britanniques que j’avais eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer au cours de colloques : Joan Beal (University of Sheffield) et Jane Stuart-Smith (University of Glasgow). Le colloque « English-speaking towns & cities: memoirs and narratives » se tient à Saint-Étienne les 20 et 21 octobre 2016. En voici l’appel à communication, qui s’inscrit pleinement dans l’axe « mémoires urbaine » du CIEREC : The focus of this conference is the linguistic manifestations of urban identities in the English-speaking world and the various changes they have undergone. The aim is to study the linguistic features typically associated with towns/cities and the artistic representations of urban language. Submissions may consider traditional and/or modern manifestations of language and language usage in specific urban areas. The concepts of linguistic identity and of the linguistic imaginary may also be 114 explored, particularly in the way that they define the relations of individuals with their languages/varieties and their linguistic communities. Synchronic and diachronic perspectives are welcome, across all fields of linguistics. The following is a non-exhaustive list of areas that may be addressed How do towns/cities speak? How do towns/cities sound? How can the plurality and diversity of towns/cities be heard? How can individuals be heard in towns/cities? How do the language practices of urban areas connect speakers locally? How do these practices connect speakers to other times or places (be they spatial, temporal, imaginary, constructed or reconstructed)? What contact phenomena best define towns/cities today/at some point in the past? What artistic signs bear testimony to the linguistic features of urban areas? Presentations may address the representations of towns/cities in literature/films/plays/on television/in urban art and design, etc. They may explore how these representations allow for a construction or reconstruction of urban identity, and how they bear witness to a change in the “narratives” and in the imaginary of towns/cities. Conformément à la philosophie du laboratoire, ce colloque a un fort ancrage interdisciplinaire. Les communications relèvent en effet de la sociolinguistique, de la phonétique, de la phonologie, de la diachronie, de l’imaginaire linguistique, de la stylistique, de la littérature, de l’architecture urbaine et des paysages sonores urbains. Ainsi que l’écrit Jane Stuart-Smith dans l’introduction de « A Tale of One City: Phonological variation and change over 100+ years of Glasgow English », l’article qu’elle écrit pour la publication liée au colloque : One of the key themes which emerged from the interesting and diverse papers at the workshop, Englishspeaking towns and cities: memoirs and narratives, hosted at the Université Jean Monnet, in SaintÉtienne (20-21 October 2016), was the crucial interplay between the particular town/city itself and the range of activities and behaviours associated with it, from architecture, soundscapes, and literary constructions, to key aspects of dialect, use, representations and stereotypes. La publication donne lieu à un ouvrage en anglais, composé de 14 chapitres et actuellement en cours de double expertise anonyme. Son titre est le même que celui de la conférence : English-Speaking Towns & Cities: Memoirs and Narratives (voir tiré à part). La journée d’étude sur la phonologie et le colloque sur les villes anglophones sont les deux manifestations scientifiques que j’organise directement pour le CIEREC. La direction du département d’études anglophones (depuis 2015) étant particulièrement chronophage, je n’ai pas organisé d’autres colloques ou journée d’étude depuis octobre 2016. Néanmoins, je participe depuis mes premiers jours en tant que Maître de Conférences à un programme de recherche qui relève également de « mémoires urbaines » et qui porte sur le parler de SaintÉtienne, dans son double aspect contemporain (variété de français) et historique (variété de francoprovençal). 115 3.8. Dialectologie française et « gaga » Le projet de recherche sur Saint-Étienne s’articule en fait en deux parties et prend effet en deux temps distincts. La première période (2014-2015) correspond à celle d’un partenariat entre le laboratoire du CELEC (Centre d'Études sur les Langues et les Littératures Étrangères et Comparées ; EA n° 3069) et les archives municipales de la ville de Saint-Étienne. Étant recruté en septembre 2014, je prends ce projet en cours, ayant manifesté très tôt (dès mon audition pour le poste de Maître de Conférences, en fait) le désir de m’intégrer à l’équipe qui mène des recherches sur la ville de Saint-Étienne, dans l’optique d’apporter mon aide pour l’analyse de la variété de français qui y est parlée, notamment sur le plan phonétique. Bien qu’appartenant au CIEREC, je commence alors à travailler avec les collègues du CELEC, et notamment les sociolinguistes qui se proposent de travailler sur l'importance des langues dans le terrain stéphanois. C’est ainsi que commence une collaboration fructueuse avec Céline Jeannot Piétroy, Maître de Conférences en sociolinguistique et didactique des langues (section 7) à l’Université Jean Monnet. Les recherches correspondant à la première période prennent la forme de deux manifestations. La première est une exposition temporaire consacrée à l’héritage des migrations sur le territoire stéphanois et présentée aux archives municipales : « Saint-Étienne cosmopolitaine – des migrations dans la ville ». Il s’agit à la fois de dresser un portrait de la ville d’aujourd’hui et d’expliquer les parcours des populations qui la composent. La seconde, menée dans le cadre du projet « Saint-Étienne, ville plurilingue », est une exposition intitulée « La vogue des langues : que parle-t-on à Sainté ? », qui se tient à la bibliothèque universitaire du site Tréfilerie de l’Université Jean Monnet du 6 au 30 juin 2015. Elle propose une réflexion autour de la diversité des langues présentes dans la ville de SaintÉtienne et ses environs. Les visiteurs peuvent y découvrir un aperçu de cette diversité, au sein de laquelle se mêlent différentes variétés de français, des langues régionales locales et des langues issues de la migration. Je prends part à cette exposition en réalisant un poster scientifique sur l’accent stéphanois, mais aussi en aidant à l’organisation d’évènements parallèles, dont la conférence d'inauguration du sociolinguiste Louis-Jean Calvet, intitulée « Urbis et orbis : langues de la ville, langues du monde », et le spectacle de Jeanluc Épallle qui consiste en des sketchs, des lectures et des chansons en français régional stéphanois. Jeanluc Épallle est un comédien qui fait vivre le parler stéphanois dans un mélange de tonalités humoristiques et poétiques. Son « Épallle théâtre » est très connu dans la région stéphanoise. Si j’avais maintes fois eu l’occasion d’assister à ses spectacles, l’exposition « La vogue des langues… » est l’occasion de le rencontrer véritablement et de commencer à 116 dessiner les contours d’une future collaboration aux formes multiples, sur laquelle je reviendrai plus tard. Le comédien se montre en effet très intéressé par la possibilité de décrire scientifiquement l’accent stéphanois. Je suis beaucoup plus directement impliqué dans la deuxième période des recherches sur Saint-Étienne (2014-2017). Je coordonne en effet avec Céline Jeannot Piétroy un programme de recherche financé conjointement par le CIEREC et le CELEC et dont la finalité est la publication d’un ouvrage de référence sur le « gaga »32, la variété linguistique locale, au moment où la vitalité de celle-ci tend à diminuer de plus en plus. Le terme gaga désigne en fait deux réalités linguistiques différentes. La première correspond à une variété de francoprovençal (que les Stéphanois appellent souvent le « patois ») qui a été parlée et écrite à Saint-Étienne jusqu’au début du XXe siècle. Les traces qui en restent aujourd’hui dans le français local donnent à celui-ci une sonorité particulière. Le gaga actuel est le résultat de cette histoire et correspond au français régional parlé à Saint-Étienne aujourd’hui. Il se manifeste par l’usage de certaines spécificités lexicales, dont certaines sont encore très courantes et d’autres tendent à se raréfier, mais aussi des constructions linguistiques très marquées et un accent caractéristique de la ville et de ses environs. S’il existe un certain nombre d’ouvrages et de dictionnaires portant sur le lexique gaga (Dorna & Lyotard 1953, Perrin & Zellmeyer 1966, Plaine & Épallle 1998, Martin 2000), un dictionnaire des régionalismes en Rhône-Alpes (Fréchet 2015) et un ouvrage descriptif sur le gaga de la fin du XIXe siècle (Duplay 1896), il n’existe en revanche aucun ouvrage de référence abordant tous les aspects de la variété stéphanoise contemporaine avant Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois (2017c, voir tiré à part). Pour ce projet, nous souhaitons nous intéresser au contexte historique et social de la variété stéphanoise. Cela implique une intégration des spécificités historiques de la ville de Saint-Étienne car elles ont forcément un lien avec la variété locale et ses locuteurs. Le contexte historique est également celui de l’histoire linguistique, et notamment du lien entre le substrat dialectal et le français régional stéphanois aujourd’hui, ce qui impose une perspective diachronique. Nous souhaitons bien sûr consacrer la partie centrale de l’ouvrage à une description linguistique complète du gaga : son lexique, sa prononciation et sa grammaire. Enfin, nous souhaitons aborder des questions liées à la diffusion / non-diffusion du gaga. Les origines du terme gaga sont abordées dans l’introduction de Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois (Glain & Jeannot Piétroy 2017c, voir tiré à part) 32 117 Comment est-il transmis dans le milieu scolaire ? Comment est-il représenté dans le domaine littéraire et artistique ? Dans quelle mesure constitue-t-il un commerce ? En outre, il nous paraît nécessaire d’aller au-delà du point de vue des linguistes et de nous intéresser à la perspective des véritables acteurs du gaga, à savoir ses locuteurs. Pour répondre à tous les besoins du futur ouvrage, nous réunissons une équipe composée de collègues linguistes de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (Marguerite Maurel, Pierre Manen, Jean-Christophe Pitavy, Céline Jeannot Piétroy et moi-même), mais aussi de spécialistes de l’histoire et des variétés de la région. Participent donc au projet JeanBaptiste Martin (Institut Pierre Gardette de l’Université catholique de Lyon, auteur de référence sur les langues de la région), Claudine Fréchet (Institut Pierre Gardette de l’Université catholique de Lyon, directrice du Dictionnaire des régionalismes de Rhône-Alpes de 2015) et Bernard Rivatton (historien, directeur du Musée du Vieux Saint-Etienne). Nous rejoignent également des artistes ou auteurs tels que Jeanluc Epallle, Jean-Paul Chartron (auteur d’une chronique hebdomadaire en gaga dans le journal Le Progrès) et Gil Chovet (musicien ayant écrit un album dont les chansons mettent en musique des mots gaga). Au cours de la période de préparation de l’ouvrage, Pierre Manen, Maître de Conférences en linguistique générale à Jean Monnet (section 7) me demande de participer au jury de soutenance du mémoire de master 2 de Léa Bastin, une étudiante en lettres modernes dont le travail porte sur la vitalité des régionalismes stéphanois aujourd’hui. Étant très intéressé par toute une partie de ce mémoire, je demande à Léa Bastin si elle veut bien rédiger un chapitre de l’ouvrage correspondant à son thème de recherche, ce qu’elle accepte de faire avec enthousiasme. Laurence Joffrin, une autre de nos étudiantes ayant tout juste terminé un master 2 en sociolinguistique, est également intégrée à l’équipe, à laquelle elle fait bénéficier son travail de recherche sur l’apprentissage du français à Saint-Étienne par des non-francophones. Enfin, nous demandons à Miquèl Neiròlas, l’un des derniers locuteurs bilingues francoprovençal / français de la région, qui est animateur d’un atelier d’apprentissage du francoprovençal, de rédiger un texte en francoprovençal afin de permettre au lecteur d’entrer en contact direct avec la langue régionale autrefois parlée à Saint-Étienne. Notre approche se veut donc éclectique, afin qu’un public varié puisse y trouver de l’intérêt. Vous avez dit gaga ?... propose donc une narration aux points de vue multiples portant sur la ville de SaintÉtienne et sur la variété linguistique qui la caractérise. Les contributeurs associent leurs connaissances diverses et leur savoir-faire varié pour raconter le français régional stéphanois. Certains articles ont ainsi une composante principalement universitaire et sont structurés 118 comme des productions typiquement scientifiques. D’autres prennent en revanche la forme d’un récit de la part de passionnés qui vivent et font vivre le gaga au quotidien. Certaines contributions sont enfin des témoignages artistiques qui permettent d’aborder une autre réalité du parler stéphanois. L’accent stéphanois est un sujet qui mérite une étude d’une certaine ampleur. En effet, on trouve bien un certain nombre de commentaires et de vidéos sur Internet mais les descriptions proposées ont tendance à rester impressionnistes et approximatives, à l’exception d’un court article universitaire d’Escoffier (1972). Les vidéos proposent quant à elles un accent extrêmement marqué qui, s’il peut en effet être associé à une partie de la population de Saint-Étienne, est trop exagéré pour se faire le réel reflet des pratiques langagières de la vaste majorité des locuteurs de cette ville, ce qui pose le problème de l’authenticité. Pour l’article « L’accent stéphanois » (2017b, Ref 13), je crée un protocole d’enquête visant à réaliser une série d’entretiens que nous menons avec plusieurs collègues afin de dresser un panorama de la prononciation stéphanoise contemporaine. Cinquante personnes sont enregistrées dans le cadre de cette enquête ; elles peuvent être considérées comme globalement représentatives de la communauté recherchée. Elles appartiennent en effet à différentes générations (la plus jeune est née en 2003 et la plus âgée en 1929) et sont issues de catégories socioprofessionnelles variées. Par ailleurs, les locuteurs qui composent la communauté susceptible de participer aux enregistrements doivent être « linguistiquement nés » à Saint-Étienne, c'està-dire y ayant appris à parler le français, qui doit aussi être leur langue maternelle afin d’éviter les phénomènes de substrat éventuellement liés à d’autres langues33. Afin de minimiser les effets du « paradoxe de l’observateur » (Labov 1972b), les enquêteurs suivent le principe du « réseau dense » défini par L. Milroy (1987)34. Ainsi, ils réalisent des enregistrements de personnes qu’ils connaissent ou profitent de diverses relations (familiales, amicales, professionnelles) afin d’être accompagnés par un proche de la personne interviewée et ne pas être considérés comme totalement étranger. Le but est de faciliter l’instauration d’une relation de confiance davantage susceptible de donner lieu à un type de discours plus naturel. Afin de rendre compte de la variation interne aux locuteurs, le protocole implique trois types d’enregistrements pour chaque locuteur : ceux d’une liste de mots, d’un texte contenant un certain nombre de ces mots et d’un discours libre, mais portant sur la ville de Saint-Étienne. Il Une étude complémentaire serait d’ailleurs particulièrement intéressante pour une analyse de tels phénomènes liés à l’influence d’une langue maternelle autre que le français. 34 Le principe des réseaux denses est aussi utilisé dans les protocoles d’enquête des projets « Phonologie du Français Contemporain » (PFC) et « Phonologie de l’Anglais Contemporain » (PAC). 33 119 n’est pas précisé aux informateurs que l’enquête est de nature linguistique, simplement qu’elle concerne la préfecture de la Loire, de façon à les ancrer dans un contexte local par le sujet de la conversation. La liste de mots contient des variables phonétiques potentiellement révélatrices, que ce soit en relation avec l’accent stéphanois traditionnel ou avec les accents du français en général. Après avoir mené une étude sur ce corpus d’enregistrements, je traite de la phonologie et des variations phonétiques du français régional stéphanois dans l’article « L’accent stéphanois » (Ref 13). Les principales caractéristiques de cet accent sont des nasales diphtonguées (je rends compte de la variabilité du premier élément de la diphtongue à l’aide d’analyses spectrographiques), la distribution particulière des trois allophones de /a/, la fermeture des voyelles en syllabe fermée, un grand nombre d’élisions de voyelles (particulièrement les schwas) et la forme convexe des tons nucléaires. Ces spécificités se font moindres avec les locuteurs les plus jeunes, preuve que l’accent stéphanois est en perte de vitesse. La fermeture des voyelles en syllabe fermée, et notamment la réalisation de /œ/ comme [ø] (jeune devenant par exemple un homophone parfait de jeûne) constitue le trait de la prononciation locale le plus répandu dans le corpus, même s’il est un peu moins systématique et davantage variable chez les locuteurs les plus jeunes. Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois (voir tiré à part) est accompagné d’un CD sur lequel un certain nombre des enregistrements ont été reproduits. Ces extraits de discours sont accompagnés sur le CD par la lecture par Miquèl Neiròlas de son article en francoprovençal, par un sketch de Jeanluc Épallle intitulé « La rue Gérentet », dont il est question dans son témoignage « Itinéraire d’un enfant gagaté » qui figure dans le livre, et par « Coissou », une chanson de Gil Chovet qui met en parole et en musique le vécu particulier du « petit dernier » d’une famille (le « coissou » en gaga). Dans le même ouvrage, je coécris l’article « Petite grammaire du gaga » (Ref 14) avec Jean-Christophe Pitavy, Maître de Conférences en linguistique générale (section 7) à l’Université Jean Monnet. Nous y abordons les principales caractéristiques du français régional stéphanois dans les domaines du groupe nominal, du groupe verbal, des adverbes et locutions adverbiales et de la syntaxe. Nous traitons également de quelques marqueurs de discours typiquement stéphanois. 120 Suite à la publication de Vous avez dit gaga…, je m’implique beaucoup au niveau local dans la promotion du livre, ainsi que dans la valorisation de la recherche entreprise au cours de ce projet. Je suis par exemple invité à la fête du livre de Saint-Étienne à l’automne 2017 pour y rencontrer des lecteurs potentiels. Je participe par la suite à deux émissions sur une chaîne de télévision et une station de radio régionales35. Par l’intermédiaire de l’Université Pour Tous (UPT), je fais également la conférence que j’intitule « Le gaga dans tous ces états » dans plusieurs villes de la région stéphanoise. J’en profite pour développer l’influence du substrat francoprovençal sur la prononciation stéphanoise contemporaine, phénomène que je n’avais pas abordé dans l’article « L’accent stéphanois ». En effet, « lorsque les populations sont progressivement passées du francoprovençal au français, elles ont conservé certains traits de la langue ancienne qui était leur langue maternelle » (Martin 2017 : 70). Le francoprovençal36 présentait notamment un amuïssement des voyelles entravées et non-accentuées, phénomène que l’on retrouve dans les élisions de voyelles du gaga. L’une de ses caractéristiques était également une surabondance des voyelles fermées, ce qui semble correspondre à la fermeture des voyelles en français régional stéphanois. L’élision du schwa et la fermeture des voyelles ne sont pas des phénomènes strictement stéphanois ; ils sont susceptibles d’être rencontrés dans une grande partie de la région Rhône-Alpes, qui constitue la zone d’influence du francoprovençal, y compris à Lyon (le francoprovençal s’est développé à partir de Lugdunum, capitale des Gaules, il y a deux millénaires). En revanche, la diphtongaison des nasales est plus locale. Il se trouve qu’en francoprovençal un mot comme pane (« pain ») était prononcé avec la nasale /ɑ̃/. Un mot comme pain est prononcé avec /ɛ̃/ en français. Si certains locuteurs âgés ont conservé une prononciation [pɑ̃n], peut-être davantage révélatrice de la rétention de l’item lexical en tant que tel que de sa prononciation, les prononciations stéphanoises diphtonguées constituent une sorte de « compromis » entre [pɑ̃n] et [pɛñ ]. Cela est encore plus frappant pour des items tels que ventu (« vent »), prononcé avec /ɛ/̃ en francoprovençal alors que vent contient le phonème /ɑ̃/ en français. Une nouvelle fois, la diphtongaison stéphanoise semble se situer à la croisée du francoprovençal et du français. J’interviens également depuis deux ans dans le cadre de l’Université Populaire de Saint-Étienne, ouverte à tous, pour y faire des conférences sur l’anglais et sur le parler stéphanois, ce qui me semble être particulièrement important pour la diffusion de la recherche L’émission de télévision peut être visionnée sur http://www.tl7.fr/replay/vu-d%E2%80%99ici_13/vu-d-ici-13decembre-2017_x6bm0ov.html et l’émission de radio écoutée sur https://rcf.fr/culture/olivier-glain-celinejeannot-pietroy-vous-avez-dit-gaga. 36 Les descriptions de la prononciation du francoprovençal dans cette section sont toutes tirées de Martin (2012). 35 121 en direction de publics moins favorisés. Récemment, Jeanluc Épallle a écrit une pièce de théâtre intitulée Cinquante nuances de gaga, ou comment parler la langue. Elle met en scène un échange entre un enseignant (joué par Max Rivière lors de la première saison) qui souhaite enseigner le gaga au public. Pour ce faire, il a besoin de l’aide d’un « expert », maître Pétrus (joué par Jeanluc Épallle). Certains éléments descriptifs de la variété stéphanoise dans cette pièce sont tirés de l’ouvrage Vous avez dit gaga ? … Par ailleurs, Max Rivière ayant souhaité se mettre en retrait, Jeanluc Épallle m’a demandé de jouer le rôle de l’enseignant au cours de la saison 2018-2019, pour une série de neuf représentations de la pièce, ce que j’ai accepté. J’y vois un formidable outil de valorisation de la recherche entreprise depuis quatre ans. À plus long terme, nous avons également pour but de composer une pièce sur les variétés de français. Je suis désormais pleinement associé aux activités de ce théâtre puisque je suis depuis quelques mois le vice-président de l’association qui le régit. De l’Université Pour Tous à l’Université Populaire, de la télévision au théâtre en passant la radio, la valorisation de la recherche m’a ainsi mené vers différents lieux, différents espaces, pour y faire principalement vivre des formes de phonologie en lien avec l’humain, en lien avec le social. Avant d’aborder mes futures perspectives de recherche, je trouve particulièrement opportun de terminer la synthèse de mes activités des vingt-six dernières années avec un retour au théâtre marqué par l’accent stéphanois, près de trois décennies après être tombé simultanément « amoureux » de la phonologie et du théâtre. 122 CONCLUSION La recherche d’une certaine forme d’authenticité en lien avec la langue orale, et notamment la diversité qui caractérise l’anglais oral, a structuré cette synthèse, que ce soit dans le domaine de la didactique ou dans celui de la linguistique. La phonologie se décline bien sûr en des temps et des espaces différents, en rapport avec une grande diversité de locuteurs et de contextes sociaux. Pour moi, l’enseignement de la langue orale doit se nourrir de cette diversité en même temps qu’il doit fournir un cadre de référence qui varie forcément en fonction du profil des apprenants. Si pour le chercheur la langue orale est souvent celle des locuteurs natifs qui deviennent un objet d’étude, elle est également pour l’enseignant celle des apprenants au sein du dispositif social de la classe de langue, à l’origine peu authentique. Mon positionnement pédagogique consiste en l’utilisation de méthodes de travail visant à rendre plus authentiques les interactions en classe, en vue d’une amélioration des compétences de communication des apprenants dans leurs aspects phonologiques et pragmatiques. Cette plus grande authenticité peut passer par l’action, voire l’énaction. Ma conception de la phonologie accorde une place importante à sa relation avec les autres champs de la linguistique et les autres disciplines des sciences humaines et sociales. Si cette interdisciplinarité est revendiquée dans mon parcours, elle reste principalement au service de l’étude de la langue orale dans ses dimensions phonétiques et phonologiques, dont elle permet de mieux rendre compte, dans un souci de complémentarité. Cette prise en compte de l’humain et du social dans la linguistique me permet de surcroît de théoriser des représentations variables des sons en fonction des individus, au sein d’un modèle de phonologie sociocognitif qui prend appui sur des variations et des changements avérés, et donc authentiques, tout en intégrant des données issues des sciences cognitives. Mon adhésion théorique à une forme de linguistique cognitive n’entre ainsi pas en contradiction avec mon positionnement en faveur de la sociolinguistique. La rencontre de différents modèles ont petit à petit contribué à l’ouverture de ma recherche, sans jamais pour autant oublier la phonologie, ou plutôt les phonologies. Je pense que l’aspect social de la linguistique peut non seulement s’étudier ; il peut également se vivre. Au-delà de ma participation à un réseau régional visant à faire vivre le gaga dans le bassin stéphanois, l’appartenance à une communauté de chercheurs en 123 anglistique est importante à mes yeux. C’est le sens de mon implication grandissante au sein de l’ALOES, dont je suis l’un des vice-présidents depuis l’an dernier. J’ai cette année coorganisé l’atelier ALAES-ALOES dans le cadre du congrès de la SAES et je compte organiser la journée d’étude de l’ALOES de 2023. Cette société savante correspond véritablement à l’étude de la langue orale telle que je me la représente puisque ses centres d’intérêt sont principalement, mais non exclusivement, la phonétique et la phonologie et puisqu’elle œuvre également dans le sens de la didactique et de l’apprentissage de l’anglais oral dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. En ce qui concerne ma recherche à venir, j’ai commencé à mettre en place les fondements de plusieurs projets. Je travaille actuellement sur les attitudes des locuteurs et sur l’imaginaire linguistique en lien avec l’accent stéphanois. Je dois d’ailleurs écrire un article à ce sujet pour un ouvrage portant sur les manifestations sensorielles des urbanités et dirigé par Stéphanie Béligon (Paris IV Sorbonne Université) et Rémi Digonnet (Université Jean Monnet), à paraître chez Peter Lang. Afin de donner une dimension internationale à mes recherches sur le français régional stéphanois et d’en diffuser les conclusions à l’étranger, j’ai contacté Jonathan Kasstan (Queen Mary University of London), qui avait écrit à Céline Jeannot-Piétroy pour lui faire part de son intérêt à la lecture de l’ouvrage Vous avez dit gaga…, que nous avions codirigé. Jonathan Kasstan 37 est un sociolinguiste britannique spécialiste du francoprovençal. Il est co-directeur de la revue Cahiers, Association for French Language Studies e-Journal et a notamment écrit le chapitre sur le francoprovençal dans la série « Illustrations of the IPA » du Journal of the International Phonetic Association (2015). Nous nous sommes mis d’accord sur une collaboration dont les modalités restent encore à définir mais qui devrait concerner l’organisation de colloques et de publications en France et en Grande-Bretagne. Un autre projet international à venir a pour but de diffuser le modèle de l’imaginaire linguistique au-delà du monde francophone par l’intermédiaire d’une traduction. À la suite du colloque international sur les villes anglophones que j’ai organisé en 2016, Joan Beal s’est montrée très intéressée par la théorie d’Anne-Marie Houdebine et par son apport pour les travaux de recherche sur la norme et sur la dualité standard / non standard. Elle m’a proposé une collaboration dans le but de traduire certains travaux d’Houdebine à destination des lecteurs anglophones. 37 Le profil de Jonathan Kasstan est consultable sur : http://www.cantab.net/users/jrkasstan . 124 Dans mon esprit, l’essentiel de ma recherche doit toutefois continuer à porter sur l’anglais. J’ai commencé à travailler sur l’accent de Newport, une ville du pays de Galles linguistiquement intéressante car située à la croisée d’influences diverses qui se manifestent par des phénomènes de contact entre le substrat gallois, la phonologie des variétés du sud du pays de Galles, la prononciation de Cardiff et peut-être celle des variétés de l’ouest de l’Angleterre. Pour donner sa forme définitive à ce travail, je dois à présent mener des études de terrain à Newport. À l’Université Jean Monnet, le CIEREC et le CELEC vont fusionner au sein d’un grand laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’expression contemporaine. Je compte inscrire ma recherche dans l’axe « mondialisation et territoires » qui est en train d’être défini. Je pourrai ainsi développer un aspect de l’anglais contemporain que j’ai commencé à traiter dans la dernière partie de Variations et changements en langue anglaise…, celui de la dualité langue internationale / langue locale. Cette situation récente est qualifiée de glocalisation (mot-valise issu de globalisation et de localisation en anglais) : l’anglais s’est mondialisé, devenant la langue dominante de la planète, tout en se déclinant en une multitude de formes locales, souvent par phénomène d’accommodation avec des langues indigènes. Ce processus a donné naissance à de nouvelles variétés, plus susceptibles de correspondre à l’expression des pensées et des sentiments des locuteurs locaux (Schneider 2011 : 230), c'est-à-dire davantage en lien avec une expression authentique de leur identité. Dans une double perspective de recherche et d’enseignement, cette fragmentation de la langue orale questionne à nouveau le rapport des locuteurs et des apprenants à la norme. Ainsi que l’écrit Ballier (2008 : 117-118), L’anglais est menacé de re-définitions successives liées aux variétés d’anglais (britannique, américain, australien, néo-zélandais, indien, mais rien ne limite potentiellement cette fragmentation). On assiste à une libanisation de la norme, déstructuration dont chaque communauté pense être le légitime détenteur. Au fur et à mesure que s’émancipent les instruments de référence de chaque variété (voir la multiplication des dictionnaires de American English, Australian English, etc.), s’éloigne la figure de la norme unique. Les facteurs de domination (dispersion géographique, nombre de locuteurs) sont aussi un facteur de fragilisation de la norme (les locuteurs de l’Indian English sont plus nombreux que ceux du Standard British English). Langue dominante parce que seule à être mondiale (English as a Global Language), l’anglais court le risque d’une balkanisation (redécoupage d’une entité initiale unique en fiefs aux contours illégitimes) et son unité est menacée de désintégration (ainsi certains films britanniques sont-ils sous-titrés aux États-Unis, renouant avec l’aphorisme de Shaw de ces deux pays séparés par une même langue). Cette balkanisation est d’autant plus ressentie qu’existent bon nombre de pidgins et de créoles, et qu’alors plus rien n’assurerait de parler autre chose que ce qui est encore perçu par beaucoup comme une sous-langue. La recherche d’une langue orale authentique dans sa dimension humaine et sociale rend nécessaire la référence à des phonologies diverses, des phonologies de différents temps et de différents espaces, que ceux-ci soient ceux d’un monde fondamentalement multiple mais 125 de plus en plus connecté ou ceux d’une classe de langue. La recherche de l’authenticité n’est bien sûr qu’un idéal. Il n’est pas possible de créer une communication authentique en classe de langue, pas plus qu’il n’est possible de développer les compétences phonologiques des apprenants pour les mener vers un niveau total d’authenticité. Il est également impossible de rendre compte de toutes les formes authentiques d’anglais parlées à travers le monde dans une perspective de recherche. Si un objectif d’enseignement et de recherche lié à la quête d’une réelle authenticité est donc nécessairement imparfait parce qu’il ne peut pas être atteint, il s’agit d’un idéal qu’il me semble toutefois digne de poursuivre dans le but de promouvoir les études de langue orale. 126 Références ADAMCZEWSKI Henri, Grammaire linguistique de l’anglais, Paris, Armand Colin, 1982. ADEN Joëlle, « De la langue en mouvement à la parole vivante : théâtre et didactique des langues », Langages 4 (n° 192), 2013, p. 101-110. 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WRIGHT Joseph (dir.), The English Dialect Dictionary (6 volumes), Oxford, Oxford University Press, 1898-1905. 138 Index des auteurs ADEN Joëlle 33, 35 AUER Peter 98 ASHBY Patricia 38, 39, 40, 41 BALLIER Nicolas 25, 125 BARNABE Aurélie 36 BARTHES Roland 111 BAUGH Albert & Cable Thomas 61 BAYLON Christian 54 BIJELJAK-BABIC Ranka 90 BIRDWHISTELL Ray 28 BLEVINS Juliette 62, 77, 83, 85, 86, 87 BRANDAO DE CARVALHO Joaquim 83 BRITAIN David 58 BRULARD Inès 46, 48 CALVET Louis-Jean 63, 75, 116 CARR Philip 46, 47, 48, 90 CHEVILLET François 39 CHOMSKY Noam 75, 93 CRUTTENDEN Alan 22, 23, 38, 44, 68, 82 CRYSTAL David 28, 61, 66, 104, 105 DIANA Alain 21, 22 DUCHET Jean-Louis 91 DUPLAY Pierre 117 DURAND Jacques 47, 94 DURIAN David 93 ESAU Helmut 87 ESCOFFIER Simone 119 FENNEL Barbara 66 FONAGY Iván 27, 28 139 FRECHET Claudine 117, 118 FRIDLAND Valerie 55, 56, 63 GOULLIER Francis 19 HANOTE Sylvie 7 HERMENT Sophie 29, 68 HICKEY Raymond 105 HIRST Daniel 68 HOUDEBINE Anne-Marie 9, 100, 101, 102, 103, 124 HUART Ruth 21, 22 JENKINS Jennifer 24, 25, 26 JOBERT Manuel 28, 39, 76, 109, 111, 113 JOLY André & O’KELLY Dairine 8, 27, 108 JONES Daniel 17, 88, 90, 91, 92 JOSEPH John Earl 66 JULIÉ Kathleen 15, 16 KACHRU Braj 70, 71 KENRICK William 106 KENWORTHY Joanne 22 KRAMSCH Claire 8, 15 LABOV William 52, 53, 55, 56, 59, 60, 62, 63, 65, 72, 73, 75, 76, 83, 92, 97, 98, 101, 119 LANGACKER Ronald 90, 108 LAPAIRE Jean-Rémi 28, 33, 34, 108 LASS Roger 75 LEITH Dick 61, 66, 69 LERER Seth 61 LINDBLOM Björn 84 LOVECRAFT Howard Philips 109, 110, 111 MÄKINEN Kaarina 31 MARTIN Jean-Baptiste 117, 118, 121 MARTINET André 62, 101 MCWHORTER John 73, 87, 99 MEILLET Antoine 73, 75, 76 140 MEUNIER Christine 84 MILROY James 8, 65, 76, 99, 102, 103 MILROY Lesley 75, 76, 119 MINKOVA Donka 66 NGUYEN Noël 83 OHALA John 77, 83, 84 RIVERS Wilga 33 ROACH Peter 38 ROTGE Wilfrid 8, 108 SAUSSURE Ferdinand de 75, 77 SCHILLING Natalie 56 SCHNEIDER Edgar 39, 69, 70, 72, 97, 98, 105, 125 SCHREIER Daniel 69 SMITH Jeremy 65, 66, 73, 76, 77, 84, 87, 88, 89, 97, 99, 103 SORLIN Sandrine 75, 105, 106, 107 SOULAINE Stéphane 35 STANISLAVSKI Konstantin 32, 33 STEVANOVITCH Colette 61 STOCKWELL Peter 97, 98 TROUBETZKOY Nicolaï 47, 48, 49 TRUDGILL Peter 12, 25, 26 VALIMAA-BLUM Rita 90, 92 VARELA Francisco 9, 34, 35 WALKER John 106 WAUQUIER Sophie 83 WEINREICH Uriel 72 WELLS John 27, 39, 47, 49, 57, 59 WILBANKS Eric 82 WILHELM Stephan 58, 68, 99 WINKIN Yves 27 WRIGHT Joseph 61 141 CURRICULUM VITAE -------------Maître de Conférences en linguistique anglaise à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne Membre du CIEREC (Centre Interdisciplinaires d’Études et de Recherches sur l’Expression Contemporaine), EA 3068 -------------FORMATION ET DIPLOMES 2013 - Doctorat en linguistique anglaise réalisé sous la direction de Manuel Jobert, Université Jean Moulin - Lyon 3, mention très honorable avec les félicitations du jury à l’unanimité Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) dans le monde anglophone, thèse soutenue le 9/11/2013 à Lyon Composition du jury : Jean Albrespit, Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour (président) Nicolas Ballier, Professeur, Université Paris 7 - Diderot (rapporteur) Catherine Delesse, Professeur, Université de Lorraine Jean-Louis Duchet, Professeur émérite, Université de Poitiers (rapporteur) Manuel Jobert, Professeur, Université Jean Moulin - Lyon 3 (directeur) 2011 2010 2000 1997 1993 1992 - Master 2 en phonologie anglaise, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, sous la direction de Wendy Schottman, Les Cas de Palatalisation Contemporaine en anglais, mention très bien - Certificate of Proficiency in the Phonetics of English, diplôme de l’Association Phonétique Internationale - Agrégation interne d’anglais – 12è au classement - CAPES externe d’anglais – 14è au classement - Maîtrise en littératures et civilisations anglophones, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, mention bien ; Tennessee Williams: a Story of Men and Women, mémoire réalisé sous la direction de Patrick Badonnel - licence en littératures et civilisations anglophones, Université Jean Monnet de Saint-Étienne -------------ENSEIGNEMENT En France depuis 2014 -Maître de Conférences à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne : cours de phonétique (L1, L2), phonologie (L2, L3, M1), grammaire (L3, M1, M2), linguistique générale (L3), 142 2010-2014 2010 1999-2010 1994-1995 1992-1993 sociolinguistique (L3, M2 recherche), traduction orale (L3), méthodologie (M2 Meef et recherche), civilisation du Commonwealth (L2), thème (M1 Meef), préparation aux épreuves orales du CAPES (M2 Meef parcours B) -PRAG à l’IUT de Roanne (Université Jean Monnet de Saint-Étienne) : cours d’anglais professionnel et d’anglais des affaires dans les deux années de la licence et en licence professionnelle banque assurance. - cours de traduction et de civilisation en Master 1 anglais LLCER, Université Jean Monnet de Saint-Etienne (vacations) - professeur certifié puis agrégé au Lycée Général et Technologique Albert Thomas de Roanne (42) : cours de la classe de seconde aux classes de BTS ; diverses vacations à l’université - maître auxiliaire en anglais et français aux Collège et Lycée de Chazournes, à Aurec/Loire (43) - maître auxiliaire en anglais aux Collège et Lycée de Chazournes, à Aurec/Loire (43) À l’étranger 1997-1998 1993-1994 - lecteur de français et enseignant d’un module d’interprétariat à l’université de Hull (Royaume-Uni) - assistant de français, the University of Southern Mississippi, à Hattiesburg (États-Unis) -------------PARTICIPATION AUX JURYS DE L’EDUCATION NATIONALE depuis 2018 2017 2012-2015 2008-2011 - membre du jury de l’agrégation externe ; responsable de l’épreuve de phonologie à partir de la session 2019 - membre du jury de l’agrégation externe spéciale docteurs ; co-auteur du rapport sur la linguistique et auteur du rapport sur l’anglais oral - membre du jury du CAPES externe d’anglais ; auteur du rapport sur l’anglais oral (2014 & 2015) - membre du jury de l’agrégation interne d’anglais ; co-auteur d’un rapport de thème (2009) et participation aux rapports de version et de traductologie (2008-2011) ; coordonnateur des rapports de didactique (2009-2011) -------------FORMATION D’ENSEIGNANTS 2012 2010-2011 2010-2013 2008-2010 2006-2010 - animateur du forum de didactique du CNED pour les candidats au CAPES externe et à l’agrégation interne d’anglais - préparateur de l’épreuve de didactique de l’agrégation interne d’anglais pour les candidats de l’académie de Clermont-Ferrand - correcteur et concepteur de sujets chez le CNED pour l’agrégation interne (didactique et compréhension / restitution) - formateur pour l’Université de Cambridge et le Ministère de l’Education Nationale : formation des enseignants amenés à corriger les certifications dans le cadre du Cambridge English Certificate - formateur des enseignants de langues vivantes des établissements privés sous contrat de la Loire pour FORMIRIS 143 2005-2008 2003-2008 2002-2010 - responsable académique de la formation des enseignants de langues vivantes au Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, au Plan de Rénovation des Langues et à l’approche actionnelle (académie de Lyon). Coordonnateur académique de la formation pédagogique en anglais - formation des professeurs d’anglais des établissements privés sous contrat de l’Académie de Nantes, Cadre Européen et perspective actionnelle - formateur de professeurs d’anglais pour le rectorat et l’IUFM de Lyon dans le cadre des A.P.P.D. (Ateliers de Pratiques Pédagogiques et Didactiques) - maître de stage de professeurs stagiaires en lycée -------------RESPONSABILITES ADMINISTRATIVES ET COLLECTIVES Université Jean Monnet de Saint-Étienne - directeur du département d’études anglophones depuis 2015 (élu en 2015 et réélu en 2017) - membre du CA du CIEREC (élu en 2017) - 2015-2017 : co-responsable d’un groupe de recherche sur le parler stéphanois - juin 2015 : aide à l’organisation et animation dans le cadre de l’exposition « La vogue des langues : que parle-t-on à Sainté ? » - 2013-2014 : directeur des études du département Techniques de Commercialisation de l’IUT de Roanne - participation à un projet intensif Erasmus « Effective Communication in Multicultural Teams » pour l’IUT de Roanne et le Centre Universitaire Roannais avec des partenaires allemands, autrichiens, thèques, finlandais et estoniens (2011-2014), site : http://ip-ecmt.eu - chargé de missions pour les relations internationales de l’IUT de Roanne (2011-2014) - animateur d’un atelier théâtre en langue anglaise pour l’IUT de Roanne (2011-2013) Sociétés savantes - vice-président de l’ALOES (élu en 2017) ; co-responsable de l’atelier de ALAES-ALOES lors du colloque de la SAES de Nanterre en 2018 - depuis 2011 : membre de SAES et de l’ALOES Recherche - organisation du colloque international « English-speaking towns & cities: memoirs and narratives », 20 et 21 octobre 2016, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, CIEREC - co-organisation (avec Manuel Jobert) de la journée d’étude « La phonologie de l’anglais et ses variations », 7 avril 2015, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, CIEREC & Université Jean Moulin Lyon 3, CEL (Centre d’Études Linguistiques) - membre de comités scientifiques : colloque international « Manifestations sensorielles des urbanités contemporaines » (Saint-Étienne, 5 & 6 avril 2018) ; journée d’étude « Habiter la langue, construire la langue » (Saint-Étienne, 8 avril 2016) ; colloque international PAC 2015 « Variation, change and spoken corpora: advances in the phonology and phonetics of contemporary English » (Toulouse 9-13 avril 2015) - 2010-2012 : membre du comité de lecture de la revue Intercultural Education, Éditions Routledge - 1999 : Quelle authenticité à l’oral en classe d’anglais ?, mémoire professionnel non publié, mention très bien avec les félicitations du jury, I.U.F.M. de Clermont Ferrand 144 Membre de comités de sélection de MCF - poste 498, « études britanniques » pour LLCER, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, 2018 - poste 0380, « Linguistique anglaise : phonétique / phonologie, traductologie et grammaire » pour LLCER, Université Clermont Auvergne, 2018 - poste 0686, « Civilisation du monde anglophone et/ou langue de spécialité » pour LEA, Université Jean Moulin Lyon 3, 2018 Lycée Albert Thomas de Roanne - organisateur d’un projet Comenius pour l’atelier théâtre du lycée avec des partenaires allemands et turcs (2008-2010) : 3 stages d’une semaine dans chacun des trois pays - membre du CA en 2008-2009 - co-animateur de l’atelier théâtre du lycée de 2001 à 2010 - directeur du département d’anglais de 2001 à 2005 Voyages - organisateur d’échanges scolaires avec des établissements à San Francisco (1995-1997) et au pays de Galles (1999 - 2001) et de voyages scolaires à Londres (1997, 2000) et en Irlande (1993) -------------PUBLICATIONS Ouvrages - en cours d’expertise : Variations et changements en langue anglaise : évènements historiques ; perspectives humaines et sociales (soumis aux Publications de l’Université de Saint-Étienne). - Prononciations du monde anglophone, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013. - CAPES et agrégations d'anglais : cours de compréhension et d'expression, Paris, éditions CNED, 2014. - L'épreuve de didactique à l'agrégation interne d'anglais : méthodologie, Paris, éditions CNED, 2012. - My Brilliant Career, (co-auteur avec Michelle Sommers), Paris, Attica, 2007. - Mad for Ads 4, Paris, Nathan, 2006. Direction d’ouvrages collectifs - en cours d’expertise : English-Speaking Towns & Cities : memoirs and narratives, Olivier Glain (dir.) (soumis aux Publications de l’Université de Saint-Étienne). - Phonologies de l'anglais : théories et applications, Olivier Glain & Manuel Jobert (dir.), Limoges, Lambert Lucas, 2018 - Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, Olivier Glain & Céline Jeannot Piétroy (dir.), Saint-Étienne, Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017 145 Articles dans des revues internationales avec comité de lecture - en cours d’expertise : « The phonological fuzziness of palatalisation in contemporary English. A case of near-phonemes? », dans un ouvrage à paraître sous la direction d’Anne Przewozny, Cécile Viollain et Sylvain Navarro. - « La standardisation en langue anglaise. Normes en mouvements », Signes, discours et société, n°19, mars 2018, http://revue-signes.gsu.edu.tr/?article=844 - « Introducing Contemporary Palatalisation », PARLAY proceedings series n°1, York, York Papers in Linguistics, 2014, p. 16-29. Articles dans des revues nationales avec comité de lecture - « Consonant Variation and Change: Towards a Socio-Cognitive Model », RANAM (Recherches anglaises et nord-américaines) n°48, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2015, p. 13-29. - « Into the ear, through the head, out on the lips», Anglophonia-Sigma n° 34, Toulouse, Presses Universitaire du Mirail, 2013, 137-158. - « The yod /j/: palatalise it or drop it- How Traditional Yod Forms are Disappearing from Contemporary English », Cercles n° 22, www.cercles.com/n22/glain.pdf , 2012, p. 1-21 Publications dans des actes de colloque - en cours d’expertise : « Standard English, Urban Norms and Urban Myths. The Linguistic Imaginary at Work », in Olivier Glain (dir.), English-Speaking Towns & Cities : memoirs and narratives (soumis aux Publications de l’Université de Saint-Étienne). - « British English & American English : convergences ou divergences phonétiques ? », Chambéry, Les Amis du CRELINGUA n°19, 2016, p. 21-39. Chapitres d’ouvrage - « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques. Le cas de la palatalisation », in Olivier Glain & Manuel Jobert (dir.), Phonologies de l'anglais : théories et applications, Limoges, Lambert Lucas, 2018, p. 14-37. - « L’accent stéphanois », in Olivier Glain & Céline Jeannot Piétroy (dir.), Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, Saint-Étienne, Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017, p. 81-101. - « Petite grammaire du gaga» (co-écrit avec Jean-Christophe Pitavy), in Olivier Glain & Céline Jeannot Piétroy (dir), Vous avez dit gaga ? Origines, identités et enjeux du français régional stéphanois, SaintÉtienne, Publications Universitaires de Saint-Étienne, 2017, p. 117-132. 146 Articles en lien avec la diffusion de la recherche - « L’activation du changement des sons en Grande-Bretagne dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale », La Clé des Langues (Lyon : ENS LYON/DGESCO), http://cle.enslyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/l-activation-du-changement-des-sons-en-grande-bretagnedans-le-contexte-de-l-apres-seconde-guerre-mondiale , 2017. - « Variations et innovations phonétiques en anglais américain », La Clé des Langues (Lyon : ENS LYON/DGESCO), http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/variations-et-innovationsphonetiques-en-anglais-americain-partie-1- , 2015. - « Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) en anglais », La Clé des Langues (Lyon : ENS LYON/DGESCO), http://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/les-cas-de-palatalisationcontemporaine-cpc-en-anglais- , 2012. Articles en lien avec la didactique et l’apprentissage des langues - « An Introduction to the CEFR », The New Standpoints n°23, Speakeasy Publications, Nathan, Paris, 2005, p. 7-8. - « Bend it like Beckham: class file », The New Standpoints n°20, Speakeasy Publications, Nathan, Paris, 2004, p. 47-49. - « Virtual Worlds on Screens », The New Standpoints n°15, Speakeasy Publications, Nathan, Paris, 2003, p. 48-53. -------------COMMUNICATIONS avril 2018 - colloque international Sensory Manifestations in Contemporary Urbanities, Université de Saint-Étienne, « Saint-Étienne: accent, perceptions, representations of the city » avril 2018 - séminaire transversal La relation : à travers et au-delà des disciplines, Université de SaintÉtienne, « Le changement linguistique au cœur des humanités » janvier 2018 - Journée d’étude Noter, transcrire, traduire : regards multiples sur Howard Phillips Lovecraft, Université de Saint-Étienne, « La Nouvelle-Angleterre : manifestations dialectales chez Lovecraft » juin 2017 - Congrès annuel de la SAES Construction(s), Université de Reims, « The Linguistic imaginary and the Construction (?) of Standard English: norms in motion » octobre 2016 - colloque international English-Speaking towns & cities : memoirs and narratives, Université de Saint-Étienne, « Standard English, urban norms and urban myths: the Linguistic Imaginary at work » septembre 2016 - journée d’étude L’imaginaire linguistique : entre langue et discours, Université de SaintÉtienne, « La standardisation en langue anglaise : normes en mouvement, mythes et insécurité linguistique » juin 2015 - Journée d’étude du CRELINGUA, Paris, « British English & American English : convergences ou divergences phonétiques ? » avril 2015 - Journée d’étude La phonologie de l’anglais et ses variations, Université de Saint-Étienne, « Réalisations phonétiques et ambiguïté des représentations phonologiques » mars 2015 - journée d’étude de l’ALOES, Université d’Aix-Marseille, « Objectif phonologique et approche actionnelle : exemple de séquence pour le cycle terminal » 147 octobre 2014 - colloque international Le passage : quelle pertinence en sciences du langage ?, Université de Saint-Étienne, « L’activation du changement des sons en anglais dans le contexte de l’aprèsDeuxième Guerre mondiale » avril 2014 - 17e Colloque de Villetaneuse sur l'anglais oral, Spoken English and the Media, Université Paris 13, « Introducing Contemporary Palatalisation » septembre 2013 - conférence internationale PARLAY (Postgraduate and Academic Researchers in Linguistics At York), The University of York (Angleterre), « Contemporary Palatalisation in the Englishspeaking world » mai 2013 - doctoriales de linguistique anglaise de Lyon 3, « Les Cas de Palatalisation Contemporaine (CPC) dans le monde anglophone » août 2012 - séminaire Models of Language, University of Houston, Clearlake (Texas, États-Unis), « The Relation between Language Variation and Language Change», communication sur le changement et la variation dans l’histoire de l’anglais et du français mars 2012 - colloque international Phonologie de l’Anglais Contemporain (PAC) 2012, Variation et Changement, Université Toulouse 2, « Instances of Contemporary Palatalisation » janvier 2012 - journée d’étude agrégation anglais 2012, Université Lyon 3, « The yod /j/, palatalise it or drop it ! » -------------ENCADREMENT DE MEMOIRES DE MASTERS en cours en cours 2016-2018 2016-2018 2014-2016 2014-2016 - Subject-Verb Non-Agreement in Topic-Introducing Structures in Spoken English: ThereClauses and Here-Clauses. A Synchronic Sociolinguistic Study, Hakima Stevens, master recherche en linguistique (M2), Université Jean Monnet de Saint-Étienne - The Missouri Accent, Mathilde Saint-Genis, master recherche en linguistique (M2), Université Jean Monnet de Saint-Étienne - The Role of the Teacher in the Action-oriented Approach, Bérangère Tortoza, master Meef en didactique (M2), Université Jean Monnet de Saint-Étienne - The Sociophonetics of Dublin English, Anissa Naoui, master Meef en didactique (M2), Université Jean Monnet de Saint-Étienne - Teaching Epistemic Modality in Year 11:Towards An Action-Oriented Approach?, Lina Aidel, master Meef en linguistique & didactique (M2), Université Jean Monnet de SaintÉtienne - The Political Discourse of the 2014 Scottish Referendum as an Act of Identity?, Elena Vlaxopanagiotis, master recherche en linguistique (M2), Université Jean Monnet de SaintÉtienne -------------INTERPRETARIAT septembre 2007 - interprète pour la Coupe du Monde de Rugby 2007 : interprétation consécutive français > anglais et anglais > français des discours du salon VIP ; interprétation simultanée français > anglais, anglais > français et espagnol > anglais des conférences de presse d'avant et d'après match (tests réussis en novembre 2006) juillet 2007 - formation à l’interprétation consécutive et simultanée organisée par le Comité d’Organisation de la Coupe du Monde de Rugby et l’agence de traduction ILTC de Lyon 148 2006-2009 - interprète lors des CA dans le cadre de la reprise du site SCA de Roanne par le groupe britannique LPC. Interprétation de liaison du français vers l’anglais et de l’anglais vers le français -------------THEATRE - vice-président de l’Epallle Théâtre (La Ricamarie, 42) - animateur de l’atelier théâtre en anglais de l’IUT de Roanne (2011-2013) - co-animateur de l’atelier théâtre du lycée Albert Thomas (2001-2010) - ancien acteur de la troupe « Roanne impro » (1999-2001) - obtention d’un module universitaire de cours d’arts dramatiques aux Etats-Unis (‘Advanced Stage Movement’, the University of Southern Mississippi, 1993) - titulaire du diplôme du premier degré de la Comédie de Saint-Etienne (formation de deux ans de 1990 à1992) 149